T-4541-73
Jean-Louis Gauthier (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Marceau—
Chicoutimi, les 29 et 30 septembre 1976; Ottawa,
le 6 octobre 1976.
Impôt sur le revenu—Appel contre imposition de dons—
Quand y a-t-il délivrance et acceptation en vertu des disposi
tions de l'article 776 du Code civil de la province de Qué-
bec?—Code civil de la province de Québec, art. 776(2).
Le demandeur fait appel de la décision de la Commission de
révision de l'impôt maintenant une cotisation lui réclamant un
impôt de $17,530 sur des dons qu'il aurait faits en créant une
fiducie au bénéfice de ses enfants en 1969, fiducie qui dure
toujours. Le demandeur soutient que la fiducie n'opérait pas
donation car aucun transfert de biens n'a eu lieu, mais qu'elle
représentait simplement la somme d'une série de dons qu'il
avait faits à ses enfants entre 1958 et 1968. Le demandeur
invoque l'article 776(2) du Code civil de la province de Québec
qui permet les dons manuels.
Arrêt: l'appel est rejeté. Les prétendus «dons» faits par le
demandeur à ses enfants visaient à éviter l'imposition de biens
dont il avait retenu le contrôle. La donation de choses mobiliè-
res accompagnées de délivrance exige une intention irrévocable
de donner, l'acceptation du donataire et une tradition réelle des
biens faisant l'objet de la donation. Aucun de ces trois éléments
ne se trouvait dans les transactions entreprises par le deman-
deur. La prétention du demandeur recèle une contradiction. S'il
avait donné les biens qui ont fait l'objet de la fiducie, il ne
pouvait pas, avec les mêmes biens; créer cette fiducie qui dure
toujours.
ACTION.
AVOCATS:
Serge Simard pour le demandeur.
Alban Garon, c.r., et Roger Roy pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Begin, Gauthier, Simard, Côté et Simard,
Jonquière, (Québec), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Le demandeur en appelle
de la décision de la Commission de révision de
l'impôt (sur les dons) maintenant la cotisation du
ministre en date du 31 août 1971 lui réclamant un
impôt de $17,530, sur des dons qu'il aurait faits au
cours de l'année d'imposition 1969 en créant une
fiducie au bénéfice de ses sept enfants.
L'acte de fiducie (P-2, A) a été souscrit devant
un notaire québecois, le 10 février 1969 et enregis-
tré le même jour à Chicoutimi, Québec. Par cet
acte, le demandeur nommait fiduciaires Maîtres
Tremblay et Wells et leur donnait en cette qualité
pour le bénéfice de ses enfants une somme de
$87,600, devant être utilisée et éventuellement dis-
tribuée avec ses accroissements conformément à
une série de dispositions et prescriptions précises.
Cette fiducie d'ailleurs dure toujours, le moment
prévu pour le partage des biens n'étant pas encore
arrivé.
Le demandeur soutient que c'est à tort que le
ministre a considéré l'acte de fiducie comme opé-
rant une donation car aucun transfert de biens n'a
eu lieu au moment de sa passation. Cette somme
de $87,600 prétendument donnée aux fiduciaires,
représentait en effet, comme il a pris soin de le
déclarer dans l'acte lui-même, des dons qu'il avait
faits à ses enfants antérieurement, par tranches, au
cours des années, soit plus précisément: $9,000
répartis entre les trois aînés au cours des années
1956 1963; $10,000 distribués aux sept en 1964;
$10,000, $13,000, $19,000 et $26,000 encore dis-
tribués aux sept en 1965, 1966, 1967 et 1968
respectivement.
Il ne me paraît pas utile d'analyser ici en détails
la longue preuve, tant documentaire que testimo-
niale, que le demandeur a apportée pour appuyer
ses prétentions. Il suffira d'en rapporter les élé-
ments essentiels.
Le demandeur nous dit que dès 1959 il avait
songé à établir un programme de libéralités en
faveur de ses enfants et il avait commencé dès
cette année-là à remettre des débentures payables
au porteur à sa femme en précisant que c'était
«pour les enfants». Ce n'est toutefois qu'en 1964
qu'un plan défini fut arrêté. Cette année-là il paya
$40,000 pour acquérir, avec 2 associés, le contrôle
d'une entreprise formée d'un groupe de compa-
gnies—qu'il appelle le groupe Couture et qui était
alors en mauvaise affaires—et il fit émettre les
actions qui lui étaient dévolues, à son nom mais
avec la mention «in trust». Il les destinait à ses
enfants, dit-il, ou, ce qui revenait au même pour
lui, à une compagnie de gestion que, dans un acte
de fidéicommis, lui-même, sa soeur et un ami
avaient convenu de former. Les certificats d'ac-
tions ainsi acquis furent remis à son notaire, le
notaire Wells, et lorsque la compagnie de gestion
fut finalement formée en 1967, sous le nom de Les
Placements J.M.L. Gauthier et fils Ltée (P-2, D),
compagnie dont il gardait le contrôle absolu, les
actions acquises furent effectivement inscrites
comme faisant partie de son actif. Le bilan d'ou-
verture (P-12) en faisait clairement état, tout en
précisant sous l'en-tête «fiducie» un partage entre
les enfants d'un certain nombre d'actions partici-
pantes sans droit de vote, qui devaient en fait être
émises au nom du notaire Wells, secrétaire de la
compagnie et de Guy Tremblay (P-8).
Les dons qu'il a faits à ses enfants, explique le
demandeur, auraient servi d'abord à le rembourser
du prix d'acquisition des actions du groupe Cou-
ture émises comme dit ci-haut à son nom mais «in
trust». Avant 1966, aucun écrit n'attestait des dons
qu'il faisait, mais ses associés savaient qu'il agis-
sait pour ses enfants et le notaire Wells était au
courant de la situation. En 1966 et 1967, pour
mieux attester de ses intentions, il a même souscrit
au nom de ses enfants des billets promissoires pour
la somme globale de $32,000 (P-2, H) qu'il a
remis au notaire Wells. Ces billets furent honorés
en 1968, en même temps qu'une somme addition-
nelle de $26,000 était donnée aux enfants, le tout
par l'intermédiaire dudit notaire Wells à l'occasion
d'une réconciliation des argents dus aux termes de
laquelle un chèque fut remis au notaire payable à
lui-même et son associé pour la somme de $38,600
(P-4). Ce chèque, incidemment, servit au paiement
d'une partie de la prime que Les Placements
J.M.L. Gauthier et fils Ltée, la compagnie de
gestion qui venait d'être formée, avait accepté de
payer pour obtenir une police d'assurance sur la
vie de son président, lui-même le demandeur évi-
demment. La fiducie de 1969 a, en réalité, eu pour
objet, on le voit, des actions non votantes de ladite
compagnie de gestion qui fut peu après, d'ailleurs,
dissoute.
Le demandeur invoque le deuxième alinéa de
l'article 776 du Code civil de la province de
Québec qui, après avoir établi le principe du carac-
tère solennel du contrat de donation, permet néan-
moins les dons manuels. Il affirme que les dons
faits aux enfants étaient des dons manuels, faits de
bonne foi et légalement par l'intermédiaire de sa
femme avant 1964 et par la suite du notaire Wells
qui était au courant de ses intentions, comme
l'étaient, quoique vaguement seulement, ses asso-
ciés et comme l'étaient aussi, parce qu'il leur en
avait fait part à l'occasion, en termes généraux, ses
trois enfants les plus âgés. Il prétend que ces dons
étaient pleinement valables et que le ministre ne
saurait les méconnaître.
La prétention du demandeur ne saurait tenir. De
l'ensemble de la preuve il m'apparaît que ce «pro-
gramme de donations» que le demandeur a cherché
à réaliser visait à profiter des exemptions de taxes
existantes à l'égard de libéralités consenties à des
enfants sans toutefois se départir de ses biens et
sans en perdre le contrôle, et c'est pour cela princi-
palement que le programme ne pouvait se réaliser.
La donation manuelle en droit québecois exige une
volonté de désaisissement irrévocable de la part du
donateur, une volonté d'accepter de la part du
donataire et une tradition réelle des biens faisant
l'objet du don. A mon avis, aucun des trois élé-
ments ne se retrouve dans les actes que le deman-
deur cherche à qualifier de donations. Avant la
signature de l'acte de fiducie, il n'y avait pas
désaisissement irrévocable ni perte de contrôle de
sa part; il n'y avait pas non plus acceptation
suffisante ni tradition réelle.
Au reste, la prétention du demandeur recèle une
contradiction irréductible: s'il avait donné les biens
qui ont fait l'objet de l'acte de fiducie—et c'est sa
seule prétention—comment alors pouvait-il en
1969, avec les mêmes biens, créer cette fiducie qui
dure toujours?
Le ministre a eu raison de rejeter cette préten-
tion à l'effet que la fiducie n'opérait pas donation,
les biens ayant déjà été donnés. La cotisation qu'il
a choisi de faire est sur ce plan bien fondée.
L'appel sera donc rejeté avec dépens.
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