T-2891-75
La Reine du chef du Canada (Demanderesse)
c.
Hawker Siddeley Canada Ltd. et Chemi-Solv
Limited (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh—
Toronto, le 14 juin; Ottawa, le 28 juin 1976.
Pratique—Privilège—Les défenderesses demandent la pro
duction du rapport de la Commission d'enquête qui devait
déterminer l'étendue du dommage apparemment causé au
navire de la demanderesse par les travaux de nettoyage exécu-
tés par la défenderesse—Ce document est-il de caractère
confidentiel?—Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c.
N-4, art. 420).
La défenderesse H Ltd. a été engagée par contrat par la
demanderesse pour faire le nettoyage des chaudières du Resti-
gouche et a confié à la défenderesse C Limited, par contrat de
sous-traitance, le nettoyage par des procédés chimiques. La
demanderesse affirme que la corrosion massive découverte
après la livraison du navire est attribuable au fait que les
défenderesses ont laissé des substances chimiques corrosives à
l'intérieur des machines. Une Commission d'enquête confiden-
tielle a été instituée. Contrairement aux directives données à ce
sujet, la division de H Ltd., qui a fait les travaux, n'a pas été
invitée aux délibérations et n'y était pas présente. H Ltd.
demande la production du rapport de cette Commission d'en-
quête afin d'éviter d'être prise au dépourvu au procès finale-
ment intenté contre elle et contre C Limited pour le coût de
l'examen et de la réparation des dommages et la perte de
l'usage du navire.
Arrêt: la requête est accueillie, le rapport ne relève pas du
secret professionnel. Il ne fait aucun doute que l'on envisageait
un procès mais il serait difficile de dire que l'enquête a eu lieu à
la demande d'un procureur ou dans le but d'en transmettre le
rapport soit à ce dernier ou à un avocat. Par conséquent, on n'a
pas satisfait à l'un des critères requis pour l'exemption de
communication. Il ne fait aucun doute qu'au moment où le
rapport a été rédigé, on s'attendait à un procès et assurément,
son contenu serait utile dans cette éventualité. Cependant, rien
ne permet de croire qu'un avocat ou un représentant du minis-
tère de la Justice ait demandé la tenue de cette enquête afin
d'obtenir des renseignements utiles à la préparation de son
dossier, en vue du procès envisagé. Au contraire, l'enquête a été
tenue et le rapport préparé pour le compte de la Marine, à
l'intention du ministère de la Défense nationale, et même si le
rapport pouvait assurément être utile à l'avocat de la demande-
resse pour le procès envisagé, lui accorder le privilège exclusif
d'en prendre communication ainsi que des déclarations de
nombreux témoins qu'il est censé contenir, ferait tort aux
défenderesses qui ont droit d'obtenir ces renseignements en vue
de préparer leur défense, et qu'on a refusé de leur transmettre à
la demande de l'avocat de la demanderesse, qui en réclame
l'exclusivité pour préparer son dossier.
Arrêts appliqués: Susan Hosiery Limited c. M.R.N.
[1969] 2 R.C.É. 27; Birmingham and Midland Motor
Omnibus Company, Limited c. London & North Western
Railway Company [1913] 3 K.B. 850 (C.A.); Longthornc.
British Transport Commission [1959] 2 All E.R. 32;
Woolley c. North London Railway Company (1869) 38
L.J.C.P. 317 et Cook c. North Metropolitan Tramway Co.
(1889) 6 T.L.R. 22 (Q.B. Div.). Arrêts analysés: Mitchell
c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
(1973) 38 D.L.R. (3°) 581; Alfred Crompton Amusement
Machines Ltd. c. Customs and Excise Commissioners
(N°2) [1974] A.C. 405; Seabrook c. British Transport
Commission [1959] 2 All E.R. (Q.B.D.) 15; Blackstone c.
The Mutual Life Insurance Company of New York [1944]
O.R. 328 et Cook c. Cook [1947] O.R. 287.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. Aylen, c.r., pour la demanderesse.
J. D. Holding, c.r., pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Borden & Elliot, Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête présen-
tée pour le compte de la défenderesse Hawker
Siddeley Canada Ltd. visant à obtenir une ordon-
nance conformément à la Règle 455(1)b) (et à la
Règle 459 si elle s'applique) prescrivant à la
demanderesse de produire pour examen les procé-
dures et le rapport de la Commission d'enquête
désignés sous le numéro 402 la partie 2 de la liste
de documents de la demanderesse, en date du 7
mai 1976. La demanderesse prétend que ce docu
ment est de caractère confidentiel et sollicite
l'exemption de sa production. Ce document s'inti-
tule [TRADUCTION] «Commission d'enquête tenue
par le ministère de la Défense nationale au sujet de
la corrosion des machines du `Restigouche'». Les
questions en litige entre les parties peuvent se
résumer brièvement: la défenderesse Hawker
Siddeley a été engagée par contrat pour faire
certains travaux à bord du Restigouche, le mon-
tant porté au contrat dépassant la somme de
$5,000,000. Les travaux comprenaient notamment
le nettoyage des chaudières principales par des
procédés mécaniques. Par la suite, le nettoyage des
chaudières par des procédés chimiques s'est révélé
nécessaire et la défenderesse Hawker Siddeley a
confié cette tâche à la défenderesse Chemi-Solv
par contrat de sous-traitance. Après livraison du
navire, on a découvert que les machines principa-
les, les tubes du surchauffeur de la chaudière
principale, les pompes pour le graissage sous pres-
sion et d'autres machines et installations auxiliai-
res contenaient des substances provoquant une cor
rosion massive que la demanderesse affirme être
attribuable au fait que les défenderesses ont laissé
des substances chimiques corrosives à l'intérieur de
ces machines. En temps et lieu, le 20 août 1975, on
a intenté des poursuites au montant de $721,-
468.26 pour le coût de l'examen et de la réparation
des dommages causés par la corrosion et la perte
de l'usage du navire. La défenderesse Chemi-Solv
fait valoir qu'elle a fait le nettoyage conformément
aux exigences de la marine royale du Canada et
qu'en outre les travaux ont été vérifiés et approu-
vés par l'inspecteur de la demanderesse et l'agent
de la codéfenderesse. La défenderesse Hawker
Siddeley prétend que le nettoyage des chaudières
au moyen d'acides a été effectué par la codéfende-
resse, qui avait été approuvée et désignée pour ce
travail par des agents de la demanderesse en raison
de son expérience et de ses connaissances techni
ques en la matière. De toute façon, la défenderesse
nie que le travail a été mal fait. Elle fait valoir en
outre que s'il y a eu corrosion, la faute en est aux
agents de la demanderesse et à ses préposés, qui
ont laissé le navire à quai trop longtemps après la
fin des essais à la mer, en omettant d'entretenir
correctement et de protéger les machines et en
omettant de prendre les mesures nécessaires pour
limiter les dommages après leur découverte.
La demanderesse a reçu livraison du navire le 12
mai 1972 et les dommages ont été constatés le 23
juin. Le 4 juillet 1972, le service de construction
des navires a écrit à la défenderesse Hawker
Siddeley Canada Ltd. pour l'informer de la corro
sion qu'aurait causé le nettoyage par des procédés
chimiques; il a ajouté que l'on considérait que la
clause de garantie du contrat visait ces dommages
et que par conséquent la défenderesse était tenue
responsable de tous les frais et que ses agents
étaient invités à assister au désassemblage du
matériel aux fins d'inspection des dommages.
Hawker Siddeley a répondu le 11 juillet 1972,
niant toute responsabilité pour les dommages allé-
gués. Elle a déclaré que le nettoyage à l'acide avait
été effectué sur les ordres de fonctionnaires du
ministère de la Défense nationale qui, après s'être
informés des tarifs de la codéfenderesse, avaient
dit à la défenderesse Hawker Siddeley de l'em-
ployer; elle a ajouté qu'en outre, des fonctionnaires
du ministère de la Défense nationale avaient
approuvé et vérifié tous les procédés utilisés.
Le 4 août 1972, le vice-amiral D. A. Collins,
chef des services techniques instituait une commis
sion d'enquête. Elle avait pour mandat [TRADUC-
TION] «de déterminer l'étendue et la cause de la
corrosion des machines principales et auxiliaires
aussi bien que celle des systèmes accessoires du
Restigouche'». Il a aussi été arrêté que la Com
mission ferait enquête sur les mesures administra-
tives et sur les procédés techniques responsables
des dommages causés par la corrosion et étudierait
l'étendue de ceux-ci; en outre, des représentants du
service de construction des navires du ministère
des Approvisionnements et Services à Ottawa et
des chantiers de construction navale de Halifax
(services de la Hawker Siddeley ayant fait le
travail) devaient être invités à assister aux délibé-
rations de la Commission. Celle-ci avait pour
mandat d'entendre tous les témoins pouvant dépo-
ser, de consigner la preuve relative à toute autre
cause technique éventuelle des dommages, aux
procédés techniques et mesures administratives de
nature à avoir contribué à la cause la plus probable
de ces dommages, aux personnes qui ont pris ou
exécuté ces mesures et procédés ainsi qu'à l'éten-
due et au prix des réparations. La Commission
devait présenter des conclusions sur la cause tech
nique la plus probable des dommages, sur les
mesures d'ordre administratif y ayant contribué et
sur les réparations nécessaires. La Commission
devait faire des recommandations quant aux pro-
cédés d'ordre technique à utiliser pour éviter la
répétition de tels dommages à l'avenir et quant aux
mesures administratives à prendre pour qu'un tel
incident ne se reproduise pas. Il était dit que
l'enquête était «confidentielle». Le vice-amiral Col-
lins devait recevoir copie des délibérations en triple
exemplaire.
La défenderesse demande la production du rap
port de cette commission d'enquête. Les avocats
des parties ne contestent pas que les représentants
des chantiers de construction navale de Halifax
n'étaient pas présents aux délibérations de la Com
mission malgré les directives données à ce sujet.
On ne sait pas s'il s'agit d'un oubli, mais ils se
seraient très probablement rendus à l'invitation si
elle leur avait été faite, pour prendre connaissance
de la preuve soumise à la Commission, maintenant
consignée dans ce rapport, de plus de 400 pages
paraît-il, et dont ils sollicitent la production afin
d'éviter d'être pris au dépourvu au procès.
Dans son affidavit, le colonel Roland F. Barnes,
juge-avocat général adjoint, affirme qu'après les
échanges de lettres du 4 et du 11 juillet 1972
(mentionnés plus haut) la défenderesse Hawker
Siddeley n'a jamais laissé entendre qu'elle paierait
le coût des réparations et que par conséquent il
était évident, avant la convocation de la commis
sion d'enquête et durant ses délibérations, qu'un
différend opposait déjà la demanderesse et la
défenderesse Hawker Siddeley et qu'il serait néces-
saire d'instituer une action en recouvrement du
coût de la réparation du navire. Le colonel Barnes
dit également que le rapport se compose de décla-
rations dont plusieurs des signataires seront vrai-
semblablement cités comme témoins, ainsi que les
conclusions des membres de la Commission; il
ajoute que ce document a été transmis au minis-
tère de la Justice quand ce dernier a reçu instruc
tion de prendre les mesures nécessaires pour recou-
vrer le coût des réparations du navire endommagé.
L'affidavit de J. L. Scott Henderson indique que
le signataire était conseiller juridique de la com
mission d'enquête convoquée en août 1972 aux fins
d'enquêter sur les dommages en question, qu'à ce
titre, il a siégé avec la commission pendant ses
délibérations et que celle-ci était au courant de la
lettre en date du 4 juillet 1972. L'affidavit dit en
outre que la Couronne avait signifié avis de sa
réclamation contre Hawker Siddeley et qu'en con-
séquence elle avait obtenu, pendant les délibéra-
tions de la commission, des déclarations des
témoins et des éléments de preuve de nature à
étayer la réclamation contre les parties responsa-
bles en droit des dommages; toujours selon Hen-
derson, la commission s'attendait à ce que les
éléments de preuve qui lui étaient fournis soient
transmis aux avocats de la Couronne pour être
utilisés au cours des poursuites intentées à la suite
des dommages subis.
Pour sa part, la défenderesse déclare, dans un
affidavit signé par son avocat, Edward Allan
Ayers, qu'un communiqué du ministère de la
Défense nationale en date du 29 septembre 1972,
décrivant certaines conclusions de la commission
d'enquête, aurait mentionné ledit rapport. Le troi-
sième paragraphe de ce communiqué déclare:
[TRADUCTION] «Le rapport d'enquête de près de
400 pages fait l'objet d'un examen minutieux au
quartier général de la Défense nationale afin de
déterminer quelles autres mesures peuvent être
nécessaires, sans écarter la possibilité d'une action
en recouvrement du coût des réparations».
La commission d'enquête a été convoquée con-
formément aux dispositions de l'article 42(1) de la
Loi sur la défense nationale', qui porte que:
42. (1) Le Ministre, de même que toute autre autorité qu'il
indique ou nomme à cette fin, peut, s'il importe que le Ministre
ou cette autre autorité soit renseignée sur toute question rela
tive au gouvernement, à la discipline, à l'administration ou aux
fonctions des Forces canadiennes ou concernant tout officier ou
homme, convoquer une commission d'enquête pour examiner
cette question et en faire rapport.
Il semble d'après le libellé de cet article qu'une
telle enquête vise principalement à établir si un
membre des Forces armées a décidé, inspecté ou
approuvé à tort les travaux en question, et à
prévenir la répétition de toute directive ou tous
actes semblables, à supposer qu'ils soient la cause
des dommages. Donc, bien que l'article habilitant
de la Loi ne contribue pas vraiment à établir le
bien-fondé d'une réclamation contre la défende-
resse, il est clair que les pouvoirs qu'il accorde
imposaient la tenue d'une enquête sur l'étendue
des dommages, sur leurs causes probables ou sim-
plement possibles, d'ordre administratif ou techni
que, et sur les réparations nécessaires et leur coût,
tous ces facteurs étant directement pertinents au
litige.
Bien que l'enquête ait été reconnue confiden-
tielle, le rapport n'en est pas pour autant exempt
de communication, d'autant plus qu'aux termes du
mandat de la commission, des représentants des
chantiers de construction navale de Halifax, le
service de la défenderesse Hawker Siddeley
Canada Ltd. ayant fait les réparations, devaient
être invités à assister aux audiences.
' S.R.C. 1970, c. N-4.
Les avocats des deux parties ont cité une juris
prudence abondante sur la question de l'exemption
de communication. En fait, les deux parties ont
trouvé quelque appui pour leurs prétentions dans
l'un des arrêts canadiens les plus récents, Mitchell
c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada 2 . Dans cette décision, le juge Cowan, juge
en chef de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse
analyse assez longuement la jurisprudence anglaise
et canadienne. La question avait trait à la produc
tion du procès-verbal d'un accident qu'avait fourni
la compagnie de chemins de fer à la Commission
des transports dont l'ordonnance prévoyait qu'un
tel procès-verbal devait être exempt de communi
cation. Le savant juge en chef a statué que cette
ordonnance avait pour objet d'assurer que de tels
documents ne soient pas rendus publics sauf sur
ordre de la Commission mais qu'elle n'était pas
destinée à les exempter de production pour examen
dans une action découlant d'un accident. Bien que
les règles ordinaires de la procédure civile recon-
naissent le caractère confidentiel de la lettre adres-
sée par l'agent de réclamation de la compagnie de
chemins de fer à l'avocat de cette dernière, dans
laquelle étaient résumés les résultats de l'enquête
sur l'accident jusqu'à ce jour, et incorporant des
rapports écrits et des déclarations faites par divers
employés de la compagnie de chemins de fer, la
Cour a statué que les déclarations et les rapports
eux-mêmes ne relèvent pas du secret professionnel
entre clients et procureurs et que, n'ayant pas été
rédigés aux fins d'un litige pendant ou prévu, ils ne
sont pas exempts de communication. A la page
586 de son jugement, il renvoie à l'ouvrage de
Williston et de Rolls 3 , où il est dit à la page 827:
[TRADUCTION] La correspondance entre une partie et un
agent non professionnel n'est exempte de communication
que ... (1) si elle est destinée à être transmise à un procureur
ou à un avocat afin d'obtenir ses conseils, de lui permettre
d'intenter une action, de défendre son client ou de préparer un
dossier; et (2) si elle est échangée aux fins d'un procès en cours
ou projeté à l'époque. Ces deux conditions sont préalables à
l'exemption de communication.
A la même page, le juge en chef Cowan cite de
nouveau Williston et Rolls aux pages 916 et 917:
[TRADUCTION] Sont exempts de production tous les docu
ments et copies de ces documents rédigés dans l'intention—pas
nécessairement unique ni primordiale—d'aider une partie ou
ses avocats dans un procès en cours ou prévu.
2 (1973) 38 D.L.R. (3 e ) 581.
3 Law of Civil Procedure (1970), vol. 2 aux pp. 821à 829.
Les documents existants avant que le procès ne soit projeté et
qui n'ont pas été rédigés afin d'obtenir l'avis d'un avocat ne
sont pas exempts de production ... du simple fait qu'ils sont en
la possession d'un avocat aux fins d'un procès. L'expectative
réelle d'un procès doit d'abord exister pour qu'il y ait une
exemption de communication.
L'avocat de la défenderesse soutient que même si
de fait l'on envisageait un procès avant l'enquête,
elle n'avait pas pour but unique ou principal d'ai-
der la demanderesse et ses avocats au cours du
procès auquel on s'attendait mais dans le but de
découvrir si un membre des Forces armées était en
faute, afin de prévenir la répétition de problèmes
semblables dans des contrats à venir. Par contre,
l'avocat de la demanderesse prétend que la com
mission d'enquête n'a été instituée qu'après que la
Hawker Siddeley a rejeté la réclamation et il
ajoute, en s'appuyant sur l'extrait cité de l'ouvrage
de Williston et Rolls, que son mandat indiquait
clairement que la documentation réunie au cours
de l'enquête était susceptible de servir pendant le
procès qui devait en résulter, ce qui l'exempte de
communication.
Le savant juge en chef renvoie à la décision du
lord juge Hamilton dans l'affaire Birmingham and
Midland Motor Omnibus Company Limited c.
London & North Western Railway Company'
dans laquelle il examine, à la page 859, la question
des dossiers constitués et des rapports faits pen
dant le cours normal de la marche d'une entreprise
et il déclare:
[TRADUCTION] Il serait, à mon avis, injustifié en principe et
désastreux en pratique de statuer que de tels documents sont
exempts de communication simplement parce que l'on peut
affirmer que l'employeur les considère comme faisant partie de
la marche habituelle des affaires, et des fonctions de ses
employés et a prévu ou envisagé leur utilité dans un procès qu'il
redoute, dont on l'a menacé ou qui est intenté.
Ce qui précède s'oppose à l'opinion du juge Buck-
ley dans la même affaire, dont je discuterai plus
loin. L'arrêt Mitchell renvoie aussi à l'arrêt Long -
thorn c. British Transport Commissions, dans
lequel le juge Diplock traitait d'une demande
d'exemption pour un rapport d'enquête privée sur
la cause d'un accident dans lequel était impliqué le
demandeur, un employé de la British Transport
Commission. Au moment de l'enquête, la Commis-
' [1913] 3 K.B. 850 (C.A.).
5 [1959] 2 All E.R. 32.
Sion ne savait pas que le demandeur avait l'inten-
tion d'actionner. Selon l'affidavit réclamant
l'exemption de production, les documents avaient
été rédigés aux fins notamment d'obtenir de l'avo-
cat et de lui fournir des éléments de preuve et des
renseignements. Le juge Diplock a conclu que
l'exemption ne se justifiait pas par le motif dont
faisait état l'affidavit à savoir que les documents, y
compris le rapport, avaient été rédigés dans le but
notamment de fournir à l'avocat des éléments de
preuve ou des renseignements, sans déclarer que
c'était là l'objet principal. Il a aussi statué que le
rapport montrait que l'enquête n'avait pas été faite
dans le but de fournir des éléments de preuve ou
des renseignements au procureur de la Commis
sion et que par conséquent il n'était pas exempt de
communication.
Le savant juge en chef a également cité l'affaire
Woolley c. North London Railway Company 6 ; il
s'agissait d'un accident survenu au train de la
défenderesse, à bord duquel voyageait le deman-
deur et l'on avait avancé que l'accident était impu-
table à un défaut de construction de la locomotive.
Le demandeur avait demandé à examiner certains
documents, mais le juge Brett avait déclaré (page
324):
[TRADUCTION] Je crois que l'on peut énoncer la règle de la
façon suivante: tout rapport que fait un employé à son
employeur dans le but de le renseigner au sujet de sa réclama-
tion ou de sa défense dans un procès, projeté ou en cours, est
exempt de production mais un rapport fait dans le cours normal
des affaires, indépendamment de ce procès, projeté ou en cours,
doit être produit. Selon cette règle, peu importe que le rapport
précède ou non le début du procès, qu'il soit confidentiel ou
non, ou qu'il ait trait à des opinions ou à des faits. L'important
est de savoir s'il est présenté dans le cours ordinaire des choses,
ou uniquement dans le but de recommander à l'employeur de
nier sa responsabilité ou de faire une réclamation.
Dans l'arrêt Cook c. North Metropolitan Tram-
way Co.' le juge Field a dit à la page 23 propos
du rapport quotidien d'un chef de train:
[TRADUCTION] Il était très important de pouvoir exiger la
production de ces documents, et il était à l'avantage réciproque
des parties qu'elles arrivent au procès bien informées toutes les
deux et non seulement l'une d'elles. Il s'agissait d'un rapport—
d'un rapport quotidien—fait par le chef de train, dans l'exécu-
tion normale de ses fonctions. Il n'avait pas été rédigé aux fins
de la défense de l'action, ni relativement à aucune autre action.
6 (1869) 38 L.J.C.P. 317.
7 (1889) 6 T.L.R. 22 (Q.B. Div.).
Les arrêts anglais auxquels renvoie le jugement
Mitchell ainsi que d'autres ont fait l'objet d'une
étude assez approfondie dans l'arrêt Alfred
Crompton Amusement Machines Ltd. c. Customs
and Excise Commissioners (N° 2)'. Bien que le
jugement de la Cour ait été rendu par lord Cross,
c'est peut-être la décision de lord Kilbrandon, citée
à la page 435 et dans laquelle il souscrit aux
conclusions de lord Cross, qui est la plus pertinente
à l'espèce. Il déclare:
[TRADUCTION] Cependant, je tiens à mentionner brièvement
la jurisprudence quelque peu contradictoire sur la question de
la communication de documents dont on dit qu'ils ont été
rédigés aux fins d'un procès, jurisprudence que peuvent illustrer
la décision du lord juge Buckley dans l'affaire Birmingham and
Midland Motor Omnibus Co. Ltd. c. London and North West
ern Railway Co. [1913] 3 K.B. 850 et celle du juge Havers
dans l'affaire Seabrook c. British Transport Commission
[1959] 1 W.L.R. 509, d'une part, et d'autre part, les décisions
du lord juge Hamilton dans l'affaire Birmingham et du juge
Diplock dans l'affaire Longthorn c. British Transport Commis
sion [1959] 1 W.L.R. 530. Tout comme mon noble et savant
ami, je préfère le second point de vue au premier. A mon avis, il
faut déconseiller toute pratique de classification »tout usage»
des documents particulièrement comme c'est habituellement le
cas, lorsqu'ils ont trait à des réclamations résultant d'accidents.
Toutefois, le vicomte Dilhorne était dissident dans
l'arrêt Crompton. Il déclarait à la page 421:
[TRADUCTION] J'estime que la conclusion selon laquelle à
partir du 31 juillet 1967 les commissaires s'attendaient raison-
nablement à l'arbitrage est essentielle en ce qui concerne la
demande d'exemption de communication.
Les documents que les commissaires affirment être exempts
de communication vu leur caractère confidentiel ont été prépa-
rés au cours de l'enquête. Ils avaient un double objet: aider les
commissaires à se faire une idée et servir à leurs procureurs,
chargés de réunir les documents nécessaires à l'arbitrage, de
donner des avis à ce sujet et de préparer le dossier des
commissaires.
Lorsqu'il se produit un événement de nature à entraîner un
procès, comme par exemple un accident sur une voie ferrée, il
est établi de longue date que les rapports faits en prévision d'un
procès et à l'intention des procureurs du défendeur sont
exempts de communication, et ces rapports n'ont pas à être
faits uniquement ou principalement à l'intention des procu-
reurs: Ogden c. London Electric Railway Co. (1933) 49 T.L.R.
542 et Birmingham and Midland Motor Omnibus Co. Ltd. c.
London and North Western Railway Co. [1913] 3 K.B. 850.
Donc le fait que les documents aient été rédigés à deux fins ne
les privent pas de l'exemption de communication si l'une de ces
fins était de servir aux procureurs lorsqu'on est en droit de
s'attendre à un procès.
8 [1974] A.C. 405.
Dans l'arrêt Seabrook c. British Transport
Commission 9 traitant des rapports de chemins de
fer à la suite d'un accident, la Cour a statué qu'ils
étaient exempts de communication parce qu'ils
avaient réellement été obtenus dans le but de
prendre conseil du procureur de la Commission en
raison du procès auquel on s'attendait, et le fait
que ces documents ont également servi d'autres
fins ne leur a pas fait perdre leur caractère privilé-
gié. Alors que cet arrêt suivait la décision du juge
Buckley dans l'affaire Birmingham and Midland
Motor Omnibus Company Limited il était tout à
fait contraire à la conclusion du juge Diplock dans
l'affaire Longthorn c. British Transport Commis
sion comme l'a souligné lord Kilbrandon dans
l'arrêt Crompton. Dans l'arrêt Birmingham and
Midland Motor Omnibus Company Limited c.
London & North Western Railway Company (pré-
cité) le lord juge Buckley avait dit à la page 856:
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire, à mon avis, que l'affida-
vit précise que les renseignements ont été recueillis uniquement
ou simplement ou principalement pour l'avocat, pourvu qu'ils
soient recueillis pour l'avocat, en ce sens qu'on les lui soumet
comme pièces sur lesquelles on veut obtenir l'avis d'un profes-
sionnel à l'occasion d'une procédure déjà entamée ou d'une
procédure dont on est menacé ou à laquelle on s'attend. Tout
renseignement recueilli pour l'avocat, dans les circonstances
ci-dessus mentionnées, est couvert par le secret professionnel
même si la partie qui l'a obtenu avait l'intention, si cela était
possible, de régler l'affaire sans aucun recours à l'avocat.
L'avocat de la demanderesse a aussi renvoyé à
l'arrêt Blackstone c. The Mutual Life Insurance
Company of New York 1° dans lequel le juge
Robertson, juge en chef de l'Ontario, a déclaré à la
page 333:
[TRADUCTION] Tout comme l'avocat du défendeur, j'estime
qu'il n'est pas essentiel au bien-fondé de la demande d'exemp-
tion de communication que le document faisant l'objet d'une
telle demande ait été écrit, préparé ou obtenu uniquement aux
fins d'un procès alors pendant ou prévu ou relativement à un tel
procès. Il suffit que cela ait été à l'époque l'objet principal ou
l'un des plus importants.
On s'est aussi reporté à la déclaration suivante du
juge Gale (tel était alors son titre) dans l'arrêt
Cook c. Cook 11 (page 289):
[TRADUCTION] Si une personne charge un détective d'enquêter
sur la conduite d'une autre personne pour une raison totalement
étrangère à tout procès, pendant ou envisagé et que des procé-
dures sont ensuite entamées, le contenu du rapport du détective
sera sujet à communication s'il est pertinent aux procédures.
9 [1959] 2 All E.R. (Q.B.D.) 15.
10 [1944] O.R. 328.
11 [1947] O.R. 287.
Cependant plus haut à la même page, il déclarait:
[TRADUCTION] ... la correspondance entre une personne et
son mandataire qui n'est pas un conseiller juridique ne relève
du secret professionnel que dans certaines circonstances. Pour
être exempte de communication, la lettre doit non seulement
avoir été écrite à la demande ou sur l'avis d'un procureur, ou
pour être remise à un procureur ou à un avocat, mais de plus
elle doit être rédigée et obtenue aux fins d'un procès, en cours
ou envisagé à l'époque.
En l'espèce, il ne fait aucun doute que l'on envisa-
geait un procès mais il serait difficile de dire que
l'enquête a eu lieu à la demande ou sur l'avis d'un
procureur ou dans le but d'en transmettre le rap
port, soit à ce dernier ou à un avocat. Par consé-
quent, cela ne répond pas à l'un des critères expo-
sés par le juge en chef Gale ou par Williston et
Rolls (précité).
Dans cette Cour, le président Jackett, aujour-
d'hui juge en chef, a déclaré à la page 34 de l'arrêt
Susan Hosiery Limited c. M.R.N. 12 :
[TRADUCTION] Ce qu'il importe de noter au sujet de cha-
cune de ces deux propositions, c'est que ni l'une ni l'autre ne
confère de privilège allant à l'encontre de la communication des
faits qui sont ou peuvent être pertinents pour la décision sur les
faits litigieux. Ce qui est privilégié, ce sont, d'une part les
communications ou les notes dont l'existence est liée à la
demande d'un conseil ou d'une assistance juridiques et, d'autre
part les documents préparés pour le dossier de l'avocat. Les
faits ou les pièces auxquels font allusion ces communications ou
ces documents ne bénéficient pas de l'exemption de communi
cation si la partie, de toutes façons, est tenue de les
communiquer.
Il est évident que la jurisprudence est également
partagée et chaque cas doit être jugé selon les faits
qui lui sont particuliers; cependant, je n'estime pas
qu'en l'espèce le rapport de la Commission d'en-
quête, bien que confidentiel, est exempt de com
munication. Il ne fait pas de doute qu'au moment
où il a été rédigé, on s'attendait à un procès et
assurément le contenu du rapport serait utile dans
cette éventualité. Cependant, rien ne permet de
croire qu'un avocat ou un représentant du minis-
tère de la Justice ait demandé la tenue de cette
enquête afin d'obtenir des renseignements utiles à
la préparation de son dossier, en vue du procès
envisagé, qui a effectivement eu lieu, bien qu'envi-
ron 3 ans plus tard. Au contraire, l'enquête a été
tenue et le rapport préparé pour le compte de la
Marine, à l'intention du ministère de la Défense
nationale et même si le rapport pouvait assurément
être utile à l'avocat de la demanderesse pour le
12 [ 1969] 2 R.C.É. 27. •
procès envisagé, lui accorder le privilège exclusif
d'en prendre communication ainsi que des déclara-
tions de nombreux témoins qu'il est censé contenir
ferait tort aux défenderesses qui ont droit d'obtenir
ces renseignements en vue de préparer leur
défense, et qu'on a refusé de leur transmettre à la
demande de l'avocat de la demanderesse, qui en
réclame l'exclusivité pour préparer son dossier.
Je statue donc que le rapport en question ne
relève pas du secret professionnel et doit être
communiqué. J'accueille en conséquence la
requête de la défenderesse avec dépens.
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