A-689-75
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan —
Ottawa, les 11 et 12 mai 1976.
Examen judiciaire—Fonction publique—Employé renvoyé
en cours de stage—Présentation d'un grief faisant valoir qu'il
s'agissait d'un renvoi disciplinaire et qu'aucun motif n'a été
donné—L'employeur a contesté la compétence de l'arbitre pour
connaître du renvoi en vertu de l'article 91 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique, en faisant valoir
que le renvoi n'était pas de nature disciplinaire—L'arbitre a
accueilli le grief—La Commission des relations de travail dans
la Fonction publique a conclu que l'arbitre n'a pas commis
d'erreur de droit ni outrepassé sa compétence—Le requérant
demande un examen judiciaire Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 28—Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-35, art. 91.
Un certain «J», fonctionnaire, a été renvoyé en cours de stage
conformément à l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique. Il a présenté un grief en faisant valoir qu'en
fait il avait été renvoyé de son emploi sans motif déterminé et
que son renvoi était en réalité de nature disciplinaire. A chaque
palier, l'employeur a répondu au grief en faisant remarquer que
le renvoi de l'employé n'était pas disciplinaire, mais constituait
un renvoi pendant la période de stage conformément à
l'article 28. Finalement, le grief a été renvoyé à l'arbitre
conformément à l'article 91 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique. L'employeur a contesté la
compétence de l'arbitre, en faisant valoir que le congédiement,
en tant que renvoi en cours de stage, ne pouvait pas faire l'objet
d'un arbitrage conformément à l'article 91. L'arbitre a conclu
que le renvoi était de nature disciplinaire, et qu'il était compé-
tent pour examiner le grief au fond. Il a accueilli le grief et
ordonné la réintégration de l'employé. L'employeur a alors
renvoyé cette question devant la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique qui a conclu que l'arbitre
n'avait pas commis d'erreur de droit ni outrepassé sa compé-
tence. Cette requête en est la conséquence, et le requérant fait
toujours valoir la thèse selon laquelle il suffit que l'employeur
ait qualifié le congédiement de renvoi pour un motif indéter-
miné pour que l'article 28(3) et (4) de la Loi sur l'emploi dans
la Fonction publique s'applique et aussi pour écarter la compé-
tence d'un arbitre en vertu de l'article 91(1)b) de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique et qu'un arbitre
n'a pas le droit d'enquêter sur les faits d'une affaire déterminée
pour juger si en réalité la mesure prise par l'employeur consti-
tue un renvoi pour un motif déterminé ou un renvoi
disciplinaire.
Arrêt: l'appel est accueilli, la décision de la Commission est
annulée. L'affaire Cutter Laboratories ([1976] 1 C.F. 446)
donne une réponse à la prétention du requérant. Dans cette
affaire relative aux fonctions d'un tribunal auquel se pose la
question de sa propre compétence, il a été déclaré que, d'une
façon générale, un tribunal doit se prononcer sur sa compé-
tence, même s'il ne peut rendre une décision ayant force
exécutoire. En l'espèce et d'après les éléments de preuve, la
décision ne peut être maintenue. Les lettres adressées à J et à la
Commission de la Fonction publique sont claires et sans équivo-
que dans la mesure où elles mentionnent le renvoi pour un
motif déterminé au sens de l'article 28(3) et (4) de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique. En outre, les preuves
indiquent que l'employeur avait des raisons de se plaindre de J.
La Commission a suivi la décision rendue dans l'affaire Far-
della ([1974] 2 C.F. 465); cependant, il faut faire une distinc
tion en ce qui concerne les faits qui n'indiquent pas clairement
un renvoi comme dans la présente affaire. Lorsqu'il y a effecti-
vement renvoi, on ne peut le qualifier de congédiement pour
rendre applicable l'article 91 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique. La conduite dont on se
plaint en l'espèce est un exemple classique de comportement
justifiant le renvoi d'un employé en cours de stage; ce compor-
tement peut également motiver un congédiement mais de toute
façon il ne fait aucun doute que l'employeur avait l'intention de
renvoyer. Il ne s'agissait pas non plus d'une mesure disciplinaire
dissimulée sous forme d'un renvoi. Ce serait le cas uniquement
s'il n'existait aucun motif valable ou de bonne foi justifiant le
renvoi; en ce qui concerne la question de savoir si l'on peut
considérer une mesure visant à démettre un employé de ses
fonctions en vertu d'un pouvoir comme ayant été prise en vertu
d'un autre pouvoir, il aurait fallu que cet article comprenne
l'expression: «un renvoi pour un motif déterminé au cours du
stage» pour que l'arbitre soit compétent en l'espèce, en vertu de
l'article 91(1)b). L'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique vise entièrement à permettre à l'employeur
d'apprécier l'aptitude d'un employé à occuper un emploi. Si
l'employé ne présente pas les qualités requises, il peut être alors
renvoyé sans recours possible à l'arbitrage. Soutenir qu'un
employé stagiaire est investi du droit à un arbitrage au cours de
son stage équivaut à ignorer complètement le sens évident des
articles 28 et 91. Sans aucun doute, J avait le droit de présenter
un grief en vertu de l'article 90 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, mais le droit de renvoyer le
grief à l'arbitrage en vertu de l'article 91 n'est accordé qu'aux
employés présentant un grief dont le cas est prévu expressément
à l'article 91(1).
Arrêt suivi: Cutter Laboratories International c. Le Tri
bunal antidumping [1976] 1 C.F. 446. Distinction faite
avec l'arrêt: Fardella c. La Reine [1974] 2 C.F. 465. Arrêt
appliqué: Bell Canada c. Office and Professional
Employees' International Union [1974] R.C.S. 335.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
P. J. Evraire pour le requérant.
M. W. Wright, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le procureur général du Canada pour le
requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Conformément à l'article 28,
on demande l'examen et l'annulation d'une déci-
sion rendue le 7 novembre 1975 par la Commission
des relations de travail dans la Fonction publique
au sujet d'un arbitrage prononcé par J. F. W.
Weatherhill concernant l'employé Roland B.
Jacmain.
Jacmain qui travaillait au ministère du Revenu
national, Impôt, posa sa candidature à un poste au
Bureau du commissaire aux langues officielles. Le
16 mai 1973, Jacmain a été nommé AS 7 à la
direction des ,plaintes du commissaire aux langues
officielles.
Par lettre du 25 février 1974, le commissaire
aux langues officielles a fait savoir à Jacmain qu'il
allait être renvoyé en cours de stage conformément
aux dispositions du paragraphe 28(3) de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
c. P-32'. Dans cette lettre, le commissaire décla-
rait, entre autres:
Vous vous souviendrez que le 23 octobre 1973 je vous ai
informé verbalement de cette intention.
La lettre en question ne mentionnait aucun autre
motif de renvoi. Le même jour, pour se conformer
' 28. (1) Un employé est considéré comme stagiaire depuis
la date de sa nomination jusqu'au terme de la période que la
Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés.
(2) Si la personne nommée fait déjà partie de la Fonction
publique, le sous-chef peut, s'il le juge opportun, dans un cas
quelconque, réduire le stage ou en dispenser l'employé.
(3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut
prévenir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à
la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif
déterminé, au terme du délai de préavis que la Commission
peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. A moins que
la Commission ne nomme l'employé à un autre poste dans la
Fonction publique avant le terme du délai de préavis qui
s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci cesse d'être un
employé au terme de cette période.
(4) Lorsqu'un sous-chef prévient qu'il se propose de renvoyer
un employé pour un motif déterminé, conformément au para-
graphe (3), il doit fournir à la Commission les raisons de son
intention.
aux dispositions du paragraphe 28(4), le commis-
saire a écrit à la Commission de la Fonction
publique la lettre suivante:
[TRADUCTION] Re: Roland Jacmain
Conformément à l'article 28(3) et (4) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, je vous informe par la présente que
j'ai l'intention de renvoyer l'employé dénommé ci-dessus.
Au cours de son stage, j'ai estimé que M. Jacmain n'était pas
en mesure d'occuper à ma satisfaction un emploi dans mes
services.
Veuillez trouver ci-joint un exemplaire de l'avis qui lui a été
envoyé à ce jour.
Il n'est pas contesté que le renvoi du 25 février
1974 a été notifié pendant la période de stage de
Jacmain.
Le 26 février 1974, Jacmain a présenté un grief
en faisant valoir qu'en fait il avait été renvoyé de
son emploi sans motif déterminé et que la mesure
prise par son employeur constituait «en réalité, un
renvoi disciplinaire». A chaque palier, l'employeur
a répondu au grief en faisant valoir que le renvoi
de Jacmain n'était pas disciplinaire, mais consti-
tuait plutôt un renvoi pendant la période de stage
conformément à l'article 28 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique (précitée). Finalement,
le grief présenté par Jacmain a été renvoyé à
l'arbitrage conformément à l'article 91 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970; c. P-35 2 .
2 91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au
dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive-
ment, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le con-
cerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une
décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante
pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
(2) Lorsqu'un grief qui peut être présenté par un employé à
l'arbitrage est un grief relatif à l'interprétation ou l'application,
en ce qui le concerne, d'une disposition d'une convention collec
tive ou d'une décision arbitrale, l'employé n'a pas le droit de
renvoyer le grief à l'arbitrage à moins que l'agent négociateur
de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention
collective ou la décision arbitrale ne signifie de la manière
prescrite
a) son approbation du renvoi du grief à l'arbitrage; et
b) son acceptation de représenter l'employé dans les procé-
dures d'arbitrage.
A l'arbitrage, l'avocat de l'employeur a contesté
la compétence de l'arbitre pour connaître du renvoi
en vertu de l'article 91, en faisant valoir que la
mesure prise à l'encontre de Jacmain ne constituait
pas un renvoi disciplinaire, mais un renvoi en cours
de stage conformément à l'article 28 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique (précitée) et
qu'ainsi cette mesure ne pouvait pas faire l'objet
d'un arbitrage en vertu de l'article 91 en question.
Après avoir examiné les prétentions des parties
et les preuves soumises, l'arbitre a conclu, par une
décision du l et août 1974, que le renvoi de Jacmain
par son employeur était de nature disciplinaire et
que, par conséquent, il était compétent en vertu de
l'article 91 pour examiner le grief au fond. Après
avoir tenu une audience sur le fond, et par décision
datée du 31 janvier 1975, l'arbitre a décidé que le
renvoi de Jacmain était insuffisamment motivé. Il
a par conséquent accueilli son grief et ordonné sa
réintégration et le remboursement de ses pertes de
salaire.
Le 10 avril 1975, l'employeur a renvoyé devant
la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique la question de la compétence de
l'arbitre pour connaître du renvoi à l'arbitrage
adressé par Jacmain conformément à l'article 91
de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique. Par décision du 7 novembre
1975, ladite commission a jugé entre autres que
a) l'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas
outrepassé sa compétence en acceptant d'entendre l'affaire
même si M. Jacmain était en stage au moment de la cessa
tion de son emploi ou que la cessation de son emploi consti-
tuait en apparence un renvoi en vertu du paragraphe 28(3)
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
b) l'arbitre n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas
outrepassé sa compétence lorsque, ayant conclu que les
motifs du renvoi de M. Jacmain étaient d'ordre disciplinaire,
il a entendu l'affaire en vertu de l'article 91 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique;
c) en se fondant sur la preuve et le raisonnement suivi dans
sa décision du 31 janvier 1975, l'arbitre n'a pas commis
d'erreur de droit en concluant que M. Jacmain n'avait pas
été renvoyé en cours de stage mais qu'il avait été congédié
sans motif suffisant.
Cette demande présentée en vertu de l'article 28
concerne l'examen et l'annulation de cette
décision.
La prétention essentielle soutenue par l'avocat
du requérant devant cette cour constituait égale-
ment la thèse avancée aux trois audiences tenues
devant l'arbitre, à savoir qu'il suffisait que l'em-
ployeur ait qualifié la mesure prise de renvoi pour
un motif déterminé, pour que l'article 28(3) et (4)
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
s'applique et aussi pour écarter la compétence d'un
arbitre en vertu de l'article 91(1)b) de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
et qu'un arbitre n'avait pas le droit d'enquêter sur
les faits d'une affaire déterminée pour juger si en
réalité la mesure prise par un employeur dans cette
affaire constituait un renvoi pour un motif déter-
miné ou un renvoi disciplinaire. Commme je l'ai
indiqué à l'audience, une réponse complète a été
donnée à cette prétention, à mon avis, par la
décision de cette cour dans l'affaire Cutter
Laboratories International c. Le Tribunal anti-
dumping' et plus précisément par les commentai-
res du juge en chef de l'annexe A (page 453) dont
voici le texte:
Au risque d'accentuer plutôt que diminuer la confusion que
mes motifs ont pu créer, j'estime utile d'étudier, dans cette
annexe, les fonctions d'un tribunal auquel se pose la question de
sa propre compétence alors qu'il n'a pas le pouvoir de rendre
une décision ayant force exécutoire à cet égard. D'une façon
très générale, lorsqu'une telle question se pose, je suis d'avis
qu'un tribunal, même s'il ne peut rendre une décision ayant
force exécutoire, doit se prononcer sur la question de savoir si
une telle décision relève des pouvoirs que lui a conférés le
législateur. Il ne doit pas gaspiller les fonds publics ni occasion-
ner aux parties intéressées des frais supplémentaires sur une
question qu'il estime ne pas relever de sa compétence. Pour
conclure sur cette question, il se peut, compte tenu des circons-
tances, qu'il doive entendre des témoignages à cet égard. S'il
conclut qu'il n'a pas compétence et refuse donc de continuer les
procédures, une personne se croyant lésée par cette conclusion
peut demander un bref de mandamus. S'il conclut qu'il a
probablement compétence pour agir et annonce son intention de
le faire, une personne se croyant lésée par cette conclusion peut,
selon les circonstances, demander un bref de prohibition à
l'égard de la décision finale du tribunal, ou faire une demande
en vertu de l'article 28. Comparer avec l'annexe aux motifs
prononcés dans l'affaire Danmor Shoe Co. [1974] 1 C.F. 22.
J'en viens maintenant aux preuves soumises à
l'arbitre. Après les avoir examinées attentivement,
j'ai conclu que la décision de la Commission ne
pouvait être maintenue et que la demande présen-
tée en vertu de l'article 28 devait être accordée.
Les lettres du 25 février 1974 adressées à Jacmain
et à la Commission sont claires et sans équivoque
3 [1976] 1 C.F. 446.
dans la mesure où elles mentionnent le renvoi de
Jacmain pour un motif déterminé au sens des
paragraphes 28(3) et (4) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique (précitée).
Les preuves apportées à l'arbitre au sujet du
motif de renvoi démontraient, entre autres, que
Jacmain se plaignait fréquemment, d'une façon
désagréable, bruyante et avec amertume, et que
[TRADUCTION] «l'attitude de M. Jacmain, en par-
ticulier, son indélicatesse et son impolitesse, ses
accès de colère et le claquement des portes ainsi
que ses `jérémiades' continues, a été à l'origine des
plaintes de son employeur.»
La Commission, après avoir remarqué que les
observations des parties dans la présente affaire
étaient fondamentalement semblables à celles pré-
sentées à la Commission dans l'affaire Fardella, a
voulu suivre la décision rendue dans cette affaire
et dans des affaires antérieures. Elle a donc con
firmé le point de vue de l'arbitre selon lequel il
était compétent pour examiner le grief en vertu de
l'article 91 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique (précitée) puisque le
renvoi constituait un congédiement disciplinaire.
En outre, la Commission faisait remarquer que
l'affaire Fardella avait fait l'objet d'une demande
présentée en vertu de l'article 28 devant la Cour
d'appel fédérale et renvoyait au jugement du juge
en chef Jackett 4 . En examinant dans cette affaire
la question de savoir si le demandeur était congé-
dié ou renvoyé, le juge en chef déclarait, page 480:
Bien que la question ne soit pas claire vu la preuve en l'espèce,
je suis disposé à souscrire aux conclusions de l'arbitre et de la
Commission portant qu'il s'agissait d'un congédiement. En
concluant de la sorte, je ne veux pas qu'on me fasse dire que,
lorsqu'il y a effectivement renvoi en vertu de l'article 5 ou en
vertu de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, on peut le qualifier de congédiement pour rendre
applicable l'article 91 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique*. Il se peut que l'insubordination au cours d'un stage,
seule ou liée à d'autres problèmes, soit «cause» de renvoi, tout
comme elle pourrait donner lieu à une action disciplinaire,
même au cours d'un stage. Si le problème est traité de la façon
appropriée, il ne devrait cependant pas y avoir l'ombre d'un
doute quant à la nature de la mesure qui a été prise. En
l'espèce, bien qu'il soit fait mention de renvoi, j'estime que
l'arbitre n'a commis aucune faute en concluant que, tout bien
4 [1974] 2 C.F. 465.
considéré, le requérant fut en réalité congédié pour
insubordination.
*[Il s'agit de toute évidence d'un renvoi à la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique—Éd.]
A mon avis, les faits de l'affaire Fardella (préci-
tée), constatés par l'arbitre et exposés aux pages
468-472 du jugement du juge en chef, étaient très
différents de ceux de l'espèce. J'estime que, dans
cette affaire, les faits n'étaient pas clairs et sans
équivoque comme c'est le cas en l'espèce. Dans
l'affaire Fardella (précitée), il n'était pas du tout
évident que le demandeur était «renvoyé» plutôt
que congédié pour des motifs disciplinaires. Alors
qu'il semblait à l'origine, que des mesures seraient
prises pour renvoyer Fardella en cours de stage, les
événements postérieurs indiquent plutôt qu'il
s'agissait d'un congédiement disciplinaire. Ce n'est
pas le cas en l'espèce puisque les deux lettres
datées du 25 février 1974 montrent clairement
qu'il s'agit d'un renvoi en cours de stage. Je sous-
cris à la déclaration précitée du juge en chef selon
laquelle, lorsqu'il y a effectivement renvoi, en
vertu de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, comme dans la présente
affaire, on ne peut le qualifier de congédiement
pour rendre applicable l'article 91 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique. Je
n'hésite aucunement à dire que la conduite dont on
se plaint en l'espèce est un exemple classique de
comportement justifiant le renvoi d'un employé en
cours de stage (comme l'arbitre l'a d'ailleurs
reconnu—voir l'appel aux pages 70 et 73). Ce
comportement peut également motiver une mesure
disciplinaire même en cours de stage. Cependant il
ne fait aucun doute en l'espèce que l'employeur
avait l'intention de renvoyer le demandeur en
cours de stage, ce qu'il a fait, et qu'il en avait tout
à fait le droit. Ceci étant, l'arbitre n'était pas
compétent pour examiner le grief en vertu de
l'article 91 et a commis une erreur de droit en se
déclarant compétent.
De même, la Commission des relations de tra
vail dans la Fonction publique a commis une
erreur de droit en approuvant la décision de
l'arbitre.
Il ressort clairement des différents motifs de sa
décision, que l'arbitre considérait la mesure prise
par l'employeur comme une mesure disciplinaire
ayant l'apparence d'un renvoi. Cependant, les faits
établis en sa présence prouvent clairement que
l'employeur avait un motif réel de renvoi. Il ne
pourrait y avoir de mesure disciplinaire dissimulée
sous forme d'un renvoi que s'il n'existait aucun
motif valable ou de bonne foi justifiant le renvoi.
L'arbitre lui-même a admis que ce n'était pas le
cas dans la présente affaire.
En examinant la question de savoir si l'on peut
considérer une mesure visant à démettre un
employé de ses fonctions en vertu d'une autorisa-
tion comme ayant été prise en vertu d'une autre
autorisation, il faut tenir compte de la décision
rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Bell Canada c. Office and Professional
Employees' International Unions. Dans cette
affaire, Bell Canada avait institué unilatéralement
un plan de retraite en vertu duquel les employés
qui avaient 20 ans de service ou plus et avaient
atteint l'âge de 60 ans «pouvaient, à la discrétion
du comité, être retirés du service actif» (avec pen
sion). Conformément à ce plan, un employé a été
mis à la retraite. Il a présenté un grief au motif
qu'il avait été «congédié» sans motif suffisant et
raisonnable contrairement à la convention collec
tive qui ne mentionnait pas le plan de retraite.
Cette convention collective prévoyait un arbitrage
dans l'hypothèse d'un «congédiement ou suspension
pour un motif suffisant et raisonnable». La majo-
rité de la Cour suprême du Canada, a partagé
l'opinion de l'employeur selon laquelle le grief ne
pouvait faire l'objet d'un arbitrage puisque les
mesures prises par l'employeur ne constituaient
pas un «congédiement» mais une «mise à la
retraite». En prononçant le jugement de la majo-
rité de la Cour, le juge Judson a déclaré à la page
340:
L'article 8 de la convention collective selon lequel «La com-
pagnie peut congédier ou suspendre un employé pour un motif
suffisant et raisonnable», ne peut être interprété comme signi-
fiant [TRADUCTION] «congédier, suspendre ou mettre à la
retraite avec pension.» La décision de l'arbitre est sans fonde-
ment tant que l'expression [TRADUCTION] «mettre à la retraite
avec pension» ne figure pas à l'art. 8 de la convention collective.
Le congédiement, la suspension et la mise à la retraite avec
pension sont trois concepts différents et distincts.
Il en résulte que l'arbitre a outrepassé ses pouvoirs.
A mon avis, ce raisonnement s'applique en l'es-
pèce. Pour que l'arbitre soit compétent en vertu de
l'article 91(1)b) dans la présente affaire, cet arti
cle devrait comprendre `'1 expression:- «un renvoi
pour un motif déterminé` au cours dû stage» ou une
5 [1974] R.C.S,.335. _
expression d'une portée semblable, sinon, l'arbitre
est incompétent.
A mon avis, l'article 28 vise entièrement à per-
mettre à l'employeur d'apprécier l'aptitude d'un
employé à occuper un emploi. Si l'employeur con-
clut durant cette période que l'employé ne présente
pas les qualités requises, il peut alors le renvoyer
sans que celui-ci ait la possibilité de recourir à
l'arbitrage. Soutenir qu'un employé stagiaire est
investi du droit à un arbitrage au cours de son
stage équivaut à ignorer complètement le sens
évident de l'expression utilisée à l'article 28 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et à
l'article 91 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique. M. Jacmain avait sans
aucun doute le droit de présenter un grief en vertu
de l'article 90 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique. Son grief a été examiné
et rejeté. Cependant, les employés qui présentent
un grief en vertu de l'article 90 n'ont pas automati-
quement le droit de renvoyer le grief à l'arbitrage
en vertu de l'article 91. Ce droit n'est accordé
qu'aux employés présentant un grief dont le cas est
prévu expressément à l'article 91(1), ce à quoi M.
Jacmain n'est pas parvenu en l'espèce.
Par conséquent, la demande présentée en vertu
de l'article 28 est accueillie et la décision rendue le
7 novembre 1975 par la Commission des relations
de travail dans la Fonction publique est annulée.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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