T-3465-74
Compagnie générale Électrique du Canada Limi-
tée, A. E. Hickman Company Limited
(Demanderesses)
c.
Les Armateurs du St-Laurent Inc., Gordon For-
warders Limited, Harvey Terminais, une branche
de A. Harvey & Company Limited (Défenderes-
ses)
Division de première instance, le juge Dubé—
Toronto, le 3 mai; Ottawa, le 10 mai 1976.
Droit maritime—La demanderesse réclame des dommages-
intérêts aux défenderesses au sujet de marchandises en prove
nance de Barrie et livrées en mauvais état à Saint-Jean—Les
armateurs défendeurs nient tout lien contractuel avec les
demanderesses—Les défenderesses, transporteurs de marchan-
dises, prétendent qu'un contrat conclu entre les demanderesses
et elles-mêmes stipulait que les risques du transport des
marchandises seraient à la charge des demanderesses—Le
document est-il un connaissement?—Règle 474 de la Cour
fédérale—Loi sur le transport des marchandises par eau,
S.R.C. 1970, c. C-15, art. 2 et 5—Article V! des Règles de la
Haye—Loi sur les connaissements, S.R.C. 1970, c. B-6, art. 4.
Des marchandises ont été expédiées par bateau de Barrie
(Ontario), et sont arrivées endommagées à Saint-Jean (Terre-
Neuve). Les demanderesses réclament des dommages-intérêts
aux armateurs, aux transporteurs des marchandises ainsi
qu'aux exploitants de l'entrepôt. Les armateurs défendeurs
nient tout lien contractuel avec les demanderesses, le navire
ayant été affrété par les transporteurs. Selon ces derniers, leur
contrat avec les demanderesses stipulait que les risques de
transport des marchandises seraient à la charge de celles-ci. Les
demanderesses demandent à la Cour, conformément à la Règle
474, de décider si le document en question est un connaisse-
ment. Les demanderesses affirment que les transporteurs ne se
sont pas prévalus de l'article VI des Règles de la Haye, mais
qu'ils ont plutôt émis un document négociable, soit le connaisse-
ment en question.
Arrêt: ce document n'est pas un connaissement. On admet de
façon générale que le connaissement a trois fonctions: reçu des
marchandises, contrat de transport et titre de propriété. Le
document en question n'est pas signé, et, alors que ni la Loi sur
le transport des marchandises par eau ni les Règles ne l'exigent
en particulier, il ressort de l'article 4 de la Loi sur les connais-
sements que la signature constitue pour le moins un élément de
preuve important. La négociabilité du document revêt une
importance capitale pour déterminer s'il s'agit d'un connaisse-
ment au sens de la Loi sur le transport des marchandises par
eau et des Règles, car le but même de la restriction prévue à
l'article VI est de protéger les autres parties à l'ordre desquelles
le document pourrait être endossé, contre la responsabilité
limitée du transporteur. Compte tenu du rôle et de la nature
d'un connaissement tel que les définissent tous les ouvrages
importants mentionnés, il m'est difficile de voir comment ce
document non signé peut être considéré comme un document
négociable; il serait plus prudent peut-être de le décrire comme
un récépissé non négociable. Ce document n'est pas intitulé
«connaissement», et rien ne semble indiquer que le transporteur
avait l'intention de le faire passer pour tel. En fait, le transpor-
teur a affirmé ne pas avoir émis de connaissement.
Arrêts appliqués: Harland & Wolff, Ltd. c. Burns & Laird
Lines, Ltd. (1931) 40 LI.L.R. 286 et Le «Marlborough
Hill» c. Alex. Cowan and Sons, Ltd. [1921] 1 A.C. 444.
Arrêts approuvés: Montreal Trust Company c. Canadian
Surety Co. (1939) 67 B.R. (Qué.) 218; Gosse Millerd,
Limited c. Canadian Government Merchant Marine,
Limited [1929] A.C. 223; «The Ardennes» [1951] 1 K.B.
55 et Hugh Mack & Co. Ltd. c. Burns & Laird Lines, Ltd.
(1943-44) 77 LI.L.R. 377.
DEMANDE.
AVOCATS:
G. R. Strathy pour les demanderesses.
N. H. Frawley pour la défenderesse Gordon
Forwarders Limited.
G. Vaillancourt pour la défenderesse Les
Armateurs du St-Laurent Inc.
PROCUREURS:
McTaggart, Potts, Stone & Herridge,
Toronto, pour les demanderesses.
McMillan, Binch, Toronto, pour la défende-
resse Gordon Forwarders Limited.
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour
la défenderesse Les Armateurs du St-Laurent
Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBÉ: Les demanderesses sollicitent
une décision sur le point de droit suivant soulevé
dans les plaidoiries:
[TRADUCTION] Le document mentionné au paragraphe 2b)
de la déclaration et au paragraphe 5 de la défense de Gordon
Forwarders Limited, défenderesse, est-il un connaissement au
sens de la Loi sur le transport des marchandises par eau,
S.R.C. 1970, c. 15 [sic]?
Voici les paragraphes pertinents des plaidoiries:
[TRADUCTION] 2. b) La défenderesse Gordon Forwarders
Limited est une compagnie constituée en corporation en vertu
des lois de l'Ontario, qui exerce son commerce à Hamilton
(Ontario) et qui, à toutes les époques en cause, s'est livrée au
transport de cargaisons, mais qui effectue également du trans
port de marchandises. Elle a délivré un connaissement non
numéroté daté du 28 septembre 1973 pour le transport de
marchandises à bord du navire. En outre, la présente défende-
resse a pris toutes les mesures nécessaires pour le transport des
marchandises de l'établissement de la demanderesse, Compa-
gnie générale Électrique du Canada Limitée, à Barrie (Onta-
rio) jusqu'à Saint-Jean (Terre-Neuve): elle a donc vu au trans
port routier jusqu'à Montréal et au transport maritime de
Montréal à Saint-Jean.
5. En ce qui concerne le paragraphe 6 de la déclaration, la
défenderesse décline par les présentes toute responsabilité en
vertu de la Loi sur le transport des marchandises par eau,
S.R.C. 1970, chap. C-15 et nie toute négligence attribuable à
un défaut de diligence de sa part. La défenderesse nie, par les
présentes, avoir émis un connaissement pour le transport des
marchandises ou en avoir eu l'intention.
La demande est présentée conformément à la
Règle 474 de la Cour fédérale:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la décision d'une question, ou
b) statuer sur un point afférent à l'admissibilité d'une preuve
(notamment d'un document ou d'une autre pièce
justificative),
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de
l'action sous réserve de modification en appel.
(2) Sur demande, la Cour pourra donner des instructions
quant aux données sur lesquelles doit se fonder le débat relatif à
un point à décider en vertu du paragraphe (1).
L'avocat du défendeur, Les Armateurs du
St-Laurent Inc., a présenté, sans comparaître, des
observations écrites en vertu de la Règle 325, selon
lesquelles la réponse à la question de droit devrait
être négative.
L'avocat de la défenderesse, Gordon Forwarders
Limited a comparu et a soulevé une objection à la
décision sur le point de droit au motif qu'elle est
prématurée; il soutient que si la question doit être
tranchée avant l'instruction, la décision doit com-
porter une réponse négative. Le savant avocat
prétend qu'il n'est pas souhaitable de statuer sur la
question de droit maintenant car certains faits
importants ne sont pas encore établis.
Toutefois, il y a à mon avis suffisamment de
faits importants allégués dans l'affidavit et dans le
document y annexé et admis dans les plaidoiries
pour justifier une décision sur le point précis
soumis à la Cour. Estimant qu'il était opportun de
statuer sur la question, j'ai décidé en conséquence.
Le document en question, joint à l'affidavit de la
requête, se présente ainsi:
[TRADUCTION] GORDON FORWARDERS LIMITED
260 SUD, AVENUE GAGE
HAMILTON (ONTARIO)
Téléphone: 416-547-4505 Télex: 012-742
LE 23 SEPTEMBRE 1973
EMBARQUÉES, des marchandises reçues en bon état apparent,
de la Compagnie générale Électrique du Canada Limitée, à
Barrie (Ontario) à bord du navire à vapeur ou à moteur N.M.
Maurice Desgagnes, voyage n° 9-Est, qui mouille présentement
l'ancre au port de Montréal (Québec), et voyagera à destina
tion de Saint-Jean (Terre-Neuve).
Pour le compte de: Compagnie générale Électrique du
Canada Limitée et A. E. Hickman Co.
Ltd., Saint-Jean (Terre-Neuve)
charge de distribution.
Marquées et numérotées comme suit aux présentes, et devant
être livrées en bon état apparent au port susmentionné de
Saint-Jean (Terre-Neuve).
2181 pièces d'appareils électriques divers
20,854 livres
Port payé à l'avance
QUANTITÉ, DESCRIPTION ET FRAIS D'ARRIMAGE PAYÉS
D'AVANCE NAVIRE PERDU OU NON PERDU
ASSURANCE TOUS RISQUES COUVRANT LES PROPRIÉTAIRES
DES MARCHANDISES.
A: DÉCHARGER AU QUAI DE A. HARVEY & CO. LTD.
DEVANT ENTRER AU BASSIN À SAINT-JEAN SEULEMENT.
FRAIS DE DISTRIBUTION A SUIVRE
1210 pièces pour A. E. Hickman à Saint-Jean
121 pièces pour A. E. Hickman à Fortune (Terre-Neuve)
109 pièces pour A. E. Hickman à Grand Falls (Terre-Neuve)
741 pièces pour C.G.E. à Saint-Jean (Terre-Neuve)
Reçu de Smith Transport Ltd.
Pro 3128593
Chargeurs N° 48470-77, 155
48479-80, 48486-511
Valeur déclarée: $104,270
COPIE À PRÉSENTER AU QUAI AVANT LA REMISE DES
MARCHANDISES.
Dans leur déclaration, les demanderesses sou-
tiennent que les pièces des appareils électriques
avaient été expédiées en bon état de Barrie (Onta-
rio), mais étaient endommagées à leur arrivée à
Saint-Jean (Terre-Neuve). Elles réclament des
dommages-intérêts aux armateurs, Les Armateurs
du St-Laurent, aux transporteurs de cargaisons,
Gordon Forwarders Limited, ainsi qu'aux exploi-
tants de l'entrepôt, Harvey Terminals. Les arma-
teurs défendeurs nient tout lien contractuel avec
les demanderesses, le navire Maurice Desgagnes
n'ayant cessé, à toutes les époques en cause d'être
affrété à terme par les expéditeurs. Selon ces
derniers, leur contrat avec les demanderesses stipu-
lait que celles-ci assumaient les risques de trans
port des marchandises d'où l'importance de déci-
der si le document en question constitue un
connaissement. Par l'affirmative les demanderesses
soutiendront que les défendeurs ne peuvent par
contrat se décharger de leurs obligations en vertu
de l'article VI des Règles de La Haye annexées à
la Loi sur le transport des marchandises par eau
et dont voici le texte: 1
Article VI
Conditions spéciales
Nonobstant les dispositions des articles précédents, un trans-
porteur, capitaine ou agent du transporteur et un chargeur
seront libres, pour des marchandises déterminées, quelles qu'el-
les soient, de passer un contrat quelconque avec des conditions
quelconques concernant la responsabilité et les obligations du
transporteur pour ces marchandises, ainsi que les droits et
exonérations du transporteur au sujet de ces mêmes marchandi-
ses, ou concernant ses obligations quant à l'état de navigabilité
du navire dans la mesure où cette stipulation n'est pas contraire
à l'ordre public, ou concernant les soins ou diligence de ses
préposés ou agents quant au chargement, à la manutention, à
l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au décharge-
ment des marchandises transportées par eau, pourvu qu'en ce
cas aucun connaissement n'ait été ou ne soit émis et que les
conditions de l'accord intervenu soient insérées dans un récé-
pissé qui sera un document non négociable et portera mention
de ce caractère.
Toute convention ainsi conclue aura plein effet légal.
Il est toutefois convenu que cet article ne s'appliquera pas
aux cargaisons commerciales ordinaires faites au cours d'opéra-
tions commerciales ordinaires, mais seulement à d'autres char-
gements où le caractère et la condition des biens à transporter
et les circonstances, les termes et les conditions auxquels le
transport doit se faire sont de nature à justifier une convention
spéciale. [C'est moi qui souligne.] 2
L'article 2 de la Loi sur le transport des mar-
chandises par eau prévoit que les Règles de La
Haye sur les connaissements sont exécutoires rela-
tivement au transport des marchandises par eau à
partir de n'importe quel port du Canada. En l'es-
pèce, le document en question mentionne les mar-
chandises à bord du navire Maurice Desgagnes qui
mouille l'ancre au port de Montréal, à destination
de Saint-Jean (Terre-Neuve).
L'article I des Règles donne les définitions
suivantes:
Article I
Définitions
Dans les présentes Règles, les mots suivants sont employés
dans le sens précis indiqué ci-dessous:
a) «transporteur» comprend le propriétaire ou l'affréteur,
partie à un contrat de transport avec un chargeur;
' S.R.C. 1970, c. C-15.
2 Les textes soulignés qui suivent le sont par mes soins.
b) «contrat de transport» s'applique uniquement au contrat
de transport constaté par un connaissement ou par tout
document similaire formant titre pour le transport des mar-
chandises par eau; il s'applique également au connaissement
ou document similaire émis en vertu d'une charte-partie à
partir du moment où ce titre régit les rapports du transpor-
teur et du porteur de connaissement;
c) «marchandises» comprend biens, objets, marchandises et
articles de nature quelconque, à l'exception des animaux
vivants et de la cargaison qui, par le contrat de transport, est
déclarée comme mise sur le pont et, en fait, est ainsi
transportée;
d) «navire» signifie tout bâtiment employé pour le transport
des marchandises par eau;
e) «transport de marchandises» couvre le temps écoulé depuis
le chargement des marchandises à bord du navire jusqu'à
leur déchargement du navire.
La Loi sur le transport des marchandises par
eau et les Règles en annexe visent à substituer au
contrat classique dont le transporteur s'est servi
pour tenter de se dégager de ses obligations, une
protection légale qui lui permettrait de limiter sa
responsabilité au moyen de l'exception prévue à
l'article VI, à condition toutefois qu'aucun con-
naissement n'ait été émis. (Voir l'affaire Gosse
Millerd, Limited c. Canadian Government Mer
chant Marine, Limited [1929] A.C. 223 la page
236). La réserve interdisant l'émission d'un con-
naissement négociable vise à protéger des tiers
innocents contre les responsabilités limitées du
transporteur.
Les demandeurs soutiennent à juste titre que la
défenderesse Gordon Forwarders Limited aurait
pu se prévaloir de l'article VI, comme le permet
l'article 5 de la Loi:
5. En ce qui concerne le transport des marchandises par eau
dans des navires transportant des marchandises d'un port ou
endroit du Canada à quelque autre port ou endroit du Canada,
l'article VI des Règles est exécutoire comme s'il visait des
marchandises de toute catégorie, au lieu de marchandises parti-
culières, et comme si la réserve du deuxième paragraphe dudit
article était omise.
Les demanderesses affirment que ledit défen-
deur ne s'est pas prévalu de l'article VI, mais qu'il
a plutôt émis un document négociable, le prétendu
connaissement.
Ni la Loi ni les Règles ne définissent le «connais-
sement». On admet de façon générale que le con-
naissement a trois fonctions: il constitue un reçu de
la marchandise, il constate le contrat de transport
et est un titre représentatif de la marchandise.
(Voir Poor, Charterparties and Ocean Bills of
Lading à la page 134). La Loi sur les connaisse-
ments 3 ne définit pas le connaissement, mais l'arti-
cle 4 décrit ce qu'il constitue:
4. Tout connaissement que détient un consignataire ou un
endossataire en contrepartie d'une cause ou d'une considération
valable, portant que des marchandises ont été expédiées sur un
vaisseau ou par train, constitue, contre le capitaine ou autre
personne signataire du connaissement, une preuve concluante
de cette expédition, même si ces marchandises ou une partie
d'entre elles peuvent n'avoir pas été ainsi expédiées, à moins
que ce détenteur du connaissement n'ait été de fait informé,
lors de la réception du connaissement, que les marchandises
n'avaient pas été véritablement chargées, ou sauf si ce connais-
sement stipule le contraire. Toutefois, le capitaine ou autre
semblable signataire peut dégager sa responsabilité à l'égard de
cette fausse déclaration, en démontrant que celle-ci n'a été
causée par aucun manquement de sa part, mais entièrement par
la faute de l'expéditeur ou du détenteur, ou de quelque per-
sonne de qui ce dernier tient ses droits.
Le document qui m'est soumis n'est pas signé.
Ni la Loi sur le transport des marchandises par
eau ni les Règles n'exigent explicitement la signa
ture du connaissement, mais à la lecture de l'arti-
cle précédent, elle semble constituer un élément de
preuve pour le moins important. Un examen des
ouvrages de fond en la matière nous éclaire sur les
éléments essentiels d'un connaissement.
Dans le volume 13 de British Shipping Laws,
Singh et Colinvaux énumèrent comme suit les
éléments essentiels du connaissement, aux pages
297 et suivantes: a) le nom du chargeur, b) le nom
du destinataire, c) le port de chargement, d) le
nom du navire, e) le port de déchargement, f) la
description des marchandises, g) la date et h) le
nombre d'exemplaires négociables signés. Voici le
texte intégral du paragraphe h):
[TRADUCTION] h) Nombre d'exemplaires négociables
signés. Le connaissement doit indiquer le nombre d'exemplaires
négociables signés. Généralement, il est établi en deux ou trois
exemplaires, quelquefois il y en a plus ou même un seul, selon
les exigences du chargeur plutôt que celles de la compagnie de
transport maritime.
Au paragraphe 72 du volume 5 (2 e éd.) de
British Shipping Laws, Sassoon définit ainsi le
connaissement:
[TRADUCTION] Le connaissement est un document signé par
l'armateur ou son agent par lequel il reconnaît que des mar-
chandises ont été chargées à bord d'un certain navire en vue de
leur acheminement vers une destination déterminée et qui
énonce les conditions de transport des marchandises ainsi
reçues.
3 S.R.C. 1970, c. B-6.
Et on cite une décision de lord Goddard dans
l'affaire «The Ardennes» 4 :
[TRADUCTION] Il est, à mon sens, bien établi qu'un connais-
sement ne constitue pas par lui-même le contrat liant l'arma-
teur et l'expéditeur, bien que, selon certains arrêts, il puisse
avoir une grande force probante quant aux conditions de ce
contrat: voir le jugement de lord Bramwell dans l'affaire Sewell
c. Burdick et l'arrêt Crooks c. Allan. Le contrat est préexistant
à la signature du connaissement; ce dernier n'est signé que par
une seule des parties, et remis par elle à l'expéditeur, générale-
ment après le chargement des marchandises sur le navire.
Certes, si l'expéditeur constate que le connaissement comporte
une clause qui ne le satisfait pas, ou ne comporte pas une clause
qu'il a exigée, il pourrait, s'il en a le temps, réclamer ses
marchandises; mais il n'est pas pour autant, à mon avis,
empêché de prouver qu'un contrat avait été effectivement
conclu avant la signature du connaissement, et dont la teneur
était différente de celle du connaissement, ou qui comportait
une clause supplémentaire. Il ne prend aucune part à l'établis-
sement du connaissement; il ne le signe pas.
Dans l'ouvrage Bills of Lading, Stevens and
Sons Ltd., Londres, 1925, G. H. M. Thompson
définit le connaissement comme suit, à la page 14:
[TRADUCTION] Le connaissement est un document signé par
l'armateur, ou par le capitaine du navire ou par un autre agent
de l'armateur.
et il ajoute à la page 15:
[TRADUCTION] Une fois signé, le connaissement est remis
au chargeur qui peut le garder ou le transmettre à une autre
personne.
Dans Documents of Title to Goods, Sweet &
Maxwell Limited, 1931, H. G. Purchase donne la
définition suivante à la page 22:
[TRADUCTION] Le connaissement est un titre représentatif des
marchandises dans sa forme la plus complète. Lorsqu'un com-
merçant conclut un contrat d'expédition avec un armateur et
que les marchandises ont été acceptées à bord du navire, le
connaissement est signé par l'armateur ou son agent, habituel-
lement le capitaine du navire, pour ensuite être remis au
chargeur.
à la page 25:
[TRADUCTION] Selon lord Blackburn dans son ouvrage on
Sale, il s'agit d'«un document signé au nom des armateurs du
navire à bord duquel les marchandises sont chargées, par lequel
ces derniers reconnaissent avoir reçu les marchandises et s'en-
gagent à les livrer à la fin du voyage, sous réserve des condi
tions prévues au connaissement». Il le définit également comme
«un accusé de réception des marchandises (chargées à bord d'un
navire) par le capitaine qui s'engage à les remettre à la
personne mentionnée au connaissement».
et à la page 28:
[1951] 1 K.B. 55 aux pages 59-60.
[TRADUCTION] Le chargeur utilise le formulaire imprimé du
connaissement qu'il obtient des imprimeurs de l'armateur et y
insère tous les détails du chargement qui sont vérifiés par
l'armateur, son agent ou le courtier et le_ connaissement est
alors signé.
Sous le titre [TRADUCTION] «Délivrance du con-
naissement», Scrutton écrit à la page 52 de Char-
terparties and Bills of Lading, 18e éd., Sweet &
Maxwell, Londres, 1974:
[TRADUCTION] APRÈS le chargement des marchandises en
vertu d'un contrat d'affrètement, le connaissement est signé par
le transporteur ou son agent et remis au chargeur contre le reçu
de bord, le cas échéant.
Dans la mesure où s'applique le Carriage of Goods by Sea
Act 1924, le chargeur peut exiger un connaissement dès la
réception des marchandises par le transporteur.
Lorsque le chargeur doit présenter les connaissements, il doit
le faire dans un délai raisonnable après le chargement de la
cargaison, même si le navire est perdu avant qu'il ne les
présente. Une fois la cargaison chargée, il doit présenter les
connaissements dans un délai raisonnable, même si les jours de
planche ne sont pas expirés. A son tour, le capitaine doit signer
les connaissements dans un délai raisonnable après leur présen-
tation, pour chaque colis embarqué, et il ne peut en retarder la
signature jusqu'à la mise à bord de toute la cargaison.
J. Bes définit les trois fonctions du connaisse-
ment à la page 110 de Chartering and Shipping
Terms, volume 1, 9 e éd., Barker & Howard Ltd.,
Londres, 1975:
[TRADUCTION] Un connaissement a les fonctions suivantes:
1. C'est un reçu de marchandises, signé par le capitaine ou une
autre personne dûment autorisée par les transporteurs.
2. C'est un titre représentatif des marchandises énumérées.
3. Il constitue une preuve des modalités et conditions du trans
port convenues par les deux parties.
L'ouvrage Halsbury's Laws of England 5 décrit
le connaissement au paragraphe 470 et traite spé-
cifiquement aux paragraphes 485 et 486 de la
[TRADUCTION] «Signature du connaissement»;
voici le texte de ces paragraphes:
[TRADUCTION] 470. Description. Un connaissement est un
document signé par l'armateur, le capitaine ou un autre agent
de l'armateur, attestant que certaines marchandises ont été
chargées à bord d'un navire désigné et décrivant les conditions
auxquelles les marchandises ont été livrées au navire et reçues.
Après avoir été signé, il est remis au chargeur qui peut le
garder ou le transmettre à un tiers. Ce dernier peut être
mentionné au connaissement comme la personne devant rece-
voir les marchandises dès leur arrivée à destination, c'est-à-dire
le destinataire; s'il n'est pas précisé au connaissement, il est
généralement désigné comme détenteur ou endossataire du
connaissement. Est nul tout connaissement émis par l'agent de
l'armateur en l'absence d'un contrat de transport. Les effets du
5 3' éd., vol. 35.
connaissement dépendent des circonstances entourant chaque
cas, dont les plus importantes sont la situation du chargeur et
du détenteur. Le connaissement ne porte pas de droit de timbre.
485. Signature. Le connaissement est généralement signé
par le capitaine du navire ou par un autre agent délégué par
l'armateur, mais non par ce dernier personnellement. Si l'arma-
teur le signe lui-même, cela ne soulève aucun problème. Toute-
fois, si le connaissement est signé par un agent, la responsabilité
de l'armateur dépend alors des limites du mandat de l'agent, et,
dans ce cas, les principes généraux du mandat s'appliquent.
486. Effets de la signature du capitaine. L'armateur est lié
par la signature de son capitaine à la condition qu'en signant le
connaissement, le capitaine n'outrepasse pas ses pouvoirs, dont
le chargeur avait connaissance ou dont il aurait dû avoir
connaissance. Lorsque le capitaine est expressément autorisé à
signer le connaissement en question, la responsabilité de l'arma-
teur ne fait l'objet d'aucune équivoque. Toutefois, sa responsa-
bilité ne dépend pas de l'existence d'un mandat exprès; il est
également responsable lorsque le capitaine agit dans la limite
de ses pouvoirs apparents.
Dans l'arrêt Hugh Mack & Co., Ltd. c. Burns &
Laird Lines, Ltd. 6 , on a statué que les Règles
s'appliquaient au transport des marchandises en
vertu d'un connaissement ou d'un document attes-
tant un titre représentatif similaire mais non au
cabotage, dans la mesure où il est effectué sur la
base de reçus non négociables plutôt que des con-
naissements. On a également jugé que l'article VI
assure une protection complète aux armateurs en
ce que les «conditions spéciales» prennent la forme
d'un reçu marqué «non négociable». La négociabi-
lité du document revêt une importance capitale
pour déterminer s'il s'agit d'un connaissement au
sens de la Loi sur le transport des marchandises
par eau et des Règles, car le but même de la
réserve prévue à l'article VI est de protéger les
autres parties à l'ordre desquelles le document
pourrait être endossé, contre la responsabilité limi-
tée du transporteur. Vu le rôle et la nature du
connaissement tel que défini dans tous les ouvrages
faisant autorité précités, il m'est difficile de consi-
dérer le document non signé qui m'est soumis
comme un connaissement négociable au sens de la
Loi et des Règles y annexées. Peut-être serait-il
plus exact de le décrire comme un reçu non
négociable.
Se référant au document soumis (dûment signé),
le juge en chef lord Andrews, dans l'affaire Hugh
Mack (précitée), a statué que même s'il s'agissait
6 (1943-44) 77 LI.L.R. 377.
à proprement parler d'un [TRADUCTION] «titre
représentatif», le document n'était pas [TRADUC-
TION] «similaire à» un connaissement. Après avoir
énuméré les éléments faisant défaut, il a affirmé à
la page 383:
[TRADUCTION] ... de surcroît, il ne s'agit pas d'un document
négociable dont l'endossement et la remise peuvent modifier la
propriété des marchandises transportées.
Il a tenté de définir ainsi l'expression «autre titre
représentatif»:
[TRADUCTION] Je n'entend pas en donner une définition
exhaustive; le terme couvre sans doute le connaissement «reçu
pour embarquement», c'est-à-dire un document émis avant le
chargement par opposition au connaissement proprement dit
qui est signé et remis après le chargement. A mon avis,
l'expression ne comprend pas un simple reçu semblable à celui
qu'a donné l'armateur au chargeur en l'espèce.
Le document soumis à la Cour n'est pas intitulé
«connaissement» et rien n'indique que le transpor-
teur avait l'intention qu'il en soit ainsi. En fait,
dans sa défense, le transporteur soutient n'avoir
délivré aucun connaissement. Le document doit
être considéré comme un simple reçu remis par
l'expéditeur au chargeur et non comme un con-
naissement négociable délivré par l'armateur et
signé par le capitaine ou un autre agent autorisé.
Dans l'affaire Harland & Wolff, Ltd. c. Burns
& Laird Lines, Ltd.', lord Blackburn a non seule-
ment étudié la signature d'un prétendu connaisse-
ment, mais également la date de la signature et il a
déclaré, à la page 289:
[TRADUCTION] La thèse des demandeurs selon laquelle le
document daté du 23 décembre 1929 est considéré comme un
connaissement me semble tout à fait inacceptable. Le document
n'a manifestement été signé que dix jours après la date indi-
quée, et à cette date le navire et la cargaison étaient déjà au
fond de l'océan. Il est bien évident qu'il a été signé dans le seul
but de vérifier le volume et la valeur de la cargaison perdue et
non afin de respecter l'objet du connaissement. Cela, à mon
avis, règle la question ... .
Dans l'affaire Le «Marlborough Hill» c. Alex.
Cowan and Sons, Ltd. 8 , la Chambre des lords a
examiné un document de très près et statué qu'il
s'agissait d'un connaissement. Lord Phillimore a
prononcé le jugement et il a déclaré à la page 453:
(1931) 40 L1.L.R. 286.
I [1921] 1 A.C. 444.
[TRADUCTION] Il semble, d'après la marge, qu'il s'agit bien
du formulaire utilisé par Commonwealth and Dominion Line,
Ld., Cunard Line, Australasian service, dont les agents améri-
cains sont Funch, Edye & Co. Incorporated et qui font affaire
entre New-York, l'Australie et la Nouvelle-Zélande; il n'a pas
été signé par le capitaine mais par la société en question à titre
d'agent du capitaine. Toutefois, il est bien établi que le capi-
taine d'un navire non affrété ne signe pas un tel document. Les
connaissements sont signés par les agents dans leurs bureaux.
On devrait peut-être ajouter que le document prévoit expressé-
ment que le chargeur cédera ses droits, que le mandataire ou
détenteur du connaissement présentera le document au port de
livraison et que son reçu et non celui du chargeur tiendra lieu
de quittance pour l'armateur.
L'affaire Montreal Trust Company c. Canadian
Surety Co. 9 a soulevé la question de l'applicabilité
de la Loi sur le transport des marchandises par
eau (1927) et un document y avait été présenté à
titre de connaissement. A ce propos, le juge Bond a
souligné que même si dans certains cas le connais-
sement est signé après le départ du navire, il
semble que dans cette affaire le document n'avait
même pas été signé. Il déclare à la page 220:
[TRADUCTION] On peut soutenir assez fermement, et on l'a
déjà fait, que le document en question n'est pas un connaisse-
ment, au sens strict du mot. Tout d'abord, il n'est pas signé—à
en juger du moins par la copie déposée par les appelants,
l'original n'ayant pas été présenté. Là aussi, bien qu'intitulé
«connaissement», il ressemble plutôt à un «Ordre d'embarque-
ment», selon la pièce D-4 de l'intimée ou, comme le désignent
souvent les auteurs en la matière, un «connaissement—reçu
pour embarquement». Il est fort incertain que ce dernier consti-
tue un connaissement, au véritable sens du mot. (Temperley,
Carriage of Goods by Sea Act, 1924, 3 » éd. 1927, page 7.)
Donc, à mon avis, le document non signé dont il
est question en l'espèce ne constitue pas un con-
naissement au sens de la Loi sur le transport des
marchandises par eau.
Dépens à suivre l'issue de la cause.
9 (1939) 67 B.R. (Qué.) 218.
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