A-303-74
Cellcor Corporation of Canada Limited, Plasti-
starch Corporation Limited et John F. Hughes
(Appelants) (Défendeurs)
c.
Jean Emile Kotacka (Intimé) (Demandeur)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, le 28 septembre et le
15 octobre 1976.
Compétence—Brevets—Action visant à obtenir un jugement
déclarant que le demandeur est l'inventeur et non les défen-
deurs—Il est allégué que le défendeur essaie frauduleusement
de faire breveter l'invention La Division de première instance
a rejeté la requête demandant le rejet de l'action pour défaut
de compétence—Appel—La Division de première instance a-
t-elle la compétence nécessaire pour rendre le jugement décla-
ratoire recherché? Acte de l'Amérique du Nord britannique,
art. 91(22)—Loi sur la Cour fédérale, art. 20.
Les appelants (défendeurs) ont interjeté appel du jugement
de la Division de première instance rejetant leur requête visant
à obtenir le rejet de l'action au motif que la Cour n'avait pas
compétence en la matière. Dans la déclaration, il est allégué
que l'intimé (demandeur) a révélé son invention au défendeur
Hughes sous le sceau de la confidence; ce dernier a prétendu
faussement être l'inventeur et il a déposé aux États-Unis une
demande de lettres patentes, demande qu'il a cédée à sa
codéfenderesse, Cellcor Corporation. Ils ont alors déposé au
Canada une demande de lettres patentes et ils sont entrés en
négociations avec des tiers à qui ils ont offert d'accorder des
licences relativement à l'invention. Dans son action, le deman-
deur a sollicité (1) un jugement déclarant que le demandeur est
l'inventeur, (2) un jugement déclaratoire portant que les défen-
deurs gardent l'invention en fidéicommis pour le demandeur,
(3) une ordonnance intimant au commissaire des brevets de
modifier le dossier de façon à désigner le demandeur comme
étant l'inventeur et (4) une injonction interdisant aux défen-
deurs d'accorder des licences relativement à l'invention. La
Division de première instance a décidé que l'article 20 de la Loi
sur la Cour fédérale lui donnait compétence en la matière. Vu
les problèmes constitutionnels que soulève l'interprétation large
donnée à l'article 20 par le juge de première instance, le
procureur général du Canada et ceux du Québec et de la
Colombie-Britannique sont intervenus dans l'appel au motif que
l'article 20 ne soulève aucun problème constitutionnel mais que,
en revanche, il ne donne pas à la Division de première instance
compétence en cette affaire. Les appelants ont soutenu que le
pouvoir législatif accordé en vertu de l'article 91(22) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique est limité à la législation
portant sur «les brevets d'invention et de découverte et par
conséquent, la compétence de la Division de première instance
en vertu de l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale est
assujettie à la même limite. Les questions soulevées par la
déclaration ne se rapportent pas aux brevets d'invention mais
seulement à la propriété d'une invention pour laquelle aucun
brevet n'a encore été obtenu ou même demandé et, pour cette
raison, la Division de première instance n'a pas compétence en
cette affaire.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'action est rejetée. Prenant pour
acquis que la déclaration recherchée soit un redressement
relatif à un brevet d'invention au sens de l'article 20 de la Loi
sur la Cour fédérale, dans les circonstances de cette affaire, ce
n'est pas un redressement que la Cour fédérale a le pouvoir
d'accorder car il n'est pas autorisé par la loi. Suivant la Loi sur
les brevets, c'est le commissaire des brevets qui doit d'abord
décider si un requérant a droit à un brevet. La Loi n'autorise
pas les tribunaux à lui donner des directives; c'est seulement si
on prétend qu'il a rendu une mauvaise décision que, suivant la
Loi, la question peut être soumise aux tribunaux. 11 serait
contraire à l'esprit de la Loi sur les brevets que les tribunaux
s'arrogent le pouvoir de prononcer un jugement déclaratoire
comme celui qu'on demande.
Arrêt appliqué: MacDonald c. Vapor Canada Ltd. (1976)
22 C.P.R. (2e) 1. Arrêts mentionnés: Kellogg Co. c. Kel-
logg [1941] R.C.S. 242 et Radio Corporation of America
c. Philco Corporation (Delaware) [1966] R.C.S. 296.
APPEL.
AVOCATS:
J. Nelson Landry pour les appelants.
R. Hughes pour l'intimé.
Jean Lefrancois pour le procureur général de
la province de Québec.
T. B. Smith, c.r., pour le procureur général du
Canada.
N. M. Tarnow pour le procureur général de la
Colombie-Britannique.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour les appelants.
Roger T. Hughes, a/s Donald F. Sim, c.r.,
pour l'intimé.
Geoffrion, Prud'homme, Chevrier, Cardinal,
Marchessault, Mercier & Greenstein pour le
procureur général du Québec.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Le sous-procureur général de la Colombie-
Britannique pour le procureur général de la
Colombie-Britannique.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Les appelants sont défendeurs
dans une action intentée devant la Division de
première instance. Ils appellent du jugement qui a
rejeté la requête qu'ils avaient présentée pour obte-
nir que l'action soit rejetée parce que la Cour n'a
pas juridiction en la matière.
Vu la récente décision de la Cour suprême du
Canada dans MacDonald c. Vapor Canada Ltd.',
les parties conviennent maintenant que, même si
l'appel devait autrement être rejeté, la Cour
devrait néanmoins y faire droit en partie et rayer
les paragraphes 17 et 18 de la déclaration qui
allèguent que les défendeurs ont enfreint l'article
7(e) de la Loi sur les marques de commerce.
La Division de première instance a décidé que
l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale lui
donnait juridiction en la matière. Vu les problèmes
constitutionnels que soulève l'interprétation large
donnée à l'article 20 par le juge de première
instance, le procureur général du Canada, celui du
Québec et celui de la Colombie-Britannique sont
intervenus dans l'appel. Les intervenants n'ont pas
essayé de soutenir le jugement de première ins
tance. Ils ont tous appuyé la prétention des appe-
lants que l'article 20, correctement interprété, ne
soulève aucun problème constitutionnel mais que,
en revanche, il ne donne pas à la Division de
première instance juridiction en cette affaire.
La déclaration peut être facilement résumée. En
décembre 1973, le demandeur (intimé devant cette
Cour) a fait une invention dont le défendeur,
Hughes, a reçu communication peu après sous le
sceau de la confidence. Malgré que cette invention
appartenait clairement au demandeur, Hughes
s'est faussement représenté comme l'inventeur et a
fait en sorte qu'une demande de brevet soit faite
aux États-Unis, demande qu'il a cédée à sa codé-
fenderesse, Cellcor Corporation of Canada Limit
ed. Les défendeurs [TRADUCTION] «ont préparé et
déposé, ou subsidiairement ont l'intention de pré-
parer et de déposer au Canada une ou des deman-
des de brevet conformes à la demande faite aux
États-Unis ...». De plus, Hughes, agissant aussi
bien pour son propre compte que pour le compte
des deux codéfendeurs, est entré en négociations
avec des tiers à qui il a offert d'accorder des
licences relativement à l'invention. Les conclusions
de la déclaration se lisent comme suit:
LE DEMANDEUR SOLLICITE PAR CONSÉQUENT:
[TRADUCTION] a) un jugement déclaratoire portant qu'en-
tre les parties, le demandeur est l'auteur de l'objet des
' (1976) 22 C.P.R. (2e) 1.
inventions relatives à un procédé et un appareil destinés à
fabriquer un nouveau produit utile dans la formulation de la
peinture et dans d'autres applications; le jugement doit porter
en particulier que le demandeur est l'inventeur de l'objet de
la demande de brevet américain n° 439,715 déposée par le
défendeur Hughes ou en son nom, et qu'il est la personne
fondée à demander et à obtenir au Canada des lettres
patentes relativement à l'invention en question;
b) un jugement déclaratoire portant que les défendeurs et
chacun d'entre eux gardent en fidéicommis pour le deman-
deur l'invention que décrit la demande de brevet américain
portant le n° de série 439,715 et dans toute demande simi-
laire faite à l'étranger relativement au même objet que celui
de la demande faite aux États-Unis;
c) une ordonnance intimant au commissaire des brevets de
modifier le dossier de toute demande faite au Canada, dépo-
sée par les défendeurs ou en leur nom ou par l'un des
défendeurs ou en son nom, conforme à la demande de brevet
américain n° 439,715 ou se rapportant à l'objet de l'invention
du demandeur, la modification susmentionnée consistant à
désigner le demandeur comme étant l'inventeur et le
déposant;
d) une injonction et une injonction provisoire interdisant aux
défendeurs et à chacun d'eux, par l'intermédiaire de leurs
préposés, dirigeants ou autrement, d'accorder une licence, de
céder ou de faire le commerce d'autre façon de l'objet de
l'invention du demandeur ou de prétendre accorder une
licence, céder ou autrement faire le commerce de l'objet de
l'invention du demandeur, décrit dans la demande de brevet
américain n° 439,715, ou dans les demandes conformes ou
équivalentes à celle-ci faites aux États-Unis ou dans tout
autre pays, ou de tout brevet délivré ou devant être délivré
par suite de ces demandes;
e) tout autre redressement que cette honorable cour peut
juger équitable; et
f) les dépens.
La requête des appelants, demandant le rejet de
l'action pour défaut de juridiction, a été rejetée 2
pour des motifs que le premier juge a exprimés
comme suit:
[TRADUCTION] a) Certains redressements que le deman-
deur réclame dans la déclaration modifiée sont à toutes fins
pratiques identiques à certains redressements recherchés en
Cour suprême dans l'affaire Kellogg c. Kellogg ([1941]
R.C.S. 242). Dans cette affaire, on a statué (p. 250) que
cette cour avait compétence en vertu de ce qui est maintenant
l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale et particulièrement
de la partie qui accorde compétence entre sujets dans les cas
où «l'on cherche à obtenir un redressement» «relativement à
un brevet d'invention» «en vertu d'une loi du Parlement du
Canada, ou de toute autre règle de droit,. En l'espèce, tout
comme dans cette affaire, l'invention ou le droit au brevet
d'invention constitue principalement l'objet de la réclamation
du demandeur et le redressement recherché se rapporte
clairement «à un brevet d'invention» et est donc visé par
2 [Les motifs écrits du jugement n'ont pas été distribués—
Éd.]
l'article 20. Le juge Cameron a suivi l'arrêt Kellogg dans la
décision qu'il a rendue dans l'affaire Booth c. Sokulsky (vol.
18 du Canadian Patent Reporter, p. 86).
L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale se lit
comme suit:
20. La Division de première instance a compétence exclusive
en première instance, tant entre sujets qu'autrement,
a) dans tous les cas où des demandes de brevet d'invention
ou d'enregistrement d'un droit d'auteur, d'une marque de
commerce ou d'un dessin industriel sont incompatibles, et
b) dans tous les cas où l'on cherche à faire invalider ou
annuler un brevet d'invention ou insérer, rayer, modifier ou
rectifier une inscription dans un registre des droits d'auteur,
des marques de commerce ou des dessins industriels,
et elle a compétence concurrente dans tous les autres cas où l'on
cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à
un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de com
merce ou un dessin industriel.
L'avocat des appelants a soutenu que, comme le
pouvoir législatif du fédéral en vertu de l'article
91(22) de L'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que est limité à la législation portant sur «les
brevets d'invention et de découverte» et ne s'étend
pas à la législation relative aux inventions elles-
mêmes, de la même façon, la juridiction de la
Division de première instance en vertu de l'article
20 de la Loi sur la Cour fédérale est assujettie à la
même limite. Il a prétendu que les questions soule-
vées par la déclaration ne se rapportent pas aux
brevets d'invention mais seulement à la propriété
d'une invention pour laquelle aucun brevet n'a
encore été obtenu ou même demandé; pour cette
raison, selon lui, la Division de première instance
n'a pas juridiction en cette affaire. L'avocat des
appelants a aussi soutenu que la Cour fédérale n'a
juridiction en matière de brevet d'invention que
dans la mesure où la législation fédérale accorde
au demandeur le droit de demander un redresse-
ment. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale,
a-t-il dit, traite seulement de juridiction, il ne crée
aucun droit de demander un redressement quel-
conque. Il s'ensuit donc que la Cour ne pourrait
exercer sa compétence en vertu de l'article 20 à
moins que le demandeur n'ait droit à un redresse-
ment en vertu d'une autre disposition législative.
L'avocat des appelants a prétendu que, en cette
affaire, on ne pouvait trouver aucun fondement
légal à la demande de redressement faite par le
demandeur.
L'avocat de l'intimé a d'abord prétendu que, en
vertu de l'article 54 de la Loi sur les brevets, partie
du redressement demandé était autorisée. Il est
suffisant, pour disposer de cette prétention, de dire
qu'une simple lecture de l'article 54 en démontre
la frivolité.
Le principal argument de l'intimé fut que l'arti-
cle 20 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la
Cour juridiction en cette affaire. Le principal
redressement demandé, 3 a-t-il dit, est une déclara-
tion que le demandeur, étant le propriétaire de
l'invention, est la personne autorisée par la Loi sur
les brevets à faire une demande de brevet. Ce
redressement, a-t-il ajouté, est clairement un
redressement «relativement à un brevet d'inven-
tion» au sens de l'article 20 et c'est également un
redressement autorisé par la loi puisque la Cour a
le pouvoir de prononcer des jugements déclaratoi-
res (voir Règle 1723).
A mon avis, la prétention de l'intimé n'est pas
fondée. Prenant pour acquis que la déclaration
recherchée par les défendeurs soit un redressement
relatif à un brevet d'invention au sens de l'article
20, je suis néanmoins d'opinion que, dans les cir-
constances de cette affaire, ce n'est pas un redres-
sement que la Cour fédérale a le pouvoir d'accor-
der, car, à mon avis, les appelants ont eu raison de
soutenir que l'octroi de ce redressement n'est pas
autorisé par la loi. Suivant la Loi sur les brevets,
c'est le commissaire qui doit d'abord décider si un
requérant a droit à un brevet. La loi n'autorise pas
les tribunaux à lui donner des directives sur la
décision qu'il doit prendre; c'est seulement si on
prétend qu'il a rendu une mauvaise décision que,
suivant la loi, la question peut être soumise aux
tribunaux. A mon avis, il serait contraire à l'esprit
de la Loi sur les brevets que les tribunaux s'arro-
gent le pouvoir, dans un cas comme celui-ci, de
prononcer un jugement déclaratoire comme celui
qu'on demande. Je pense que le pouvoir de la Cour
de prononcer des jugements déclaratoires en vertu
de la Règle 1723 ne peut pas être exercé en
matière de brevet d'invention quand cet exercice
n'est pas autorisé au moins implicitement par la
Loi sur les brevets ou une autre loi validement
adoptée par le Parlement.
Quant aux autres redressements, on n'a pas prétendu qu'ils
puissent être autorisés par une autre disposition que l'article 54
de la Loi sur les brevets.
Je n'ignore pas qu'il est difficile de concilier
cette conclusion avec les affirmations faites par M.
le juge Rinfret (avant qu'il ne devienne juge en
chef) à la page 250 des motifs de la décision dans
Kellogg Company c. Kellogg [1941] R.C.S. 242.
Cependant, j'éprouve la même difficulté à concilier
les propos du juge Rinfret avec la décision subsé-
quente de la Cour suprême dans Radio Corpora
tion of America c. Philco Corporation (Delaware)
[1966] R.C.S. 296.
Pour ces motifs, je ferais droit à l'appel avec
dépens et rejetterais l'action avec dépens.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.