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T-3768-72
John A. Emms (Demandeur) c.
La Reine, représentée par le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et la Com mission de la Fonction publique (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, les 8 et 9 décembre 1975; le 7 janvier 1976.
Couronne Fonction publique—Le demandeur a été renvoyé après prolongation de son stage—Le demandeur était-il sta- giaire?—Le renvoi est-il valide? La Loi ou les retards font- ils obstacle au droit d'action?—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 27, 28 et 31 et Règlement, art. 30—Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 7(1)f)—Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique, art. 106—Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 90 The Public Officers' Protection Act, S.R.S. 1965, c. 21, art. 2.
Le demandeur, inspecteur au ministère des Affaires indien- nes et du Nord canadien a été informé verbalement que sa période de stage d'un an serait prolongée de six mois; il a été renvoyé pour un motif déterminé pendant cette période. Il demande un jugement déclaratoire portant que son employeur n'avait pas le droit de le renvoyer en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, un jugement déclaratoire prononçant le renvoi nul et sans effet et affirmant qu'il demeure un employé, et des dommages-intérêts.
Arrêt: la demande est accueillie, l'article 30(3) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique prévoit que lorsque la période de stage est prolongée «de sous-chef doit immédiatement en aviser par écrit l'employé». La disposition est impérative et bien que le demandeur ait pu savoir que son stage avait été prolongé, le Règlement prévoit un avis clair et sans ambiguïté, adressé expressément au demandeur. On ne l'a pas envoyé et la prétendue prolongation est nulle. Prévoyant cette conclusion, les défenderesses prétendent que l'action du demandeur est prescrite en vertu de The Public Officers' Protection Act (Sask.) qui prévoit qu'une action doit être introduite dans les douze mois. Cependant une loi de prescription ne constitue pas une fin de non-recevoir contre l'obligation, mais plutôt une prescription du droit d'action, et doit être mentionnée expressé- ment dans la plaidoirie. Les défendeurs ne l'ont pas fait. Conformément à la Règle 409, il faut plaider spécifiquement une question spéciale en défense. On ne peut invoquer ce moyen de défense ni le retard immotivé du demandeur, car la Cou- ronne n'a pas subi un préjudice attribuable au retard du demandeur à se prévaloir du recours approprié et elle n'a pas été induite à s'engager irrémédiablement sur une voie désavan- tageuse du fait que le demandeur semblait avoir accepté son renvoi. Ce dernier• te peut renoncer à son droit sans en avoir pleine connaissance et .son ignorance, c'est-à-dire le fait qu'il ne savait pas que la prolongation pouvait être sans effet, justifie son retard à intenter l'action: pour faire valoir ce droit. La situation des parties n'a pas été modifiée par son retard. :•
Arrêts appliqués: Lindsay Petroleum Company c. Hurd (1873-74) 5 L.R.P.C. 221; Erlanger c. New Sombrero Phosphate Company (1877-78) App. Cas. 1218 et Rees c. De Bernardy [1896] 2 Ch. D. 437.
ACTION. AVOCATS:
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour le
demandeur.
I. G. Whitehall pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Dans les conclusions de sa déclaration, le demandeur, employé à titre d'inspecteur au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (appelé désormais «le minis- tère») mais «renvoyé pendant son stage», demande notamment:
(1) un jugement déclaratoire portant que l'em- ployeur n'avait pas le droit de le renvoyer en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32;
(2) un jugement déclaratoire prononçant le renvoi nul et sans effet et affirmant qu'il demeure un employé du ministère; et
(3) des dommages-intérêts.
Candidat choisi pour un poste au sein du minis- tère, le demandeur entra en fonction le ler avril 1970, et commença un stage de 12 mois. Ce stage initial prit fin le 31 mars 1971.
Il est certain qu'au cours de cette période de stage, les supérieurs du demandeur au ministère étaient insatisfaits de son travail.
La façon dont le demandeur accomplissait son travail fit l'objet de commentaires dans un rapport d'évaluation en date du 25 mars 1971, lu et signé
par le demandeur, ainsi que dans la correspon- dance antérieure et postérieure à cette date et au cours d'entrevues avec le demandeur; finalement, C. E. McKee, le surveillant de district, a informé verbalement le demandeur que la période de stage serait prolongée de 6 mois. D'après mes calculs, ce stage prolongé allait du 1" avril 1971 au 30 sep- tembre 1971.
Par lettre en date du 18 août 1971, signée par C. E. McKee, surveillant de district, le demandeur recevait notamment l'avis suivant:
[TRADUCTION] Je dois donc vous aviser qu'à compter du 24 septembre 1971, vous êtes renvoyé du ministère des Affaires indiennes et du Nord.
En bref, le demandeur était renvoyé à compter du 24 septembre 1971.
Il convient maintenant de citer les dispositions législatives et réglementaires pertinentes. L'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que se lit comme suit:
28. (1) Un employé est considéré comme stagiaire depuis la date de sa nomination jusqu'au terme de la période que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés.
(2) Si la personne nommée fait déjà partie de la Fonction publique, le sous-chef peut, s'il le juge opportun, dans un cas quelconque, réduire le stage ou en dispenser l'employé.
(3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévènir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis que la Commission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. A moins que la Commission ne nomme l'employé à un autre poste dans la Fonction publique avant le terme du délai de préavis qui s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci cesse d'être un employé au terme de cette période.
(4) Lorsqu'un sous-chef prévient qu'il se propose de renvoyer un employé pour un motif déterminé, conformément au para- graphe (3), il doit fournir à la Commission les raisons de son intention.
(5) Nonobstant la présente loi, une personne qui cesse d'être un employé conformément au paragraphe (3)
a) doit, si elle a accédé à son poste alors qu'elle était déjà membre de la Fonction publique, et
b) peut, dans tout autre cas,
être inscrite par la Commission sur telle liste d'admissibilité et à tel rang sur cette liste qui, de l'avis de la Commission, correspondent à ses aptitudes.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 30 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique DORS/67-129 en date du 13 mars 1967, avec ses modifications, se lit comme suit:
30. (1) La période de stage mentionnée au paragraphe (1) de l'article 28 de la Loi pour un employé qui fait partie d'une classe ou d'un groupe mentionnés à la colonne I de l'Annexe A est la période indiquée en regard de cette classe ou de ce groupe dans la colonne II de ladite Annexe.
(2) Le sous-chef peut prolonger la période de stage d'un employé mais la période de prolongation ne doit pas dépasser la période déterminée pour cet employé en conformité du paragra- phe (1).
Les parties ont convenu que l'emploi du deman- deur comportait une période initiale de stage de 12 mois, du 1" avril 1970 au 31 mars 1971. Les parties ont aussi convenu que les pouvoirs conférés au sous-chef en vertu de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et des règle- ments d'application ont été légalement délégués à C. E. McKee, surveillant de district à Prince Albert (Saskatchewan).
Les deux parties admettent que si le demandeur n'était pas stagiaire lorsqu'il reçut l'avis en date du 18 août 1971 l'informant de son congédiement à compter du 24 septembre 1971, son renvoi est nul.
Aucun recours n'est ouvert à l'employé qui reçoit un avis du sous-chef lui faisant part de son intention de le renvoyer pour un motif déterminé à la fin de la période de stage, conformément à l'article 28(3) précité. L'employé peut être nommé à un autre poste dans la Fonction publique ou inscrit sur une liste d'admissibilité mais ce ne fut pas le cas pour le présent demandeur. En revanche, un employé qui a survécu à la période de stage et qui est devenu, faute de mots plus appropriés, un employé régulier peut se prévaloir de certains recours s'il est renvoyé.
En vertu de l'article 7(1)f) de la Loi sur l'admi- nistration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, le Con- seil du Trésor peut établir des normes de discipline dans la Fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la suspension et le congédiement, applicables en cas de manquement à la discipline ou d'inconduite. On retrouve ces dispositions dans le Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique édicté en vertu de la Loi sur l'administration financière. Le pou- voir conféré au Conseil du Trésor à cet égard est délégué au sous-chef en vertu de l'article 106 de ce Règlement.
On peut dire qu'il s'agit ici d'un congédiement pour inconduite. Dans ce cas, l'employé qui s'es- time lésé a le droit de présenter un grief en vertu de l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, et lorsque le grief a été examiné à tous les paliers et que la solution ne le satisfait pas, l'employé peut porter l'affaire jusqu'à l'arbitrage. En vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le sous-chef peut entamer la procédure de renvoi d'un employé pour incompétence ou incapacité. Le paragraphe (3) de l'article 31 pré- voit que l'employé peut faire appel d'une recom- mandation du sous-chef, devant un comité établi par la Commission de la Fonction publique qui fait alors une enquête.
Comme je l'ai déjà indiqué, ces recours ne sont pas accordés au stagiaire qui a été renvoyé pour un motif déterminé par le sous-chef pendant la période de stage conformément à l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Il nous faut donc déterminer avant tout si le demandeur était stagiaire. Dans l'affirmative, son renvoi pour un motif déterminé pendant son stage, est valide. Dans le cas contraire, comme je l'ai déjà dit, les deux parties ont admis que le renvoi est nul. Il est donc indispensable de déterminer si la période initiale de stage du demandeur, du 1" avril 1970 au 31 mars 1971, a été prolongée de six mois.
L'insatisfaction des supérieurs à l'égard du tra vail du demandeur est chose certaine. Il est tout aussi manifeste que les supérieurs du demandeur ont tenté de résoudre le problème en prolongeant le stage du demandeur de six mois. Cela ressort clairement de l'appréciation en date du 25 mars 1971 (pièce P-3), immédiatement antérieure à la fin du stage initial de 12 mois. Le demandeur a lu cette appréciation, ce dont fait foi sa signature apposée le 26 mars 1971. Cette appréciation pré- parée et signée par C. E. McKee, recommandait [TRADUCTION] «une prolongation de six mois du stage du demandeur pour lui permettre de résou- dre son problème de communication. Il serait en outre souhaitable d'étudier la possibilité d'une
mutation de M. Emms (le demandeur) et la possi- bilité de le faire travailler dans le domaine du développement».
Il faut souligner que cette appréciation a été préparée aux fins de l'administration interne du ministère, qu'elle s'intitule «appréciation annuelle» et non «appréciation de stage» et que la prolonga tion du stage est une recommandation de C. E. McKee à l'intention de son supérieur qui prit note de ces recommandations.
Le demandeur a rencontré McKee et Clark, le supérieur de McKee, à Regina le 26 mars 1971, pour discuter des difficultés. Le demandeur affirme être sorti de la réunion avec l'impression que les problèmes étaient réglés. Il n'a pu décrire exactement ou fidèlement la façon dont ses problè- mes ont été résolus mais, dans son témoignage, il s'est efforcé de nous expliquer qu'il avait l'impres- sion qu'on avait abandonné l'idée d'une prolonga tion de six mois de la période de stage pendant laquelle il devait démontrer à ses supérieurs son aptitude à s'acquitter de ses fonctions de façon satisfaisante. Je doute sérieusement que son impression ait été justifiée.
Par lettre datée du 8 juillet 1971 (pièce P-4), c'est-à-dire après la période initiale de stage mais au cours de la prolongation de six mois, C. E. McKee évoquait de nouveau la façon dont le demandeur accomplissait son travail ainsi que les sujets abordés à la réunion du 26 mars 1971 et concluait:
[TRADUCTION] Étant donné les circonstances, je me propose de recommander au directeur régional votre renvoi pendant le stage; avant de ce faire je vous pris cependant de me communi- quer vos explications quant aux difficultés rencontrées et à votre incapacité à accomplir votre travail de façon satisfaisante.
Dans sa réponse datée du 19 juillet 1971 (pièce P-5), le demandeur expliquait ses difficultés et à la fin de la lettre, il demandait qu'on lui indique la marche à suivre pour déterminer, par l'intermé- diaire du syndicat du personnel, quelle partie de son service au sein du gouvernement fédéral ouvre droit à pension. Dans cette lettre, le demandeur (qui tient à souligner son aptitude exceptionnelle à communiquer avec les Indiens) accepte de façon tacite son renvoi inévitable et ne conteste pas non plus l'affirmation de McKee dans la lettre datée du 8 juillet selon laquelle le demandeur était «sta- giaire» à ce moment-là.
Au paragraphe 3 de sa déclaration, le deman- deur allègue que:
[TRADUCTION] 3. Le 31 mars 1971 ou vers cette date, l'em- ployeur a avisé verbalement le demandeur que le stage men- tionné au paragraphe 2 était prolongé de six mois.
(Le stage mentionné au paragraphe 2 va du ler avril 1970 au 31 mars 1971.) Dans son témoi- gnage, le demandeur a contredit cette allégation de sa déclaration.
Étant donné l'opinion que je me suis faite, il ne m'est pas nécessaire de conclure que le demandeur a été avisé verbalement de la prolongation de son stage de six mois, du 31 mars 1971 au 30 septem- bre 1971; si je devais le faire, je déciderais que compte tenu des diverses communications orales et écrites, le demandeur le savait ou aurait le savoir.
L'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique précise qu'«à tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévenir l'em- ployé qu'il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un motif déterminé ...». L'emploi du mot «peut» dans ce contexte implique que le sous-chef dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire. Il peut renvoyer ou ne pas renvoyer un stagiaire.
L'article 15 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, prévoit que lorsqu'une loi confère le pouvoir d'édicter des règlements, les termes employés dans ces règlements d'application auront la même signification que dans ladite loi. Aux fins d'interprétation, de définition des devoirs ou autres, les règlements s'ils sont édictés conformé- ment à la loi, doivent être considérés comme fai- sant partie de la loi elle-même. (Voir Institute of Patent Agents c. Lockwood [1894] A.C. 347).
Les parties admettent que le Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique a été édicté conformément au pouvoir conféré par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Le paragraphe (2) de l'article 30 du Règlement (précité) prévoit que le sous-chef «peut» prolonger le stage d'un employé; toutefois cette prolongation ne «doit» pas dépasser 12 mois. Encore une fois, comme à l'article 28(3) de la Loi, l'emploi du mot «peut» implique un pouvoir discrétionnaire, alors
que l'emploi du mot «doit» à l'article 30(2) du Règlement est impératif dans la mesure il impose certaines limites à ne pas dépasser.
Le paragraphe (3) de l'article 30 du Règlement, (le paragraphe clé en l'espèce), prévoit que «lors- que la période de stage d'un employé est prolon- gée, le sous-chef doit immédiatement en aviser par écrit l'employé et la Commission». Cet article indi- que donc ce qui «doit» être fait. Le sous-chef doit «immédiatement» aviser par écrit l'employé que la période de stage est prolongée. L'énoncé est nette- ment impératif, ce qui est normal puisqu'il est fort probable que soient en jeu la source de revenu et le travail de l'employé. On peut le renvoyer pour un motif déterminé, pendant la période de stage et ce renvoi est définitif, sans les voies de recours dont dispose un employé régulier congédié pour incon- duite, incompétence ou incapacité (cette dernière semble avoir été la cause du congédiement du demandeur).
De prime abord, le libellé du paragraphe (3) de l'article 30 du Règlement, est manifestement impératif et, lorsqu'on interprète une loi ou un règlement de cette nature, les dispositions qui à priori semblent impératives ne peuvent, à moins de raisons convaincantes être considérées comme seu- lement facultatives. A mon avis, l'article en cause ne se prête pas à une telle interprétation. Je con- clus donc au caractère impératif du paragraphe (3) de l'article 30 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique. Cela étant, toute mesure prise en vertu de cet article et qui ne respecte pas en tous points ses dispositions expresses, est donc nulle.
En résumé, la Couronne prétend que le deman- deur était stagiaire au moment de son renvoi par avis en date du 18 août 1971, et qu'il a donc été renvoyé légalement.
Il me semble certain que les supérieurs du demandeur étaient insatisfaits de la façon dont le demandeur s'acquittait de ses fonctions pendant sa période de stage initiale de 12 mois et envisa- geaient sérieusement de le renvoyer. Évidemment, le demandeur s'est défendu et a tenté de dissiper
les doutes qu'avaient ses supérieurs sur ses capaci- tés et sa compétence. Il est également certain que la meilleure solution à ces difficultés étaient de prolonger la période de stage de six mois.
Une recommandation à cet effet avait été faite dans l'appréciation du demandeur, en date du 25 mars 1971. Cette appréciation, que le demandeur a signée le 26 mars 1971 a fait l'objet de discussions entre le demandeur et ses supérieurs. Le deman- deur semble avoir eu l'impression que les discus sions avaient aplani toutes les difficultés (ce qui malheureusement n'était pas le cas), sans disposer cependant de motifs sérieux à l'appui de sa conclu sion. Je suis persuadé que le demandeur savait très bien le 26 mars 1971 qu'on avait décidé de prolon- ger son stage de six mois. Toutefois, je suis égale- ment convaincu que le demandeur n'en a pas été immédiatement informé par écrit par le sous-chef ou par un agent du ministère avec l'autorisation du sous-chef.
L'appréciation du 25 mars 1971 n'était pas adressée au demandeur, même s'il l'a lue et signée. Les lettres subséquentes de McKee au demandeur font seulement allusion au fait que le demandeur était encore stagiaire. Dans sa déclaration, le demandeur allègue qu'on l'a avisé oralement mais dans son témoignage, il affirme le contraire.
Comme je l'ai déjà dit, je suis persuadé que le demandeur savait que son stage avait été prolongé de six mois à compter du 31 mars 1971; toutefois cela ne change rien au fait qu'il n'a pas reçu d'avis conformément au paragraphe (3) de l'article 30 du Règlement auquel j'attribue un caractère impéra- tif, pour les motifs énoncés ci-dessus, et qui doit être respecté en tout point à peine de nullité. Il est question dans le Règlement d'un avis écrit, clair et sans ambiguïté, adressé expressément au deman- deur, l'informant que son stage est prolongé pour une période déterminée qui doit être précisée. Ce devoir incombe au sous-chef ou à son représentant désigné et si ce préposé n'est pas conscient de sa responsabilité à cet égard, il doit se renseigner
avant d'entreprendre une action qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour l'employé.
Comme on ne l'a pas fait, je suis d'avis que la prétendue prolongation de la période de stage du demandeur est nulle.
Prévoyant cette conclusion, la Couronne prétend que l'action du demandeur est prescrite en vertu de The Public Officers' Protection Act, S.R.S. 1965, c. 21.
L'emploi du demandeur devait prendre fin au 24 septembre 1971. La déclaration, dont l'intitulé a ensuite été modifié à deux reprises, porte la date du 18 décembre 1972 et a été déposée au greffe de la Cour le 19 décembre 1972. Il s'est écoulé 14 mois et 25 jours entre le 24 septembre 1971, date est survenue la cause d'action et le dépôt de la déclaration. Au cours des plaidoiries, les avocats des parties ont admis que le contrat de service a été signé en Saskatchewan et que la rupture de ce contrat, si c'est le cas, est également survenue dans cette province.
A l'article 2, The Public Officers' Protection Act prévoit qu'une action contre une personne, en raison d'un acte accompli dans l'exécution réelle ou projetée d'une loi ou en application de celle-ci ou en raison d'une prétendue négligence ou défaut dans l'application d'une loi n'est recevable que si elle est introduite dans les 12 mois qui suivent l'acte, la négligence ou le défaut en question. Si l'on admet que la prescription s'applique en l'es- pèce en vertu de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, l'action a été intentée après expiration du délai de prescription prévu; toutefois je n'ai pas à trancher cette question pour les motifs suivants.
Une loi de prescription ne constitue pas une fin de non-recevoir contre l'obligation ou la dette mais plutôt une prescription du droit d'action en vertu de cette obligation ou de cette dette. C'est une question de procédure qui doit être mentionnée expressément dans la plaidoirie. La défense ne plaide pas expressément la Loi de la Saskatchewan ni les faits pertinents qui auraient permis d'invo- quer la prescription qui y est prévue. Si la défende- resse entend présenter une question spéciale en défense, elle doit la plaider spécifiquement confor-
mément à la Règle 409. Cette Règle reprend le principe fondamental en matière de plaidoiries selon lequel la défense doit plaider spécifiquement toute question qui empêche de faire droit à une demande ou qui pourrait prendre la partie opposée par surprise.
Comme je l'ai déjà dit, la défense ne soulève pas ce moyen et aucune requête en modification de la défense n'a été présentée à cette fin. Par consé- quent, l'avocat de la défenderesse n'a pas droit d'invoquer le moyen de défense présenté en cours d'instance. Cependant ledit délai de prescription donne une idée du laps de temps dont disposait le demandeur pour prendre des dispositions afin de faire valoir les droits qu'il pouvait avoir et éviter ainsi de se, voir opposer la défense de délai immotivé.
L'avocat de Sa Majesté a invoqué la doctrine de délais immotivés à faire valoir un droit au paragra- phe 7 de la défense et s'appuie notamment sur la présentation du grief du demandeur le 2 septembre 1971 (pièce P-8) dans lequel il qualifiait l'appré- ciation du 18 août 1971 de [TRADUCTION] «docu- ment injuste, incomplet et fallacieux». En outre, le demandeur demandait que soient prises les mesu- res suivantes:
[TRADUCTION] Je demande qu'on entreprenne une enquête impartiale sur la question pour remédier à la situation et révéler les motifs réels de mon renvoi. Je demande aussi la révision du calcul de la période de mon emploi au service des Affaires indiennes aux fins de la pension; je demande également qu'on m'explique comment tant de surveillants ont pu m'accorder des augmentations de salaire et des promotions si le rapport précité est exact. Si je ne conteste pas le renvoi, je conteste l'appréciation.
Le grief du demandeur a été rejeté; il a toutefois accepté son renvoi, sans accepter l'évaluation de ses aptitudes, et a aussi insisté sur la question de son droit à la pension basée sur son service anté- rieur au ministère et son service de guerre.
C'est lord Selborne, L.C., dans l'affaire Lindsay
Petroleum Company c. Hurd' citée par lord Blackburn dans l'affaire Erlanger c. New Som brero Phosphate Company ((1877-78) 3 App. Cas. 1218) qui explique le plus clairement la maxime Vigilantibus non dormientibus jura subveniunt ce qui veut dire à peu près que les tribunaux d'equity ont toujours refusé de venir en aide aux parties qui présentent des demandes périmées lorsqu'elles ont négligé de faire valoir leurs droits et qu'elles ont toléré la situation pour une longue période de temps; il s'exprimait en ces termes (page 1279):
[TRADUCTION] La doctrine des délais immotivés appliquée dans les tribunaux d'equity n'est ni arbitraire ni procédurale. Dans les cas en pratique, il serait injuste d'accueillir un recours soit parce qu'une partie a agi d'une manière que l'on peut, à bon droit, considérer comme équivalant à la renoncia- tion de son droit ou encore lorsque, sans renoncer au recours, elle a par sa conduite et sa négligence placé l'autre partie dans une situation qu'il ne serait pas raisonnable d'imposer si la première se prévalait ensuite de son recours, dans ces deux cas, le laps de temps et le retard sont très importants. Mais dans tous les cas l'opposition au redressement qui autrement serait juste, est fondée seulement sur le retard—si ce retard ne constitue pas une fin de non-recevoir en vertu d'une loi de prescription—il faut juger de la validité de cette défense en fonction des principes de l'equity. Dans ce cas, deux éléments principaux sont l'importance du retard et la nature des actes accomplis durant cette période qui pourraient être préjudicia- bles à l'une ou l'autre des parties et qui déterminent s'il est juste ou injuste d'opter pour une solution en particulier en ce qui concerne le redressement.
Après avoir lu l'appréciation du 18 août 1971, dans lequel C. E. McKee recommandait que le demandeur soit «renvoyé en cours de stage à comp- ter du 24 septembre 1971», et avant de la signer, le demandeur ajouta en note: [TRADUCTION] «Je conteste et refuse d'accepter cette décision pour les raisons invoquées», sans préciser quelles étaient ces «raisons invoquées»; je suppose qu'il s'agit des rai- sons mentionnées dans la lettre du demandeur en date du 19 juillet 1971 (pièce P-5) en réponse à la lettre de C. E. McKee en date du 8 juillet 1971 (pièce P-4) qui révélait l'intention de ce dernier de recommander au directeur régional le «renvoi en cours de stage» du demandeur. Dans sa réponse, le demandeur ne contestait pas le fait qu'il était stagiaire à cette époque, mais il s'opposait à l'allé- gation portant qu'il était incapable de communi- quer avec les Indiens. Dans cette lettre il affirmait: [TRADUCTION] «une documentation abondante quant à mes antécédents prouve que j'ai une apti tude exceptionnelle à communiquer avec les
1 (1873-74) 5 L.R.P.C. 221 à la page 239.
Indiens». Il s'oppose à son renvoi imminent en contestant les motifs.
Ce que la correspondance qualifait d'inéluctable se produisit lorsque McKee adressa sa lettre du 18 août 1971 au demandeur pour lui apprendre «qu'à compter du 24 septembre 1971, il était renvoyé du ministère».
Après avoir reçu cette lettre, le demandeur a consulté des agents subalternes du syndicat dont il était membre, a obtenu une formule de présenta- tion de grief qu'il a lui-même remplie et expédiée (pièce P-8), après avoir consulté les agents syndi- caux qui ont signé la formule pour en approuver la présentation. J'ai déjà cité la partie essentielle du grief et en particulier l'expression: [TRADUCTION] «Je ne conteste pas le renvoi».
Au même moment, le demandeur s'est égale- ment adressé à des avocats qui le 24 août 1971, ont écrit une lettre, adressée au sous-ministre adjoint (Annexe F à un avis demandant d'admettre des faits (pièce D-1)). Cette lettre indiquait que le demandeur avait l'intention d'avoir recours à la procédure de règlement des griefs, démarche recommandée par le syndicat des employés dont il était membre, surtout pour contester ladite appré- ciation. La lettre indiquait que [TRADUCTION] «son renvoi ne l'inquiétait pas outre mesure» mais qu'il était tellement persuadé que l'appréciation lui avait causé un «préjudice» qu'il songeait à regret à intenter une action en justice. Ils terminaient cette lettre en demandant la modification de l'apprécia- tion conformément aux souhaits du demandeur.
D'après la présentation du grief ainsi que le contenu de la lettre de l'avocat du demandeur, il est évident que le demandeur ne savait pas que la prolongation de son stage du 31 mars 1971 au 30 septembre 1971 pouvait ne pas être valide et qu'il n'était peut-être plus «stagiaire». Il n'a donc pas rapporté ces faits à l'avocat consulté et ce dernier ne s'est pas penché sur la question.
Ce n'est que lorsque le grief atteignit les paliers supérieurs du syndicat qui, à son tour, consulta son avocat, que cette question précise fut soulevée et
examinée. Dans l'intervalle, le demandeur avait accepté aveuglément son renvoi, se privant ainsi de conseils adéquats; mais dès qu'il se rendit compte qu'il pouvait avoir d'autres droits, son attitude changea du tout au tout et il intenta la présente action.
Bien que l'affirmation catégorique du deman- deur selon laquelle il ne contestait pas son renvoi, puisse s'interpréter comme une renonciation, il s'agit de savoir si cette renonciation place Sa Majesté dans une situation préjudiciable si le recours n'est pas utilisé. Je ne crois pas que Sa Majesté ait subi un préjudice attribuable au retard du demandeur à se prévaloir du recours approprié. A supposer que le demandeur ait été remplacé par un autre employé à un moment donné, McKee avait tout de même recommandé, dans l'apprécia- tion du 25 mars 1971, la mutation du demandeur dans un autre secteur (je présume qu'il s'agit d'un secteur géographique) et éventuellement la possibi- lité de travailler dans le domaine du développe- ment. J'en conclus qu'on a jugé que les aptitudes du demandeur seraient mieux adaptées à d'autres domaines de travail.
A mon avis, le fait que le demandeur semblait avoir accepté son renvoi n'a pas pour autant induit Sa Majesté à s'engager irrémédiablement sur une voie désavantageuse.
En outre, dans une lettre en date du 5 juin 1972, la Commission de la Fonction publique informait le président du syndicat dont le demandeur était membre qu'elle avait demandé au ministère de rétablir le demandeur dans son emploi. Le minis- tère a refusé, mais la preuve ne révèle pas pour- quoi. De plus, le demandeur a toujours affirmé sans ambages qu'il contestait fortement l'évalua- tion de ses aptitudes; le ministère savait donc très bien qu'il devait garder toute la preuve nécessaire pour réfuter les allégations du demandeur.
Tous ces éléments indiquent que Sa Majesté n'a pas subi de préjudice à cause du retard du deman- deur, mais l'élément décisif c'est que le demandeur ne peut renoncer à son droit sans en avoir pleine connaissance et que l'ignorance du demandeur à cet égard justifie son retard à intenter l'action pour
faire valoir ce droit.
Dans l'affaire Rees c. De Bernardy 2 le juge Romer disait à la page 445:
[TRADUCTION] Dans des affaires de cette nature, il me semble qu'une règle de la Cour veut que lorsqu'une personne a le droit de résoudre un contrat, elle ne perd pas ce droit simplement parce qu'elle s'est prévalue du contrat ou a tardé à l'attaquer, tant et aussi longtemps qu'elle n'a pas connaissance de son droit et que la situation des parties demeure essentiellement la même.
A mon avis, le demandeur ignorait l'existence de son droit et la situation des parties n'a pas été modifiée par le retard du demandeur.
Pour ces motifs, le moyen de défense invoquant le retard immotivé du demandeur est rejeté. Cela étant, il s'ensuit que le demandeur a droit à la déclaration demandée au paragraphe a) et b) de ses conclusions; je déclare donc:
(1) que Sa Majesté n'a pas le droit de mettre fin à l'emploi du demandeur en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique; et
(2) que le renvoi du demandeur par Sa Majesté est nul et sans effet et que le demandeur demeure un employé de Sa Majesté.
L'article 27 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique traite expressément du cas un employé cesse de l'être parce qu'il a abandonné son poste; en voici le libellé:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant une semaine ou davantage, sauf pour les raisons qui, de l'avis du sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en confor- mité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou sous son régime, le sous-chef peut, au moyen d'un écrit appro- prié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a aban- donné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être un employé.
On ne m'a soumis aucune preuve pour établir qu'«au moyen d'un écrit approprié adressé à la Commission», le sous-chef a déclaré que le deman- deur «a abandonné le poste qu'il occupait»; c'est pour cette raison que j'ai indiqué dans la deuxième déclaration que «le demandeur demeure un
2 [1896] 2 Ch. D. 437.
employé» de l'employeur comme le demandaient les conclusions.
Ayant accordé une partie des redressements demandés, j'en viens maintenant au paragraphe c) des conclusions:
[TRADUCTION] c) qu'il soit adjugé au demandeur un mon- tant suffisant pour le dédommager des pertes de traitement ou de salaire ou autres bénéfices ou privilèges qu'il aurait reçus si l'employeur n'avait pas illégalement renvoyé le demandeur;
Le redressement demandé au paragraphe c) est incompatible avec ceux des paragraphes a) et b) que j'ai déjà accordés. Puisque j'ai conclu que l'emploi du demandeur n'avait pas pris fin, le demandeur a le droit de reprendre son travail et de recevoir le salaire qui lui est dû. Cependant, pour avoir droit à son salaire, le demandeur doit s'ac- quitter des fonctions de son poste ou manifester l'intention de ce faire.
Immédiatement après son renvoi manqué du 24 septembre 1971, le demandeur a obtenu un emploi sous contrat avec un ministère du gouvernement de la Saskatchewan (Department of Co-Operation and Co -Operative Development). La pièce P-12 révèle qu'il a commencé à travailler le 1" octobre 1971; une période de sept jours s'est donc écoulée avant qu'il n'accepte un autre emploi (j'en félicite le demandeur), mais ce faisant, il lui devenait impossible de s'acquitter des fonctions du poste bien qu'il n'ait pas été valablement renvoyé. Je remarque, à la pièce P-13, que le demandeur a évalué son salaire à $35.69 par jour, soit $219.76 pour 7 jours.
Le demandeur avait déjà travaillé pour le minis- tère des Affaires indiennes de 1949 à 1962, soit environ 14 ans. Au terme de cet emploi, le deman- deur a reçu un remboursement des contributions au titre de la pension de retraite. En outre, de 1940 à 1945, une période de cinq ans, il a fait un service actif dans la Réserve volontaire de la Marine royale du Canada qui est, je crois, considéré comme service ouvrant droit à pension. Cela donne environ 19 années que le demandeur peut avoir le droit de compter comme service ouvrant droit à pension pourvu, évidemment, qu'il ait versé les contributions nécessaires.
Puisque j'ai conclu que son emploi n'avait pas pris fin le 24 septembre 1971, on ne peut l'empê- cher de faire valoir ses droits à une pension s'il satisfait par ailleurs aux autres exigences. Il n'a pas été question en l'espèce des droits du deman- deur à une pension et je ne me prononce donc pas sur ce point. En plus du jugement déclaratoire, le demandeur se voit donc adjuger la somme de $219.76 et les frais taxables de cette action.
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