A-232-74
Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Anthony Thomas Leon (Intimé)
et
A-233-74
Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Edward Leon (Intimé)
et
A-234-74
Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Lewie Leon (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les 8 et 9 mars;
Ottawa, le 28 juin 1976.
Impôt sur le revenu—Cinq compagnies détenues majoritai-
rement par cinq contribuables—Impositions sur des honoraires
versés aux compagnies—Les compagnies sont-elles des corpo
rations personnelles?—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 68.
Les contribuables intimés exploitaient différents services
d'une entreprise d'ameublement qu'ils dirigeaient par le biais
de la société en commandite Ablan Leon Distributors. Cette
dernière employait cinq compagnies pour exécuter les services
(dans trois cas, il s'agissait manifestement de services de ges-
tion). Aucune des compagnies n'avait d'autre employé véritable
que les intimés qui la contrôlaient, et les compagnies ne dispo-
saient pas de l'équipement habituel d'entreprise. Pour les
années 1968 et 1969, le Ministre inclut dans la cotisation de
chacun des intimés les honoraires versés par l'Ablan Leon
Distributors aux compagnies employées. Les intimés prétendi-
rent qu'ils exécutaient les services pour le compte des compa-
gnies employées, qui leur versaient une rémunération. La Com
mission de révision de l'impôt donna gain de cause aux intimés
et le Ministre interjeta appel. La Division de première instance
rejeta l'appel en décidant que l'intervention des trois compa-
gnies de gestion avait pour effet de réduire l'assujettissement à
l'impôt des intimés. Le projet avait été effectivement réalisé.
Les intimés ont prouvé, comme il leur incombait de le faire, que
chacune des compagnies de gestion exploitait une «entreprise
commerciale active», qui ne relevait pas de la définition d'une
«corporation personnelle» à l'article 68(1)c) de la Loi de l'impôt
sur le revenu et qui, par conséquent, n'était pas assujettie aux
articles 67 et suivants de la Loi, relatifs aux corporations
personnelles. Le Ministre interjeta appel.
Arrêt: les appels sont accueillis, les cotisations doivent être
rétablies. Les conclusions de fait du juge de première instance
doivent être maintenues. Cependant, l'intervention des compa-
gnies de gestion n'avait pas pour objet une fin commerciale
authentique; elle avait pour seul but de diminuer l'assujettisse-
ment à l'impôt sur le revenu des intimés. Bien que la constitu
tion en société des trois compagnies poursuivait une fin com-
merciale authentique, les intimés doivent démontrer une telle
fin concernant l'intervention des compagnies dans l'opération.
Si l'opération ne poursuit pas une fin commerciale, il s'agit
alors d'un trompe-l'oeil, nonobstant le fait que la constitution en
société ne l'était pas. La Cour doit examiner l'entente ou
l'opération en question. L'intervention des compagnies consti-
tuait un trompe-l'oeil avec pour seul but la réduction de l'impôt
payable.
Distinction faite avec l'arrêt: M.R.N. c. Cameron (1972)
28 D.L.R. (3°) 477 confirmant 71 DTC 5068. Arrêts
appliqués: Holmes c. La Reine [19741 1 C.F. 353 et
Lagacé c. M.R.N. [19681 2 R.C.É. 98. Arrêt analysé:
Littlewoods c. McGregor (1966-69) 45 T.C. 519.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
N. A. Chalmers, c.r., et J. Weinstein pour
l'appelant.
R. E. Shibley, c.r., M. L. O'Brien et G. J.
Corn pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Shibley, Righton & McCutcheon, Toronto,
pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il est interjeté appel par ces
trois actions d'un jugement de première instance'
rejetant l'appel interjeté par le Ministre d'une
décision de la Commission de révision de l'impôt
annulant les cotisations concernant l'impôt sur le
revenu de chacun des intimés mentionnés ci-dessus
pour les années d'imposition 1965, 1966, 1967 et
1968.
L'intimé, Edward Leon, détenait toutes les
actions émises de Timmyal Limited, société onta-
rienne constituée le 2 janvier 1963. L'intimé
Anthony Thomas Leon détenait 75% des actions
ordinaires émises et 100% des actions privilégiées
émises d'Antomel Limited, société ontarienne éga-
lement constituée le 2 janvier 1963 (Ellen Leon,
épouse dudit intimé détenait les 25% restant des
1 [1974] 2 C.F. 708.
actions ordinaires émises). L'intimé, Lewie Leon,
détenait toutes les actions émises de Midgemar
Limited, société ontarienne également constituée
le 2 janvier 1963.
Par une ordonnance décernée sur consentement,
toute la preuve pertinente soumise au procès de
l'action entre le ministre du Revenu national et
Ablan Leon (1964) Limited (no du greffe:
A-226-74) dont l'appel a été entendu par la Cour
immédiatement avant l'audition de ces appels,
s'appliquera en l'espèce.
Après leur constitution, Timmyal Limited,
Antomel Limited, Midgemar Limited, Geormar
Limited (société ontarienne dont toutes les actions
émises étaient détenues par George Leon, frère des
trois intimés) et Jomila Limited (société onta-
rienne dont toutes les actions émises étaient déte-
nues par Joseph Leon, autre frère de ces trois
intimés) constituèrent une société pour l'exploita-
tion de l'entreprise Ablan Leon Distributors. L'ac-
cord concernant ladite société était également daté
du 2 janvier 1963. En fait, cette société a exploité
l'entreprise d'ameublement Ablan Leon Distribu
tors jusqu'au 1 ° ' mai 1964.
Par un contrat de vente prétendument daté du
1°r mai 1964, ladite société était censée avoir vendu
le 28 avril 1964 l'entreprise Ablan Leon Distribu
tors à Ablan Leon (1964) Limited et aux sept
fiducies familiales principales qui devaient être
créées et mentionnées dans l'action portant le
numéro de greffe A-226-74—Ablan Leon (1964)
Limited.
Par une lettre du 14 septembre 1965 adressée à
Marjorie Leon, Mark Perlmutter, comptable
agréé et conseiller de la famille Leon dans ce
domaine, l'a informée que les cinq compagnies
associées ne pourraient servir de compagnies de
gestion puisqu'à son avis, conformément à l'article
39(4)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu et aux
dispositions discrétionnaires de l'article 138A(2),
ces compagnies seraient considérées comme des
sociétés associées imposables au taux de 52%.
C'est pourquoi il a recommandé que l'entreprise
paie un salaire d'administration aux trois intimés
et non pas des honoraires à leurs compagnies
respectives.
Dans une autre lettre du 2 novembre 1965
adressée à Mlle Marjorie Leon, M. Perlmutter
déclarait:
[TRADUCTION] Cependant, si ces compagnies doivent fournir
des services de gestion à Ablan Leon Distributors à titre
d'activités principales, il est très probable qu'une directive soit
rendue en vertu de l'article 138A[2]a) considérant ces compa-
gnies comme des compagnies associées de toute façon, et que
l'avantage de compagnies distinctes soit perdu. Si vous décidez
cependant de prendre ce risque et de vous servir de ces cinq
compagnies comme des compagnies de gestion, il importe au
plus haut point que des contrats écrits soient conclus par
chaque compagnie avec la société prévoyant la fourniture de
services de gestion en contrepartie d'honoraires convenus et que
les contrats soient conclus entre chaque compagnie de gestion
et l'individu concerné, qui s'engagerait à fournir ses services à
plein temps à ces compagnies. Conformément à la discussion
que nous avons eue lors de notre réunion, la question de savoir
si les honoraires de gestion sont déductibles peut devenir en soi
un problème fiscal. Nous pensons sérieusement que la société
devrait plutôt verser un salaire de gestion à MM. Leon et non
des honoraires de gestion à leurs compagnies respectives.
Les intimés ont préféré ne pas suivre les conseils
de M. Perlmutter et ils ont décidé que la société
paierait des honoraires de gestion à leurs compa-
gnies respectives qui, à leur tour, verseraient un
salaire inférieur aux trois intimés.
Les contrats conclus entre Ablan Leon Distribu
tors et les trois compagnies de gestion et entre les
trois compagnies de gestion et les trois intimés
remontent au ler mai 1964 mais en réalité ils ont
été signés à une date inconnue après le ler mai
1964. La preuve ne donne pas la date précise de la
signature des contrats de gestion mais elle est
probablement postérieure au 2 novembre 1965.
Les accords de gestion conclus entre Ablan Leon
Distributors et les trois compagnies de gestion
prévoyaient au paragraphe 1 que les magasins à
gérer seraient désignés par Ablan Leon Distribu
tors. Le paragraphe 5 stipulait le paiement de
primes aux compagnies de gestion conformément à
un contrat que les parties devaient conclure ulté-
rieurement. Au procès, aucune preuve n'a été
apportée d'une désignation écrite des magasins ou
de contrats ultérieurs concernant les primes.
Rien ne prouve dans le cas d'Antomel et Midge-
mar que ces compagnies aient pris des mesures
quelconques indépendamment d'Ablan Leon
Distributors.
En ce qui concerne Timmyal, Edward Leon a
consacré une partie de son temps à gérer et contrô-
ler les magasins connus sous le nom de Times
Furniture Stores, y compris Times Willowdale. La
propriété et l'exploitation de Times Willowdale
n'étaient pas aux mains d'Ablan Leon Distributors
mais de Lewie Leon Limited et Hafurn Sales
Limited, à parts égales. Hafurn Sales Limited
n'était pas une entreprise Leon. Le paragraphe 8
du contrat de gestion conclu entre Ablan Leon
Distributors et Timmyal stipulait que Timmyal ne
devait pas être employé ni engagé dans une entre-
prise semblable sans le consentement écrit d'Ablan
Leon Distributors. Times Willowdale était une
entreprise du même genre et Ablan Leon Distribu
tors n'a pas donné son consentement écrit à la
gestion de Timmyal contrairement audit paragra-
phe 8. Il n'y a aucune preuve d'un accord de
gestion quelconque entre Timmyal et Lewie Leon
Limited ou Hafurn Sales Limited ni entre Ablan
Leon Distributors et l'une ou l'autre ou les deux
compagnies. Il n'y a aucune preuve d'une activité
quelconque exercée par Timmyal indépendamment
d'Ablan Leon Distributors et de Times Furniture
Stores.
Au cours des années en cause les compagnies
Timmyal et Midgemar n'avaient pas leur propre
numéro de téléphone et leurs bureaux étaient ceux
qu'occupaient les intimés Edward Leon et Lewie
Leon dans leurs fonctions respectives auprès de
Ablan Leon (1964) Limited. Aucune des deux
compagnies n'avaient de papier à lettre à en-tête et
leurs états financiers respectifs ne témoignaient
d'aucun , paiement de loyer. Antomel n'avait pas
son propre numéro de téléphone au cours des
années en cause et occupait le bureau qu'utilisait
l'intimé Anthony T. Leon pour exercer ses fonc-
tions de président de Ablan Leon (1964) Limited;
elle n'avait aucun papier à en-tête, ses états finan
ciers ne témoignent d'aucun paiement de loyer et
elle n'avait d'autre employé que l'intimé Anthony
T. Leon et un messager payé $50 par mois.
Si les fonctions exercées par chacun des trois
intimés dont l'entreprise d'ameublement Leon ont
pu changer après le ler mai 1964, c'est non pas en
raison de la «réorganisation» de l'entreprise, mais
seulement parce que la croissance de celle-ci
l'exigeait.
En se fondant sur les preuves apportées, le
savant juge de première instance a conclu, entre
autres:
a) Que chacun des intimés détenait la majorité
des actions de leur compagnie de gestion (Tim-
myal, Antomel et Midgemar) et que, puisqu'ils
contrôlaient ainsi entre eux Ablan Leon (1964)
Limited, ils étaient en mesure d'exercer leur
influence sur la question importante des primes à
verser aux compagnies de gestion.
b) Qu'à toutes fins pratiques, chaque intimé
était en mesure de contrôler le salaire que lui
payait sa compagnie de gestion.
c) Que les trois compagnies de gestion n'avaient
pas d'employé ou d'autre employé véritable que
l'intimé majoritaire.
d) Qu'aucune des trois compagnies de gestion
ne disposait de l'équipement habituel et ordinaire
d'une entreprise, tel que le téléphone ou son propre
bureau.
e) Que tous les services que les compagnies de
gestion devaient fournir en vertu des contrats de
gestion ont été exécutés par les intimés qui contrô-
laient les compagnies de gestion et que l'entreprise
de l'Ablan Leon Distributors était davantage inté-
ressée aux services des intimés qu'à ceux des com-
pagnies de gestion.
f) Que l'intervention des compagnies de gestion
avait pour seul but de réduire l'assujettissement à
l'impôt sur le revenu des intimés et que l'utilisation
des compagnies de gestion à cette fin s'est réalisée
par le contrôle qu'exerçaient les intimés sur
l'Ablan Leon Distributors de même que par la
collaboration de George Leon et Joseph Leon qui y
détenaient également des intérêts financiers.
Les avocats des intimés nous ont demandé d'ac-
cepter les conclusions de fait du savant juge de
première instance et les avocats des appelants ont
donné leur accord. (Voir, par exemple, l'exposé des
faits et du droit soumis par l'appelant—dans l'af-
faire Anthony Thomas Leon—page 7). Vu la
preuve, je suis convaincu que lesdites conclusions
de fait énumérées ci-dessus étaient clairement jus
tifiées et doivent être maintenues.
A la suite de ces conclusions de fait, le savant
juge de première instance déclarait aux pages 718
et 719 de son jugement:
L'Antomel Limited, la Timmyal Limited et la Midgemar
Limited étaient des entités séparées, distinctes et réelles. Il est
reconnu que bien qu'un actionnaire détienne une participation
majoritaire dans une compagnie, l'actionnaire et la compagnie
constituent quand même des entités distinctes et séparées.
Je conclus.
a) que l'Ablan Leon Distributors a conclu un contrat avec
chacune des trois compagnies, savoir l'Antomel Limited, la
Timmyal Limited et la Midgemar Limited, en vertu duquel
ces compagnies devaient fournir des services de gestion à
l'Ablan Leon Distributors;
b) que ces compagnies ont fourni à l'Ablan Leon Distribu
tors les services qu'elles se sont engagées à fournir; et
c) que ces compagnies avaient droit d'être rémunérées pour
ces services et qu'elles l'ont été.
Compte tenu des circonstances de ces trois affaires, il
importe peu, me semble-t-il, que les services que devaient
fournir les compagnies soient exécutés par les intimés.
Je crois que les plans impliquant les compagnies de gestion
dans les affaires Anthony Thomas Leon, Edward Leon et Lewie
Leon furent mis à exécution et que ce que l'on avait projeté fut
effectivement réalisé.
Je suis convaincu qu'Anthony Thomas Leon, Edward Leon et
Lewie Leon se sont tous acquittés de leur tâche, si lourde
qu'elle soit dans les circonstances de l'espèce.
Il s'ensuit que l'Antomel Limited, la Timmyal Limited et la
Midgemar Limited exploitaient des entreprises commerciales
actives et que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu
relatives aux corporations personnelles ne s'appliquent pas.
Les appels dans les affaires Anthony Thomas Leon, Edward
Leon et Lewie Leon sont rejetés avec dépens.
Alors qu'il est d'accord avec les conclusions de
fait du savant juge de première instance, l'avocat
de l'appelant désapprouve sa décision sur ces coti-
sations. L'avocat de l'appelant prétend que,
d'après les conclusions de fait énoncées ci-dessus,
l'argent payé par Ablan Leon Distributors aux
compagnies de gestion dont les trois intimés
étaient propriétaires au cours des années en ques
tion est un revenu imposable aux mains des trois
frères intimés plutôt qu'aux mains des compagnies
de gestion.
Les intimés s'appuient sur l'affaire M.R.N. c.
Camerone. Cependant, les faits de l'affaire Came-
z (1972) 28 D.L.R. (3e) 477, confirmant 71 DTC 5068.
ron doivent être nettement distingués. Dans cette
affaire, les conclusions de fait déclaraient que la
constitution de la compagnie en société et le con-
trat en résultant avaient pour but de permettre aux
cadres de l'entreprise de prendre une participation
dans la société de l'employeur dont l'actionnaire
principal avait décidé de ne pas traiter personnelle-
ment avec lesdits employés. En réalité, ladite con
clusion revient à dire que l'opération en question a
pour objet une fin commerciale authentique. En
l'espèce, une telle fin commerciale authentique est
absente puisque le juge de première instance a
estimé «que l'intervention des compagnies de ges-
tion avait pour unique but de réduire l'assujettisse-
ment à l'impôt sur le revenu des intimés.» L'entre-
prise d'ameublement Ablan Leon Distributors
souhaitait obtenir les services de gestion et les
connaissances techniques des trois intimés. Ces
services auraient pu tout aussi bien être fournis
sans l'intervention des compagnies de gestion (pro-
cédure recommandée par le conseiller fiscal, Perl-
mutter). Ainsi, l'intervention des compagnies de
gestion ne poursuivait pas une fin commerciale
utile mais uniquement des fins fiscales.
L'avocat des intimés a tout à fait raison de
déclarer que la constitution en société de Timmyal,
Antomel et Midgemar poursuivait une fin com-
merciale authentique dans la mesure où avant le
ler mai 1964 ces trois compagnies ainsi que Jomila
et Geormar Limited étaient les propriétaires de
l'entreprise Ablan Leon Distributors. Cependant,
reconnaître que la constitution en société poursui-
vait une fin commerciale authentique est une chose
mais reconnaître une fin commerciale authentique
à l'intervention des compagnies de gestion dans
l'opération consistant à fournir des services de
gestion en est une autre. J'estime que les intimés
doivent démontrer, pour réussir dans cet appel, que
cette opération poursuivait une fin commerciale
authentique, ce qu'ils n'ont pas fait d'après les
preuves fournies dans ces affaires. La Cour doit
examiner l'entente ou l'opération en question. Si
elles ne poursuivent pas une fin commerciale
authentique, il s'agit alors d'un trompe-l'oeil. Il est
possible, à mon avis, qu'une compagnie, dont la
constitution en société ne constitue pas un trompe-
l'oeil en raison de l'existence d'une fin commerciale
authentique à l'origine de sa constitution, s'engage
dans une opération fictive ne comportant aucune
fin commerciale authentique. C'est le cas en l'es-
pèce. Le jugement de la Cour suprême rendu dans
l'affaire Cameron (précitée) montre que la Cour
s'est demandée si le contrat constituait un trompe-
l'oeil. Dans l'affaire Cameron (précitée), l'accord
ou l'opération avaient une cause authentique et ont
entraîné incidemment des économies d'impôt. En
l'espèce, les accords ne poursuivent pas de fin
commerciale authentique mais ont pour seul but
de réaliser des économies d'impôt.
Dans l'affaire Holmes c. La Reine 3 la Cour a
examiné le contrat ou la transaction en question
pour savoir si le paiement d'honoraires de gestion
effectué en vertu du contrat poursuivait «des rai-
sons commerciales admissibles».
Je pense que le jugement rendu par le juge
Jackett (alors président) dans l'affaire Lagacé c.
M.R.N. 4 est aussi en rapport avec la présente
situation. Le savant président déclarait page 109
de son jugement:
[TRADUCTION] Le point le plus significatif de l'argumenta-
tion des appelants, celui qui m'a le plus frappé, est qu'il lui est
inhérent que les profits, qui autrement seraient dévolus aux
appelants, se sont retrouvés au nom d'une compagnie qu'ils
contrôlaient, non pas en raison de transactions commerciales
bona fide entre les appelants et cette compagnie, mais en raison
de transactions conclues entre eux pour donner effet à un
contrat signé entre eux et un tiers pour réaliser des visées de ce
dernier. En d'autres mots, l'argumentation s'appuie sur la
présomption que les bénéfices des opérations commerciales des
appelants étaient mis entre les mains de la compagnie en vertu
d'un plan et que les bénéfices ne provenaient pas du fait que la
compagnie se soit engagée dans des transactions commerciales.
A mon avis donc, la réponse à cette argumentation, même en
supposant que les faits aient été établis, est qu'aux fins de la
partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, les bénéfices
provenant d'une entreprise sont les revenus de la personne qui
exploite l'entreprise et ne sont pas, comme tels, des revenus
d'un tiers entre les mains de qui les bénéfices peuvent passer.
Telle est donc, pour moi, la portée indiscutable des articles 3 et
4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et ceci est conforme à ce
que je conclus de la jurisprudence pertinente.
Comme dans cette dernière affaire, on peut
également dire ici que la rémunération versée pour
l'exploitation et la gestion de l'entreprise constitue
le revenu des individus qui exploitent et gèrent
réellement cette entreprise, et non pas le revenu
d'un tiers, en l'occurrence les trois compagnies de
gestion, entre les mains desquelles le revenu est
remis.
3 [1974] 1 C.F. 353 pp. 371 et 373.
4 [1968] 2 R.C.É. 98à la p. 109.
Le point de vue exprimé par lord Denning dans
l'affaire Littlewoods 5 est également pertinent à cet
égard. Il déclarait à la page 536:
[TRAnUCTIONI La doctrine énoncée dans l'affaire Salomon c.
Salomon ([1897] A.C. 22) doit être examinée très attentive-
ment. On dit qu'elle a souvent permis de jeter une voile sur la
personnalité d'une société à responsabilité limitée que les cours
ne peuvent percer. Mais cela est inexact. Les tribunaux peuvent
écarter le voile et ils le font souvent. Ils peuvent arracher le
masque et ils le font souvent. Ils cherchent à savoir ce qu'il y a
derrière tout cela .. .
Lorsqu'on a percé le voile et retiré le masque, on
s'aperçoit en l'espèce que les trois intimés qui
«dirigeaient» réellement l'entreprise d'ameuble-
ment Ablan Leon Distributors qui est une entre-
prise très importante, percevaient en fait égale-
ment la rémunération qui était «détournée» au
profit des compagnies de gestion dont le revenu
était passible d'un taux d'imposition inférieur. Ils
récupéraient ensuite leur part de la rémunération
par le rachat d'actions privilégiées. Ainsi, l'inter-
vention des compagnies de gestion entre l'em-
ployeur et l'employé constituait purement et sim-
plement un trompe-l'oeil avec pour seul but la
réduction de l'impôt payable. J'estime par consé-
quent qu'on ne peut pas accepter les opérations,
que les appels du Ministre doivent être accueillis
dans les trois affaires et que les cotisations en
cause doivent être rétablies. Étant donné que les
trois appels ont été plaidés ensemble, l'appelant
n'aura droit qu'à un mémoire de frais contre les
intimés.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris.
5 Littlewoods c. McGregor (1966-69) 45 T.C. 519 la p.
536.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.