T-1327-76
In re la Loi sur l'extradition
et
In re une demande de Leonard Peltier pour obte-
nir un bref de certiorari et un bref de mandamus
adressés aux honorables juges Hinkson et Dryer
siégeant comme juges d'extradition
Division de première instance, le juge Mahoney—
Vancouver, les 5, 9, 12 et 13 avril 1976.
Compétence—Extradition—Les É.-U. demandent l'extradi-
tion du requérant—Le 18 mars 1976, la Cour suprême de la
C.-B. a ordonné la détention du requérant jusqu'au 8 mai
1976—Le requérant modifie la demande afin d'obtenir un bref
de mandamus à la place, ou en plus, d'un bref de certiorari—
La décision est-elle susceptible d'examen par la Division de
première instance en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour
fédérale ou par la Cour d'appel en vertu de l'art. 28?—Une
personne qui comparaît devant un juge d'extradition a-t-elle
droit, en attendant l'audition, à la protection qui lui est
accordée du fait même qu'elle est emmenée devant la Cour à
intervalles réguliers?—Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c.
E-21, art. 9(1) et 13—Loi sur la Cour fédérale, art. 2, 18 et
28—Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 465(1)b).
Le requérant était détenu en vertu d'un mandat émis confor-
mément à la Loi sur l'extradition; les États-Unis cherchaient à
obtenir son extradition. A la suite de son arrestation, le requé-
rant a comparu à plusieurs reprises devant un juge d'extradi-
tion. On lui a refusé tout cautionnement et l'audition fut remise
à plusieurs reprises pour des périodes ne dépassant pas huit
jours. Le 16 mars 1976, après un ajournement de huit jours, la
Cour suprême de la Colombie-Britannique a décidé que le
requérant pouvait rester en détention jusqu'au 8 mai 1976. Le
18 mars, il a comparu et l'audition fut ajournée officiellement.
Le requérant a contesté cette ordonnance et, au cours de
l'audition devant cette cour, il a modifié sa demande pour
obtenir un bref de mandamus à la place, ou en plus, d'un bref
de certiorari.
Arrêt: la demande d'un bref de mandamus est accueillie.
L'ordonnance doit être simplement assez étendue pour assurer
que l'audition ne sera pas ajournée à plus de huit jours francs et
elle ne doit viser que l'ordonnance du 18 mars. L'article 9(1) de
la Loi sur l'extradition autorise tous les juges de la Cour
suprême de la C.-B. à agir judiciairement en vertu des disposi
tions de la Partie I de la Loi. Lorsqu'un juge d'une cour de
comté exerce des pouvoirs en vertu de la Loi, il n'agit pas en
tant que juge nommé conformément à l'article 96 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, mais comme persona desig-
nata et, à ce titre, il est inclus dans la définition d'un
«office ... fédéral, etc....» à l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale. Un juge d'une cour supérieure, exerçant les mêmes
pouvoirs, est dans la même situation. Quant à la signification
du mot «décision» tel qu'il est employé à l'article 28, en général,
la Cour d'appel examine uniquement des ordonnances ou déci-
sions finales, c'est-à-dire en ce sens que la décision en question
est bien celle que le tribunal doit rendre et dont découlent des
droits et des obligations. La décision du juge d'extradition n'est
pas, dans ce sens, une décision finale mais elle est susceptible
d'examen devant la Division de première instance en vertu de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Conformément à
l'article 13 de la Loi sur l'extradition, les procédures devant le
juge d'extradition doivent suivre aussi fidèlement que possible
celles qu'indique la Partie XV du Code criminel pour la tenue
d'une enquête préliminaire. L'article 465(1)b) du Code prévoit
l'ajournement de l'enquête de temps à autre pour diverses
raisons, mais nul prévenu ne doit être détenu plus de huit jours
francs à moins qu'il ne soit en liberté moyennant cautionne-
ment ou qu'il ne soit renvoyé pour observation psychiatrique; en
l'espèce, tout cautionnement a été refusé au requérant et il n'a
pas été renvoyé pour observation. On n'a donné aucune raison
valable pour s'écarter des exigences de l'article 13; il ne s'agis-
sait pas d'une tentative, comme dans les affaires citées, visant à
annuler une ordonnance d'incarcération à cause de quelque vice
de forme, pas plus qu'il n'est question de mettre en doute ni de
contester la validité des obligations du Canada aux termes du
traité. Le juge d'extradition a outrepassé sa compétence et le
bref de mandamus est le recours qui convient.
Arrêt suivi: Puerto Rico c. Hernandez [1975] 1 R.C.S.
228. Arrêts analysés: Ex parte O'Dell [1953] 3 D.L.R.
207; In re Collins (N° 3) (1905) 10 C.C.C. 80; In re
Bellencontre [1891] 2 Q.B. 122; Grin c. Shine (1902) 187
US 181 et Wright c. Henkel (1903) 190 US 40.
DEMANDE.
AVOCATS:
L. B. McGrady, S. Rush et P. Grant pour le
requérant.
P. W. Halprin, S. Hardinge et J. A. MacLen-
nan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bolton, Rush & McGrady, Vancouver, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: J'ai entendu la présente
demande le vendredi 9 avril 1976, après son ajour-
nement à la demande de l'avocat du requérant le
lundi 5 avril 1976. Il devint clair au cours de
l'audition que la demande devait être modifiée
pour obtenir un bref de mandamus à la place, ou
en plus, d'un bref de certiorari demandé en pre
mier lieu. Permission fut accordée au requérant de
présenter une requête en modification à la cour des
auditions ordinaires, le 12 avril. Il n'y eut pas
d'opposition à la requête de modification et elle fut
accordée. Une fois la plaidoirie terminée, j'ai pro-
nonce les motifs de vive voix à l'audience et, en
l'absence d'une sténographe, j'ai indiqué mon
intention de déposer formellement et par écrit, les
motifs en temps et lieu.
Le requérant est détenu en vertu d'un mandat
émis conformément à la Loi sur l'extradition'. Les
États-Unis cherchent à obtenir son extradition
parce qu'il y a été accusé de deux meurtres, de
deux tentatives de meurtre et d'un vol par effrac-
tion. A la suite de son arrestation, le requérant a
comparu à plusieurs reprises devant un juge d'ex-
tradition. On lui a refusé tout cautionnement et
l'audition de la cause d'extradition fut remise à
quelques reprises pour des périodes ne dépassant
pas huit jours.
Le 26 février 1976, il a comparu devant l'hono-
rable juge Hinkson de la Cour suprême de la
Colombie-Britannique et, afin d'arranger l'avocat
et la Cour, vu leurs divers engagements ainsi que
la durée prévue de l'audition, il fut convenu de
fixer celle-ci au 3 mai 1976. Lorsque cette décision
fut prise, l'avocat représentant l'état exigeant l'ex-
tradition réclama que le requérant reste en déten-
tion jusqu'au 3 mai. L'avocat du requérant s'y
opposa. Le juge prit la requête en délibéré et
ordonna un ajournement de huit jours. Je présume
que des déclarations ont été faites. A tout hasard,
le 16 mars, le juge Hinkson rendit une décision
portant que le requérant pouvait rester en déten-
tion jusqu'au 8 mai. Le 18 mars, lorsque ce dernier
comparut de nouveau devant l'honorable juge
Dryer de la Cour suprême de la Colombie-Britan-
nique, l'audition fut ajournée officiellement au 8
mai 1976, à 10 heures, et le requérant fut gardé en
détention jusqu'à cette date. Les présentes procé-
dures ont pour but de contester cette ordonnance.
La présente demande soulève deux questions
capitales: en premier lieu, la compétence de cette
Division pour accorder, en tout ou en partie, le
redressement demandé et, en second lieu, la ques
tion importante de savoir si une personne qui
comparaît devant un juge d'extradition a droit,
pendant qu'elle est en détention en attendant l'au-
dition, à la protection qui lui est accordée du fait
même qu'elle est emmenée à intervalles réguliers
par ses gardiens à la Cour.
S.R.C. 1970, c. E-21.
Le paragraphe (1) de l'article 9 de la Loi sur
l'extradition autorise, entre autres, tous les juges
de la Cour suprême de la Colombie-Britannique à
agir judiciairement en vertu des dispositions de la
Partie I de la Loi, qui traitent de l'extradition en
vertu d'un traité. Dans Commonwealth de Puerto
Rico c. Hernandez 2 , la Cour suprême du Canada a
jugé que lorsqu'un juge d'une cour de comté exerce
des pouvoirs en vertu de la Loi sur l'extradition il
n'agit pas en tant que juge nommé conformément
à l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, mais comme persona designata et, à
ce titre, il est inclus dans la définition d'un «office,
commission ou tribunal fédéral» que contient l'arti-
cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale'. On n'a pas
soutenu et, de mon côté, je n'ai pu trouver logique
qu'un juge d'une cour supérieure, exerçant les
mêmes pouvoirs, se trouve placé dans une situation
différente. La question est de savoir si la décision
en cause peut être révisée par la Division de pre-
mière instance en vertu de l'article 18 ou par la
Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale.
Selon le paragraphe (1) de l'article 28, la Cour
d'appel fédérale a compétence «pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une
décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou
ordonnance de nature administrative qui n'est pas
légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire», pour certains motifs qui sont
mentionnés et qui comprennent sûrement les
motifs sur lesquels se fonde la présente demande.
Si la Cour d'appel fédérale est compétente en ce
qui touche une décision ou une ordonnance, il
s'ensuit alors qu'en vertu du paragraphe (3) de
l'article 28, la présente Division ne l'est pas. Étant
donné les motifs de cette demande, il s'agit essen-
tiellement de la nature de la décision ou de l'or-
donnance en cause.
La signification du mot «décision», tel qu'il est
employé dans l'article 28, fait l'objet d'une juris
prudence de plus en plus grande. En général, il
semble que la Cour d'appel décide de plus en plus,
dans ses propres jugements, d'effectuer la révision
uniquement des ordonnances ou décisions finales,
en ce sens que la décision ou l'ordonnance en
question est bien celle que le tribunal a reçu ordre
2 [1975] 1 R.C.S. 228.
3 S.R.C. 1970 (2' Supp.) c. 10.
de rendre, décision qui comporte des obligations ou
des droits. La Cour d'appel ne fera pas la révision
des nombreuses décisions ou ordonnances qu'elle
doit habituellement rendre au cour des procédures
précédant une décision finale.
La décision du juge d'extradition d'ajourner
l'audition à une date précise et de garder le requé-
rant en détention jusqu'à cette date n'est pas, dans
ce sens, une décision finale. C'est une décision que 1
peut réviser la présente Cour en vertu de l'une des
procédures autorisées par l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale. Je maintiens que j'ai compétence
à cet égard.
L'article 13 de la Loi sur l'extradition exige que
le juge d'extradition entende la cause d'extradition
«de la même manière, autant que possible, que si le
fugitif était traduit devant un juge de paix sous
accusation d'un acte criminel commis au Canada.»
En fait, les procédures devront suivre aussi fidèle-
ment que possible celles qu'indique la Partie XV
du Code criminel 4 pour la tenue d'une enquête
préliminaire. L'alinéa b) du paragraphe (1) de
l'article 465, l'un des articles de la Partie XV du
Code, prévoit que le juge de paix peut, pour diver-
ses raisons suffisantes, «ajourner l'enquête de
temps à autre», mais que, sauf lorsqu'on a accordé
un cautionnement au prévenu ou qu'on l'a détenu
pour examen psychiatrique, «nul ajournement de
ce genre ne doit être de plus de huit jours francs.»
Dans le cas présent, tout cautionnement a été
refusé au requérant et il n'a pas été renvoyé pour
observation.
La décision du juge d'extradition semble se
fonder sur un jugement du juge Schroeder, alors
juge de la Haute Cour de l'Ontario, dans Ex parte
O'Dell 5 . Il s'agissait d'une demande d'habeas
corpus avec certiorari auxiliaire pour annuler une
ordonnance d'incarcération. Les requérants
avaient été mis en état d'arrestation le 12 décem-
bre 1952 et l'audition fut effectivement tenue le 16
janvier 1953. Il semble qu'ils aient été ainsi déte-
nus, durant cet intervalle, pour une période dépas-
sant huit jours francs. Le juge Schroeder maintient
que le juge d'extradition n'avait pas été démuni de
sa compétence et il refusa d'annuler l'ordonnance
d'incarcération. Dans sa décision, le juge Schroe-
4 S.R.C. 1970, c. C-34.
5 [1953] 3 D.L.R. 207.
der cita la décision du juge Duff, alors juge de la
Cour suprême de la Colombie-Britannique, In re
Collins (N° 3) 6 , qui à son tour avait cité une
décision anglaise, In re Bellencontre 7 , et deux déci-
sions de la Cour suprême des Étas-Unis, Grin c.
Shine 8 et Wright c. Henkel 9 . Dans chacune de ces
causes, il semble que l'ordonnance d'incarcération
ou le mandat ait été contesté après leur émission, à
cause de certaines lacunes dans la procédure avant
l'émission de l'ordonnance ou du mandat. Les
juges Duff et Schroeder souscrivèrent tous deux à
la déclaration du juge en chef des États-Unis dans
Wright c. Henkel [à la page 57]:
[TRADUCTION] Les traités doivent être interprétés de façon
juste et équitable afin de respecter les intentions des parties
contractantes et d'atteindre les buts qu'elles se proposent. Les
artifices ordinaires de la procédure criminelle ne s'appliquent
aux procédures d'extradition que dans une certaine mesure.
Bien que l'on puisse souscrire pleinement à cette
opinion, il est difficile, à mon humble avis, de
l'appliquer au cas présent. Il ne s'agit pas d'une
tentative d'annuler une ordonnance d'incarcération
à cause de quelque vice de forme. Il n'est pas
question de mettre en doute ni de contester la
validité des obligations du Canada en vertu du
traité. Le requérant n'a pas encore été incarcéré;
on ne peut présumer .qu'il le sera. Ce fait sera
établi par le juge d'extradition.
Il me semble que si l'on applique les exigences
de l'article 13 de la Loi sur l'extradition, à savoir
que le juge d'extradition «entend la cause, de la
même manière, autant que possible, que si le fugi-
tif était traduit devant un juge de paix sous accu
sation d'un acte criminel commis au Canada», il
est lié par l'alinéa b) du paragraphe (1) de l'article
465 du Code et ne doit pas ajourner l'audition à
plus de huit jours francs. On ne m'a donné aucune
raison valable, et il m'en est venu aucune à l'esprit
non plus, justifiant de passer outre à cette obliga
tion dans la présente cause ou dans les causes
d'extradition en général. Je suis d'avis que le
savant juge d'extradition a outrepassé sa compé-
tence et, en conséquence, le requérant a droit à un
redressement.
Pour les mêmes raisons que la décision n'est pas,
à juste titre, soumise à l'article 28, elle n'est pas
6 (1905) 10 C.C.C. 80.
' [1891] 2 Q.B. 122.
B (1902) 187 US 181.
9 (1903) 190 US 40.
non plus effectivement sujette à un certiorari. Le
mandamus est le recours qui convient. L'ordon-
nance ne doit pas être plus étendue qu'il ne le faut
afin de ne pas ajourner l'audition à plus de huit
jours francs. Par conséquent, elle ne doit toucher
que l'ordonnance du 18 mars et non la décision
antérieure à laquelle s'était conformé le juge Dryer
mais qui, en fait, n'est pas l'ordonnance ayant
amené l'ajournement actuel de l'audition.
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