T-3675-76
Association des Gens de l'Air du Québec Inc.,
Roger Demers, Pierre Beaudry, Marc Bériault et
Guy Charette (Demandeurs)
c.
L'honorable Otto Lang, tant personnellement
qu'en sa qualité de ministre des Transports, et le
procureur général du Canada (Défendeurs)
et
Canadian Air Traffic Control Association Inc.
(CATCA), Canadian Air Line Pilots Association
(CALPA), le procureur général du Québec et
Keith Spicer (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Marceau—
Québec, les 20 et 21 décembre 1976; Ottawa, le 12
janvier 1977.
Compétence—Transport—Le Ministre a-t-il le pouvoir de
contrôler la langue utilisée par les pilotes et les contrôleurs de
la circulation aérienne dans l'exercice de leurs fonctions?—
Possibilité de conflit avec la Loi sur les langues officielles—Le
Ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou a-t-il abusé des pou-
voirs qui lui sont accordés par la Loi?—Possibilité de conflit
avec la Loi sur la langue officielle du Québec—Loi sur l'aéro-
nautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 6—Loi sur les langues
officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, art. 2, 9, 10 et 39—Règlement
de l'Air, DORS/61-10 et ses modifications, art. 104k)—
Ordonnance sur les normes et méthodes des communications
aéronautiques, DORS/76-551—Loi sur la langue officielle du
Québec, L.Q. 1974, c. 6, art. 12.
Les demandeurs cherchent à obtenir un jugement déclara-
toire portant que l'Ordonnance sur les normes et méthodes des
communications aéronautiques DORS/76-551, relative à
l'usage du français dans les communications aériennes, est nulle
en ce que le ministre n'a pas le pouvoir d'émettre des ordonnan-
ces relatives à l'usage d'une langue dans les communications
aériennes, que, même s'il avait ce pouvoir, l'ordonnance en
cause contrevient aux dispositions de la Loi sur les langues
officielles du Canada et de la Loi sur la langue officielle du
Québec et que de toute façon, ce pouvoir n'a pas été exercé
correctement. Les demandeurs sollicitent également une injonc-
tion enjoignant les défendeurs de cesser d'empêcher les pilotes
et les contrôleurs de la circulation aérienne d'utiliser le français
dans l'exercice de leurs fonctions au Québec. Comme moyen
préliminaire, les défendeurs contestent le droit de l'Association
des Gens de l'Air du Québec Inc. de se porter codemanderesse
dans le litige, en raison des dispositions de l'article 59 du Code
de procédure civile québécois.
Arrêt: l'action est rejetée. La Loi sur l'aéronautique donne
au ministre fédéral des Transports le pouvoir d'établir les
règlements, et l'alinéa 104k) du Règlement prévoit qu'il peut
émettre des directives relativement, inter alla, aux systèmes et
méthodes de communications. La langue étant un moyen de
communication, le ministre doit donc avoir le pouvoir d'émettre
une ordonnance prescrivant la langue à utiliser dans les com
munications aériennes. L'article 2 de la Loi sur les langues
officielles est déclaratoire et doit être lu dans le contexte de la
Loi dans son ensemble, particulièrement l'article 9, qui enjoint
les responsables de donner effet à la Loi «dans la mesure où il
leur est possible de le faire». L'article 10, qui impose au
ministre des Transports une obligation spécifique, a pour objet
l'intérêt des «voyageurs», et l'alinéa 104k) du Règlement assure
largement le respect de l'obligation prévue par la loi. La Loi sur
la langue officielle du Québec n'est pas en cause, puisque le
Québec n'a aucune compétence législative en matière d'aéro-
nautique. Le ministre a exercé correctement ses pouvoirs en
émettant l'ordonnance en cause; il était obligé par les circons-
tances existant au moment où elle a été émise d'imposer un
«gel» temporaire sur l'expansion que connaissait l'utilisation du
français dans les communications aériennes et il a clairement
expliqué qu'il était toujours dans l'intention du gouvernement
d'établir l'usage du français dans les communications aériennes
au Québec dans la mesure où cela pouvait être fait sans
préjudice à la sécurité. Il semblerait que l'article 59 du Code de
procédure civile québécois n'empêche pas la première deman-
deresse nommée de se porter codemanderesse dans le présent
litige, compte tenu de son statut établi suivant la Partie III de
la Loi des compagnies du Québec.
Arrêts appliqués: Barker c. Edger [ 1898] A.C. 748; Refer
ence as to the Validity of the Regulations in relation to
Chemicals [1943] R.C.S. 1 et Reference as to the Validity
of Orders in Council in Relation to Persons of the Japa-
nese Race [1946] R.C.S. 248.
ACTION.
AVOCATS:
Guy Bertrand, Serge Joyal et Gilles Grenier
pour les demandeurs.
Gaspard Côté et Paul 011ivier, c.r., pour les
défendeurs.
Gary Q. Ouellet pour Canadian Air Traffic
Control Association Inc., mise-en-cause.
Rodolphe Bilodeau pour le procureur général
du Québec, mis-en-cause.
Royce Frith, c.r., pour Keith Spicer,
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Bertrand, Richard, Dumas, Côté, Otis &
Morand, Québec, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Levasseur, Ouellet, Morneau, Plourde &
Levesque, Québec, pour Canadian Air Traffic
Control Association Inc., mise-en-cause.
Le procureur général du Québec agissant en
son propre nom, mis-en-cause.
Royce Frith, c.r., Ottawa, pour Keith Spicer,
mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: L'Association des Gens de
l'Air du Québec Inc. et quatre pilotes et contrô-
leurs francophones québécois se sont joints ici pour
contester la validité de l'ordonnance du ministre
des Transports du Canada sur les normes et
méthodes des communications aéronautiques,
enregistrée le 30 août 1976 sous le numéro
DORS/76-551 et publiée dans la Gazette du
Canada le 1" septembre suivant. Intentée contre
l'honorable Otto Lang, ministre des Transports du
Canada (ci-après, dans ces notes, «le ministre») et
le procureur général du Canada, l'action demande
que l'ordonnance soit déclarée nulle et que les
défendeurs soient enjoints de cesser d'empêcher les
pilotes et les contrôleurs de la circulation aérienne
d'utiliser le français dans l'exercice de leurs fonc-
tions au Québec. Ont été «mis-en-cause», comme le
permet le Code de procédure civile de la province
de Québec, mais sans qu'aucun redressement par-
ticulier ne soit réclamé contre eux: la Canadian
Air Line Pilots Association (CALPA), qui n'était
pas représentée à l'audition; la Canadian Air Traf
fic Control Association (CATCH), qui y avait
délégué un observateur, le procureur général du
Québec et le Commissaire aux langues officielles,
Keith Spicer, qui, par leurs représentants respec-
tifs, ont présenté au tribunal les observations perti-
nentes qu'ils jugeaient à propos.
Cette action, on le sait, s'inscrit dans le cadre de
la polémique de dimension nationale qui s'est sou-
levée au cours des derniers mois relativement à
l'implantation progressive du bilinguisme dans les
services de contrôle du trafic aérien dans la pro
vince de Québec. Elle transpose sur le plan judi-
ciaire la lutte que poursuivent depuis quelque
temps les gens de l'air francophones québécois
pour que leur soit reconnu le droit de faire usage
de leur langue dans l'exercice de leurs fonctions au
Québec. Le contexte permet évidemment de com-
prendre et de situer le litige; il est clair cepen-
dant—et c'est ce que je tiens à souligner d'abord—
qu'il ne saurait influer sur sa solution. La Cour est
saisie d'un problème proprement juridique qui ne
peut être analysé et résolu que sur le plan du droit
et à partir de principes de droit; elle n'est pas
appelée à se prononcer sur la légitimité de cette
lutte des gens de l'air francophones ni sur le
bien-fondé de leurs revendications de principe. La
seule question posée aujourd'hui est celle de savoir
si l'ordonnance contestée, enregistrée le 30 août,
est valide ou non: si elle est valide, l'action devra
être rejetée; au cas contraire, la déclaration de
nullité sera prononcée et la possibilité d'accéder
aux conclusions accessoires d'injonction que for-
mule la déclaration devra être examinée et
décidée.
Une dernière note préliminaire. Dans sa défense,
le sous-procureur général du Canada, pour le
compte des défendeurs, a contesté le droit de l'As-
sociation des Gens de l'Air du Québec de se porter
codemanderesse dans le litige sous prétexte qu'elle
n'aurait pas l'intérêt juridique requis. L'Associa-
tion a été constituée suivant la Partie III de la Loi
des compagnies du Québec (S.R.Q. 1964, c. 271)
aux fins, notamment, de «promouvoir le développe-
ment, la sécurité et l'efficacité au sein de l'aviation
civile au Québec» et de «promouvoir les intérêts
professionnels de ses membres (actuellement envi-
ron 1300) et défendre leurs droits ainsi que ceux
de toutes les personnes oeuvrant dans l'aviation
civile au Québec». Il me semble qu'en demandant
la nullité d'une ordonnance qui affecte en partie
l'organisation de l'aviation civile au Québec (je
n'inclus pas les conclusions en injonction), l'Asso-
ciation exerce un recours qui n'existe pas unique-
ment dans la personne de ses membres mais lui
appartient aussi en propre, et que, par conséquent,
elle ne contrevient pas, comme on le prétend, à la
règle de l'article 59 du Code de procédure civile
québécois. La situation ici me semble différente de
celle qui se présentait dans l'affaire Jardins Taché
c. Entreprises Dasken ([1974] R.C.S. 2). Il n'est
cependant ni nécessaire ni même utile que je
prenne nettement parti sur ce point étant donné les
conclusions auxquelles je suis arrivé quant à l'ac-
tion elle-même et le fait que sa portée est de toute
façon purement académique vu la présence des
quatre autres demandeurs dont la qualité et l'inté-
rêt ne sont pas contestés.
Ces remarques introductives étant faites, il con-
vient de reproduire dès maintenant et intégrale-
ment le texte de l'ordonnance contestée:
Enregistrement
DORS/76-551 30 août 1976
LOI SUR L'AÉRONAUTIQUE
Ordonnance sur les normes et méthodes des communications
aéronautiques
En vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur l'aéronautique et
de l'alinéa 104k) du Règlement de l'Air, le ministre des Trans
ports abroge l'Ordonnance sur les normes et procédures des
communications aéronautiques (Ordonnance sur la navigation
aérienne, série I, n° 1) rendu le 7 juillet 1976 et enregistrée sous
le numéro DORS/76-460.
Ottawa, le 27 août 1976
pro Le ministre des Transports
DONALD S. MACDONALD
ORDONNANCE SUR LA NAVIGATION AÉRIENNE, SÉRIE I, N ° 1
ORDONNANCE PRESCRIVANT DES NORMES ET DES MÉTHODES
CONCERNANT LES COMMUNICATIONS EN PHONIE EN
AÉRONAUTIQUE
Attendu que, conformément à la Loi sur les langues officiel-
les, toutes les institutions du gouvernement du Canada ont le
devoir de veiller, dans la mesure où il leur est possible de le
faire, à ce que le public, lorsqu'il y a de sa part demande
importante, puisse communiquer avec°' elles et obtenir leurs
services dans les deux langues officielles;
Attendu que le gouvernement désire compléter l'introduction
du bilinguisme dans les communications aériennes au Québec;
Attendu que le gouvernement, conformément à la Loi sur
l'aéronautique, désire assurer la meilleure compréhension pos
sible entre pilotes et contrôleurs aériens et est conscient de la
nécessité que la sécurité des passagers et des membres d'équi-
page ne doit pas de ce fait être compromise;
Attendu que le gouvernement s'est engagé à compléter l'in-
troduction du bilinguisme dans les communications aériennes
au Québec à mesure qu'il est démontré que cet objectif peut
être atteint sans préjudice à la sécurité; et
Attendu qu'il est considéré nécessaire, dans l'intérêt de la
sécurité, d'autoriser formellement l'usage de la langue française
dans les communications aériennes du Québec d'une façon
compatible avec l'introduction progressive du bilinguisme dans
ces communications à mesure qu'il est démontré que cela peut
être fait sans préjudice et à la sécurité;
Le ministre des transports, en vertu du paragraphe 6(2) de la
Loi sur l'aéronautique et de l'alinéa 104k) du Règlement de
l'Air, établit la présente ordonnance.
Titre abrégé
1. La présente ordonnance peut être citée sous le titre:
Ordonnance sur les normes et méthodes des communications
aéronautiques.
Interprétation
2. Dans la présente ordonnance,
«Ministre» désigne le ministre des Transports; (Minister)
«services consultatifs» désigne le fait qu'une station aéronauti-
que de radio fournit à une autre station semblable des
renseignements sur la sécurité des vols, y compris des rensei-
gnements de météorologie aéronautique et des comptes
rendus sur l'état des aérodromes, des aides de la navigation
aérienne et des aides d'approche, mais ne comprend pas les
autorisations, les instructions ou les méthodes du contrôle de
la circulation aérienne IFR; (advisory services)
«station aéronautique de radio» désigne
a) une station aérienne d'un aéronef qui peut communiquer
bilatéralement en phonie avec une autre station aérienne
semblable, un organe du contrôle de la circulation aérienne et
toute station au sol de radio aéronautique,
b) un organe du contrôle de la circulation aérienne exploité
par le ministère des Transports qui peut communiquer bilaté-
ralement en phonie, y compris
(i) un centre de contrôle régional établi afin d'assurer le
service du contrôle de la circulation aérienne aux aéronefs
qui effectuent des vols IFR,
(ii) un organe de contrôle terminal, et
(iii) une tour de contrôle ou un organe de contrôle de la
circulation aérienne temporaire ou mobile établi afin d'as-
surer le contrôle de la circulation aérienne, ou
c) une station au sol de radio aéronautique exploitée par le
ministère des Transports et qui peut communiquer bilatérale-
ment en phonie, à l'exception d'un organe du contrôle de la
circulation aérienne;
(aeronautical radio station)
«zone de contrôle» désigne un espace aérien contrôlé qui s'étend
verticalement en altitude à partir de la surface de la terre et
qui couvre une région approuvée par le Ministre; (control
zone)
«zone de contrôle intégral» s'entend d'une zone de contrôle
désignée et définie dans le Designated Airspace Handbook
publié sur directive du Ministre; (positive control zone)
«zone de contrôle temporaire» désigne une zone de contrôle où
des services de contrôle de la circulation aérienne sont fournis
temporairement. (temporary control zone)
Généralités
3. (1) La personne qui exploite une station aérienne, visée à
l'alinéa a) de la définition de «station aéronautique de radio» de
l'article 2, qui entre en communication dans la province de
Québec avec une station au sol de radio aéronautique visée à
l'alinéa c) de cette définition et qui apparaît à l'annexe I, telle
que modifiée de temps à autre, est autorisée à fournir les
services consultatifs en français à cette station au sol de radio
aéronautique.
(2) La personne qui exploite dans la province de Québec une
station aérienne, visée à l'alinéa a) de la définition de «station
aéronautique de radio» de l'article 2, est autorisée à fournir les
services consultatifs en français au pilote commandant de bord
d'un autre aéronef
a) sur une fréquence radio autre qu'une fréquence d'ur-
gence, une fréquence d'une station au sol de radio aéronauti-
que ou une fréquence d'un organe du contrôle de la circula
tion aérienne, à des fins autres que celle d'effectuer un relais;
ou
b) afin d'effectuer un relais sur n'importe quelle fréquence
qu'ils utilisent déjà.
(3) La personne qui exploite une station au sol de radio
aéronautique située dans la province de Québec et qui apparaît
à l'annexe I, telle que modifiée de temps à autre, est autorisée à
fournir les services consultatifs en français au pilote comman
dant de bord d'un aéronef lorsque celui-ci, implicitement ou
autrement, a manifesté le désir d'obtenir les services consulta-
tifs en français.
4. La personne qui exploite une station aéronautique de
radio située à un aérodrome de la province de Québec qui
apparaît à l'annexe II, telle que modifiée de temps à autre, est
autorisée à utiliser le français afin de fournir les services
consultatifs et les services du contrôle de la circulation aérienne
dans le cadre de la zone de contrôle intégral ou de la zone de
contrôle et sur l'aire de manoeuvre de l'aérodrome au pilote
commandant de bord d'un aéronef lorsque
a) le pilote commandant de bord a manifesté le désir que ces
services lui soient fournis en français en adressant sa pre-
mière communication radio à la station aéronautique de
radio en français; et
b) seulement lorsque l'aéronef est manoeuvré conformément
aux règles de vol à vue.
5. La personne qui exploite un organe du contrôle de la
circulation aérienne temporaire ou mobile, décrit au sous-alinéa
b)(iii) de la définition de «station aéronautique de radio» à
l'article 2 située dans la province de Québec et servant pour
fournir le service à une zone de contrôle temporaire, est autori-
sée à utiliser le français afin de fournir les services du contrôle
de la circulation aérienne et les services consultatifs aux mani
festations aéronautiques spéciales, telles que définies dans l'Or-
donnance sur la sécurité des manifestations aéronautiques
spéciales, qui se déroulent conformément aux règles de vol à
vue ou afin de fournir d'autres services temporaires du contrôle
de la circulation aérienne spécifiquement approuvés par le
Ministre.
6. En cas d'urgence en vol au-dessus de la province de
Québec, le pilote commandant de bord peut communiquer en
français avec n'importe quelle station aéronautique de radio
située dans cette province pour toute question relative au cas
d'urgence.
7. Sauf les cas d'autorisation des articles 3 à 6, il est interdit
à quiconque exploite une station aéronautique de radio au
Canada de transmettre des services consultatifs, des autorisa-
tions, instructions ou méthodes du contrôle de la circulation
aérienne, ou d'y répondre, dans une autre langue que l'anglais.
Ottawa, le 27 août 1976
pro Le ministre des Transports
DONALD S. MACDONALD
ANNEXE I
LISTE DES STATIONS AU SOL DE RADIO AÉRONAUTIQUE DANS
LA PROVINCE DE QUÉBEC
1. Montréal (Dorval)
2. Québec
3. Mont-Joli
4. Sherbrooke
5. Roberval
6. Sept-Îles
7. Fort Chimo
8. Schefferville
9. Nitchequon
10. Lake Eon
11. Poste-de-la-Baleine
12. Inoucdjouac
13. Rouyn
14. Gaspé
15. Matagami
16. La Grande Rivière
ANNEXE II
LISTE DES AÉRODROMES DANS LA PROVINCE DE QUÉBEC
1. Québec
2. Saint-Jean
3. Sept-Îles
4. Baie -Comeau
5. Saint-Honoré
6. Val d'Or
Pour comprendre la réaction des demandeurs et
donner une certaine perspective à leurs motifs
d'attaque, il importe de rappeler dans ses grandes
lignes la genèse de cette ordonnance et de la situer
dans l'évolution de la politique linguistique du
ministère des Transports du Canada dans le
domaine des communications aériennes.
Avant 1974, il n'était pas question de français
dans les communications air-sol au Canada, pas
plus au Québec qu'ailleurs: seul l'anglais était
autorisé pour des motifs qu'on disait de sécurité.
On affirmait comprendre le désir des pilotes fran-
cophones de s'exprimer dans leur langue mater-
nelle mais on évoquait les problèmes que l'usage
du français de pair avec l'anglais soulèverait et les
dangers qui pourraient en résulter, vu le nombre
important des contrôleurs et pilotes anglophones
unilingues. Le 19 juin 1974—la Loi sur les lan-
gues officielles (S.R.C. 1970, c. O-2) avait été
adoptée en 1969—à la suite notamment d'une
étude visant à évaluer «les répercussions de la
création éventuelle d'unités de langue française
dans les tours de contrôle de la circulation
aérienne en fait de communication air-sol» suivie
d'«une enquête restreinte sur la sécurité aéronauti-
que concernant la situation qui régnait à Québec
en ce qui a trait à l'usage des deux langues officiel-
les dans la prestation des services de contrôle» (voir
historique, dans le rapport produit comme pièce
P-10),—un premier pas à cet égard est fait. Un
avis émanant du Directeur général de l'aéronauti-
que civile, M. McLeish, (NOTAM 12/74, pièce
P-8), annonce que le français serait dorénavant
permis pour les communications air-sol, dans les
vols à vue (VFR), à cinq aéroports de la province
de Québec, ceux de Québec, Saint-Jean, Sept-Îles,
Baie -Comeau et Saint-Honoré. Le 1" avril 1976,
un deuxième avis relatif à la langue (N.OTAM
5/76, pièce P-8), émanant encore du Directeur
général de l'aéronautique civile, un M. Arpin cette
fois, vient remplacer celui de 1974. Ce deuxième
avis, après avoir évoqué la volonté du ministère de
respecter l'esprit de la Loi sur les langues officiel-
les tout en maintenant les normes et procédures
requises par la Loi sur l'aéronautique pour assurer
la protection de tous, confirme la situation acquise
à l'égard des cinq aéroports québécois et annonce
une extension au domaine des «communications
entre les avions VFR et les stations de radio
navigation du transports Canada dans la province
de Québec».
L'opposition, déjà affirmée, des associations
mises-en-cause, CATCA et CALPA, au pro
gramme d'extension du bilinguisme dans les com
munications aériennes devient alors plus ouverte,
plus ferme et apparemment plus irréductible; elle
aboutit finalement à une grève des pilotes de la
CALPA qui est déclenchée le 19 juin 1976. Le 28
juin suivant, le ministre accepte dans un protocole
d'accord avec les représentants des deux associa
tions mises-en-cause (pièce P-5) de ne procéder à
aucune expansion additionnelle du programme
d'implantation du français dans les communica
tions aériennes au Québec, tant que la nouvelle
Commission d'enquête sur le bilinguisme et la
sécurité aérienne, dont il a annoncé la création
cinq jours auparavant, n'aura pas soumis à cette
fin un rapport favorable'. Le même jour les grévis-
tes retournent au travail.
Le 30 juin 1976, le ministre émet une première
ordonnance (DORS/76-408) qui reprend en subs
tance les prescriptions de l'avis du 1 e avril sauf
qu'aux cinq aéroports déjà visés il en ajoute un
sixième: Val d'Or. Cette ordonnance sera rempla-
' Le mandat précis confié à la Commission n'a pas été établi
en preuve, mais sa création est attestée par les documents
produits, et toutes les parties ont plaidé en prenant pour acquise
son existence.
cée par une deuxième, le 8 juillet suivant
(DORS/76-460, P-8), laquelle à son tour sera
abrogée quelque six semaines plus tard, soit le 27
août, pour être substituée par celle attaquée dans
la présente instance. Il ne semble pas essentiel de
citer ici au long ces deux ordonnances 2 qui ont
précédé celle mise-en-cause dont le texte est repro-
duit intégralement ci-haut. Elles sont différem-
ment rédigées, moins élaborées, ne contiennent pas
de préambule, mais elles couvrent le même
domaine et sont en substance, pour ce qui est des
règles qu'elles édictent, au même effet. Il convient
de souligner, cependant, pour compléter cette
revue succincte mais suffisante des faits essentiels
qui entourent le litige, que les demandeurs avaient
déjà contesté en justice la validité de l'ordonnance
du 8 juillet avant qu'elle ne fut abrogée: ils durent
ainsi se désister de leur action mais ils en intentè-
rent aussitôt une nouvelle contre l'ordonnance de
remplacement en invoquant substantiellement les
mêmes motifs d'invalidité.
Ces motifs, il faut maintenant en examiner la
valeur et la portée juridique. Ils peuvent, il me
semble, se résumer dans quatre propositions que je
formulerai et considérerai successivement en sui-
vant un ordre qui ne correspond pas en réalité à
leur importance respective dans l'argumentation
des demandeurs mais qui m'apparaît plus logique.
1. Le ministre des Transports du Canada, pré-
tendent d'abord les demandeurs, n'avait pas le
pouvoir d'émettre une ordonnance relative à, la
langue des communications aériennes.
C'est par l'article 6 de la Loi sur l'aéronautique
(S.R.C. 1970, c. A-3) que le Parlement, après
avoir confié au ministre des Transports la respon-
sabilité du contrôle et de la réglementation de la
navigation aérienne au Canada, lui délègue le pou-
voir d'établir les règlements, ordonnances et direc
tives qu'il jugerait nécessaires à cette fin. Le para-
graphe (1) de l'article énumère, quoique de façon
non limitative, les différents sujets sur lesquels
pourront porter les règlements, pour lesquels l'ap-
probation préalable du gouverneur en conseil est
exigée; le paragraphe (2) ensuite poursuit:
6. (2) Tout règlement édicté en vertu du paragraphe (1)
peut autoriser le Ministre à établir des ordonnances ou des
2 Publiées dans un numéro spécial de la Gazette du Canada,
en date du 23 juillet 1976.
directives, concernant les matières tombant sous le présent
article, ainsi que les règlements peuvent le prescrire.
Or, l'article 104k) du Règlement de l'Air
(DORS/61-10, modifié par DORS/69-627) édicté
sous l'autorité du paragraphe (1) de cet article 6
de la Loi sur l'aéronautique, accorde au ministre
le pouvoir d'établir des ordonnances ou des directi
ves ayant pour objet de prescrire des normes et des
conditions relatives à «la normalisation des équipe-
ments, systèmes et méthodes de communications
employés en navigation aérienne.»
Les demandeurs, bien sûr, ne songent nullement
à remettre en question l'étendue de la compétence
législative fédérale en matière d'aéronautique (voir
In re The Regulation and Control of Aeronautics
in Canada [1932] A.C. 54), terme qui recouvre, on
le sait, tout ce qui touche à la navigation aérienne
(voir notamment Johannesson c. Rural Municipa
lity of West St. Paul [1952] 1 R.C.S. 292). Ils
reconnaissent que la Loi sur l'aéronautique a
confié au ministre des Transports la responsabilité
de contrôler et régler la navigation aérienne et que
l'article 6 a pour but de donner au ministre les
«outils» dont il a besoin pour satisfaire à cette
responsabilité. Ce qu'ils prétendent, c'est que la
langue ne saurait être visée par l'expression «systè-
mes et méthodes de communication» de l'article
104k) du Règlement de l'Air. Une «méthode»
disent-ils dans leur mémoire (p. 22), est stricte-
ment «une façon de faire une chose, d'agir, ce qui
comprend aussi un ordre pour le faire». Dès lors,
poursuivent-ils, on peut dire que «méthodes de
communication» signifie «façon d'effectuer la com
munication», ce qui, d'après eux, permet de con-
clure: «le mot méthode englobe très certainement
le pouvoir de préciser le vocabulaire que doivent
utiliser les pilotes et les contrôleurs, de préciser le
lexique. Toutefois, cela ne saurait signifier en
quelle langue les pilotes et contrôleurs doivent
parler».
La langue, à mon avis, est l'ensemble des unités
du language parlé ou écrit et je n'arrive pas à voir
comment elle peut être dissociée du vocabulaire et
du lexique. Je ne crois pas qu'on puisse donner à
l'expression «méthodes de communication» un sens
aussi restreint et étriqué que celui suggéré par les
demandeurs. La méthode est la «manière», et en
matière de communication, la langue à utiliser fait
partie, à mon avis, de la manière de communiquer.
Pour «normaliser les systèmes et méthodes de com
munication» il faut d'abord préciser, si quelque
doute existe à ce sujet, la langue qui sera parlée.
Le ministre, à mon avis, avait le pouvoir d'émet-
tre une ordonnance prescrivant la langue à utiliser
dans les communications aériennes.
2. S'il en est ainsi, disent les demandeurs—et
c'est par cette deuxième proposition qu'ils font
valoir leur principal motif d'invalidité—le ministre
ne pouvait, en prescrivant la langue à utiliser,
contredire les dispositions de la Loi sur les langues
officielles, (S.R.C. 1970, c. O-2), cette Loi qui,
adoptée au terme d'une longue évolution, est venue
reconnaître juridiquement le statut de langue offi-
cielle au français, lequel d'ailleurs, «sur le terri-
toire du Québec, a toujours eu le statut de langue
en possession d'état».
En évoquant ainsi ce concept de «langue en
possession d'état» et en rappelant comme ils l'ont
fait l'histoire des luttes des francophones canadiens
pour la sauvegarde et la reconnaissance de leur
héritage culturel et linguistique, les demandeurs
ont fait l'apologie de la Loi sur les langues offi-
cielles, mais je ne vois pas comment ils pourraient
prétendre en tirer quelque argument de portée
juridique„La seule question dont le tribunal soit
saisi par l'argument mis de l'avant ici est celle de
savoir si l'ordonnance attaquée est nulle parce que
contraire aux dispositions de la Loi sur les langues
officielles, et cette question se résout elle-même en
deux parties, l'une visant à vérifier si effectivement
la contradiction prétendue existe et l'autre si une
telle contradiction, dans l'hypothèse où elle existe,
force à conclure à nullité.
Les demandeurs basent leurs prétentions à l'ef-
fet qu'effectivement l'ordonnance contredit la Loi
sur les langues officielles sur trois dispositions de
cette Loi: principalement celle de l'article 2 mais
aussi celles des articles 10 et 39 (spécialement leur
paragraphe premier). En voici les textes:
2. L'anglais et le français sont les langues officielles du
Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouverne-
ment du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges
égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du
Parlement et du gouvernement du Canada.
10. (1) Il incombe aux ministères, départements et organis-
mes du gouvernement du Canada, ainsi qu'aux corporations de
la Couronne, créés en vertu d'une loi du Parlement du Canada,
de veiller à ce que, si des services aux voyageurs sont fournis ou
offerts dans un bureau ou autre lieu de travail, au Canada ou
ailleurs, par ces administrations ou par une autre personne
agissant aux termes d'un contrat de fourniture de ces services
conclu par elles ou pour leur compte après le 7 septembre 1969,
lesdits services puissent y être fournis ou offerts dans les deux
langues officielles.
39. (1) Lorsque, à la suite des observations d'un ministre, il
est établi à la satisfaction du gouverneur en conseil que l'appli-
cation immédiate d'une disposition de la présente loi à un
ministère, un département ou une autre institution du Parle-
ment ou du gouvernement du Canada (que le présent article
désigne ci-après sous le nom d'«autorité») ou à un service fourni
ou offert par eux
a) nuirait indûment aux intérêts du public desservi par
l'autorité, ou
b) nuirait sérieusement à l'administration de l'autorité, aux
relations entre employeur et employés ou à la gestion de ses
affaires,
le gouverneur en conseil peut, par décret, différer ou suspendre
l'application d'une telle disposition à cette autorité ou à ce
service pendant la période, comprise dans les soixante mois
suivant le 6 septembre 1969, que le gouverneur en conseil juge
nécessaire ou opportune.
Que l'article 2 constitue ce que le mis-en-cause,
Spicer, Commissaire aux langues officielles, a
appelé maintes fois dans ses rapports la «pierre
angulaire» de la loi, (voir notamment 2e rapport
annuel 1971-1972, p. 17), c'est certain. Qu'il soit
plus que l'expression d'un voeu pieux ou d'une
déclaration de principe platonique et sans consé-
quence, c'est clair. Le Parlement exprime là une
volonté nette qui permet de souscrire à cette con
clusion que le procureur des demandeurs a
emprunté des notes du juge en chef de la Cour
supérieure de la province de Québec dans l'affaire
Joyal c. Air Canada (jugement non rapporté
contre lequel appel a été interjeté mais qui fut
produit comme exhibit et que les parties ont toutes
abondamment cité) à l'effet que «cette disposition
d'égalité dans le chapitre O-2 [l'art. 2 de la Loi sur
les langues officielles] enracine déjà le principe
des langues officielles dans le terroir de notre pays
et lui donne sa consécration dans les faits.»
Sur le plan pratique des droits et obligations
juridiques qui en découlent cependant, je ne puis
voir comment cet article 2 peut être isolé de l'en-
semble de la loi. Il constitue, à mon avis, une
«déclaration de statut», qu'on ne saurait formuler
avec plus de vigueur mais qui demeure introduc-
tive. Les conséquences à en tirer, le Parlement les
exprime dans les articles qui suivent, et c'est ainsi
k�n 1 otamment qu'il définit à partir de l'article 9 les
«devoirs» qu'il impose aux ministères, départe-
ments et organismes du gouvernement du Canada,
pour donner effet à sa «déclaration de statut».
C'est cet article 9 qui exprime à cet égard la règle
générale:
9. (1) I1 incombe aux ministères, départements et organis-
mes du gouvernement du Canada, ainsi qu'aux organismes
judiciaires, quasi-judiciaires ou administratifs ou aux corpora
tions de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du
Canada, de veiller à ce que, dans la région de la Capitale
nationale d'une part et, d'autre part, au lieu de leur siège ou
bureau central au Canada s'il est situé à l'extérieur de la région
de la Capitale nationale, ainsi qu'en chacun de leurs principaux
bureaux ouverts dans un district bilingue fédéral créé en vertu
de la présente loi, le public puisse communiquer avec eux et
obtenir leurs services dans les deux langues officielles.
(2) Tout ministère, département, et organisme du gouverne-
ment du Canada et tout organisme judiciaire, quasi-judiciaire
ou administratif ou toute corporation de la Couronne créés en
vertu d'une loi du Parlement du Canada ont, en sus du devoir
que leur impose le paragraphe (1), mais sans y déroger, le
devoir de veiller, dans la mesure où il leur est possible de le
faire, à ce que le public, dans des endroits autres que ceux
mentionnés dans ce paragraphe, lorsqu'il y a de sa part
demande importante, puisse communiquer avec eux et obtenir
leurs services dans les deux langues officielles.
«Dans la mesure où il leur est possible de le
faire», voilà, à mon sens, les termes de base qu'il
faut noter. Le Parlement ne prétendait pas intro-
duire, en pratique et immédiatement, un bilin-
guisme intégral, évidemment parce que les faits à
partir desquels il légiférait ne le permettaient pas.
Le statut est déclaré, le but irrévocable est défini,
l'obligation de prendre les moyens pour accéder au
but est imposée, mais le rythme d'accession à ce
but (partout ailleurs qu'à un siège ou bureau cen
tral puisque les districts bilingues n'ont pas été
établis) est mesuré par les possibilités. C'est là
d'ailleurs que l'on voit d'où est née l'idée du «Com-
missaire aux langues officielles» que les articles 19
et suivant développent et mettent en œuvre.
Cette idée centrale de la loi est d'autant plus
nette que le Parlement a pris soin, en certains
domaines, d'écarter toute idée de «possible» pour
imposer une obligation ferme et immédiate mesu-
rée uniquement par le besoin, par la demande. Et
justement, cet article 10 invoqué par les deman-
deurs a pour objet de définir l'un de ces domaines
où il fut jugé essentiel que le but déclaré soit
atteint sans délai: celui qui touche aux services
fournis aux voyageurs.
Les demandeurs réalisent bien la portée excep-
tionnelle de l'article 10, et ils cherchent même à en
tirer argument en suggérant que les pilotes de
ligne, et à plus forte raison les pilotes privés, font
partie de ce «public voyageur» que le Parlement
entendait favoriser. Une telle interprétation des
termes de cet article 10 m'apparaît cependant
d'une extension abusive. Il suffit pour s'en con-
vaincre de se référer à la Loi sur l'aéronautique,
où l'on voit clairement que, pour le législateur, les
propriétaires ou exploitants d'aéronefs et les pilo-
tes forment une clientèle spéciale du ministère des
Transports, clientèle soumise à des devoirs, exigen-
ces et obligations très précises, et pour laquelle des
services spécifiques et techniques sont maintenus:
et tout cela justement en vue surtout d'assurer la
sécurité du «public voyageur». Les services fournis
en vertu de la Loi sur l'aéronautique à cette
clientèle spéciale que constituent les propriétaires
ou exploitants d'aéronefs et les pilotes sont dis-
tincts, à mon avis, de ceux visés par l'article 10 de
la Loi sur les langues officielles que le ministère
des Transports doit assurer aux voyageurs (au
«travelling public», comme dit la version anglaise).
Comprenant et interprétant la Loi sur les lan-
gues officielles comme je viens de dire, je ne vois
pas comment il est possible d'affirmer qu'à sa face
même l'ordonnance attaquée, en contredit la lettre
ou en trahit l'esprit. Les prescriptions du ministre,
disent les demandeurs, avaient pour but, et ont
effectivement eu pour effet, de «geler» l'expansion
du bilinguisme dans les communications aériennes
au Québec. Mais rien ne permet de dire qu'un tel
gel soit plus que temporaire. Bien au contraire,
c'est de ce caractère temporaire dont fait part en
termes non équivoques le ministre dans son préam-
bule (seule véritable raison d'être, soit dit en pas-
sant, des trois versions successives de l'ordonnance,
du moins en autant que l'examen des textes peut le
suggérer). Sans doute, le rythme d'implantation
est-il affecté, l'évolution lente et continue, qui
aurait pu se poursuivre comme telle, est-elle
enrayée, mais tout laisse entendre qu'il s'agit tout
simplement d'une étape et la notion de «possible»
de l'article 9(2) de la Loi sur les langues officiel-
les ne s'oppose certes pas à une implantation du
bilinguisme par étapes. C'est pourquoi, à mon
sens, doit tout simplement être éliminé du débat
l'article 39 ci-haut cité qui vise l'hypothèse où on
voudrait «différer ou suspendre« complètement
l'application d'une disposition de la loi.
A mon avis, l'ordonnance du 30 août ne contre-
dit pas les dispositions précises de la Loi sur les
langues officielles et elle ne s'oppose pas non plus,
considérée en elle-même, (et rien ne me permet
d'aller au-delà) à son esprit et à ses objectifs.
Cette conclusion rend évidemment superflu
l'examen de l'autre interrogation posée par la pro
position telle que formulée. J'ajouterai néanmoins,
pour couvrir tous les angles de l'argumentation,
que les larges pouvoirs normatifs délégués au
ministre par cette Loi spéciale, portant sur un sujet
très spécifique qu'est la Loi sur l'aéronautique, ne
sauraient, sans mention expresse à cet effet, être
soustraits, altérés ou diminués de quelque façon
par les dispositions d'une loi générale adoptée pos-
térieurement comme celle sur les langues officiel-
les. Il en est ainsi, à mon avis, par application
d'une règle d'interprétation bien connue (voir
Maxwell, Interpretation of Statutes, 12e édition, p.
196 et suivante; Craies On Statute Law, 7e édition,
p. 377 et suivante) dont la rationalité ne saurait
s'exprimer plus nettement que dans cette observa
tion de lord Hobhouse (dans l'affaire Barker c.
Edger [1898] A.C. 748) maintes fois citée par la
suite et notamment par le juge Ritchie de la Cour
suprême dans ses motifs de jugement dans l'affaire
Le Procureur général du Canada c. Lavell—Isaac
c. Bédard ([1974] R.C.S. 1349 à la page 1361):
[TRADUCTION] Lorsque la législature a accordé son attention
à un sujet séparé et a adopté des dispositions le visant, la
présomption est qu'une mesure législative générale subséquente
n'est pas destinée à modifier la disposition spéciale, sauf si elle
manifeste très clairement cette intention. Chaque texte législa-
tif doit être interprété à cet égard suivant sa matière propre et
suivant ses propres termes.
Aussi, même s'il était demeuré dans mon esprit un
doute sur le point de savoir si l'ordonnance atta-
quée respecte intégralement et en tous points les
dispositions de la Loi sur les langues officielles, je
persisterais à penser qu'il n'est pas possible pour
cette seule raison de la déclarer ultra vires des
pouvoirs délégués au ministre par la Loi sur l'aé-
ronautique et d'en prononcer la nullité.
3. Si le ministre avait théoriquement le pouvoir
d'émettre une ordonnance comme celle ici atta-
quée, poursuivent les demandeurs pour introduire
leur troisième motif d'invalidité, il ne pouvait exer-
cer ce pouvoir que «correctement», c'est-à-dire non
«pour des fins impropres, non prévues par la loi, de
mauvaise foi, en tenant compte de considérations
non pertinentes».
L'argument utilise des termes d'une vigueur
extrême, mais il importe de l'analyser froidement
en lui donnant sa juste portée.
La possibilité d'une intervention judiciaire pour
contrer l'exercice abusif, pour des fins impropres et
de mauvaise foi, d'un pouvoir normatif laissé à la
discrétion d'une autorité déléguée existe, il est vrai,
puisque la loi habilitante aurait alors été pour ainsi
dire nécessairement trahie. Cette possibilité a été
clairement évoquée par le juge en chef Duff dans
ses motifs de jugement dans: Reference as to the
Validity of the Regulations in relation to Chemi
cals ([1943] R.C.S. 1) lorsqu'il écrit:
[TRADUCTION] Théoriquement, il est vrai, on pourrait con-
cevoir que les termes mêmes du décret du conseil puissent
forcer la Cour à conclure que le gouverneur général en conseil
n'a pas jugé que la mesure était nécessaire ou opportune, ou ne
l'a pas jugée nécessaire ou opportune en raison de l'existence de
la guerre. En pareil cas, j'estime, en accord avec le lord juge
Clauson (titre qu'il détenait alors), que le décret du conseil
serait invalide car il apparaîtrait, à sa face même, que les
conditions essentielles de la compétence étaient absentes ....
Mais, il importe de rappeler qu'une telle éventua-
lité est sans doute éloignée du fait qu'un tribunal
ne saurait s'arrêter sur la pertinence ou l'opportu-
nité de la règle dont la validité est contestée pas
plus qu'il ne lui revient de s'enquérir de la rationa-
lité et du bien-fondé des motifs qui ont conduit à
l'adopter. L'autorité habilitée par le Parlement à
compléter la loi est seule juge de cette pertinence
et de cette opportunité et sur ce plan elle n'est
appelée à rendre compte qu'au Parlement (voir
notamment Reference as to the Validity of Orders
in Council in Relation to Persons of the Japanese
Race [1946] R.C.S. 248). La mauvaise foi préten-
due—et c'est à cela en définitive que reviennent les
différents termes utilisés par les demandeurs pour
exprimer leur prétention—se doit d'être manifeste
pour donner lieu à sanction judiciaire.
Or, sur quoi reposent les prétentions des deman-
deurs? Sur le fait que le ministre aurait émis
l'ordonnance en cédant aux pressions des deux
associations mises-en-cause, CALPA et CATCA,
dont l'opposition à l'extension du programme de
"bilinguisation" des communications aériennes au
Québec était aussi irréductible qu'acharnée, et
qu'il aurait agi surtout dans le but de mettre fin à
une grève illégale particulièrement préjudiciable.
Plusieurs des allégués de la déclaration s'emploient
à étayer cette prétention et la plupart des docu
ments qui ont été produits visaient à l'appuyer.
Il ne revient pas au tribunal d'apprécier et de
qualifier le comportement des deux associations
mises-en-cause, et je suis prêt à reconnaître que le
protocole d'accord du 28 juin 1976 (pièce P-5) fait
présumer de l'influence déterminante que l'atti-
tude de la CALPA et de la CATCA a eu sur la
décision du ministre d'établir l'ordonnance contes-
tée. Mais je ne vois pas qu'on puisse de là conclure
à mauvaise foi ou à l'exercice abusif d'un pouvoir
discrétionnaire pour des fins autres que celles pré-
vues par la loi. Que le ministre, à qui incombe la
responsabilité d'établir, en matière d'aéronautique,
des normes et conditions propres à assurer l'ordre
et la sécurité, tienne compte, de la façon qu'il
considère la plus appropriée, de tous les aspects
d'un problème à résoudre, ceux qui sont normaux,
prévisibles et compréhensibles comme ceux qui le
sont moins, me semble non seulement défendable,
mais nécessaire. Le ministre a déjà jugé bon, pour
se satisfaire et s'éclairer lui-même et sans doute
aussi pour satisfaire et éclairer certains autres, de
requérir l'avis d'une Commission spéciale indépen-
dante. Poussé par des circonstances regrettables
mais non moins réelles, il se décide à imposer dans
un texte formel un «gel» temporaire, prenant soin
de réitérer la volonté du gouvernement de complé-
ter l'introduction du bilinguisme dans les commu
nications aériennes au Québec, et d'expliquer qu'il
lui apparaît nécessaire d'autoriser formellement
l'usage de la langue française «d'une façon compa
tible avec l'introduction progressive du bilinguisme
dans ces communications à mesure qu'il est
démontré que cela peut être fait sans préjudice à la
sécurité». Peut-on dire que ce faisant il a manifes-
tement abusé de ses pouvoirs et fait preuve de
mauvaise foi? Ayant à juger sur le dossier tel que
soumis, je n'ai aucune hésitation à répondre par la
négative.
4. L'ordonnance attaquée, ajoutent subsidiaire-
ment les demandeurs dans un quatrième argu
ment, est invalide parce qu'elle contredit la Loi sur
la langue officielle du Québec (L.Q. 1974, c. 6).
J'avoue ne pas très bien comprendre la portée de
ce prétendu motif d'invalidité. On a invoqué l'arti-
de 12 de la loi québécoise qui prescrit que le
français est la langue de l'administration publique
du Québec, et souligné qu'un certain nombre de
pilotes affectés par l'ordonnance (dont l'un des
demandeurs, Roger Demers) étaient à l'emploi du
gouvernement québécois: il en résulterait, si j'ai
bien compris, qu'à l'égard de ces quelques pilotes
l'ordonnance serait ultra vires des pouvoirs de
l'autorité fédérale. Entendu de cette façon, l'argu-
ment ne tient certes pas et il est même inutile de
s'y arrêter. L'ordonnance attaquée ne vise nulle-
ment à réglementer la langue de l'administration
publique québécoise; elle vise à réglementer la
navigation aérienne, domaine exclusif de l'autorité
fédérale. La législature provinciale n'a aucune
compétence législative en matière d'aéronautique,
et elle ne saurait évidemment définir à l'adresse
des quelques pilotes membres de la fonction publi-
que québécoise des règles touchant l'aéronautique
qui diffèrent de celles imposées validement par
l'autorité fédérale compétente. (Voir l'arrêt
Johannesson, ci-haut cité.)
J'ai ainsi passé en revue et discuté les quatre
propositions résumant les divers motifs d'invalidité
invoqués par les demandeurs à l'encontre de cette
Ordonnance sur les normes et méthodes des com
munications aéronautiques, établie par le défen-
deur, le ministre des Transports du Canada, le 27
août 1976. Sur le plan juridique, aucune de ces
propositions ne me paraît soutenable, et je n'en
connais aucune autre en vertu de laquelle l'ordon-
nance pourrait être juridiquement contestée.
L'action, par conséquent, n'est pas fondée en
droit et elle sera rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.