A-562-75
Brouwer Turf Equipment Limited et Gerardus
Johannes Brouwer (Appelants) (Demandeurs)
c.
A and M Sod Supply Limited et Marcel Van de
Maele (Intimés) (Défendeurs)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant MacKay—Toronto, le
20 mai 1976.
Pratique—Contrefaçon de brevet—Appel d'une ordonnance
rendue par la Division de première instance rejetant une
demande d'ordonnance en vertu de la Règle 480, portant que
les profits feraient, après l'instruction, l'objet d'une référen-
ce—But de la Règle 480b) et c)—Règle 480 de la Cour
fédérale.
Les appelants ont interjeté appel d'une ordonnance de la
Division de première instance rejetant une demande visant à
obtenir, en vertu de la Règle 480, une ordonnance portant que
les dommages et les profits, dans une action en contrefaçon de
brevet dans laquelle les appelants sont les demandeurs, feraient,
après l'instruction, l'objet d'une référence. Les appelants ont
fait valoir que le but de la Règle 480b) et c) est de (1) protéger
le caractère confidentiel de la situation financière des parties
jusqu'au moment où ces renseignements doivent être révélés
afin de permettre à la Cour de fixer les dommages et (2)
s'assurer que cette cour ne s'engage pas inutilement, au cours
du procès, dans de simples questions de mathématiques lorsque
ces calculs peuvent être faits plus facilement devant un protono-
taire ou un autre fonctionnaire.
Arrêt: l'appel est rejeté. (1) On ne peut pas déduire de cette
Règle le droit à la protection du caractère confidentiel. On ne
peut pas dire qu'un juge de première instance a tort de rejeter
une demande en vertu de la Règle 480 lorsqu'elle a pour seul
motif de tenter de garder confidentiels aussi longtemps que
possible certains renseignements pertinents permettant d'établir
la cause de l'action intentée par le demandeur. (2) De simples
«questions de mathématiques» ne sont pas en tant que telles
indignes de la compétence du juge de première instance. Le
véritable but de la Règle 480 est de réduire au minimum les
frais d'une action en renvoyant à un arbitre certaines catégories
de sujets. C'est au juge de déterminer, à sa discrétion, s'il est
moins coûteux que le demandeur établisse le bien-fondé de sa
cause dans son ensemble, auquel cas, s'il est débouté, le coût de
l'évaluation des profits ou des pertes est gaspillé ou s'il serait
préférable d'attendre, pour régler ces questions, que l'on ait
établi le bien-fondé de l'action, ce qui pourra entraîner des frais
pour deux procès et deux séries d'appels. C'est une question
relevant du pouvoir discrétionnaire du juge de première ins
tance et sa décision ne devrait être annulée qu'en cas d'erreur
manifeste. Le principe général veut que le demandeur prouve
l'ensemble de sa cause en première instance et, en l'absence de
consentement ou de raisons influant sur la conduite de l'action
dans son ensemble, la Règle 480 ne peut servir à mettre en
échec ce principe.
APPEL.
AVOCATS:
C. F. Scott pour les appelants.
D. H. MacOdrum pour les intimés.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour les
appelants.
Ridout & Maybee, Toronto, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel
d'une ordonnance rendue par la Division de pre-
mière instance rejetant une demande visant à obte-
nir, en vertu de la Règle 480, une ordonnance
portant que la question des dommages et des pro
fits, dans une action en contrefaçon de brevet, dans
laquelle les appelants sont les demandeurs, ferait,
après l'instruction, l'objet d'une référence.
La Règle 480 prévoit notamment que:
Règle 480. (1) Une partie qui désire procéder à l'instruction
sans présenter de preuve sur une question de fait et notamment,
sans restreindre le sens général de cette expression, sur
a) un point relatif à la mesure dans laquelle il a été porté
atteinte à un droit,
8) un point relatif aux dommages qui découlent d'une
atteinte à un droit, et
c) un point relatif aux profits tirés d'une atteinte à un droit,
doit, 10 jours au moins avant le jour fixé pour le début de
l'instruction, demander une ordonnance portant que cette ques
tion de fait fera, après l'instruction, l'objet d'une référence en
vertu des Règles 500 et suivantes s'il paraît à ce moment-là
qu'il faut statuer sur cette question.
La demande d'ordonnance de référence, faite le
29 septembre 1975, était appuyée par un affidavit
daté du 24 septembre 1975, montrant, entre
autres, que
a) le demandeur était prêt à commencer les
interrogatoires préalables;
b) la compagnie demanderesse fabrique et vend
des leveuses de gazon en plaques et la «situation
financière des demandeurs ne doit pas être révé-
lée au public dans la mesure du possible»;
c) l'industrie de la fabrication de leveuses de
gazon dont fait partie la compagnie demande-
resse est un domaine très concurrentiel, et la
révélation de sa situation financière à ses con-
currents leur donnerait probablement un avan-
tage d'importance et serait susceptible de causer
un tort sérieux à la compagnie demanderesse; et
d) parce que les renseignements sur sa situation
parviendraient probablement à la connaissance
de ses concurrents, «la compagnie demanderesse
souhaite ne pas révéler sa situation financière
aux défendeurs jusqu'à ce que cette honorable
cour ait statué sur la question de savoir si les
défendeurs ont contrefait les brevets des
demandeurs.»
En rejetant la demande, le savant juge de pre-
mière instance a déclaré:
[TRADUCTION] En l'absence de consentement et de raisons
majeures influant sur la conduite de l'action dans son ensem
ble, les procédures ordinaires devraient être maintenues.
Je devrais me contenter de rejeter l'appel pour
les motifs donnés par le savant juge de première
instance, qui, à mon avis, expliquent succinctement
pourquoi la demande devrait être rejetée.
Cependant, à supposer que cela aide à l'applica-
tion de la Règle 480, j'ai l'intention de discuter
l'argumentation de l'appelant. A cette fin, je crois
suffisant de se rappeler le fondement de l'argu-
mentation, exposé au paragraphe 10 du mémoire
de l'appelant, dont voici le texte:
[TRADUCTION] PARTIE III
ARGUMENTATION
10. Il est respectueusement exposé que le but de la Règle 480b)
et c) est double:
(i) protéger le caractère confidentiel de la situation finan-
cière des parties à une action jusqu'au moment où ces
renseignements doivent être révélés afin de permettre à la
Cour de fixer le montant des dommages; et
(ii) s'assurer que cette honorable cour ne s'engage pas inuti-
lement dans de simples questions de mathématiques lorsque
ces calculs peuvent être faits plus facilement devant un
protonotaire ou un autre fonctionnaire.
II est respectueusement exposé que pour ces deux raisons, la
question du calcul des dommages ou de la comptabilité des
profits dans cette action, devrait faire l'objet d'une telle
référence.
En ce qui concerne d'abord le «but» de la Règle
480 tel qu'exposé au sous-alinéa (i) du paragraphe
10 de l'argumentation, on ne cite aucune jurispru
dence appuyant la proposition selon laquelle la
Règle a pour but de «protéger le caractère confi-
dentiel de la situation financière des parties ...» et
je suis d'avis qu'on ne peut déduire le droit à une
telle protection de cette Règle, faite en vertu de
pouvoirs conférés pour l'élaboration de règles de
procédure. En ce qui concerne un demandeur, je
suis d'avis qu'on ne peut pas dire qu'un juge de
première instance a tort de rejeter une demande en
vertu de la Règle 480 lorsque cette demande a
pour seul motif, comme celle-ci, de tenter de
garder confidentiels aussi longtemps que possible
des renseignements pertinents permettant d'établir
la cause de l'action intentée par le demandeur.
La définition du «but» de la Règle 480 selon le
sous-alinéa (ii) du paragraphe 10, résulte à mon
avis d'un point de vue erroné. De simples «ques-
tions de mathématiques» ne sont pas en tant que
telles indignes de la compétence du juge de pre-
mière instance. Le véritable but de la Règle 480
est, à mon sens, de réduire au minimum les frais
d'une action en renvoyant à un arbitre certaines
catégories de sujets. C'est au juge de déterminer, à
sa discrétion, dans une action donnée, s'il est moins
coûteux que le demandeur établisse le bien-fondé
de sa cause dans son ensemble, auquel cas, s'il est
débouté sur le fond de son action, le coût de
l'évaluation des profits ou des pertes est gaspillé,
ou s'il serait préférable d'attendre, pour régler ces
questions, que l'on ait établi le bien-fondé de l'ac-
tion, ce qui pourra entraîner des dépenses pour
deux procès et deux séries d'appels au lieu de celles
d'un procès et d'une série d'appels. Il est impossi
ble d'énumérer d'une façon générale tous les élé-
ments dont, dans un cas particulier, le juge de
première instance peut ou devrait tenir compte
pour arriver à une conclusion à ce sujet. Cepen-
dant, à mon avis, c'est dans une large mesure une
question relevant du pouvoir discrétionnaire du
juge de première instance et sa décision ne devrait
être annulée en appel qu'en cas d'erreur manifeste.
Il est évident, à mon avis, comme le savant juge
de première instance l'a souligné, que le principe
général veut que le demandeur prouve l'ensemble
de sa cause en première instance; et, en l'absence
de consentement ou de «raisons influant sur la
conduite de l'action dans son ensemble», la Règle
480 ne peut servir à mettre en échec ce principe.
Pour étudier le fonctionnement de la Règle 480,
il faut tenir compte de la Règle 466 1 qui est la
règle correspondante en matière d'interrogatoire
préalable.
On devrait également mentionner un autre point
qui ne se rapporte qu'à la manière de conduire
l'appel. En plus de la documentation produite
devant le savant juge de première instance, les
parties ont jugé utile de déposer devant cette cour
un «exposé conjoint des faits». On n'a cité aucune
jurisprudence permettant à cette cour de tenir
compte de cette documentation et, en l'absence
d'une ordonnance en vertu de la Règle 1102 2 , qui
ne serait accordée que dans des circonstances
exceptionnelles, à mon avis, cet exposé n'est pas
produit à bon droit devant cette cour et elle ne
devrait pas en tenir compte.
Je suis d'avis que l'appel doit être rejeté avec
dépens.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
1 La Règle 466 est ainsi rédigée:
Règle 466. Lorsque, avant le moment auquel un interroga-
toire préalable a lieu ou avant le moment auquel une commu
nication ou un examen de documents s'effectue en vertu des
présentes Règles, une ordonnance a été rendue en vertu de la
Règle 480 l'effet qu'une question de fait soit référée, après
l'instruction, l'interrogatoire, la communication ou l'examen
ne doivent pas s'étendre à cette question de fait.
2 La Règle 1102 est ainsi rédigée:
Règle 1102. (I) La Cour d'appel pourra, à sa discrétion,
pour des raisons spéciales, recueillir ou compléter la preuve
sur toute question de fait, cette preuve devant être recueillie
par l'interrogatoire en séance, ou sous forme de déposition
écrite, selon que la Cour le prescrit.
(2) Au lieu de recueillir ou compléter la preuve en vertu
du paragraphe (1), la Cour pourra prescrire un renvoi en
vertu de la Règle 500 comme si cette règle et les Règles 501
à 507 étaient insérées dans la présente Partie dans la mesure
où elles sont applicables.
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