A-615-75
La Reine (Appelante) (Défenderesse)
c.
Albin Achorner (Intimé) (Demandeur)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 17
juin 1976.
Pratique—Fonction publique—L'intimé (demandeur) allè-
gue qu'en raison d'actes illégaux commis par des préposés de
l'appelante (défenderesse), il ne pouvait plus se présenter à son
travail et a été renvoyé pour «abandon de poste», il affirme
n'avoir jamais abandonné son poste, il demande l'annulation
de tout contrat entre lui-même et le ministère des Postes et un
jugement lui accordant $250,000—La Division de première
instance a rejeté la requête de l'appelante visant à décider si
l'action du demandeur est prescrite—L'appelante déclare que
cette décision est erronée et demande de statuer affirmative-
ment sur la question—Loi sur la Cour fédérale, art. 52b) et
Règle 474—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, c. P-32, art. 27.
L'intimé (demandeur) prétend qu'en raison d'actes illégaux
commis par des préposés de l'appelante (défenderesse), il ne
pouvait plus se présenter à son travail et que son renvoi pour
«abandon de poste» est faux; il prétend aussi qu'il n'a jamais été
renvoyé légalement et qu'il a toujours voulu et désiré travailler.
Il demande l'annulation de tout contrat entre lui-même et le
ministère des Postes et un jugement lui accordant $250,000
plus les intérêts. L'appelante demande qu'en vertu de la Règle
474, il soit décidé si l'action du demandeur est prescrite. La
Division de première instance a rejeté la requête parce qu'elle
n'était pas en mesure d'apprécier avec exactitude l'importance
desdits faits qui ne s'appuient sur aucune preuve ni de décider
quelles seront leurs conséquences légales tant qu'ils ne seront
pas prouvés. En décider autrement, à son avis, équivaudrait à
refuser au demandeur le droit de faire entendre sa cause au
fond. L'appelante soutient que ce jugement est erroné et solli-
cite son annulation, en demandant qu'il soit statué affirmative-
ment sur la question.
Arrêt: l'appel est rejeté. Au lieu de se prévaloir des Règles en
vertu desquelles il aurait pu être décidé, avant d'engager toute
autre procédure, si la déclaration révélait une cause d'action ou
bien laisser l'affaire suivre son cours jusqu'à l'interrogatoire
préalable et même jusqu'au débat (après quoi, les faits ayant
été clarifiés, l'intimé aurait été en mesure de modifier sa
déclaration de manière qu'elle comporte une cause d'action plus
évidente), l'appelante a choisi de demander qu'il soit décidé en
vertu de la Règle 474, avant l'interrogatoire préalable ou le
débat, si l'action est prescrite. En vertu de la Règle, il incom-
bait à la Division de première instance de juger s'il était
opportun pour rendre la poursuite de l'action plus efficace, de
statuer sur la prescription avant de passer aux autres phases de
l'action. Si le juge de première instance s'est posé la question et
y a répondu négativement, cette Cour ne devrait pas, sans
raison spéciale, s'immiscer. Toutefois, il ne semble pas que le
juge de première instance se soit posé la bonne question et il
incombe à cette Cour de décider à quelle conclusion il aurait dû
parvenir. Il y a un doute réel quant à la nature de la cause
d'action, s'il y en a une. Comme une cause d'action qui
n'apparaît pas à la simple lecture de la déclaration, pourrait
surgir dans une version modifiée si on laissait l'affaire suivre
son cours, il ne semble pas opportun, à ce stade, de soumettre la
question à la prescription. Cette Cour n'a pas non plus compé-
tence pour statuer sur un point de droit dont la Division de
première instance a refusé la présentation en vertu de la Règle
474. La Division de première instance n'a pas disposé de la
question proposée et cette Cour n'est donc pas saisie de l'appel
d'un jugement rendu en la matière.
APPEL.
AVOCATS:
P. Coderre, c.r., pour l'appelante (défende-
resse).
C. E. Schwisberg pour l'intimé (demandeur).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Schwisberg, Golt & Benson, Montréal, pour
l'intimé (demandeur).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel
d'une ordonnance rendue par la Division de pre-
mière instance, rejetant avec dépens une demande
présentée par l'appelante (la défenderesse devant
la Division de première instance), et dont voici un
extrait:
[TRADUCTION] REQUÉTE POUR DÉCISION PRÉLIMINAIRE SUR
DES POINTS DE DROIT, EN CONFORMITÉ DE LA RÉGLE 474.
VEUILLEZ NOTER que cette Cour sera saisie d'une requête à
Montréal, au 11e étage du Palais de justice, le 27 octobre 1975,
et que la défenderesse demande l'autorisation d'être entendue
avant le débat sur le point de droit suivant:
En supposant que toutes les allégations contenues dans la
déclaration soient vraies, l'action du demandeur est-elle
prescrite?
La Règle 474 est rédigée dans les termes
suivants:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la décision d'une question, ou
b) statuer sur un point afférent à l'admissibilité d'une preuve
(notamment d'un document ou d'une autre pièce
justificative),
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de
l'action sous réserve de modification en appel.
(2) Sur demande, la Cour pourra donner des instructions
quant aux données sur lesquelles doit se fonder le débat relatif à
un point à décider en vertu du paragraphe (1).'
La partie pertinente de l'ordonnance rejetant la
demande est rédigée comme suit:
[TRADUCTION] Après avoir lu et entendu la requête présen-
tée par la défenderesse en vertu des dispositions de la Règle 474
de la Cour fédérale, entendu les avocats des parties, et consi-
déré comme exacts les faits allégués dans la déclaration, comme
le requiert ladite règle, je ne suis pas en mesure d'apprécier
avec exactitude l'importance desdits faits qui ne s'appuient sur
aucune preuve, ni de décider quelles seront leurs conséquences
légales tant qu'ils ne seront pas prouvés. Or, cette preuve
pourra être produite devant la Cour lorsque l'affaire sera
entendue au fond. En décider autrement équivaudrait à refuser
au demandeur le droit de faire entendre sa cause au fond. Je
rejette donc la requête avec dépens ....
Le redressement que l'appelante sollicite de
cette Cour est révélé dans la partie IV de son
mémoire, dont voici le libellé:
[TRADUCTION] L'appelante soutient en toute déférence que
le jugement rendu par le juge de première instance est erroné et
sollicite son annulation.
Elle demande aussi à cette Cour de statuer affirmativement
sur le point de droit dont elle l'a saisie, et donc de rejeter
l'action du demandeur avec les frais afférents aux audiences
tenues devant elle et devant la Cour d'instance inférieure.
Quant à l'intimé, il conclut son mémoire de la
manière suivante:
[TRADUCTION] CONCLUSION
Que le REDRESSEMENT SOLLICITÉ par l'appelante (page 14 de
son mémoire) soit refusé et l'appel rejeté avec dépens, et donc
que le jugement rendu par le juge de première instance soit
confirmé.
Les allégations qui figurent dans la déclaration
sont diffuses. Autant que je puisse en juger, aux
fins de l'espèce, elles se résument ainsi:
1. L'intimé a été engagé au ministère des Postes
en 1961.
2. En 1965, il y a eu dans ce ministère une
grève illégale à laquelle il a refusé de participer.
Ce refus [TRADUCTION] «a provoqué une inimi-
tié farouche chez ses collègues de travail», qui se
' A noter que la Règle 474 traite d'une demande préliminaire
lorsque la Cour l'estime «opportun» et donne, avant le débat et
la décision, les «instructions» visées au paragraphe (2) de cette
Règle dans le cas où la demande préliminaire est tranchée en
faveur du requérant.
sont livrés à son égard à de nombreux actes de
harassement.
3. A partir de 1971, il est arrivé parfois que
l'intimé ne se présente pas à son travail, le
harassement que lui infligeaient ses collègues et
un surveillant lui faisant craindre pour sa sécu-
rité. Le 29 mai 1972, il a informé l'un de ses
supérieurs qu'il ne pouvait plus se présenter à
son travail [TRADUCTION] «parce qu'il craignait
vraiment pour sa sécurité» et lui a demandé de
lui indiquer [TRADUCTION] «quand, à son avis,
il pourrait le reprendre».
4. Le 15 août 1972, l'intimé a reçu notification
qu'il était «renvoyé» en vertu de l'article 27 de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
dont voici le libellé:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant
une semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de
l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf
en conformité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du
Parlement ou sous son régime, le sous-chef peut, au moyen
d'un écrit approprié adressé à la Commission, déclarer que
l'employé a abandonné le poste qu'il occupait. Cet employé
cesse dès lors d'être un employé.
pour [TRADUCTION] «abandon de poste», ce qui,
prétend-il [TRADUCTION] «est complètement
faux en l'occurrence car il n'a jamais abandonné
son poste».
5. L'intimé prétend [TRADUCTION] «qu'en réa-
lité il n'a jamais été renvoyé légalement et qu'à
partir du 27 mai, il a toujours voulu et désiré
travailler, et a simplement cherché à obtenir de
ses supérieurs l'assurance qu'il serait protégé
contre les actes de harassement parfaitement
illégaux perpétrés par son surveillant et qui lui
faisaient craindre pour sa vie ...».
6. Le 25 novembre 1974, l'intimé a demandé à
l'appelante:
(a) de le réintégrer dans son poste initial, et
(b) de lui payer [TRADUCTION] «toutes ses
pertes de salaire jusqu'au 1" janvier 1974, soit
environ $20,300». Il a déclaré qu'en sus de la
perte de salaire, il estimait les dommages qu'il
avait subis à $126,000. (Il estime maintenant
avoir droit à des dommages-intérêts de $104,-
000 en guise de pension, ce qui fait au total
$250,000.)
L'intimé conclut sa déclaration en formulant les
réclamations suivantes:
(a) [TRADUCTION] «l'annulation de tout contrat
entre lui-même et le ministère des Postes, . .. à
toutes fins légales futures», et
(b) un jugement lui accordant $250,000, plus
les intérêts.
Si je comprends bien, cette réclamation peut se
résumer ainsi: en raison d'actes illégaux commis
par des tiers (préposés de l'appelante se livrant à
ces actes illégaux apparemment en dehors de leurs
fonctions), l'intimé, qui peut avoir été ou non un
préposé de l'appelante durant tout ou partie de la
période en question, n'a pas rempli les fonctions du
poste qu'il occupait précédemment en qualité de
préposé de l'appelante ni n'a offert de les remplir
depuis mai 1972. En se fondant sur la carence de
l'appelante face à ces actes illégaux, il réclame
l'annulation d'un contrat qu'elle n'invoque pas
contre lui, un salaire pour des services qu'il n'a ni
accomplis ni offert d'accomplir et des dommages-
intérêts pour perte d'emploi. 2
Devant cette déclaration, à mon sens, l'avocat de
l'appelante avait le choix entre deux solutions:
(a) se prévaloir des Règles de la Cour en vertu
desquelles il aurait pu être décidé, avant d'enga-
ger toute autre procédure, si la déclaration révé-
lait ou non une cause d'action 3 , ou
(b) laisser l'affaire suivre son cours jusqu'à l'in-
terrogatoire préalable et même jusqu'au débat,
après quoi, les faits de la cause ayant été clari-
fiés, l'intimé aurait été en mesure de modifier sa
déclaration, de manière qu'elle comporte une
cause d'action plus évidente contre l'appelante.
Au lieu de ces deux solutions, l'appelante a choisi
de demander à la Cour d'exercer sa compétence en
vertu de la Règle 474 pour décider avant l'interro-
gatoire préalable ou le débat si «l'action du deman-
deur» est ou non prescrite. La Division de première
instance a rejeté cette demande, décision d'où
2 La déclaration ne parle absolument pas de services qu'il
aurait accomplis sans qu'ils lui aient été payés.
3 Ce qui aurait probablement soulevé, entre autres, la ques
tion de la prescription.
A mon sens, il incombait à la Division de pre-
mière instance, en présence de ladite demande et
compte tenu du libellé de la Règle 474, de juger si
pour rendre la poursuite de l'action plus efficace, il
était ou non «opportun» de statuer sur la «prescrip-
tion» avant de passer aux autres phases de l'action.
S'il était clair que le savant juge de première
instance s'est posé la question et y a répondu
négativement, à mon avis, cette Cour ne devrait
pas, sans raison spéciale, s'immiscer dans ses con
clusions. Toutefois, il ne me semble pas, compte
tenu des motifs qu'il a donnés, que le savant juge
se soit posé la bonne question; je suis donc d'avis
qu'il incombe à cette Cour de décider à quelle
conclusion la Division de première instance aurait
dû parvenir'', et je passe à l'examen de la demande.
telle qu'elle a été présentée à la Division de pre-
mière instance, et ce, comme si la Division d'appel
l'entendait dans sa version originale.
Lorsque j'examine s'il est «opportun» d'inter-
rompre les procédures ordinaires afférentes à la
conduite d'une action pour présenter une question
préliminaire relative à la «prescription», je suis tout
d'abord frappé par le doute réel que je ressens
après avoir lu la déclaration (que l'appelante a
voulu être le sujet principal de la décision afférente
au seul point de droit proposé) quant à la nature
de la cause d'action, s'il y en a une. J'ai le senti
ment que si on laissait l'affaire suivre son cours, au
dernier moment, il surgirait une cause d'action qui
n'apparaît pas à la simple lecture de la déclaration.
mais apparaîtrait peut-être dans sa version modi-
fiée. Je ne pense donc pas qu'à ce stade, il soil
«opportun» de soumettre le point de droit proposé,
A mon avis, en règle générale, il ne faut pas, au
début d'une action, soumettre un point de droit
aux fins de décision, à moins qu'il soit suffisam-
ment bien défini pour que la décision prise à son
sujet règle l'action ou une partie notable de l'ac-
tion. J'estime que ce n'est pas le cas, en l'espèce, e1
je rejette donc l'appel avec dépens.
4 Comparer avec l'article 52b) de la Loi sur la Cour fédérale.
En raison du jugement proposé par l'appelante
dans son mémoire, j'ajouterai qu'à mon avis, en
appel d'un jugement de la Division de première
instance qui rejette une demande présentée en
vertu de la Règle 474 aux fins de soumettre un
point de droit, cette Cour n'a pas compétence pour
statuer sur un point de droit dont ladite division a
refusé la présentation. La situation aurait été toute
autre si, du consentement des parties, elle avait
disposé du point de droit comme si la présentation
en avait été acceptée. Toutefois, en l'espèce, elle ne
l'a pas fait et cette Cour n'est donc pas saisie de
l'appel d'un jugement rendu sur ce point. J'estime
donc qu'elle est incompétente pour statuer en la
matière.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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