T-5374-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Cyrus J. Moulton Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Ottawa, les 13 et 31 mai 1976.
Impôt sur le revenu—Violation d'une lettre délivrée confor-
mément à l'art. 224(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu
intimant de verser au receveur général du Canada la somme de
$7,324.54 Ce montant est réclamé par la demanderesse con-
formément aux articles 222 et 224(1) et (4) Il incombe à la
Couronne de prouver que la personne à qui le débiteur doit de
l'argent est en fait et en droit une personne tenue de verser au
receveur général les sommes alléguées—Les faits pertinents ne
peuvent être déduits, il doit y avoir prépondérance de preuve—
Le Ministre doit faire une démarche formelle pour qu'il y ait
obligation «de faire un paiement» Le Ministre ne peut faire
perpétuellement opposition sur des fonds—L'arrangement
entre le Ministre et le contribuable n'est pas une fin de non
recevoir dont peut se prévaloir un tiers—Loi de l'impôt sur le
revenu, S.R.C. 1952, c. 148, tel que modifié, art. 153(1), 222,
224(1) et (4), et 244(9)—Art. 108 des Règlements de l'impôt
sur le revenu—Règle 341 de la Cour fédérale.
La demanderesse allègue que M doit $7,324.54 au fisc et
qu'une «demande formelle» a été signifiée à la défenderesse lui
intimant de verser au receveur général tous les fonds autrement
payables par elle à M jusqu'à concurrence de $7,324.54. La
demanderesse soutient que la défenderesse n'a rien versé au
receveur général alors qu'elle a versé à M une somme égale au
montant spécifié. La défenderesse prétend que M lui a dit s'être
acquitté de sa dette envers le Ministère du revenu national; elle
a cru de bonne foi à cette déclaration et lui a adjugé le contrat
de sous-traitance en conformité duquel elle lui a versé
$7,885.60. La défenderesse dit que la demanderesse n'a pas
établi que M était à l'époque en cause, tenu de lui faire un
paiement et qu'elle ne peut rien réclamer parce qu'elle a fait
des arrangements avec M. La défenderesse prétend de plus que
la lettre qui lui a été signifiée ne pouvait mettre opposition que
sur les sommes dues au moment de sa rédaction, et elle ne
pouvait englober des dettes futures possibles.
Arrêt: l'action est rejetée. Si la Couronne décide de fonder
sur l'article 224(1) une réclamation contre un tiers, il lui
incombe de prouver que la personne à qui le tiers doit de
l'argent est en fait et en droit une personne tenue de verser au
Ministre les sommes alléguées. La lettre délivrée à la défende-
resse n'était qu'une preuve prima facie du fait que M était tenu
de faire un paiement et pour obtenir gain de cause, la demande-
resse doit montrer au moyen d'une prépondérance de preuves
que la situation dans laquelle elle affirme M se trouver vis-à-vis
d'elle existait réellement au moment où la lettre a été livrée.
L'esprit des dispositions de la Loi relatives à l'imposition et au
recouvrement accrédite la proposition selon laquelle le Ministre
doit faire une démarche formelle initiale contre un contribuable
qui serait en défaut, avant de pouvoir procéder à une saisie-
arrêt, qui représente un recours extraordinaire en matière de
recouvrement.
Arrêts appliqués: Cyrus J. Moulton Ltd. c. La Reine
[1976] 1 C.F. 437 et La Reine c. Creative Graphic Servi
ces [1976] 2 C.F. 32.
ACTION.
AVOCATS:
S. C. Kerr pour la demanderesse.
K. J. Ross pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Wilson & Ross, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: La demanderesse réclame la
somme de $7,324.54 en vertu de l'article 222 et du
paragraphe (4) de l'article 224 de la Loi de l'impôt
sur le revenu'.
La demanderesse allègue que le 15 janvier 1973,
un certain Saverio Micucci était redevable en
vertu de l'article 153 de la Loi de l'impôt sur le
revenu du montant susmentionné; que la défende-
resse a reçu signification d'une «demande formelle»
lui intimant de verser au receveur général, jusqu'à
concurrence de $7,324.54, tous les fonds autre-
ment payables par lui à Micucci. La demanderesse
soutient que la défenderesse n'a rien versé au
receveur général alors qu'une , somme égale au
montant spécifié a été versée à Micucci, en viola
tion de la demande formelle. On s'est fondé sur le
paragraphe 224(4) que voici:
(4) Toute personne qui s'est libérée d'une obligation envers
une personne astreinte à faire un paiement en vertu de la
présente loi, sans se soumettre à une prescription du présent
article, est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal à
l'obligation acquittée ou au montant qu'elle était tenue, en
vertu du présent article, de payer au receveur général du
Canada, le moins élevé des deux montants étant à retenir.
La demanderesse a allégué ce qui suit au procès:
a) Le 15 janvier 1973, Micucci était endetté
envers le ministre du Revenu national en vertu
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Tant au cours
de l'enquête que durant la plaidoirie, l'avocat de
la demanderesse a affirmé que cette dernière
n'avait pas à prouver l'existence de la dette de
' S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications jusqu'à et y
compris 1973—appelée communément la «nouvelle Loi».
Micucci ni à en indiquer la nature, car cela
n'était pas pertinent en l'espèce. Il a prétendu
que, pour établir le droit de la demanderesse, il
suffisait de prouver les faits pertinents à partir
de la «demande formelle».
b) Le 15 janvier 1973, le ministre du Revenu
national croyait ou soupçonnait que la défende-
resse était endettée envers Micucci.
c) Une «demande formelle» a été délivrée et
signifiée à la compagnie défenderesse.
d) Aucun montant n'a été versé conformément
à la demande formelle. En fait, après le 15
janvier 1973 des fonds ont été versés à Micucci.
La défenderesse a soulevé plusieurs objections et
fait valoir des moyens de défense que j'exposerai
plus loin.
La compagnie défenderesse est un entrepreneur
général exploitant une entreprise dans la région de
Manotick (Ontario). En 1972, elle a conclu avec
Micucci, qui fait affaire sous la raison sociale de
Bytown Masonry Construction, cinq contrats dis-
tincts de sous-traitance pour des travaux de
maçonnerie. Ces contrats de sous-traitance com-
prenaient principalement la fourniture de la main-
d'oeuvre, c'est-à-dire le travail de Micucci aussi
bien que celui de ses employés. La défenderesse a
fourni la plupart des matériaux requis. Tous les
travaux de sous-traitance avaient été exécutés à la
fin de 1972. Comme c'est fréquent dans l'industrie
de la construction, certains travaux exécutés con-
formément à ces contrats s'étaient révélés insatis-
faisants et la défenderesse y avait remédié en
imputant le coût à Micucci dans ses livres. On
avait effectué les retenues habituelles 2 de 15% sur
chaque contrat de sous-traitance. Dans certains
cas, ce qu'il en avait coûté à la défenderesse pour
remédier aux vices de construction dépassait le
montant de la retenue en question.
Le 15 janvier 1973, il n'existait aucun contrat de
sous-entreprise en cours entre la défenderesse et,
Micucci. Il restait à faire des travaux de répara-
tion relativement au contrat de sous-entreprise
2 Conformément à The Mechanics' Lien Act, R.S.O. 1970, c.
267.
concernant l'école publique Torbolton. Ces travaux
ne pouvaient pas être effectués en hiver. On admet
toutefois qu'à la date en question (le 15 janvier
1973) la défenderesse devait $1,700 Micucci,
dont $200 restent impayés aujourd'hui. La défen-
deresse se demande si elle devrait verser cette
somme à Micucci ou plutôt à une personne qui
aurait fourni des matériaux pour son compte.
Le 15 janvier 1973, on a signifié à l'un des
dirigeants de la compagnie défenderesse une
«demande formelle» que l'on disait présentée con-
formément au paragraphe 224(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, que voici:
224. (1) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per-
sonne est endettée envers une personne tenue de faire un
paiement en vertu de la présente loi, ou est sur le point de le
devenir, ou est astreinte à faire un paiement à la personne en
question, il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée
à personne, exiger de cette personne que les deniers autrement
payables à l'autre personne soient en totalité ou en partie versés
au receveur général du Canada à l'égard de l'obligation exis-
tant en vertu de la présente loi.
On a présenté en preuve (pièce A à pièce 1) une
copie du document qui aurait été signifié. Burke,
qui était à l'époque agent de recouvrement au
ministère du Revenu national, a témoigné avoir
signifié l'original de cette lettre 3 à un certain Kent
le 15 janvier 1973. Ce dernier, qui est un des
dirigeants de la compagnie défenderesse, admet
que ce jour-là on lui a remis une lettre très sembla-
ble mais non identique à la pièce A. Le montant
indiqué et sa teneur en général étaient les mêmes,
a-t-il témoigné, mais la signature à l'encre de K. L.
Reid et la frappe différaient. J'accepte la déposi-
tion de Kent selon laquelle la pièce A à la pièce 1
n'est pas une copie identique de la prescription qui
lui a été signifiée à personne par Burke. Toutefois,
il ne fait aucun doute qu'à la date en question, la
défenderesse a personnellement reçu signification
d'une lettre lui enjoignant de verser au receveur
général la somme de $7,324.54. J'en cite les
extraits pertinents, en omettant les parties que
Kent affirme être différentes de celles que conte-
nait la lettre qu'il a reçue.
3 Le paragraphe 224(1) mentionne une «lettre» non une
«demande formelle». Dorénavant, dans ces motifs, j'appellerai
lettre ou prescription, le document que l'on a signifié. Cette
dernière expression est celle qu'emploie l'article 224.
[TRADUCTION] REVENU CANADA, IMPÔT
DEMANDE FORMELLE À DES TIERS
Cyrus J. Moulton Ltd.,
Manotick,
Ontario.
ATTENDU qu'on croit que vous êtes redevable ou êtes sur le
point d'être redevable d'une somme ou tenu de verser un
paiement au contribuable dont le nom figure ci-dessous et qui
est appelé ci-après le débiteur,
ET ATTENDU que ledit débiteur est redevable à Sa Majesté la
Reine, en conformité des dispositions d'une ou plusieurs des lois
indiquées ci-après, d'une somme de $7,324.54
VOUS ÉTES PAR LES PRÉSENTES MIS EN DEMEURE de retenir
sur les deniers payables audit débiteur et de verser au Receveur
général du Canada
tous les montants que vous devez audit
débiteur
jusqu'à parfait paiement de la dette mentionnée ci-dessus.
Établir les chèques ou mandats à l'ordre du Receveur général
du Canada, les annexer à une formule T1118R (Formule de
versement à l'usage de tiers), ou identifier le paiement d'une
autre façon en y indiquant le nom et l'adresse du débiteur, et
expédier le tout aussitôt la retenue opérée en utilisant l'enve-
loppe adressée et fournie à cette fin.
Si, après avoir reçu la présente Demande formelle, vous vous
libérez de toute obligation présente ou future envers le débiteur
sans vous conformer aux exigences de la présente, vous devien-
drez redevable du moins élevé des montants suivants: le mon-
tant exigé par la présente ou le montant de l'obligation acquit-
tée. La présente mise en demeure est formulée en vertu d'une
ou plusieurs des lois suivantes:
Le Régime de pensions du Canada; la Loi de l'impôt sur le
revenu; The Income Tax Act, 1961—Terre-Neuve; The Income
Tax Act, 1961—Île-du-Prince-Édouard; the Income Tax Act—
Nouvelle-Écosse; the Income Tax Act, 1961—Nouveau-Bruns-
wick; The Income Tax Act, 1961-62—Ontario; The Income
Tax Act (Manitoba), 1962; The Income Tax Act, 1961—
Saskatchewan; The Alberta Income Tax Act; the Income Tax
Act, 1962—Colombie-Britannique.
Directeur de l'impôt
S. Micucci, faisant affaire sous la raison sociale de Bytown
Masonry Construction,
R.R. 1,
Manotick (Ontario). PD 10
Compte N° LTP 78967 1
(Name and Address of Taxpayer)
(Nom et adresse du contribuable)
Avant la rédaction de la demande, on avait avisé
une unité des recouvrements du ministère du
Revenu national que Micucci était endetté envers
le Ministre. Cette unité a supposé que Micucci
était un employeur tenu de déduire à la source
l'impôt sur le revenu de ses employés - et d'envoyer
ces retenues au Ministère. Elle a également pré-
sumé que Micucci était tenu, pour le compte de ses
employés, de retenir à la source et de transmettre
leurs cotisations au Régime de pensions du
Canada; qu'il devait de plus déduire leurs primes
d'assurance-chômage et les envoyer, ainsi que sa
propre contribution, au Revenu national. En outre,
l'unité a présumé qu'en 1972 il n'avait pas agi de
la sorte, tout au moins dans une certaine mesure.
Apparemment, elle a également supposé que l'on
avait fait une vérification sur place pour en arriver
au montant de $7,324.54 et que le vérificateur
avait fait une demande formelle de paiement. Mik-
laucic, chef d'une unité des recouvrements, a éga-
lement présumé que, dans le cours normal des
choses, on avait envoyé à Micucci, au nom du
Ministre, un avis de cotisation pour le montant en
question.
Burke, qui travaillait sous les ordres de Miklau-
cic, a enquêté avant de préparer la lettre rédigée
conformément au paragraphe 224(1). Il s'est
assuré que la défenderesse avait employé Micucci
en qualité de sous-traitant à plusieurs reprises en
1972. Il savait que le 15 janvier 1973, Micucci ne
travaillait pas en vertu d'un contrat de sous-trai-
tance. Burke, suivant ce qui semble être la façon
habituelle de procéder, a discuté avec la défende-
resse des perspectives d'emploi de Micucci. Kent,
selon Burke, lui a laissé entendre qu'il n'y avait
aucune raison pour que Micucci ne soit pas engagé
comme sous-traitant en maçonnerie en 1973.
Il convient de souligner à cet égard que Burke et
Kent savaient fort bien que durant l'hiver, l'indus-
trie de la construction dans la région de Manotick
restait au point mort.
Burke a conclu que la signification d'une
demande formelle à la défenderesse ne nuierait pas
aux chances de Micucci d'être employé à l'avenir
par cette dernière comme sous-traitant. Burke
avait de l'expérience en matière de perception
d'impôt dans l'industrie de la construction. Lors-
que l'on signifie une demande formelle à un entre
preneur, il en résulte souvent que le contribuable
en défaut ne se voit plus accorder de contrats de
sous-traitance et n'est plus employé.
Je conclus, selon la prépondérance des probabili-
tés, que le Ministre était fondé à soupçonner que
le 15 janvier 1973, la défenderesse devait de l'ar-
gent à Micucci. Je suis également disposé à con-
dure que le Ministre était fondé à croire que
Micucci pourrait se voir accorder d'autres contrats
de sous-entreprise en 1973, après signification
d'une demande formelle.
La défenderesse admet que, toutes autres choses
égales, à l'époque de la signification de la demande
formelle à laquelle j'ai fait allusion, Micucci avait
autant de chances que n'importe quel autre entre
preneur en maçonnerie de se voir accorder un
contrat de sous-entreprise au printemps de 1973,
lors de la reprise de la construction. A condition
évidemment que la défenderesse elle-même se voit
adjuger des contrats et que Micucci soit le plus bas
soumissionnaire.
Au cours de la période allant du 26 février au 6
mars 1973, la défenderesse avait fait une soumis-
sion et obtenu un contrat pour la construction du
Centre sportif d'Almonte. Les dirigeants de la
défenderesse envisageaient de confier à Micucci les
travaux de maçonnerie. Ils ont discuté avec lui de
la lettre du 15 janvier 1973. Micucci leur a dit
s'être arrangé avec le ministère du Revenu natio
nal pour acquitter les sommes dues au moyen de
chèques postdatés. Kent et ses associés ont cru de
bonne foi à cette déclaration. Par conséquent, ils
ont considéré que l'affaire était classée. Malheu-
reusement, ils ne se sont pas renseignés auprès du
ministère du Revenu national. La pièce justifica-
tive (pièce 2) indique qu'en effet le Ministère a
reçu des chèques postdatés. Malheureusement, la
banque les a retournés pour insuffisance de
provision.
Sur la foi de ce qu'il avait affirmé, Micucci s'est
vu adjuger, le 6 mars 1973, les travaux de maçon-
nerie du Centre sportif d'Almonte. On avait con-
venu de le payer chaque semaine, au fur et à
mesure de l'avancement des travaux, de sorte qu'il
puisse payer ses ouvriers tous les vendredis. Du 23
mars au 4 mai 1973 inclusivement, la défenderesse
a versé à Micucci, en conformité du contrat de
sous-traitance, la somme de $7,855.60.
Micucci a exécuté deux petits travaux (l'affaire
de trois ou quatre jours de travail chacun), l'un en
mars 1973 et l'autre en mai 1973. Suivent les dates
des paiements:
23 mars $ 331.80
30 mars 935.00
4 mai 212.00
$1,478.80
Le 27 avril 1973, la défenderesse a établi à
l'ordre de Micucci un chèque de $1,500. Comme je
l'ai déjà dit, la défenderesse avait effectué des
retenues relativement aux contrats de sous-entre-
prise exécutés en 1972. En avril 1973, on avait fait
les réparations nécessaires relatives aux travaux
exécutés pour l'école publique Torbolton et on en
avait établi le coût. J'accepte la déposition de Kent
au procès, selon laquelle les $1,500 représentaient
le montant net dû à Micucci relativement aux
sous-traitances de 1972. Il ne s'agissait pas de la
retenue sur les travaux de l'école Torbolton,
déduction faite du coût des réparations. Il s'agis-
sait du montant total dû sur les retenues, après
déduction du coût des réparations nécessaires à la
suite des autres travaux exécutés en 1972. On se
souviendra que certains de ces coûts dépassaient le
montant des retenues en question. Les $1,500
représentent un montant net. J'admets la déposi-
tion de Kent selon laquelle ces $1,500, plus les
$200 déjà mentionnés, représentaient le montant
dû à Micucci le 15 avril 1973. Je rejette, pour les
motifs donnés, la prétention de la demanderesse
selon laquelle il était dû un montant additionnel
d'environ $800.
J'en arrive maintenant aux moyens et aux objec
tions soulevés par la défenderesse.
Premièrement, on a dit que la demanderesse n'a
pas établi que Micucci était, à l'époque en cause,
... une personne tenue de faire un paiement en vertu de la
présente loi ... (paragraphe 224(1).)
Comme je l'ai dit plus tôt, la demanderesse pré-
tend qu'elle n'a pas à établir ce fait 4 qui n'a aucun
rapport avec la réclamation contre la défenderesse
et que seul Micucci peut soulever ce point. Cet
4 Au paragraphe 2 de la déclaration modifiée, on allègue
spécifiquement que Micucci [TRADUCTION] «... était tenu de
faire un paiement en vertu des dispositions de l'article 153 de la
Loi de l'impôt sur le revenu et du Règlement d'applica-
tion ....0 Je présume que la déclaration modifiée a été ajoutée
par suite de certaines remarques qu'a faites la Cour d'appel
lorsque cette affaire a été soumise la première fois à la Cour
fédérale (voir [1976] 1 C.F. 437à la p. 439).
argument a déjà été rejeté. La Division d'appel de
cette cour a entendu l'appel interjeté contre une
ordonnance de la Division de première instance qui
accordait un jugement (conformément à la Règle
341) en faveur de la demanderesse. Je cite l'extrait
suivant des motifs de la Cour d'appels:
Premièrement, le savant juge de première instance, après
avoir conclu que tous les faits importants avaient été admis,
décida que l'appelante n'avait pas le droit de contester le fait
que Micucci était endetté envers le Ministre pour une somme
de $7,324.54 parce que ce litige ne concerne que Micucci et le
Ministre et que l'appelante n'y est pas partie. En toute défé-
rence, l'existence réelle de la dette de Micucci envers la Cou-
ronne pour les montants payables en vertu de la Loi au moment
de la signification de l'avis en vertu du paragraphe 224(2) me
semble, d'après les termes de l'article, un fait fondamental dont
dépend l'application à l'appelante de l'article 224; je ne vois
aucun argument ni aucun précédent à l'appui de la thèse selon
laquelle la défenderesse n'aurait pas le droit de contester
l'existence d'un tel fait.
Mais pour le reste, je suis d'avis que la Règle 341 ne vise pas
la preuve des faits par affidavit et que l'appelante n'était
aucunement tenue, en raison de l'introduction d'une requête en
vertu de cette règle, de se soumettre à ce qui semble avoir été
un procès sommaire de l'action sur les affidavits déposés par
l'intimée. Il me semble évident que l'appelante n'a jamais admis
l'élément fondamental, c'est-à-dire l'endettement de Micucci en
vertu de la Loi au 15 janvier 1973, pour le montant mentionné
dans l'avis de cette date; en outre, j'estime que rien dans la
Règle 341 n'autorisait la preuve de ce fait par affidavit ni ne
pouvait transformer la preuve soumise par affidavit et la réac-
tion de l'appelante à son égard, en une admission par la
défenderesse permettant de prononcer un jugement en vertu de
la Règle 341.
J'en conclus que si la Couronne décide de fonder
sur le paragraphe 224(1) une réclamation contre
un tiers, il lui incombe de prouver que la personne
à qui le tiers doit de l'argent est en fait et en droit
une personne tenue de verser au Ministre les
sommes alléguées, conformément à la Loi
mentionnée 6 .
5 Cyrus J. Moulton Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F. 437, le
juge Thurlow, aux pp. 441, 442 et 443.
6 La demande formelle présentée en l'espèce conformément
au paragraphe 224(1) est un redoutable document, pour ne pas
dire terrifiant, auquel fait face un tiers profane. Il indique que
le «débiteur» est endetté envers Sa Majesté
... en conformité des dispositions d'une ou plusieurs des
lois indiquées ci-après ....
Ces lois sont le Régime de pensions du Canada, la Loi de
l'impôt sur le revenu fédérale et la Loi de l'impôt sur le revenu
de 9 des 10 provinces. Je suppose que l'on renvoie le profane à
(Suite à la page suivante)
La demanderesse a fait valoir (subsidiairement)
que si des preuves étaient effectivement requises,
elle avait établi une preuve prima facie de l'obliga-
tion dans laquelle se trouvait Micucci de faire un
paiement. Un fonctionnaire du ministère du
Revenu national a déposé un affidavit (pièce 1) qui
aurait été fait conformément au paragraphe
244(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La
partie principale de l'affidavit est le paragraphe 3:
[TRADUCTION] 3. Annexée aux présentes comme la pièce A,
est une copie conforme de l'original de la formule T1118 du
ministère du Revenu national intitulée «Demande formelle à
des tiers« faite par K.L. Reid, directeur de l'impôt, au nom du
ministre du Revenu national, exerçant les pouvoirs accordés au
Ministre conformément à l'article 224(1) de la Loi de l'impôt
sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 modifié par l'article 1, S.C.
1970-71-72, c. 63.
Voici le paragraphe 244(9):
(9) Un affidavit d'un fonctionnaire du ministère du Revenu
national souscrit en présence d'un commissaire ou d'une autre
personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu'il a la
charge des registres appropriés et qu'un document y annexé est
un document, ou une copie conforme d'un document, fait par
ou pour le Ministre ou quelque autre personne exerçant les
pouvoirs du Ministre, ou par ou pour un contribuable, doit être
reçu comme preuve prima facie de la nature et du contenu du
(Suite de la page précédente)
chacune de ces lois afin qu'il essaie de déterminer si elle est
applicable et à quelle sanction il s'expose s'il ne se conforme pas
à la demande formelle. Pour ma part, je me suis contenté de
vérifier trois des lois susmentionnées. Le Régime de pensions
du Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu de l'Ontario et la
Loi de l'impôt sur le revenu de la Colombie-Britannique con-
tiennent toutes des dispositions identiques ou presque identiques
à l'article 224 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je n'ai pas
consulté les lois des 8 autres provinces. La Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage contient les dispositions presque identi-
ques à celles de l'article 224. La pièce 5 indique qu'une partie
des sommes dues par Micucci le 15 janvier 1973 se composait
des primes d'assurance-chômage, tant celles des employés que
de l'employeur. Mais la demande formelle signifiée le 15
janvier 1973 ne fait pas mention de cette loi.
Il me semble que peuvent se poser certaines questions délicates,
que les avocats n'ont pas soulevées en l'espèce. Je présume que
la demande formelle renvoie aux diverses lois (provinciales) de
l'impôt sur le revenu par suite des arrangements passés avec
quelques-unes des provinces aux termes de la Loi de 1972 sur
les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les
provinces (S.C. 1972, c. 8). Si je ne me trompe, le ministre du
Revenu national, en vertu d'un arrangement, perçoit des droits
et des impôts pour le compte de certaines provinces. Cela
accorde-t-il au Ministre le pouvoir de procéder à une saisie-
arrêt relativement à la part d'une province? Les provinces
ont-elles habilité le ministre fédéral à déléguer à ses subordon-
nés ses pouvoirs en matière de recouvrement? Il est peut-être
bien facile de résoudre ces problèmes et il peut en exister
plusieurs autres auxquels je n'ai pas songé.
document et doit être admis comme preuve et avoir la même
valeur probante qu'aurait eue le document original si sa véra-
cité avait été prouvée de la manière ordinaire.
Je vais présumer que la prescription (une lettre,
selon le paragraphe 224(1)) est un document au
sens du paragraphe 244(9). Selon moi, ce paragra-
phe n'aide pas la cause de la demanderesse. L'affi-
davit auquel est joint la copie conforme de la
demande formelle ne constitue qu'une «preuve
prima facie de la nature et du contenu [de la
demande formelle]». A mon avis, il ne prouve pas
que Micucci était «une personne tenue de faire un
paiement en vertu de la [Loi de l'impôt sur le
revenu]», pas plus qu'il n'établit le montant de sa
dette. J'ajoute que la «demande formelle» mention-
née ne dit pas que Micucci est tenu de faire un
paiement de $7,324.54; elle dit qu'il est «... rede-
vable à Sa Majesté la Reine ... d'une somme de
$7,324.54». Le document ne suit pas le libellé de la
condition préalable exposée au paragraphe 224(1).
Finalement, sur ce premier point en litige, la
demanderesse s'appuie sur certains éléments de
preuve fournis par la défenderesse. Ces éléments
de preuve consistaient en certaines réponses faites
à un fonctionnaire de la demanderesse au cours de
l'interrogatoire préalable. Elles ont été reprises
dans la défense. Je trouve cet élément de preuve
insatisfaisant et vague'. On demande d'en conclure
que Micucci était un employeur; qu'en 1972, il
avait des employés; que selon le Ministère tout au
moins, il aurait dû déduire à la source et verser
l'impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de
pensions du Canada et les primes d'assurance-chô-
mage de ces employés. A mon avis, la demande-
resse ne peut obtenir gain de cause en se fondant
sur des déductions. Elle doit montrer au moyen
d'une prépondérance de preuves (ou de probabili-
tés) que la situation dans laquelle elle affirme
Micucci se trouver vis-à-vis d'elle existait réelle-
ment le 15 janvier 1973. J'estime qu'elle ne l'a pas
fait.
' La demanderesse, pour des raisons que j'ignore, n'a pas
demandé à ses fonctionnaires ni aux membres de son personnel
de fournir des preuves établissant la dette de Micucci, son
montant et son origine. Je ne doute pas que les fonctionnaires
compétents du ministère du Revenu national auraient pu four-
nir sur ces points des preuves précises et probablement
irréfutables.
Supposant qu'il y avait suffisamment de preu-
ves, directes ou indirectes, pour établir l'obligation
dans laquelle se trouvait Micucci de faire un paie-
ment, on s'est alors appuyé sur le paragraphe
153(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et sur
l'article 108 des Règlements de l'impôt sur le
revenu'. Je présume, bien qu'on n'en ait pas parlé
au procès, que l'on se fonde également sur l'article
22 du Régime de pensions du Canada 9 et sur
l'article 68 de la Loi de 1971 sur
l'assurance- chômage'S .
La demanderesse avance en outre qu'il n'est pas
nécessaire de prouver que le Ministre a réclamé
paiement à Micucci en vertu de ces lois, ni que l'on
a établi des cotisations; que les articles pertinents
de ces lois prévoient le versement des montants à
déduire; et que par conséquent, un employeur se
trouve tenu de faire les versements en question.
L'avocat de la demanderesse a concédé qu'il
avance même ce qui suit: à condition que les autres
dispositions soient respectées, il suffisait pour que
le ministre du Revenu national applique le para-
graphe 224(1), qu'il ait jugé avec sérieux en son
for intérieur que Micucci était tenu de faire un
paiement en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu; la demande formelle, pas plus que le certi-
ficat ni la cotisation ne sont des conditions
préalables.
Je ne puis concevoir que ce soit la loi. Compte
tenu des autres dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu relatives au recouvrement, à partir de
l'article 222, j'estime que le Ministre doit d'abord
faire une démarche formelle pour qu'il y ait une
obligation «de faire un paiement» suffisante pour
justifier une mise en demeure semblable à la lettre
du 15 janvier 1973.
On peut prendre jugement devant la Cour fédé-
rale contre un contribuable en défaut avant qu'il y
ait cotisation, appel et audition. Le montant paya
ble doit tout d'abord être certifié par le Ministre
(article 223). Les biens meubles ne peuvent être
saisis que si le Ministre a au préalable décerné un
certificat de défaut après avoir donné un avis de
8 L'alinéa 153(1)a) prévoit la déduction ou la retenue et le
versement de l'impôt. Le paragraphe 108(1) des Règlements
prévoit un délai pour le versement des sommes retenues ou
déduites.
9 S.R.C. 1970, c. C-5.
10 S.C. 1970-71-72, c. 48.
trente (30) jours (article 225). Un employeur qui
veut contester son obligation de déduire l'impôt à
la source et de faire ces paiements a certainement
le droit de s'adresser aux tribunaux, mais avant
cela, il faut que le Ministre le cotise (paragraphe
227(10)).
A mon avis, l'esprit des dispositions de la Loi
relatives à l'imposition et au recouvrement accré-
dite la proposition selon laquelle le Ministre doit
faire une démarche formelle initiale (et susceptible
d'appel) contre un contribuable qui serait en
défaut, comme Micucci, avant de pouvoir procéder
à une saisie-arrêt, qui représente un recours
extraordinaire en matière de recouvrement.
Bref, je conclus que la demanderesse n'a pas
établi que, le 15 janvier 1973, Micucci était tenu
de faire un paiement.
Cela suffirait au rejet de cette action. Au cas où
je me tromperais au sujet de ce que la demande-
resse, selon moi, doit prouver en ce qui concerne
l'expression «une personne tenue de faire un paie-
ment en vertu de la présente loi», je vais traiter des
autres moyens de défense.
A supposer que ma première conclusion soit
incorrecte, la défenderesse est alors, à mon avis,
tenue de payer $1,700. Ce montant était dû à
Micucci le 15 janvier 1973. La défenderesse pré-
tend que la demanderesse ne pouvait rien réclamer
parce que Micucci avait convaincu le Ministère de
lui permettre d'acquitter sa dette au moyen de
chèques postdatés. J'ai déclaré ce moyen de
défense inacceptable au procès et rien depuis ne
m'a fait changer d'idée. Ce qui s'est passé entre
Micucci et le ministère du Revenu national ne
pouvait en rien modifier ni éteindre la dette de
$1,700 que la Loi impose à la défenderesse de
payer au receveur général. Le prétendu arrange
ment et toute fin de non recevoir existaient entre
Micucci et le Ministère, et la défenderesse ne
pouvait s'en prévaloir.
En ce qui concerne toute obligation dépassant
$1,700, la défenderesse s'appuie sur l'arrêt La
Reine c. Creative Graphic Services". Cette affaire
" Cour d'appel fédérale, [ 1976] 2 C.F. 32. La Division
d'appel a confirmé la décision que j'ai rendue en première
instance, publiée sous le même intitulé [1974] 2 C.F. 75.
a pris naissance en vertu des dispositions de la Loi
sur la taxe d'accise 12. Une ordonnance de saisie-
arrêt avait été rendue conformément au paragra-
phe 52(6) de la Loi sur la taxe d'accise. Le
paragraphe prévoit que:
52. (6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une per-
sonne est endettée ou sur le point de le devenir envers un
titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger de
cette personne que les fonds autrement payables au titulaire de
licence soient en totalité ou en partie versés au receveur général
à compte de l'obligation du titulaire de licence en vertu des
dispositions de la présente loi.
Dans cette affaire, la lettre avait été adressée à
un titulaire de licence qui avait un employé
nommé Kristensen. J'ai statué que la lettre ne
pouvait mettre opposition que sur les salaires dus
au moment de sa rédaction; elle ne pouvait englo-
ber des dettes futures possibles. J'ai dit à la page
84:
Je suis d'accord avec le point de vue selon lequel les disposi
tions de la Loi conférant ce droit spécial de recouvrement
doivent être interprétées strictement. Le paragraphe 52(6) crée
une forme large de saisie-arrêt. Avant d'émettre une demande,
le Ministre n'est pas tenu de prouver ni d'établir devant quicon-
que qu'une taxe est due par quelqu'un, il n'est pas tenu de
délivrer, d'obtenir ni de déposer quelque part un certificat de
dettes, ni d'obtenir un jugement contre le titulaire de licence. Si
la demande du Ministre vise à mettre opposition sur le salaire,
le paragraphe semble être assez large pour englober tout le
salaire (tout au moins la partie due à la date de la demande)
sans aucune allocation ou exonération légale qui permettraient,
à toutes fins pratiques, au prétendu débiteur et à sa famille de
survivre financièrement. Ayant à sa disposition un redressement
si extraordinaire, le Ministre doit se conformer strictement aux
dispositions de la Loi.
et aux pages 86-87:
Le point suivant soulevé par la défense est subsidiaire au
premier: si Kristensen était titulaire de licence, alors la compa-
gnie était endettée envers lui à compter du 17 août 1971 à
l'égard de la rémunération due à cette date seulement; la
demande exigeait le paiement de $50 sur ce montant; la
demande ne peut englober les dettes à venir; l'obligation de la
compagnie se trouve par conséquent limitée à $50. Cette pré-
tention se fonde sur le fait que la demande ne pouvait pas,
compte tenu des faits de l'espèce, exiger le versement du salaire
de Kristensen au receveur général, ni de la partie spécifiée de ce
salaire, à compter du 17 août 1971 et pour l'avenir jusqu'au
remboursement total de la somme revendiquée.
12 S.R.C. 1970, c. E-13. Cette loi n'avait pas de disposition
semblable au paragraphe 224(3) de la présente Loi de l'impôt
sur le revenu. En vertu de ce paragraphe, comme je le com-
prends, une ordonnance de «saisie-arrêt» rendue contre un
employeur s'applique spécialement à tous les paiements qui
seront faits dans l'avenir à l'employé à l'égard de la rémunéra-
tion et non seulement aux montants dus au moment de la
signification de l'ordonnance de saisie-arrêt.
Je souscris à ce point de vue. Il doit exister, selon moi, des
mots précis dans la Loi habilitant le Ministre à affectuer une
saisie-arrêt du genre de celle que veut faire la demanderesse. Je
n'ai pas trouvé de mots aussi précis. En vertu du paragraphe
(6), le Ministre est fondé à demander «... les fonds autrement
payables ...» à une personne qui est endettée ou sur le point de
le devenir envers un titulaire de licence. L'interprétation invo-
quée au nom de la demanderesse me semble largement mécon-
naître les mots «les fonds autrement payables». Selon moi, les
mots «est endettée ou sur le point de le devenir» ne constituent
pas la formule unique ou déterminante lorsqu'on s'efforce de
préciser sur quels fonds le Ministre peut effectuer une saisie-
arrêt. Les mots «est endettée ou sur le point de le devenir» ont
une autre fonction. Avant que le Ministre puisse émettre une
demande, il doit connaître ou soupçonner l'existence de la dette
ou de ce que j'appellerais une dette imminente. Les mots cités
fournissent ainsi, tout au moins dans un certain contexte, une
indication sur le moment où l'on peut émettre la demande et
sur les motifs pour le faire. Les fonds que l'on cherche à saisir
doivent provenir d'une dette déjà existante ou d'une dette
imminente, mais, en même temps, selon moi, ils doivent être
«payables» à la date de la demande. On m'a mentionné les
arrêts La Banque de Montréal c. Union Gas Company of
Canada Ltd. [1969] C.T.C. 686 et Re La Banque royale du
Canada et le procureur général du Canada [1970] C.T.C. 440.
Ces deux décisions ont examiné le paragraphe 120(1) de l'an-
cienne Loi de l'impôt sur le revenu, qui est semblable au
paragraphe 52(6) de la Loi sur la taxe d'accise, mais les faits
en cause et les problèmes étaient tout à fait différents de la
présente affaire. Toutefois, il semble ressortir des décisions
qu'une demande en vertu du paragraphe 120(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu crée un privilège [TRADUCTION] «... non
sur les deniers dus ou à ,échoir comme dans le cas d'une
ordonnance de saisie-arrêt ou d'opposition, mais sur les «deniers
autrement payables» au moment de la signification de la
demande». 13
La Division d'appel a dit notamment [aux pages
34-37]:
L'appelante interjette appel du jugement parce que, d'après
elle, le savant juge de première instance a commis une erreur
13 J'hésite à citer une de mes propres décisions et ne le fais
que parce qu'elle a été confirmée sur ce point par la Cour
d'appel.
Dans l'extrait tiré de la page 84 de l'arrêt Creative Graphic
Services, j'ai dit qu'avant d'émettre une demande, le Ministre
n'est pas tenu, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, de
... prouver ni d'établir devant quiconque qu'une taxe est
due par quelqu'un ....
Comme je l'ai déjà dit dans ces motifs, lorsqu'on étudie l'écono-
mie générale de la Loi de l'impôt sur le revenu, je crois qu'il
existe suffisamment de différences pour me permettre de con-
clure qu'en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le Ministre,
pour obtenir gain de cause dans une affaire de saisie-arrêt, doit
prouver l'existence d'un impôt impayé ou, pour me servir du
libellé du paragraphe en question, l'obligation de faire un
paiement.
a) en ne décidant pas que les associés individuellement
étaient titulaires de licence conjointement avec la firme et donc
personnellement responsables du paiement de la dette de la
Creative afférente à la taxe de vente,
b) en ne décidant pas que la sommation du Ministre consti-
tuerait saisie-arrêt des sommes dont Craft serait débitrice à
l'avenir envers Kristensen;
c) en ne décidant pas que la sommation respectait suffisam-
ment les exigences de l'article 52(6) de la Loi, et
d) en ne décidant pas que l'appelante avait droit à un
jugement déclaratoire portant que Carl Hans Kristensen était
un associé de la Creative.
L'avocat de l'appelante a reconnu que si l'un des moyens a),
b) ou c), était rejeté, il n'aurait pas gain de cause. Il m'est
inutile d'exprimer une opinion sur la validité des moyens a) ou
d) de l'appelante, puisque j'estime que les deux autres moyens
d'appel doivent être rejetés.
L'appelante a soutenu que les paragraphes (6),(7) et (8) de
l'article 52 constituent un système complet, en ce qui concerne
les moyens dont dispose le ministre du Revenu national pour le
recouvrement de la taxe de vente. Ces paragraphes sont ainsi
libellés:
52. (6) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une
personne est endettée ou sur le point de le devenir envers un
titulaire de licence, il peut, par lettre recommandée, exiger de
cette personne que les fonds autrement payables au titulaire
de licence soient en totalité ou en partie versés au receveur
général à compte de l'obligation du titulaire de licence en
vertu des dispositions de la présente loi.
(7) Le récépissé du Ministre, à ce sujet, constitue une
quittance valable et suffisante de l'obligation, de cette per-
sonne envers le titulaire de licence jusqu'à concurrence du
montant mentionné dans le récépissé.
(8) Tout individu qui acquitte une obligation envers un
titulaire de licence après avoir reçu la lettre recommandée
mentionnée est personnellement responsable envers le rece-
veur général jusqu'à concurrence de l'obligation quittancée
entre lui et le titulaire de licence ou jusqu'à concurrence de
l'obligation du titulaire de licence pour impôt et amendes,
suivant le montant le moins élevé.
On verra que les conditions suivantes doivent être remplies
avant que, le Ministre puisse faire la sommation prévue au
paragraphe (6):
a) il doit savoir qu'une personne est endettée envers un
titulaire de licence, ou
b) il doit soupçonner qu'une personne est endettée envers un
titulaire de licence, ou
c) il doit savoir qu'une personne est sur le point de devenir
endettée envers un titulaire de licence, ou
d) il doit soupçonner qu'une personne est sur le point de
devenir endettée envers un titulaire de licence.
Si l'une de ces conditions est remplie, il peut exiger de la
personne en question de verser au receveur général l'intégralité
ou une partie des fonds autrement payables au titulaire de
licence. Si la personne à qui la sommation est faite effectue le
paiement, le paragraphe (7) le protège contre toute réclamation
faite contre lui par le titulaire de la licence. Si la personne,
ayant reçu une sommation valable, néglige de faire le paiement
exigé, elle devient personnellement responsable, comme prévu
au paragraphe (8).
Il est admis que, pendant toute la période qui nous intéresse,
Kristensen était employé par la Craft à un salaire supérieur à
$50 par semaine. Tant que Kristensen était employé de la
Craft, celle-ci serait redevable envers lui, à la fin de chaque
période de paye, soit la fin de chaque semaine, du salaire de
cette semaine. A chaque paiement, la Craft ne serait plus
redevable.
Pour cette raison et en admettant, sans trancher ce point, que
Kristensen était un titulaire de licence en tant qu'associé de la
Creative Graphic Services, la sommation du 17 août 1971 avait
pour effet d'obliger la Craft à verser des fonds au receveur
général du Canada jusqu'à concurrence seulement de toute
somme due à la fin de la période de paye immédiatement
postérieure à la réception de la lettre par Craft. Elle ne pouvait
avoir d'effet en ce qui concerne les dettes nées en faveur de
Kristensen pour les services fournis à la Craft pour les périodes
de paye subséquentes, parce que la Craft, après avoir une
première fois obtempéré à la sommation, n'était pas «sur le
point d'être endettée» envers Kristensen. A ce moment sa dette
envers lui était éteinte.
De même, dans l'hypothèse où Kristensen était un titulaire
de licence, la sommation, à mon avis, ne respectait pas les
exigences de la Loi. Le législateur a accordé au Ministre un
droit assez exceptionnel, celui de prendre des mesures pour
recouvrer une dette alléguée avant d'avoir obtenu un jugement
d'un tribunal. Le Ministre est autorisé à agir de la sorte si
certaines conditions préalables sont remplies. Il me semble que
ce droit a pour corollaire l'obligation de remplir strictement les
conditions préalables. Le tiers à qui la sommation demande de
payer au receveur général du Canada les fonds qu'il doit à
quelqu'un d'autre, a le droit de savoir exactement envers qui il
est censé être débiteur ou sur le point de le devenir, et le
montant exact dont il est censé être débiteur ou sur le point de
le devenir. Donc, si dans la sommation on peut penser que le
Ministre le requiert de payer des fonds au-delà de ce qui revient
au Ministre, celui-ci a excédé le droit qui lui a été conféré par
la Loi et la sommation demeure sans effet. En résumé, la
sommation ne peut, ni en la forme ni au fond, prétendre aller
au-delà de ce que permet le droit spécial conféré au Ministre.
En l'espèce, il est possible que la sommation ait été discuta-
ble en la forme pour plusieurs raisons, dont l'une est, à mon
avis, péremptoire, ce qui me dispense d'examiner les autres.
Aux termes du paragraphe (6), une sommation peut être faite
si le Ministre soupçonne qu'une personne est sur le point de
devenir endettée envers un titulaire de licence. Il s'ensuit
clairement que la dette est, suivant l'expression du savant juge
de première instance «imminente». Cependant, la sommation
contient le passage suivant: «Vous êtes tenue... de verser au
Receveur général du Canada ... le montant dont vous êtes
endettée ou pouvez le devenir ...». A mon avis, ce dernier
membre de phrase pourrait donner au lecteur l'impression que
la dette dont on veut garantir le paiement est beaucoup plus
étendue qu'une obligation consistant uniquement en une dette
dont l'existence est imminente, et pourrait bien s'étendre à une
dette susceptible de prendre naissance à l'avenir à une date
indéterminée.
J'estime qu'on ne peut établir aucune distinction
valable entre le paragraphe 52(6) de la Loi sur la
taxe d'accise et le paragraphe 224(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Les montants dont la défen-
deresse est en fin de compte devenue redevable
envers Micucci (et qui lui ont été effectivement
versés en mars, avril et mai 1973) ne sont pas visés
par les expressions «sur le point de le devenir
[endettée]» ou «sur le point de ... devenir, ...
astreinte à faire un paiement». Les sommes qui ont
finalement été versées n'étaient pas, le 15 janvier
1973, des montants payables immédiatement, ni
une dette imminente. Le plus que l'on puisse dire,
c'est qu'au 15 janvier 1973 (mise à part la somme
de $1,700) il était raisonnablement possible qu'à
une date future la défenderesse puisse être endet-
tée envers Micucci ou puisse être tenue de lui faire
un paiement. A mon avis, cela ne permet pas à la
demanderesse de faire perpétuellement opposition
sur des fonds.
La défenderesse a plaidé et fait valoir un dernier
moyen de défense, en invoquant des dispositions de
The Mechanics' Lien Act de l'Ontario relatives à
l'existence d'une fiducie. Vu les conclusions que
j'ai exposées plus haut, je ne crois pas nécessaire
de prendre une décision ni d'exprimer une opinion
sur cet aspect de cette affaire.
Par conséquent, l'action est rejetée et la défen-
deresse a droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.