T-3965-74
La Reine (Demanderesse)
c.
Leroy R. Creamer (Défendeur)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, le 20 décembre 1976 et le 10 janvier 1977.
Dépens — Appel en matière d'impôt sur le revenu —
Signification de «tous les frais raisonnables et justifiés» à
l'art. 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu — Le Parlement
entendait-il créer une nouvelle classification en adoptant l'art.
178(2) — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63,
art. 175 et 178(2) — Règles de la Cour fédérale, Tarifs A
et B.
Le défendeur veut recouvrer les frais payés ou payables à son
avocat relativement aux procédures ci-dessus et prétend que
compte tenu du contexte historique de la Loi, la référence à
«tous les frais raisonnables et justifiés,, au paragraphe 178(2) de
la Loi de l'impôt sur le revenu doit signifier autre chose que les
frais sur une base procureur-client. Il s'agit également de savoir
si la présente action relève vraiment de la classe II prévue aux
tarifs A et B de l'Annexe jointe aux Règles de la Cour fédérale.
Arrêt: en adoptant l'article 178(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, le Parlement voulait permettre au contribuable de faire
réviser sa cotisation à un moindre coût et désirait que la
Couronne puisse obtenir un jugement de cette cour dans les
affaires où d'importantes questions de principe sont en jeu,
mais où le contribuable se serait probablement désisté si les
règles traditionnelles d'adjudication des dépens entre les parties
n'étaient pas modifiées. Cependant, le paragraphe 178(2) ne
donne pas au contribuable, pas plus qu'à ses conseillers juridi-
ques, carte blanche pour piller les fonds publics et l'avocat doit
requérir de son client des honoraires raisonnables compte tenu
du temps passé sur l'affaire. La présente action aurait dû être
classée dans la classe I, mais compte tenu de la décision sur le
principal point en litige devant la Cour, aucune suite ne sera
donnée à cette conclusion.
Arrêt appliqué: La Reine c. Lavigueur 73 DTC 5538.
Arrêt analysé: La Reine c. Pascoe [1976] 1 C.F. 372 et
[1976] 2 C.F. 277. Distinction faite avec les arrêts: Wil-
liams c. Sharpe [1949] 1 Ch. 595 et Re Hancock [1952] 4
D.L.R. 220.
ACTION.
AVOCATS:
C. Pearson pour la demanderesse.
R. Vincent pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
McKelvey, Macaulay, Machum & Fairwea-
ther, Saint-Jean, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le litige porte sur l'ex-
pression «tous les frais raisonnables et justifiés»
employée à l'article 178(2) de la Loi de l'impôt
sur le revenu'. Subsidiairement il s'agit de savoir
si la présente action relève vraiment de la classe II
prévue aux tarifs A et B de l'annexe jointe aux
Règles de cette cour.
La décision de mon collègue le juge Dubé sur le
fond du présent litige a été publiée 2 . Néanmoins il
convient de rappeler certains faits énoncés au dos
sier qui se rapportent à la question des frais.
Durant toute l'année 1972, le défendeur a été
employé par Imperial Oil Limited en tant que
conducteur de camion; il effectuait la livraison des
produits de cette compagnie dans tout le sud du
Nouveau-Brunswick depuis la ville de Saint-Jean.
Pour cette année-là, son revenu fut de $10,494.83
au total. Son employeur ne lui a pas remboursé le
prix de ses repas du midi sauf lorsqu'il s'est
absenté pendant plus de douze heures consécutives.
Dans le calcul de son revenu imposable, il déduisit
$495 pour 180 repas, à $2.75 chacun, montant qui
ne lui avait pas été remboursé. Le ministre du
Revenu national a rejeté cette déduction et l'a
cotisé en conséquence. Le demandeur en a appelé à
la Commission de révision de l'impôt et a eu gain
de cause 3 .
La déduction ne peut être accordée que si
Imperial Oil Limited constitue «une personne dont
la principale entreprise est le transport de voya-
geurs, de marchandises, ou de voyageurs et mar-
chandises» au sens de l'alinéa 8(1)g) de la Loi.
C'était là le seul point en litige. Le défendeur
plaida qu'il n'était pas employé par Imperial Oil
Limited mais plutôt par son département de trans
port, distinction qui fut acceptée par la Commis
sion, et subsidiairement que de toute façon la
principale entreprise d'Imperial Oil Limited con
' S.C. 1970-71-72, c. 63.
178. (2) Lorsque, sur un appel interjeté par le Ministre,
autrement que par voie de contre-appel, d'une décision de la
Commission de révision de l'impôt, le montant de l'impôt qui
fait l'objet du litige ne dépasse pas $2,500, la Cour fédérale
en statuant sur l'appel, doit ordonner que le Ministre paie
tous les frais raisonnables et justifiés du contribuable, affé-
rents à l'appel.
2 76 DTC 6422.
3 74 DTC 1219.
sistait à transporter des marchandises.
Je traiterai d'abord du deuxième point en litige.
Voici les dispositions pertinentes des tarifs A et B
de l'annexe jointe aux Règles:
TARIF A
FRAIS JUDICIAIRES
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
1. (1) Aux fins du présent tarif, toute démarche faite ou
mesure prise dans une procédure engagée devant la Division de
première instance fait partie de la classe I, de la classe II ou de
la classe III.
(3) Sauf instructions contraires données par la Cour au sujet
d'une certaine démarche ou mesure dans une procédure, ou de
toutes les démarches et mesures dans une certaine procédure,
a) lorsqu'elle est faite ou prise dans une procédure à laquelle
ne s'applique pas l'alinéa b) et lorsqu'il s'agit, au vu du
dossier, d'une somme n'atteignant pas $5,000, la démarche
ou mesure fait partie de la classe I,
b) lorsqu'elle est faite ou prise dans une procédure qui est,
ou qui était à l'origine, un appel interjeté devant la Division
de première instance ou toute autre procédure engagée
devant la Division de première instance qui n'a pas pour
objet d'obtenir un jugement condamnant au paiement d'une
somme déterminée, la démarche ou mesure fait partie de la
classe II,
c) lorsqu'elle est faite ou prise dans une procédure et lors-
qu'il s'agit, au vu du dossier, d'une somme atteignant $5,000
ou plus sans atteindre $50,000, la démarche ou mesure fait
partie de la classe II,
d) lorsqu'elle est faite ou prise dans une procédure qui n'est
pas par ailleurs visée au présent paragraphe, la démarche ou
mesure fait partie de la classe III.
TARIF B
SOMMES POUVANT ÊTRE ACCORDÉES POUR LES
FRAIS TAXÉS ENTRE PARTIES
1. L'article 1 du tarif A est applicable, avec les modifications
qui s'imposent, au présent tarif.
Les dispositions suivantes des deux tarifs prévoient
le paiement de droits au greffe et l'adjudication de
dépens taxés entre parties dont les montants
varient pour le même acte en fonction de la classe
de la procédure.
L'article 175 de la Loi de l'impôt sur le revenu
régit le mode d'interjection des appels à la Cour
fédérale à l'exclusion de ceux qui, en vertu de
l'article 180, doivent être interjetés à la Cour
d'appel fédérale. L'action qui nous concerne rele-
vait de l'article 175. Voici un extrait du paragra-
phe 175(3):
175. (3) Un appel interjeté en vertu du présent article est
réputé être une action en Cour fédérale à laquelle s'appliquent
la Loi sur la Cour fédérale et les règles de la Cour fédérale
concernant une action ordinaire, sous réserve des ....
Suivent des exceptions qui, de même que celles
apparaissant à la Règle 800, ne s'appliquent pas en
l'espèce.
Dans les motifs, non publiés, prononcés sur
appel d'une décision d'un taxateur, mon collègue le
juge Gibson a dit:
[TRADUCTION] J'estime qu'un appel porté devant la Divi
sion de première instance de cette cour en vertu de la Loi de
l'impôt sur le revenu constitue (I) une «action» et non un
«appel» et que (2) le jugement devant être rendu constitue «une
adjudication définitive de l'impôt à payer»; il ne s'agit pas d'une
procédure engagée pour obtenir «un jugement condamnant au
paiement d'une somme déterminée» au sens de l'alinéa 1(3)b)
du tarif «A». 4
Je partage cette opinion entièrement. Quant à la
classification de l'action, le montant en litige est
inférieur à $5,000; il s'agit donc uniquement de
savoir si cela pouvait être établi «au vu du dossier».
Voici ce que l'on lit dans la déclaration:
[TRADUCTION] 7. Le sous-procureur général du Canada sou-
tient respectueusement que le défendeur, dans le calcul de son
revenu pour l'année d'imposition 1972, ne peut déduire la
somme de $495à titre de frais engagés pour des repas vu qu'il
n'était pas employé par une personne dont la principale entre-
prise était le transport de voyageurs, de marchandises, ou de
voyageurs et marchandises au sens de l'article 8(1)g) de la Loi
de l'impôt sur le revenu.
CONCLUSIONS
Donc, au nom de Sa Majesté, le sous-procureur général du
Canada demande:
iii) qu'il soit ordonné, en application du paragraphe 178(2)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148,
modifié par l'art. 1 du c. 63 des S.C. 1970-71-72, que soient
acquittés après taxation, tous les frais raisonnables et justi-
fiés du défendeur, afférents à l'appel.
A mon avis, il est évident, au vu du dossier que
le montant en litige était inférieur à $5,000. Le
revenu imposable litigieux y apparaît clairement; il
est de $495. Il faut présumer que l'impôt, le
montant de la cotisation en jeu, n'excédera pas ce
revenu imposable. De toute façon, lorsque la décla-
ration invoque le paragraphe 178(2), l'impôt en
jeu, le montant de la cotisation, ne saurait être
supérieur à $2,500. J'en conclus que la présente
4 Columbia Records of Canada Ltd. c. M.R.N., 1e' mai 1972,
n° du greffe: T-362-71.
action ne tombait pas dans la classe II; elle aurait
dû être classée dans la classe I.
Je n'entends pas donner suite immédiatement à
la conclusion à laquelle j'en arrive vu la façon dont
j'envisage de résoudre le principal point en litige.
Je serais surpris que les frais dont le paragraphe
178(2) requiert la taxation ne soient pas supérieurs
à ce que prévoit le tarif B dans le cas d'une action
de la classe II. Quant aux droits de greffe, l'exécu-
tion de ma décision aurait en pratique pour effet
de disperser le passif et l'actif entre divers organis-
mes de la Couronne au frais du public, frais qui
peut-être seraient supérieurs aux droits transpor
tés.
Considérons maintenant le quantum des frais
devant être adjugés en vertu du paragraphe
178(2). En accueillant l'appel de la demanderesse,
M. le juge Dubé déclara:
Cependant, le défendeur peut trouver un certain réconfort du
fait qu'en vertu du paragraphe 178(2), de la Loi, on doit lui
payer tous ses frais raisonnables et justifiés. Si les deux parties
ne peuvent s'entendre sur les dépens, il y aura la taxation.
Le taxateur a estimé qu'il n'était autorisé à taxer
les dépens, en fonction des tarifs A et B, qu'entre
les parties seulement. Le montant de son adjudica
tion, $775 pour une action de la classe II, n'est pas
en cause.
Le défendeur veut recouvrer ses frais d'avocats,
lesquels s'élèvent à $3,921.35, soit 6.60 heures, à
$80 l'heure, consacrées à l'affaire par un avocat
chevronné, 3.75 heures, à $75 l'heure, consacrées à
l'affaire par un autre associé et 77.80 heures, à
$40 l'heure, consacrées à l'affaire par un jeune
associé. Je note qu'il n'y avait pas d'avocat lors de
l'appel à la Commission de révision de l'impôt. Les
taux horaires sont à mon avis tout à fait raisonna-
bles et, naturellement, il n'a pas été allégué que le
temps compté n'avait pas été effectivement consa-
cré à l'affaire. Par ailleurs, compte tenu des points
litigieux indiqués dans les plaidoiries, ce nombre
d'heures donne l'impression de sortir de
l'ordinaire.
Il s'agit de savoir si le Parlement, en obligeant
cette cour, dans les cas prévus par le paragraphe
178(2), «ordonner que le Ministre paie tous les
frais raisonnables et justifiés du contribuable» vou-
lait qu'elle invoque une des classifications de frais
reconnues ou s'il entendait créer une nouvelle clas
sification. A l'heure actuelle, il existe deux classifi
cations de frais payables par l'une des parties à
l'autre: les dépens adjugés entre parties et les frais
sur une base procureur-client. Je ne vois pas l'inté-
rêt qu'il y aurait à perpétuer certaines subtilités
développées par d'autres juridictions en d'autre
temps qui, si significatives qu'elles aient pu être
alors en ces lieux, ne sont d'aucune utilité pour
nous en ce moment. Qu'il puisse y avoir un rapport
entre l'une ou l'autre de ces catégories et le
mémoire de frais qu'un avocat soumet à bon droit
à son client, c'est pure coïncidence car ce mémoire
peut fort bien englober des services demandés par
le client, qui effectivement lui ont été rendus, qui
sont inutiles dans la conduite de l'action et donc
qui ne sauraient en aucun cas être portés au
compte de la partie adverse quel que soit le juge-
ment rendu.
Si on exclut la jurisprudence spécifique au para-
graphe 178(2), que j'examine plus loin, je n'ai pu
trouver aucun précédent traitant de l'expression
«frais raisonnables et justifiés» telle quelle.
L'alinéa 22 de la troisième annexe du Coal Act,
1938 5 prévoit que, dans des circonstances précises,
la «Coal Commission» créée par la Loi [TRADUC-
TION] «doit payer les frais raisonnables engagés
par quiconque . ..». Or, dans l'affaire Williams c.
Sharpe 6 où il s'agissait d'identifier les titulaires
d'un droit de propriété sur un bien-fonds réquisi-
tionné par la Commission, la Cour d'appel, renver-
sant sur ce point plusieurs décisions antérieures du
même juge de première instance, a jugé que les
dépens de l'appel, [TRADUCTION] «les frais entre
parties», avaient été raisonnablement engagés et
devaient être acquittés par la Commission'. Les
motifs n'indiquent pas si le cas des frais taxables
sur une base procureur-client fut étudié ni ne
mentionnent la nature des frais adjugés par le juge
de première instance. La Cour d'appel rejeta l'ap-
pel et, parlant des frais, s'occupa uniquement de
savoir si, essentiellement, dans les circonstances, il
avait été raisonnable d'aller en appel.
5 1-2 Geo. VI, c. 52 (R.-U.).
6 [ 1949] 1 Ch. 595.
7 Lord Greene M.R., à la p. 612.
Bien que la décision du juge Jenkins portée en
appel dans l'affaire Williams c. Sharpe n'ait pas
été publiée, du moins je n'ai pu la découvrir, au
moins trois décisions antérieures du même juge,
interprétant la même disposition législative, l'ont
été. Dans les trois affaires il accorda les frais
[TRADUCTION] «taxés sur une base procureur-
client» 8 . Dans les circonstances, j'ai peine à admet-
tre que l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire
Williams c. Sharpe consacre la proposition suivant
laquelle l'expression [TRADUCTION] «frais raison-
nablement engagés» signifie [TRADUCTION] «les
frais taxés entre parties» 9 .
La Loi sur la faillite 10 , prévoit:
168. (2) En adjugeant les frais, la cour peut ordonner qu'ils
soient taxés et soldés entre les parties ou entre l'avocat et le
client, ou la cour peut fixer une somme à payer au lieu de
taxation ou de frais taxés; mais, à défaut d'indication expresse,
les frais découleront de l'issue de l'instance et seront taxés entre
les parties.
Ce paragraphe, adopté en 1949" était en vigueur
lorsque la Cour d'appel de l'Ontario adjugea [TRA-
DUCTION] «tous les frais et dépens légitimes» et
lorsqu'un greffier de faillite déclara:
[TRADUCTION] L'ordonnance n'enjoint pas de payer les frais
sur une base procureur-client lm.
Étant arrivé à cette conclusion le greffier aurait pu
décider qu'il n'avait pas le choix et, compte tenu
de la terminologie spécifique de l'article, qu'il
devait taxer les frais «entre parties». Il préféra
s'attarder à examiner plusieurs précédents concer-
nant principalement la compétence des tribunaux
en matière de frais et, sans se référer aux disposi
tions expresses de la Loi sur la faillite, il conclua
que:
[TRADUCTION] ... «les frais légitimes» en question se limitent à
tous égards aux frais entre parties et ils doivent être taxés en
conséquence.... 13
Cette espèce constitue un précédent discutable
pour justifier la proposition suivante:
[TRADUCTION] L'adjudication «de tous les frais et dépens
8 ln re Duke of Leeds [1947] I Ch. 525, la p. 558. In re
Lucas [1947] 1 Ch. 558, la p. 564. In re Blandy-Jenkins
[1948] I Ch. 322, la p. 338.
9 Voir Orkin, The Law of Costs (1968) la p. 10.
10 S.R.C. 1970, c. B-3.
11 S.C. 1949 (2e session), c. 7, art. 155.
12 Re Hancock, Ex parte Spraggett [1952] 4 D.L.R. 220, à
la p. 224.
13 lbid, à la p. 225.
légitimes» ne vise que les frais entre parties et non les frais taxés
sur une base procureur-client. ' 4
Sans doute, semblable adjudication n'est-elle pas
une «indication expresse», au sens du paragraphe
168(2) de la Loi sur la faillite, ordonnant que les
frais soient taxés et payés «entre l'avocat et le
client» mais ce n'est absolument pas non plus une
indication expresse, étrangère à l'économie de
cette loi, pour qu'ils soient taxés et soldés «entre les
parties».
Le paragraphe 36(2) de la Loi sur
l'expropriation 15 , prévoit que, dans les cas expres-
sément énumérés:
... le tribunal doit ordonner que la totalité des frais des
procédures et des frais accessoires encourus par cette partie, y
compris les frais extrajudiciaires que le tribunal détermine, soit
payée à cette partie par la Couronne.
S'appuyant sur cette disposition et puisque le Par-
lement employa l'expression «frais extrajudiciaires»
dans la Loi sur l'expropriation qui fut adoptée au
cours de la deuxième session de la 28 16 m° législa-
ture, le demandeur soutient qu'il faut présumer
que le Parlement, ayant en tête cette expression,
devait avoir une intention différente lorsqu'il parle
de «tous les frais raisonnables et justifiés» au para-
graphe 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu
qu'il adopta à la session suivante 16 .
En fait plusieurs textes de la législation en
vigueur bien avant que le Parlement n'adopte le
paragraphe 36(2), prévoyaient déjà pour des cas
semblables le paiement «de tous les frais» de l'ex-
proprié, expression que les tribunaux ont interprété
comme signifiant les frais taxés sur une base pro-
cureur-client. De même lorsque dans des espèces
semblables les tribunaux ont eu discrétion en
matière d'adjudication de frais, lorsque aucune
disposition législative impérative ne les liaient, ils
en sont arrivés au même résultat. De même aussi
le Parlement, lorsqu'il adopta le paragraphe 21(3)
'^ Orkin, op. cit. à la p. 9.
'5 S.R.C. 1970 (lef Supp.), c. 16.
16 S'il s'avérait nécessaire d'expliquer cette différence de
rédaction, je serais tenté de considérer comme significatifs les
faits suivants: c'est au comité permanent de la justice et des
questions juridiques de la Chambre des communes que fut
confié l'examen systématique de la Loi sur l'expropriation
alors que c'est un comité plénier de la Chambre qui a examiné
le projet de révision de la Loi de l'impôt sur le revenu. Sans
doute les membres du comité permanent devaient être plus
familiers avec le langage juridique que ceux du comité plénier.
de la Loi sur les syndicats ouvriers'', ne fit que
sanctionner une jurisprudence constante établie
depuis longtemps à savoir que dans le cas d'une
action engagée en vertu de l'article 21, lorsque
nécessaire, par les syndics dans l'exercice de leurs
fonctions, on devait leur adjuger leurs frais en
fonction de l'échelle procureur-client.
Mon collègue le juge Walsh a eu l'occasion
d'approfondir la question dans l'affaire La Reine c.
Lavigueur 18 . En l'espèce, le montant de l'impôt en
litige n'était que de $222.19 mais il appert que les
implications fiscales futures étaient, somme toute,
considérables. Dans ses motifs, en examinant la
question des frais, le juge Walsh a résumé les
arguments du défendeur en matière d'interpréta-
tion du paragraphe 178(2), notamment que: «tous
les frais raisonnables et justifiés ... englobent
aussi les frais entre procureur et client ... en plus
des frais judiciaires taxables». Il a conclu en
disant: «je suis aussi de cet avis». Il ajouta cepen-
dant la réserve suivante:
Toutefois, compte tenu de la difficulté de la question, ces frais
raisonnables et justifiés seront supérieurs aux simples frais
taxables accordés pour les actions de classe I dont cette action
relève; ils doivent néanmoins rester dans des limites raisonna-
bles et ne pas dépasser les frais justifiés entre procureur et
client que le défendeur pourrait raisonnablement s'attendre à
payer lui-même, si ce n'était de l'application de l'article 178(2),
dans une action où le montant en cause ne dépasse pas $2,500.
Si les parties ne peuvent se mettre d'accord sur le montant des
dépens à taxer en vertu de la Règle 349 compte tenu de ce
raisonnement, ils peuvent en appeler à la Cour. ' 9
Un examen du dossier de cette affaire nous révèle
que les parties se sont effectivement mises d'accord
et qu'il n'y a pas eu taxation des frais.
Dans La Reine c. Pascoe 20 , le protonotaire Pres-
ton a motivé la taxation du mémoire de frais dans
une action à laquelle le paragraphe 178(2) s'appli-
quait certainement en première instance. 21 En
Cour d'appel fédérale, la Couronne eut gain de
cause en partie 22 ; la cotisation initiale, d'abord
annulée par la Commission de révision de l'impôt,
puis rétablie partiellement par le juge de première
instance, fut rétablie dans son intégralité par la
' 7 S.R.C. 1970, c. T- I 1.
18 73 DTC 5538.
19 tbid, à la p. 5546.
20 [ I976] 2 C.F. 277.
21 75 DTC 5024.
22 [1 976] 1 C.F. 372.
Cour d'appel. Le juge de première instance adju-
gea les frais prévus par le paragraphe 178(2),
lesquels, d'après les motifs du protonotaire, avaient
«déjà été payés» lorsqu'il lui fut demandé de taxer
les frais que la Cour d'appel avait adjugés en ces
termes:
[TRADUCTION] Le défendeur a droit, après taxation, à tous ces
frais raisonnables et justifiés engagés tant en Division de pre-
mière instance que devant cette cour.
Il est peu probable en l'espèce que la Cour d'appel,
en employant l'expression «frais raisonnables et
justifiés», ait voulu leur donner un sens différent de
celui du paragraphe 178(2). Notons cependant
qu'en adjugeant les frais la Cour d'appel ne fit
aucune référence à ce paragraphe, lequel ne s'ap-
plique que dans le cas d'un appel «d'une décision
de la Commission de révision de l'impôt». A ma
connaissance, il n'existe pas de procédure permet-
tant d'interjeter «appel» d'une décision de la Com
mission, par opposition à une demande fondée sur
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale 23 , direc-
tement à la Cour d'appel fédérale. Il est certain
que dans l'affaire Pascoe l'appel provenait de la
Division de première instance. En adjugeant les
frais comme elle l'a fait, la Cour d'appel exerçait
sa discrétion; elle n'obéissait pas en cela aux impé-
ratifs du paragraphe 178(2).
Si le protonotaire, lorsqu'il dit à la page 278:
... je ne crois pas qu'il convienne d'interpréter l'expression
"tous les frais raisonnables et justifiés. de façon à comprendre
tous les dépens recouvrables à proprement parler en vertu d'une
taxation entre avocat et client.
pensait alors au compte qu'un avocat peut à bon
droit taxer et soumettre à son client, je suis d'ac-
cord avec lui. Toutefois s'il pensait aux frais d'avo-
cat taxables et recouvrables de la partie adverse,
alors, non seulement je ne suis plus d'accord avec
lui mais j'estime, ce qui est plus grave, qu'il se
trouve malheureusement en désaccord avec le juge
Walsh. Je pense cependant que nous sommes tous
sur la même longueur d'onde vu sa description des
faits et vu qu'il parle d'un «mémoire complet de
frais entre avocat et client» dans ses motifs.
Il n'y a pas de doute dans mon esprit. Le
Parlement en adoptant le paragraphe 178(2),
poursuivait un but unique. Il ne s'agissait pas
d'altruisme. Il voulait, comme partie intégrante de
23 S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10.
la réforme fiscale, permettre au contribuable de
faire réviser sa cotisation aisément et à un moindre
coût par la Commission de révision de l'impôt. Il
désirait que la Couronne puisse obtenir un juge-
ment de cette cour dans des affaires où d'impor-
tantes questions de principe sont en jeu mais où, vu
le faible montant de l'impôt en litige, le contribua-
ble se serait probablement désisté malgré l'impor-
tance des principes en jeu, plutôt que d'engager les
dépenses qu'impliquerait le fait de se porter défen-
deur devant la présente cour, même en obtenant
gain de cause éventuellement, si les règles tradi-
tionnelles d'adjudication des dépens entre les par
ties n'étaient pas modifiées.
L'espèce qui nous occupe est un exemple parfait
de l'intention du Parlement. Le revenu imposable
en cause n'est que de $495. Le total de l'impôt en
cause, fédéral et provincial, ne dépasse pas $160.
L'impôt que le défendeur aurait pu épargner dans
les années à venir, par suite de la décision favora
ble de la Commission de révision de l'impôt, ne
s'élèverait guère à plus de $4,000, si on prenait
comme unité le dollar de 1972. Mais la décision de
la Commission de révision de l'impôt ne s'appli-
quait pas seulement au défendeur; elle constituait
un précédent pour les dizaines voire les centaines
de camionneurs qu'emploie Imperial Oil Limited
et pour les milliers voire les dizaines de milliers de
salariés chargés de la livraison des marchandises
de leur employeur. Le principe était important,
non en fonction du revenu imposable du défendeur
pour l'année 1972, ni même pour son revenu des
années à venir, mais plutôt en fonction de l'appli-
cation générale de cette loi. Si le défendeur n'avait
pas contesté l'action, il n'aurait eu qu'à payer
l'impôt en cause mais la décision de la Commission
de révision de l'impôt aurait constitué un précé-
dent applicable à des centaines voire à des milliers
de camionneurs placés dans une situation sembla-
ble au moment de faire leur déclaration d'impôt.
En adoptant le paragraphe 178(2), lorsqu'il
employa l'expression «tous les frais raisonnables et
justifiés», le Parlement n'avait pas l'intention
d'établir une nouvelle classification des frais, ni
d'utiliser un synonyme pour dépens entre parties.
C'est la Couronne, non le contribuable, qui jouit
de la prérogative d'intenter une action lorsqu'elle
le juge nécessaire, malgré que les sommes litigieu-
ses soient minimes, vu l'importance du principe en
cause. Elle n'engage pas l'action simplement parce
qu'elle veut obtenir l'argent, en l'espèce, $160, si
c'était le cas, elle ne poursuivrait sans doute pas.
Elle l'intente parce qu'elle veut faire modifier ou
renverser la décision de la Commission de révision
de l'impôt. Le Parlement a voulu que dans ce cas
le contribuable puisse se défendre et recevoir toute
l'aide juridique nécessaire, sans que les frais en
jeu, dans la mesure où ils sont raisonnables et
justifiés, ne soient un obstacle.
Mais si, pour des raisons financières, on ne doit
pas empêcher un contribuable de présenter une
défense, ou ne lui donne pas par ailleurs, pas plus
qu'à ses conseillers juridiques, carte blanche pour
piller les fonds publics. L'avocat qui requiert de
son client des honoraires raisonnables compte tenu
du temps passé sur l'affaire peut s'attendre à ce
que des fonds soient fournis à son client pour le
payer ou à ce que ce dernier, les ayant acquittés,
puisse se faire rembourser. Si les honoraires sont
exorbitants, ils peuvent tous deux se trouver dans
une situation délicate compte tenu des accords
qu'ils ont conclus et de la capacité de payer du
client.
Comme je l'ai déjà dit, j'estime que le tarif
horaire utilisé est raisonnable mais le nombre
d'heures consacrées à l'affaire me paraît démesuré.
Après examen des renseignements disponibles, j'ai
une certaine somme à l'esprit que je serais prêt à
accorder à titre de frais raisonnables et justifiés en
lieu et place d'une taxation ultérieure. Le défen-
deur devrait aussi pouvoir faire taxer le mémoire
de frais sur une base procureur-client. S'il choisit
de le faire, le taxateur devra examiner certains
aspects négligés par la taxation entre parties; le
défendeur pourra alors tenter de le convaincre que,
compte tenu de l'importance et de la complexité du
litige et nonobstant les sommes minimes en jeu, le
nombre d'heures, 90, consacrées par ses avocats à
préparer une défense adéquate n'est pas exagéré.
Le mémoire de frais sera transmis au taxateur
pour taxation des frais sur une base procureur-
client. Si le défendeur désire renoncer à toute
autre taxation, et que la demanderesse y consente,
il peut présenter une requête en vertu des Règles
324 et 344(7); je statuerai alors sur les frais.
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