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T-2891-75
La Reine du chef du Canada (Demanderesse) c.
Hawker Siddeley Canada Ltd. et Chemi-Solv Limited (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh— Toronto, le 14 juin; Ottawa, le 28 juin 1976.
Pratique—Privilège—Les défenderesses demandent la pro duction du rapport de la Commission d'enquête qui devait déterminer l'étendue du dommage apparemment causé au navire de la demanderesse par les travaux de nettoyage exécu- tés par la défenderesse—Ce document est-il de caractère confidentiel?—Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 420).
La défenderesse H Ltd. a été engagée par contrat par la demanderesse pour faire le nettoyage des chaudières du Resti- gouche et a confié à la défenderesse C Limited, par contrat de sous-traitance, le nettoyage par des procédés chimiques. La demanderesse affirme que la corrosion massive découverte après la livraison du navire est attribuable au fait que les défenderesses ont laissé des substances chimiques corrosives à l'intérieur des machines. Une Commission d'enquête confiden- tielle a été instituée. Contrairement aux directives données à ce sujet, la division de H Ltd., qui a fait les travaux, n'a pas été invitée aux délibérations et n'y était pas présente. H Ltd. demande la production du rapport de cette Commission d'en- quête afin d'éviter d'être prise au dépourvu au procès finale- ment intenté contre elle et contre C Limited pour le coût de l'examen et de la réparation des dommages et la perte de l'usage du navire.
Arrêt: la requête est accueillie, le rapport ne relève pas du secret professionnel. Il ne fait aucun doute que l'on envisageait un procès mais il serait difficile de dire que l'enquête a eu lieu à la demande d'un procureur ou dans le but d'en transmettre le rapport soit à ce dernier ou à un avocat. Par conséquent, on n'a pas satisfait à l'un des critères requis pour l'exemption de communication. Il ne fait aucun doute qu'au moment le rapport a été rédigé, on s'attendait à un procès et assurément, son contenu serait utile dans cette éventualité. Cependant, rien ne permet de croire qu'un avocat ou un représentant du minis- tère de la Justice ait demandé la tenue de cette enquête afin d'obtenir des renseignements utiles à la préparation de son dossier, en vue du procès envisagé. Au contraire, l'enquête a été tenue et le rapport préparé pour le compte de la Marine, à l'intention du ministère de la Défense nationale, et même si le rapport pouvait assurément être utile à l'avocat de la demande- resse pour le procès envisagé, lui accorder le privilège exclusif d'en prendre communication ainsi que des déclarations de nombreux témoins qu'il est censé contenir, ferait tort aux défenderesses qui ont droit d'obtenir ces renseignements en vue de préparer leur défense, et qu'on a refusé de leur transmettre à la demande de l'avocat de la demanderesse, qui en réclame l'exclusivité pour préparer son dossier.
Arrêts appliqués: Susan Hosiery Limited c. M.R.N. [1969] 2 R.C.É. 27; Birmingham and Midland Motor Omnibus Company, Limited c. London & North Western
Railway Company [1913] 3 K.B. 850 (C.A.); Longthornc. British Transport Commission [1959] 2 All E.R. 32; Woolley c. North London Railway Company (1869) 38 L.J.C.P. 317 et Cook c. North Metropolitan Tramway Co. (1889) 6 T.L.R. 22 (Q.B. Div.). Arrêts analysés: Mitchell c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1973) 38 D.L.R. (3°) 581; Alfred Crompton Amusement Machines Ltd. c. Customs and Excise Commissioners (N°2) [1974] A.C. 405; Seabrook c. British Transport Commission [1959] 2 All E.R. (Q.B.D.) 15; Blackstone c. The Mutual Life Insurance Company of New York [1944] O.R. 328 et Cook c. Cook [1947] O.R. 287.
REQUÊTE. AVOCATS:
D. Aylen, c.r., pour la demanderesse.
J. D. Holding, c.r., pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Borden & Elliot, Toronto, pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête présen- tée pour le compte de la défenderesse Hawker Siddeley Canada Ltd. visant à obtenir une ordon- nance conformément à la Règle 455(1)b) (et à la Règle 459 si elle s'applique) prescrivant à la demanderesse de produire pour examen les procé- dures et le rapport de la Commission d'enquête désignés sous le numéro 402 la partie 2 de la liste de documents de la demanderesse, en date du 7 mai 1976. La demanderesse prétend que ce docu ment est de caractère confidentiel et sollicite l'exemption de sa production. Ce document s'inti- tule [TRADUCTION] «Commission d'enquête tenue par le ministère de la Défense nationale au sujet de la corrosion des machines du `Restigouche'». Les questions en litige entre les parties peuvent se résumer brièvement: la défenderesse Hawker Siddeley a été engagée par contrat pour faire certains travaux à bord du Restigouche, le mon- tant porté au contrat dépassant la somme de $5,000,000. Les travaux comprenaient notamment le nettoyage des chaudières principales par des procédés mécaniques. Par la suite, le nettoyage des chaudières par des procédés chimiques s'est révélé nécessaire et la défenderesse Hawker Siddeley a
confié cette tâche à la défenderesse Chemi-Solv par contrat de sous-traitance. Après livraison du navire, on a découvert que les machines principa- les, les tubes du surchauffeur de la chaudière principale, les pompes pour le graissage sous pres- sion et d'autres machines et installations auxiliai- res contenaient des substances provoquant une cor rosion massive que la demanderesse affirme être attribuable au fait que les défenderesses ont laissé des substances chimiques corrosives à l'intérieur de ces machines. En temps et lieu, le 20 août 1975, on a intenté des poursuites au montant de $721,- 468.26 pour le coût de l'examen et de la réparation des dommages causés par la corrosion et la perte de l'usage du navire. La défenderesse Chemi-Solv fait valoir qu'elle a fait le nettoyage conformément aux exigences de la marine royale du Canada et qu'en outre les travaux ont été vérifiés et approu- vés par l'inspecteur de la demanderesse et l'agent de la codéfenderesse. La défenderesse Hawker Siddeley prétend que le nettoyage des chaudières au moyen d'acides a été effectué par la codéfende- resse, qui avait été approuvée et désignée pour ce travail par des agents de la demanderesse en raison de son expérience et de ses connaissances techni ques en la matière. De toute façon, la défenderesse nie que le travail a été mal fait. Elle fait valoir en outre que s'il y a eu corrosion, la faute en est aux agents de la demanderesse et à ses préposés, qui ont laissé le navire à quai trop longtemps après la fin des essais à la mer, en omettant d'entretenir correctement et de protéger les machines et en omettant de prendre les mesures nécessaires pour limiter les dommages après leur découverte.
La demanderesse a reçu livraison du navire le 12 mai 1972 et les dommages ont été constatés le 23 juin. Le 4 juillet 1972, le service de construction des navires a écrit à la défenderesse Hawker Siddeley Canada Ltd. pour l'informer de la corro sion qu'aurait causé le nettoyage par des procédés chimiques; il a ajouté que l'on considérait que la clause de garantie du contrat visait ces dommages et que par conséquent la défenderesse était tenue responsable de tous les frais et que ses agents étaient invités à assister au désassemblage du matériel aux fins d'inspection des dommages. Hawker Siddeley a répondu le 11 juillet 1972, niant toute responsabilité pour les dommages allé- gués. Elle a déclaré que le nettoyage à l'acide avait été effectué sur les ordres de fonctionnaires du
ministère de la Défense nationale qui, après s'être informés des tarifs de la codéfenderesse, avaient dit à la défenderesse Hawker Siddeley de l'em- ployer; elle a ajouté qu'en outre, des fonctionnaires du ministère de la Défense nationale avaient approuvé et vérifié tous les procédés utilisés.
Le 4 août 1972, le vice-amiral D. A. Collins, chef des services techniques instituait une commis sion d'enquête. Elle avait pour mandat [TRADUC- TION] «de déterminer l'étendue et la cause de la corrosion des machines principales et auxiliaires aussi bien que celle des systèmes accessoires du Restigouche'». Il a aussi été arrêté que la Com mission ferait enquête sur les mesures administra- tives et sur les procédés techniques responsables des dommages causés par la corrosion et étudierait l'étendue de ceux-ci; en outre, des représentants du service de construction des navires du ministère des Approvisionnements et Services à Ottawa et des chantiers de construction navale de Halifax (services de la Hawker Siddeley ayant fait le travail) devaient être invités à assister aux délibé- rations de la Commission. Celle-ci avait pour mandat d'entendre tous les témoins pouvant dépo- ser, de consigner la preuve relative à toute autre cause technique éventuelle des dommages, aux procédés techniques et mesures administratives de nature à avoir contribué à la cause la plus probable de ces dommages, aux personnes qui ont pris ou exécuté ces mesures et procédés ainsi qu'à l'éten- due et au prix des réparations. La Commission devait présenter des conclusions sur la cause tech nique la plus probable des dommages, sur les mesures d'ordre administratif y ayant contribué et sur les réparations nécessaires. La Commission devait faire des recommandations quant aux pro- cédés d'ordre technique à utiliser pour éviter la répétition de tels dommages à l'avenir et quant aux mesures administratives à prendre pour qu'un tel incident ne se reproduise pas. Il était dit que l'enquête était «confidentielle». Le vice-amiral Col- lins devait recevoir copie des délibérations en triple exemplaire.
La défenderesse demande la production du rap port de cette commission d'enquête. Les avocats des parties ne contestent pas que les représentants des chantiers de construction navale de Halifax n'étaient pas présents aux délibérations de la Com mission malgré les directives données à ce sujet.
On ne sait pas s'il s'agit d'un oubli, mais ils se seraient très probablement rendus à l'invitation si elle leur avait été faite, pour prendre connaissance de la preuve soumise à la Commission, maintenant consignée dans ce rapport, de plus de 400 pages paraît-il, et dont ils sollicitent la production afin d'éviter d'être pris au dépourvu au procès.
Dans son affidavit, le colonel Roland F. Barnes, juge-avocat général adjoint, affirme qu'après les échanges de lettres du 4 et du 11 juillet 1972 (mentionnés plus haut) la défenderesse Hawker Siddeley n'a jamais laissé entendre qu'elle paierait le coût des réparations et que par conséquent il était évident, avant la convocation de la commis sion d'enquête et durant ses délibérations, qu'un différend opposait déjà la demanderesse et la défenderesse Hawker Siddeley et qu'il serait néces- saire d'instituer une action en recouvrement du coût de la réparation du navire. Le colonel Barnes dit également que le rapport se compose de décla- rations dont plusieurs des signataires seront vrai- semblablement cités comme témoins, ainsi que les conclusions des membres de la Commission; il ajoute que ce document a été transmis au minis- tère de la Justice quand ce dernier a reçu instruc tion de prendre les mesures nécessaires pour recou- vrer le coût des réparations du navire endommagé.
L'affidavit de J. L. Scott Henderson indique que le signataire était conseiller juridique de la com mission d'enquête convoquée en août 1972 aux fins d'enquêter sur les dommages en question, qu'à ce titre, il a siégé avec la commission pendant ses délibérations et que celle-ci était au courant de la lettre en date du 4 juillet 1972. L'affidavit dit en outre que la Couronne avait signifié avis de sa réclamation contre Hawker Siddeley et qu'en con- séquence elle avait obtenu, pendant les délibéra- tions de la commission, des déclarations des témoins et des éléments de preuve de nature à étayer la réclamation contre les parties responsa- bles en droit des dommages; toujours selon Hen- derson, la commission s'attendait à ce que les éléments de preuve qui lui étaient fournis soient transmis aux avocats de la Couronne pour être utilisés au cours des poursuites intentées à la suite des dommages subis.
Pour sa part, la défenderesse déclare, dans un affidavit signé par son avocat, Edward Allan Ayers, qu'un communiqué du ministère de la Défense nationale en date du 29 septembre 1972, décrivant certaines conclusions de la commission d'enquête, aurait mentionné ledit rapport. Le troi- sième paragraphe de ce communiqué déclare: [TRADUCTION] «Le rapport d'enquête de près de 400 pages fait l'objet d'un examen minutieux au quartier général de la Défense nationale afin de déterminer quelles autres mesures peuvent être nécessaires, sans écarter la possibilité d'une action en recouvrement du coût des réparations».
La commission d'enquête a été convoquée con- formément aux dispositions de l'article 42(1) de la Loi sur la défense nationale', qui porte que:
42. (1) Le Ministre, de même que toute autre autorité qu'il indique ou nomme à cette fin, peut, s'il importe que le Ministre ou cette autre autorité soit renseignée sur toute question rela tive au gouvernement, à la discipline, à l'administration ou aux fonctions des Forces canadiennes ou concernant tout officier ou homme, convoquer une commission d'enquête pour examiner cette question et en faire rapport.
Il semble d'après le libellé de cet article qu'une telle enquête vise principalement à établir si un membre des Forces armées a décidé, inspecté ou approuvé à tort les travaux en question, et à prévenir la répétition de toute directive ou tous actes semblables, à supposer qu'ils soient la cause des dommages. Donc, bien que l'article habilitant de la Loi ne contribue pas vraiment à établir le bien-fondé d'une réclamation contre la défende- resse, il est clair que les pouvoirs qu'il accorde imposaient la tenue d'une enquête sur l'étendue des dommages, sur leurs causes probables ou sim- plement possibles, d'ordre administratif ou techni que, et sur les réparations nécessaires et leur coût, tous ces facteurs étant directement pertinents au litige.
Bien que l'enquête ait été reconnue confiden- tielle, le rapport n'en est pas pour autant exempt de communication, d'autant plus qu'aux termes du mandat de la commission, des représentants des chantiers de construction navale de Halifax, le service de la défenderesse Hawker Siddeley Canada Ltd. ayant fait les réparations, devaient être invités à assister aux audiences.
' S.R.C. 1970, c. N-4.
Les avocats des deux parties ont cité une juris prudence abondante sur la question de l'exemption de communication. En fait, les deux parties ont trouvé quelque appui pour leurs prétentions dans l'un des arrêts canadiens les plus récents, Mitchell c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada 2 . Dans cette décision, le juge Cowan, juge en chef de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse analyse assez longuement la jurisprudence anglaise et canadienne. La question avait trait à la produc tion du procès-verbal d'un accident qu'avait fourni la compagnie de chemins de fer à la Commission des transports dont l'ordonnance prévoyait qu'un tel procès-verbal devait être exempt de communi cation. Le savant juge en chef a statué que cette ordonnance avait pour objet d'assurer que de tels documents ne soient pas rendus publics sauf sur ordre de la Commission mais qu'elle n'était pas destinée à les exempter de production pour examen dans une action découlant d'un accident. Bien que les règles ordinaires de la procédure civile recon- naissent le caractère confidentiel de la lettre adres- sée par l'agent de réclamation de la compagnie de chemins de fer à l'avocat de cette dernière, dans laquelle étaient résumés les résultats de l'enquête sur l'accident jusqu'à ce jour, et incorporant des rapports écrits et des déclarations faites par divers employés de la compagnie de chemins de fer, la Cour a statué que les déclarations et les rapports eux-mêmes ne relèvent pas du secret professionnel entre clients et procureurs et que, n'ayant pas été rédigés aux fins d'un litige pendant ou prévu, ils ne sont pas exempts de communication. A la page 586 de son jugement, il renvoie à l'ouvrage de Williston et de Rolls 3 , il est dit à la page 827:
[TRADUCTION] La correspondance entre une partie et un agent non professionnel n'est exempte de communication que ... (1) si elle est destinée à être transmise à un procureur ou à un avocat afin d'obtenir ses conseils, de lui permettre d'intenter une action, de défendre son client ou de préparer un dossier; et (2) si elle est échangée aux fins d'un procès en cours ou projeté à l'époque. Ces deux conditions sont préalables à l'exemption de communication.
A la même page, le juge en chef Cowan cite de nouveau Williston et Rolls aux pages 916 et 917:
[TRADUCTION] Sont exempts de production tous les docu ments et copies de ces documents rédigés dans l'intention—pas nécessairement unique ni primordiale—d'aider une partie ou ses avocats dans un procès en cours ou prévu.
2 (1973) 38 D.L.R. (3 e ) 581.
3 Law of Civil Procedure (1970), vol. 2 aux pp. 821à 829.
Les documents existants avant que le procès ne soit projeté et qui n'ont pas été rédigés afin d'obtenir l'avis d'un avocat ne sont pas exempts de production ... du simple fait qu'ils sont en la possession d'un avocat aux fins d'un procès. L'expectative réelle d'un procès doit d'abord exister pour qu'il y ait une exemption de communication.
L'avocat de la défenderesse soutient que même si de fait l'on envisageait un procès avant l'enquête, elle n'avait pas pour but unique ou principal d'ai- der la demanderesse et ses avocats au cours du procès auquel on s'attendait mais dans le but de découvrir si un membre des Forces armées était en faute, afin de prévenir la répétition de problèmes semblables dans des contrats à venir. Par contre, l'avocat de la demanderesse prétend que la com mission d'enquête n'a été instituée qu'après que la Hawker Siddeley a rejeté la réclamation et il ajoute, en s'appuyant sur l'extrait cité de l'ouvrage de Williston et Rolls, que son mandat indiquait clairement que la documentation réunie au cours de l'enquête était susceptible de servir pendant le procès qui devait en résulter, ce qui l'exempte de communication.
Le savant juge en chef renvoie à la décision du lord juge Hamilton dans l'affaire Birmingham and Midland Motor Omnibus Company Limited c. London & North Western Railway Company' dans laquelle il examine, à la page 859, la question des dossiers constitués et des rapports faits pen dant le cours normal de la marche d'une entreprise et il déclare:
[TRADUCTION] Il serait, à mon avis, injustifié en principe et désastreux en pratique de statuer que de tels documents sont exempts de communication simplement parce que l'on peut affirmer que l'employeur les considère comme faisant partie de la marche habituelle des affaires, et des fonctions de ses employés et a prévu ou envisagé leur utilité dans un procès qu'il redoute, dont on l'a menacé ou qui est intenté.
Ce qui précède s'oppose à l'opinion du juge Buck- ley dans la même affaire, dont je discuterai plus loin. L'arrêt Mitchell renvoie aussi à l'arrêt Long - thorn c. British Transport Commissions, dans lequel le juge Diplock traitait d'une demande d'exemption pour un rapport d'enquête privée sur la cause d'un accident dans lequel était impliqué le demandeur, un employé de la British Transport Commission. Au moment de l'enquête, la Commis-
' [1913] 3 K.B. 850 (C.A.). 5 [1959] 2 All E.R. 32.
Sion ne savait pas que le demandeur avait l'inten- tion d'actionner. Selon l'affidavit réclamant l'exemption de production, les documents avaient été rédigés aux fins notamment d'obtenir de l'avo- cat et de lui fournir des éléments de preuve et des renseignements. Le juge Diplock a conclu que l'exemption ne se justifiait pas par le motif dont faisait état l'affidavit à savoir que les documents, y compris le rapport, avaient été rédigés dans le but notamment de fournir à l'avocat des éléments de preuve ou des renseignements, sans déclarer que c'était l'objet principal. Il a aussi statué que le rapport montrait que l'enquête n'avait pas été faite dans le but de fournir des éléments de preuve ou des renseignements au procureur de la Commis sion et que par conséquent il n'était pas exempt de communication.
Le savant juge en chef a également cité l'affaire Woolley c. North London Railway Company 6 ; il s'agissait d'un accident survenu au train de la défenderesse, à bord duquel voyageait le deman- deur et l'on avait avancé que l'accident était impu- table à un défaut de construction de la locomotive. Le demandeur avait demandé à examiner certains documents, mais le juge Brett avait déclaré (page 324):
[TRADUCTION] Je crois que l'on peut énoncer la règle de la façon suivante: tout rapport que fait un employé à son employeur dans le but de le renseigner au sujet de sa réclama- tion ou de sa défense dans un procès, projeté ou en cours, est exempt de production mais un rapport fait dans le cours normal des affaires, indépendamment de ce procès, projeté ou en cours, doit être produit. Selon cette règle, peu importe que le rapport précède ou non le début du procès, qu'il soit confidentiel ou non, ou qu'il ait trait à des opinions ou à des faits. L'important est de savoir s'il est présenté dans le cours ordinaire des choses, ou uniquement dans le but de recommander à l'employeur de nier sa responsabilité ou de faire une réclamation.
Dans l'arrêt Cook c. North Metropolitan Tram- way Co.' le juge Field a dit à la page 23 propos du rapport quotidien d'un chef de train:
[TRADUCTION] Il était très important de pouvoir exiger la production de ces documents, et il était à l'avantage réciproque des parties qu'elles arrivent au procès bien informées toutes les deux et non seulement l'une d'elles. Il s'agissait d'un rapport— d'un rapport quotidien—fait par le chef de train, dans l'exécu- tion normale de ses fonctions. Il n'avait pas été rédigé aux fins de la défense de l'action, ni relativement à aucune autre action.
6 (1869) 38 L.J.C.P. 317.
7 (1889) 6 T.L.R. 22 (Q.B. Div.).
Les arrêts anglais auxquels renvoie le jugement Mitchell ainsi que d'autres ont fait l'objet d'une étude assez approfondie dans l'arrêt Alfred Crompton Amusement Machines Ltd. c. Customs and Excise Commissioners (N° 2)'. Bien que le jugement de la Cour ait été rendu par lord Cross, c'est peut-être la décision de lord Kilbrandon, citée à la page 435 et dans laquelle il souscrit aux conclusions de lord Cross, qui est la plus pertinente à l'espèce. Il déclare:
[TRADUCTION] Cependant, je tiens à mentionner brièvement la jurisprudence quelque peu contradictoire sur la question de la communication de documents dont on dit qu'ils ont été rédigés aux fins d'un procès, jurisprudence que peuvent illustrer la décision du lord juge Buckley dans l'affaire Birmingham and Midland Motor Omnibus Co. Ltd. c. London and North West ern Railway Co. [1913] 3 K.B. 850 et celle du juge Havers dans l'affaire Seabrook c. British Transport Commission [1959] 1 W.L.R. 509, d'une part, et d'autre part, les décisions du lord juge Hamilton dans l'affaire Birmingham et du juge Diplock dans l'affaire Longthorn c. British Transport Commis sion [1959] 1 W.L.R. 530. Tout comme mon noble et savant ami, je préfère le second point de vue au premier. A mon avis, il faut déconseiller toute pratique de classification »tout usage» des documents particulièrement comme c'est habituellement le cas, lorsqu'ils ont trait à des réclamations résultant d'accidents.
Toutefois, le vicomte Dilhorne était dissident dans l'arrêt Crompton. Il déclarait à la page 421:
[TRADUCTION] J'estime que la conclusion selon laquelle à partir du 31 juillet 1967 les commissaires s'attendaient raison- nablement à l'arbitrage est essentielle en ce qui concerne la demande d'exemption de communication.
Les documents que les commissaires affirment être exempts de communication vu leur caractère confidentiel ont été prépa- rés au cours de l'enquête. Ils avaient un double objet: aider les commissaires à se faire une idée et servir à leurs procureurs, chargés de réunir les documents nécessaires à l'arbitrage, de donner des avis à ce sujet et de préparer le dossier des commissaires.
Lorsqu'il se produit un événement de nature à entraîner un procès, comme par exemple un accident sur une voie ferrée, il est établi de longue date que les rapports faits en prévision d'un procès et à l'intention des procureurs du défendeur sont exempts de communication, et ces rapports n'ont pas à être faits uniquement ou principalement à l'intention des procu- reurs: Ogden c. London Electric Railway Co. (1933) 49 T.L.R. 542 et Birmingham and Midland Motor Omnibus Co. Ltd. c. London and North Western Railway Co. [1913] 3 K.B. 850. Donc le fait que les documents aient été rédigés à deux fins ne les privent pas de l'exemption de communication si l'une de ces fins était de servir aux procureurs lorsqu'on est en droit de s'attendre à un procès.
8 [1974] A.C. 405.
Dans l'arrêt Seabrook c. British Transport Commission 9 traitant des rapports de chemins de fer à la suite d'un accident, la Cour a statué qu'ils étaient exempts de communication parce qu'ils avaient réellement été obtenus dans le but de prendre conseil du procureur de la Commission en raison du procès auquel on s'attendait, et le fait que ces documents ont également servi d'autres fins ne leur a pas fait perdre leur caractère privilé- gié. Alors que cet arrêt suivait la décision du juge Buckley dans l'affaire Birmingham and Midland Motor Omnibus Company Limited il était tout à fait contraire à la conclusion du juge Diplock dans l'affaire Longthorn c. British Transport Commis sion comme l'a souligné lord Kilbrandon dans l'arrêt Crompton. Dans l'arrêt Birmingham and Midland Motor Omnibus Company Limited c. London & North Western Railway Company (pré- cité) le lord juge Buckley avait dit à la page 856:
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire, à mon avis, que l'affida- vit précise que les renseignements ont été recueillis uniquement ou simplement ou principalement pour l'avocat, pourvu qu'ils soient recueillis pour l'avocat, en ce sens qu'on les lui soumet comme pièces sur lesquelles on veut obtenir l'avis d'un profes- sionnel à l'occasion d'une procédure déjà entamée ou d'une procédure dont on est menacé ou à laquelle on s'attend. Tout renseignement recueilli pour l'avocat, dans les circonstances ci-dessus mentionnées, est couvert par le secret professionnel même si la partie qui l'a obtenu avait l'intention, si cela était possible, de régler l'affaire sans aucun recours à l'avocat.
L'avocat de la demanderesse a aussi renvoyé à l'arrêt Blackstone c. The Mutual Life Insurance Company of New York dans lequel le juge Robertson, juge en chef de l'Ontario, a déclaré à la page 333:
[TRADUCTION] Tout comme l'avocat du défendeur, j'estime qu'il n'est pas essentiel au bien-fondé de la demande d'exemp- tion de communication que le document faisant l'objet d'une telle demande ait été écrit, préparé ou obtenu uniquement aux fins d'un procès alors pendant ou prévu ou relativement à un tel procès. Il suffit que cela ait été à l'époque l'objet principal ou l'un des plus importants.
On s'est aussi reporté à la déclaration suivante du juge Gale (tel était alors son titre) dans l'arrêt Cook c. Cook 11 (page 289):
[TRADUCTION] Si une personne charge un détective d'enquêter sur la conduite d'une autre personne pour une raison totalement étrangère à tout procès, pendant ou envisagé et que des procé- dures sont ensuite entamées, le contenu du rapport du détective sera sujet à communication s'il est pertinent aux procédures.
9 [1959] 2 All E.R. (Q.B.D.) 15.
10 [1944] O.R. 328.
11 [1947] O.R. 287.
Cependant plus haut à la même page, il déclarait:
[TRADUCTION] ... la correspondance entre une personne et son mandataire qui n'est pas un conseiller juridique ne relève du secret professionnel que dans certaines circonstances. Pour être exempte de communication, la lettre doit non seulement avoir été écrite à la demande ou sur l'avis d'un procureur, ou pour être remise à un procureur ou à un avocat, mais de plus elle doit être rédigée et obtenue aux fins d'un procès, en cours ou envisagé à l'époque.
En l'espèce, il ne fait aucun doute que l'on envisa- geait un procès mais il serait difficile de dire que l'enquête a eu lieu à la demande ou sur l'avis d'un procureur ou dans le but d'en transmettre le rap port, soit à ce dernier ou à un avocat. Par consé- quent, cela ne répond pas à l'un des critères expo- sés par le juge en chef Gale ou par Williston et Rolls (précité).
Dans cette Cour, le président Jackett, aujour- d'hui juge en chef, a déclaré à la page 34 de l'arrêt Susan Hosiery Limited c. M.R.N. 12 :
[TRADUCTION] Ce qu'il importe de noter au sujet de cha- cune de ces deux propositions, c'est que ni l'une ni l'autre ne confère de privilège allant à l'encontre de la communication des faits qui sont ou peuvent être pertinents pour la décision sur les faits litigieux. Ce qui est privilégié, ce sont, d'une part les communications ou les notes dont l'existence est liée à la demande d'un conseil ou d'une assistance juridiques et, d'autre part les documents préparés pour le dossier de l'avocat. Les faits ou les pièces auxquels font allusion ces communications ou ces documents ne bénéficient pas de l'exemption de communi cation si la partie, de toutes façons, est tenue de les communiquer.
Il est évident que la jurisprudence est également partagée et chaque cas doit être jugé selon les faits qui lui sont particuliers; cependant, je n'estime pas qu'en l'espèce le rapport de la Commission d'en- quête, bien que confidentiel, est exempt de com munication. Il ne fait pas de doute qu'au moment il a été rédigé, on s'attendait à un procès et assurément le contenu du rapport serait utile dans cette éventualité. Cependant, rien ne permet de croire qu'un avocat ou un représentant du minis- tère de la Justice ait demandé la tenue de cette enquête afin d'obtenir des renseignements utiles à la préparation de son dossier, en vue du procès envisagé, qui a effectivement eu lieu, bien qu'envi- ron 3 ans plus tard. Au contraire, l'enquête a été tenue et le rapport préparé pour le compte de la Marine, à l'intention du ministère de la Défense nationale et même si le rapport pouvait assurément être utile à l'avocat de la demanderesse pour le
12 [ 1969] 2 R.C.É. 27. •
procès envisagé, lui accorder le privilège exclusif d'en prendre communication ainsi que des déclara- tions de nombreux témoins qu'il est censé contenir ferait tort aux défenderesses qui ont droit d'obtenir ces renseignements en vue de préparer leur défense, et qu'on a refusé de leur transmettre à la demande de l'avocat de la demanderesse, qui en réclame l'exclusivité pour préparer son dossier.
Je statue donc que le rapport en question ne relève pas du secret professionnel et doit être communiqué. J'accueille en conséquence la requête de la défenderesse avec dépens.
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