T-4100-75
Blatchford Feeds Limited (Demanderesse)
c.
La Reine, représentée par la Commission de la
Capitale nationale (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Ottawa, les 13 et 25 mai 1976.
Expropriation—Offre et acceptation—Déclaration en vue
d'obtenir une indemnité supplémentaire—Signification de
l'expression «à compter de l'acceptation de l'offre»—La
demanderesse prétend que l'offre n'est pas vraiment acceptée
tant que l'indemnité n'est pas versée à la partie expropriée—
La défenderesse prétend que l'action est prescrite aux termes
de l'art. 29(1)a)(ii) de la Loi sur l'expropriation—Loi sur
l'expropriation, S.R.C. 1970, c. 16 (1 e1 Supp.) art. 14, 15, 23,
27(1), 28, 29(1)a)(1),(2), 30(1) et 33.
Les biens de la demanderesse ont été expropriés par la
défenderesse. L'acceptation de l'offre d'indemnité a été signée
et renvoyée par la poste le 5 novembre 1974; elle a été reçue le
13 novembre 1974. La défenderesse a envoyé l'argent le 11
décembre 1974 et la demanderesse l'a reçu le 16 décembre
1974. La déclaration a été déposée le 14 novembre 1975. La
demanderesse prétend que l'expression «à compter de l'accepta-
tion de l'offre» mentionnée à l'article 29(1)a)(ii) de la Loi sur
l'expropriation vise non seulement l'acceptation réelle, mais
également le paiement de l'indemnité, ou en d'autres termes,
que l'offre n'est pas vraiment acceptée tant que le montant
convenu n'a pas été versé. La demanderesse prétend (1) que
l'économie générale de la Loi impose une telle interprétation;
(2) que, puisque l'article 30(1) prévoit que l'indemnité rem-
place le terrain exproprié, cette indemnité doit résulter d'un
jugement ou d'un accord et, comme ce n'est pas le cas, la
demanderesse conserve le droit de poursuite; et (3) que l'article
33 qui prévoit le paiement d'un intérêt serait logiquement sans
effet à moins de recourir à l'interprétation proposée par la
demanderesse. La défenderesse a demandé la radiation de la
requête qu'elle prétend irrecevable en vertu de l'article
29(1)a)(ii).
Arrêt: l'action est rejetée. (1) L'économie générale de la Loi
ne permet pas de donner une interprétation de l'expression
«acceptation de l'offre» différente du sens ordinaire attribué à
celle-ci. (2) Il n'est pas étrange qu'un droit subsiste après que
tout recours en justice pour le faire valoir est prescrit. Si
l'article 30(1) avait l'effet invoqué, le droit de la partie expro-
priée de demander un jugement sur le montant de l'indemnité
ne connaîtrait jamais de prescription légale et l'article
29(1)a)(ii) n'aurait absolument aucun sens. (3) L'article 33
traite seulement de l'intérêt; les définitions qu'il contient s'ap-
pliquent uniquement aux dispositions de cet article, et il est tout
à fait possible de le faire jouer même si l'on attribue son sens
normal à l'expression «acceptation de l'offre». L'offre mention-
née à l'article 29(1)a)(ii) renvoie nécessairement à l'offre men-
tionnée à l'article 14, et à la lecture de l'article 15, il ressort
clairement que l'acceptation de l'offre et le paiement sont deux
concepts distincts et séparés dans le temps. Pour accepter la
thèse de la demanderesse, il faudrait accorder à la phrase de
l'article 15 un sens tout à fait différent de celui que lui donne
l'article 29(1)a)(ii). L'uacceptation de l'offre», eu égard à l'arti-
cle 15, doit nécessairement désigner l'acceptation par la partie
expropriée de l'offre faite par l'autorité expropriante mention-
née à l'article 14 et rien de plus. En l'absence de dispositions
légales particulières, il faut recourir au droit des obligations.
L'acceptation de l'offre prend effet dès qu'elle a été signifiée; si
les parties ont utilisé la poste, on considère que l'acceptation a
été communiquée à la date de l'expédition par la poste. Il
n'existe aucune preuve concernant la date réelle d'expédition
mais l'offre a été reçue le 13 novembre 1974, c'est-à-dire plus
d'une année avant le 14 novembre 1975, date du dépôt de la
déclaration.
ACTION.
AVOCATS:
J. L. Shields pour la demanderesse.
M. Senzilet pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: La demanderesse, dont les
biens ont été expropriés par la défenderesse, a
déposé une déclaration pour obtenir une indemnité
supplémentaire, après avoir reçu l'offre d'indem-
nité prévue à l'article 14(1) de la Loi sur l'expro-
priation', accepté l'offre et reçu le montant con-
formément à l'article 15.
Avant le plaidoyer sur la déclaration, la défen-
deresse demande la radiation de la réclamation
aux motifs que les dispositions de l'article
29(1)a)(ii) de la Loi sur l'expropriation, dont
voici le texte, s'y opposent:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
a) une personne qui peut prétendre à une indemnité pour un
droit exproprié peut,
(ii) dans un délai d'un an à compter de l'acceptation de
l'offre, .. .
engager des procédures devant le tribunal par voie d'exposé
de la demande pour le recouvrement du montant de l'indem-
nité à laquelle elle a alors droit . ....
' S.R.C. 1970, c. 16 (1e" Supp.).
Lorsqu'il subsiste un doute sur les faits ou qu'il
est possible que certains faits permettent de lever
la prescription en cause, on ne devrait pas radier la
déclaration à ce stade des procédures. Cependant,
les faits ne sont pas contestés en l'espèce et ne sont
susceptibles que d'une seule interprétation.
Comme le litige concerne uniquement l'application
de la loi aux faits, il est tout à fait inutile d'impo-
ser aux parties des frais de procédure supplémen-
taires. C'est donc à ce stade que la question sera
jugée.
Voici les faits pertinents: l'acceptation de l'offre
d'indemnité a été signée et renvoyée par la poste le
5 novembre 1974; la défenderesse a reçu le docu
ment confirmant l'acceptation le 13 novembre
1974; elle a envoyé par la poste le montant con-
venu le 11 décembre 1974 et la demanderesse l'a
reçu le 16 décembre 1974; la déclaration a été
déposée le 14 novembre 1975.
La demanderesse prétend que l'expression «à
compter de l'acceptation de l'offre» à l'article
29(1)a)(ii) vise non seulement l'acceptation réelle
par la demanderesse de l'offre proprement dite,
mais également le paiement de l'indemnité par la
défenderesse. Elle prétend, en d'autres termes, que
l'offre n'est pas vraiment acceptée tant que la
Commission n'a pas versé le montant convenu à la
partie expropriée.
Cette thèse repose sur trois points:
(1) L'économie générale de la Loi, et plus particu-
lièrement les articles 23, 27(1), 28, 29(1) et (2),
30(1) et 33 imposent une telle interprétation.
(2) Puisque l'article 30(1) prévoit que l'indemnité
versée pour un droit exproprié, tient lieu du droit,
cette indemnité doit résulter d'un jugement ou
d'un accord et, comme ce n'est pas le cas, la
demanderesse conserve le droit de poursuite.
(3) L'article 33 qui prévoit le paiement d'un inté-
rêt serait logiquement sans effet à moins de recou-
rir à l'interprétation proposée par la demanderesse.
En ce qui concerne le premier argument, j'ai
étudié avec soin l'économie générale de la Loi et en
particulier les articles cités par l'avocat et n'y ai
rien trouvé qui permette à la Cour de donner une
interprétation de l'expression «acceptation de l'of-
fre» différente du sens ordinaire des expressions
«offre» et «acceptation de l'offre».
Au sujet du deuxième argument, il n'est pas
étrange qu'un droit subsiste après que tout recours
en justice pour le faire valoir est prescrit. La
plupart des prescriptions visent les voies de recours
mais n'éteignent pas le droit; elles interdisent sim-
plement aux tribunaux de prendre toute mesure
pour le faire exécuter. En outre, si l'article 30(1)
avait l'effet que veut lui prêter l'avocat de la
demanderesse, le droit de la partie expropriée de
demander un jugement sur le montant de l'indem-
nité ne connaîtrait jamais de prescription légale et
l'article 29(1)a)(ii) n'aurait absolument aucun
sens.
En ce qui concerne le troisième argument, l'arti-
cle 33 traite seulement de l'intérêt. Les définitions
qu'il contient s'appliquent uniquement aux disposi
tions de cet article et j'estime en outre qu'il est
tout à fait possible de le faire jouer même si l'on
attribue à l'expression «acceptation de l'offre»
mentionnée à l'article 29(1)a)(ii) son sens normal.
Il est plus important encore de remarquer que
l'offre mentionnée à l'article 29(1)a)(ii) renvoie
nécessairement à l'offre mentionnée à l'article 14
et qu'à la lecture de l'article 15, dont voici le texte:
15. Lorsqu'une offre d'indemnité a été faite à une personne.
en vertu de l'article 14, le plein montant de l'offre doit, dès
l'acceptation de l'offre, être payé à cette personne.
il ressort clairement que l'acceptation de l'offre et
le paiement sont deux concepts distincts et séparés
dans le temps; pour accepter la thèse de la deman-
deresse, il faudrait accorder à l'expression «accep-
tation de l'offre» à l'article 15 un sens tout à fait
différent de celui que lui donne l'article
29(1)a)(ii).
En conclusion, puisqu'il n'y a aucun motif vala-
ble d'accorder à l'expression «acceptation de l'of-
fre», dans l'article susmentionné, le sens très parti-
culier que lui attribue la demanderesse, j'estime
qu'il faut lui conserver son sens usuel; et, eu égard
à l'article 15, cette expression doit nécessairement
désigner l'acceptation par la partie expropriée de
l'offre faite par l'autorité expropriante mentionnée
à l'article 14 et rien de plus.
En l'absence de dispositions légales particulières,
il faut appliquer le sens attribué à «acceptation» et
«offre» en droit des obligations et les principes
régissant leur existence et leur rapport.
L'acceptation de l'offre prend effet dès qu'elle a
été signifiée à l'autre partie. Si les deux parties ont
utilisé la poste pour soumettre l'offre et l'accepter,
on considère que l'offre est acceptée et que cette
acceptation a été communiquée à l'auteur de l'of-
fre à la date de l'expédition par la poste, à moins
de prouver l'intention contraire des parties. Je ne
dispose d'aucune preuve concernant la date réelle
d'expédition de l'acceptation, mais il ne fait aucun
doute que l'offre a été réellement reçue le 13
novembre 1974. Le délai qui sépare cette date de
la date de la déclaration, à savoir le 14 novembre
1975, dépasse donc une année.
Pour tous ces motifs je rejette l'action mais,
compte tenu des circonstances, sans accorder de
dépens.
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