A-175-76
Dame Madeleine Laurent-Algrain (Demande-
resse) (Appelante)
c.
La Reine (Défenderesse) (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, le 25 octobre 1976.
Biens appartenant à des ennemis—Action en dommages—Le
séquestre a-t-il été négligent en vendant un immeuble ou
a-t-il outrepassé ses pouvoirs?—Prescription—Règlements
revisés sur le commerce avec l'ennemi, 1939 Code civil du
Québec, arts. 2261 et 2267.
Pendant la dernière guerre, l'appelante résidait en Belgique,
un «territoire prohibé» au sens des Règlements revisés sur le
commerce avec l'ennemi, 1939. A cause de cela, le séquestre
nommé par ces règlements s'empara en 1942 d'un immeuble de
l'appelante situé à Québec. En 1944, le séquestre vendit $6,000
cet immeuble qui, suivant l'appelante, valait $47,000. Celle-ci
réclame une indemnité de $41,000, soit la différence entre la
valeur de son immeuble et le prix pour lequel le séquestre l'a
vendu. L'appelante prétend que la prescription de l'action en
raison de son fondement délictuel ne s'applique pas ici parce
que le séquestre a en fait procédé à une expropriation. Le
premier juge a rejeté cette action car il a estimé que le
séquestre n'était ni préposé ni agent de la Couronne.
Arrêt: l'appel est rejeté. S'il était vrai que l'immeuble a été
exproprié, cette expropriation aurait eu lieu lorsque l'immeuble
avait été «attribué» au séquestre et l'action a été intentée plus
de 30 ans après. Cependant, les pouvoirs attribués au séquestre
sur les biens appartenant à des ennemis et sur les biens des
personnes résidant en «territoire prohibé» sont les mêmes, bien
qu'ils aient été attribués pour des motifs différents. Le seul
fondement possible de l'action de l'appelante est un fondement
délictuel et l'action était depuis longtemps prescrite au moment
où elle a été intentée.
APPEL.
AVOCATS:
P. Ferland, c.r., pour la demanderesse,
appelante.
J. C. Ruelland, c.r., pour la défenderesse,
intimée.
PROCUREURS:
Pothier Ferland, c.r., Montréal, pour la
demanderesse, appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse, intimée.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés oralement en français par
LE JUGE PRATTE: L'appelante attaque la déci-
sion de la Division de première instance qui a
rejeté l'action en dommages qu'elle a intentée
contre l'intimée.
Pendant la dernière guerre, l'appelante résidait
en Belgique, un «territoire prohibé» au sens des
Règlements revisés sur le commerce avec l'ennemi,
1939. A cause de cela, le séquestre nommé par ces
règlements s'empara en 1942 d'un immeuble de
l'appelante, situé à Québec. Cet immeuble qui,
suivant l'appelante, valait $47,000, le séquestre le
vendit $6,000 le 26 mai 1944. L'appelante, par son
action, réclame une indemnité de $41,000, soit la
différence entre la valeur de son immeuble et le
prix pour lequel le séquestre l'a vendu. Si le pre
mier juge a rejeté cette action, c'est qu'il a estimé
que le séquestre n'était ni préposé ni agent de la
Couronne et que celle-ci, en conséquence, ne pou-
vait être tenue responsable des irrégularités qu'il
avait pu commettre.
Au début de l'audience, nous avons demandé à
l'avocat de l'appelante de nous dire pourquoi le
jugement attaqué ne devrait pas être confirmé
pour le motif que l'action de l'appelante, intentée
le 21 mai 1974, était alors prescrite depuis long-
temps (voir articles 2261 et 2267 du Code civil du
Québec).
L'avocat de l'appelante a admis que l'action
serait prescrite si elle avait uniquement un fonde-
ment délictuel, savoir la négligence qu'aurait com-
mise le séquestre en vendant un immeuble sans
prendre les précautions nécessaires pour en obtenir
un bon prix. Il a cependant soutenu que la récla-
mation de sa cliente était assujettie à la prescrip
tion trentenaire qui n'avait commencé à courir que
le jour où la propriété a été vendue, le 26 mai
1944. Il a soutenu que le séquestre, en vendant la
propriété, avait exercé un pouvoir qu'il ne possé-
dait pas et qu'il avait alors, en fait, procédé à une
expropriation. La réclamation de l'appelante, a-t-il
dit, doit donc être assimilée à celle d'un exproprié
à qui la Couronne refuserait de payer la valeur de
son bien.
Cet argument ne nous semble pas fondé. S'il
était vrai que, pour employer le langage de l'avocat
de l'appelante, l'immeuble de cette dernière a été
«exproprié», cette expropriation n'aurait pas eu lieu
au moment de la vente, le 26 mai 1944, mais
plusieurs années plus tôt lorsque l'immeuble avait
été «attribué» au séquestre. Contrairement à ce
qu'a soutenu l'avocat de l'appelante, nous ne
croyons pas que les règlements aient attribué au
séquestre des pouvoirs différents sur les biens des
personnes résidant en territoire prohibé et sur les
biens appartenant à des ennemis. Tout ce qu'on
pourrait dire à cet égard, c'est que des pouvoirs ont
été attribués au séquestre sur ces deux catégories
de biens pour des motifs différents, non que ces
pouvoirs eux-mêmes sont différents. A notre avis,
l'article 21 des règlements attribue ces deux caté-
gories de biens sans distinction au séquestre qui
jouit à leur égard des mêmes pouvoirs de
disposition.
Nous sommes donc d'opinion que le seul fonde-
ment possible de l'action de l'appelante est un
fondement délictuel. Cela étant, l'action était
depuis longtemps prescrite au moment où elle a été
intentée. A cause de cela, l'appel sera rejeté avec
dépens.
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