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T-3097-76
Vincenzo Russo, Marie Ellen Panizza de Russo, leurs enfants à charge Marina Rosana Russo et Marisa Anna Natalia Russo (Requérants)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Division de première instance, le juge suppléant
Sweet Toronto, les 6 et 9 août 1976.
Brefs de prérogative—Pratique—Demande d'ordonnance de prohibition ou d'injonction contre l'intimé afin qu'il ne soit pas donné suite à l'ordonnance d'expulsion prononcée contre les requérants avant que soit jugé leur appel devant la Cour fédérale Demande présentée en vertu de l'art. 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration—Compétence de la Division de première instance de la Cour fédérale—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, e. 1-3, art. 11 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.) c. 10, art. 2, 18, 49 et 50(1).
Les requérants ont demandé une ordonnance de prohibition ou d'injonction contre l'intimé afin qu'il ne soit pas donné suite à l'ordonnance d'expulsion prononcée contre les requérants avant que soit jugé leur appel devant la Cour fédérale. Les requérants sont entrés au Canada à des fins touristiques et ont par la suite demandé le statut de réfugié, ce qui leur a été refusé. Une ordonnance d'expulsion a été prononcée contre les requérants et une demande d'autorisation d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion a été rejetée tout comme la demande d'un nouvel examen de la demande d'autorisation d'interjeter appel en vertu de l'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Les requérants ont alors présenté une demande à la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. L'intimé prétend que les requérants ne pouvaient pas se prévaloir de l'article 23 mais la Division de première instance n'a pas à traiter de cette question.
Arrêt: la demande est rejetée. Les requérants ont indiqué que la Cour a compétence en vertu de l'article 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale mais il est tout à fait évident que l'article 50(1) ne vise que ce qui relève d'une procédure judiciaire proprement dite. Même si ce n'était pas le cas, l'article 49 de la Loi définit le sens de l'expression «affaire ou question» comme on l'emploie à l'article 50(1). Les requérants ont cité également l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, mais d'après l'alinéa a) de cet article, les redressements prévus ne peuvent être obtenus que contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, tels qu'ils sont définis à l'article 2 de la Loi. En lisant la définition dans son ensemble, les mots «une ou plu- sieurs personnes» ne comprennent pas les personnes autorisées seulement à exécuter une décision rendue par un tribunal et l'intimé ne fait pas partie des «personnes» au sens de l'article 18. Une ordonnance de prohibition interdit à un tribunal «d'instance inférieure» de poursuivre des procédures en contra vention du droit applicable ou dans une affaire ne relevant pas de sa compétence; elle ne peut avoir pour objet la rectification d'une décision incorrecte sur le fond. Les requérants admettent
qu'aucun des tribunaux saisis dans cette affaire n'a outrepassé sa compétence ni n'a agi illégalement. En conséquence, cette Cour n'est pas compétente pour accorder le redressement demandé par le requérant.
Distinction faite avec l'arrêt: Mills c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1974] 2 C.F. 654.
DEMANDE. AVOCATS:
A. Singer pour les requérants. T. L. James pour l'intimé.
PROCUREURS:
Singer, Kwinter, Toronto, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET: Les requérants ont tout d'abord demandé [TRADUCTION] «une ordonnance de prohibition contre l'intimé et ses agents afin qu'il ne soit pas donné suite à l'ordon- nance d'expulsion prononcée contre les requérants le 17 octobre 1975 avant que soit jugé leur appel devant la Cour fédérale, ou toute autre ordonnance que la Cour estime juste».
Durant les débats, l'avocat des requérants a demandé la modification de l'avis de requête pour y ajouter après les mots «ordonnance de prohibi tion» les mots [TRADUCTION] «ou une injonction». L'avocat de l'intimé a consenti à cette modifica tion, qui a été ordonnée.
Selon l'affidavit de Mme de Russo, versé au dossier, les requérants sont entrés au Canada en 1974 «à des fins touristiques». L'affidavit mentionne:
a) Une prolongation du visa de touriste.
b) Une demande de statut de réfugié, entendue le 11 juin 1975 et refusée.
c) Une ordonnance d'expulsion contre les requé- rants le 17 octobre 1975.
d) Une demande d'autorisation d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion rejetée par la Commission d'appel de l'immigration le 17 novembre 1975.
e) Une demande de «nouvel examen de la demande d'autorisation d'interjeter appel en vertu de l'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration'»; cette demande a été refusée.
f) Une demande présentée à la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Selon l'avocat, cette demande a été déposée le 30 juillet 1976.
Selon son affidavit, Mme de Russo, a été infor- mée le 3 août 1976 que l'ordonnance d'expulsion prononcée contre elle le 17 octobre 1975 serait exécutée immédiatement et qu'elle devait quitter le Canada avant le 11 août 1976, avec sa famille.
A titre préliminaire, l'avocat de l'intimé a pré- tendu que les requérants ne pouvaient pas se pré- valoir de l'article 23 et que leur action était irrece- vable. A l'appui de sa thèse, il a cité l'arrêt Mills c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion [1974] 2 C.F. 654. Il me semble que dans la mesure la demande d'autorisation d'interjeter appel a été portée devant la Cour d'appel fédérale, il ne m'appartient pas de considérer, dans cette affaire, cette question. Quoi qu'il en soit, même si j'ai tort sur ce point, je n'ai pas besoin de traiter de cette question pour trancher la demande.
Il faut déterminer en premier lieu si la législa- tion donne compétence à cette Cour pour accorder aux requérants le redressement demandé.
A ce propos, l'avocat des requérants a cité l'arti- cle 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale 2 , ainsi rédigé:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procédu- res dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de la justice de suspendre les procédures.
L'avocat des requérants a indiqué que l'exécu- tion d'une ordonnance d'expulsion est une «procé- dure» dans une «question» aux termes de l'article 50(1) et peut donc être suspendue par la Cour à sa discrétion. Je ne suis pas d'accord.
' S.R.C. 1970, c. I-3.
2 S.R.C. 1970 (2e Supp.) c. 10.
Pour moi, il est tout à fait évident que l'article 50(1) ne vise que ce qui relève d'une procédure judiciaire proprement dite.
Même si la formulation de l'article 50(1) était plus équivoque que je ne le pense, l'article 49 de la Loi devrait suffire, selon moi, à lever les derniers doutes quant à ce que l'article 50(1) entend par «affaire ou question»; l'article 49 dit:
49. Toutes les affaires ou questions dont la Cour est saisie doivent être entendues et jugées sans jury.
Je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement établir une différence entre le sens des mots «affaire ou question» à l'article 49 et celui qu'ils ont à l'article suivant.
Toujours à ce propos, l'avocat des requérants a cité également l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
D'après l'alinéa a) de cet article, les redresse- ments prévus ne peuvent être obtenus que contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, tels qu'ils sont définis à l'article 2 de la Loi.
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga- nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867.
L'avocat des requérants prétend, entre autres, que par les mots «une ou plusieurs personnes», on entend notamment tous les individus auxquels une loi du Parlement confère des pouvoirs, indépen- damment de la nature de ces pouvoirs, sous la seule réserve des exceptions figurant dans l'alinéa. Je ne partage pas ce point de vue.
En lisant la définition dans son ensemble et en y associant les mots «office, commission ou autre tribunal fédéral», comme je pense qu'il y a lieu de le faire dans ce cas, les mots «une ou plusieurs personnes» dans ce contexte, visent selon moi les personnes auxquelles le Parlement confère la com- pétence ou le pouvoir de rendre des décisions, ou la compétence ou le pouvoir de mener une enquête. Je n'essaie pas d'en faire une liste exhaustive.
Un office, une commission ou un tribunal de ce genre peut être constitué d'une ou de plusieurs personnes.
Selon moi, les personnes autorisées seulement à exécuter une décision rendue par un tribunal ne sont pas comprises dans la définition. Bien que l'intimé soit autorisé à appliquer une décision déjà rendue, il ne fait pas partie, selon moi, des «person- nes» visées par la définition et son service n'est pas un «office, une commission ou un tribunal» au sens de l'article 18.
Dans ce cas, l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale confère-t-il à la Division de première instance de cette cour la compétence pour émettre une injonction ou un bref de prohibition contre l'un des tribunaux qui ont déjà rendu une décision en l'espèce?
Il suffit de rappeler en termes très généraux qu'une injonction restrictive est une procédure judiciaire par laquelle une ordonnance est émise afin d'empêcher la violation d'un droit ou l'exécu- tion d'un acte illégal.
De nos jours, une ordonnance de prohibition signifierait une ordonnance adressée à un tribunal dit «d'instance inférieure» (expression technique qui, selon moi, est mal choisie et déplacée) pour lui interdire de poursuivre des procédures en contra vention du droit applicable ou dans une affaire ne relevant pas de sa compétence. Cette ordonnance ne peut pas avoir pour objet la rectification d'une décision incorrecte sur le fond.
Il est facile et, à mon avis, logique d'appliquer cette procédure aux tribunaux administratifs.
L'avocat des requérants admet qu'aucun des tribunaux saisis dans cette affaire n'a outrepassé
sa compétence. Rien n'indique ni même ne suggère que l'un de ces tribunaux ait agi illégalement. Bien que l'avocat ne reconnaisse évidemment pas que les décisions sont correctes, il admet que ces tribu- naux étaient compétents.
Je ne pense pas que l'alinéa b) de l'article 18 comporte quelque élément plus favorable aux requérants que l'alinéa a).
En conséquence, je suis d'avis que cette cour n'a rien à ordonner ou à interdire en conformité de l'article 18 et qu'en ce qui concerne la demande, elle n'est pas compétente pour accorder le redres- sement demandé par les requérants.
S'il existe, au profit des requérants, une possibi- lité d'obtenir ce qu'ils souhaitent aux termes de cette demande, j'estime que la méthode qu'ils ont choisie n'est pas la bonne.
La demande est rejetée.
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