A-138-74
Oneil Lambert (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 16
juin 1976; Ottawa, le 7 septembre 1976.
Impôt sur le revenu—Nouvelle cotisation—Enregistrement
d'un certificat couvrant l'impôt sur le revenu, les pénalités et
les intérêts dus—Recouvrement au moyen de saisies-arrêts et
d'enregistrements de privilèges contre les biens du contribua-
ble—L'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu enfreint-il
la règle audi alteram partem et est-il ultra vires?—L'article
223 est-il nul et sans effet et contraire à l'article 2e) de la
Déclaration canadienne des droits?—Loi de l'impôt sur le
revenu, S.R.C. 1952, c. 148; S.C. 1970-71-72, c. 63, art.
158(2), 165 et 223—Déclaration canadienne des droits, S.C.
1960, c. 44, art. 2e).
Le Ministre a établi une nouvelle cotisation relativement au
revenu du demandeur et, bien que ce dernier ait déposé un avis
d'opposition auxdites cotisations, le Ministre a enregistré un
jugement à la Cour fédérale couvrant l'impôt sur le revenu, les
pénalités et les intérêts dus. L'appelant a intenté une action
devant la Division de première instance en vue d'obtenir un
jugement déclaratoire portant que l'article 223 de la Loi de
l'impôt sur le revenu est ultra vires parce qu'il enfreint la règle
audi alteram partem, ou que l'article 223, en permettant la
délivrance et l'enregistrement d'un certificat, est nul et sans
effet parce que contraire à l'article 2e) de la Déclaration
canadienne des droits. La Division de première instance a
rejeté l'action en statuant que la règle audi alteram partem ne
s'applique qu'aux décisions finales mais non aux questions de
nature fiscale, par exemple, où le contribuable a droit à la
restitution de ses biens saisis s'il est par la suite établi qu'il n'y
a aucun assujettissement à l'impôt. L'intérêt public est d'empê-
cher la dilapidation ou la soustraction de biens et les pouvoirs
du Ministre afin d'assurer une perception efficace et rapide des
impôts ne constituent pas une violation de la règle audi alteram
partem ni de la Déclaration canadienne des droits.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'appelant prétend que la cotisation
initiale ayant été annulée par les nouvelles cotisations, il s'en-
suit que le certificat émis en vertu de l'article 223 est devenu
nul de même que les ordonnances et autres procédures d'exécu-
tion faites sous son autorité, et que l'appelant ayant 30 jours
pour payer le montant fixé par les nouvelles cotisations, aucun
montant n'était payable à la date de la requête. Le juge de
première instance a rejeté ces prétentions pour le motif que ces
cotisations n'étaient pas en réalité de nouvelles cotisations mais
plutôt des cotisations supplémentaires. Bien que la Cour soit
portée à croire qu'il s'agissait de nouvelles cotisations, il n'est
pas nécessaire de trancher cette question parce que, elles n'ont
pas eu pour effet d'affecter la validité du certificat émis en
vertu de l'article 223 ou de conférer à l'appelant le droit de
demander l'annulation de ce certificat. Il y a une différence
entre l'obligation de payer l'impôt en vertu de la Loi et la
«cotisation» (ou nouvelle cotisation ou cotisation supplémen-
taire), qui est la détermination ou le calcul du montant de
l'obligation fiscale. Une nouvelle cotisation ne fait pas disparaî-
tre l'obligation de payer le montant d'impôt fixé par une
cotisation antérieure dès lors que ce montant est inclus dans
celui que fixe la nouvelle cotisation. La prétention de l'appelant
n'est pas fondée à moins que le «montant payable» mentionné
au certificat n'ait cessé d'être exigible mais rien dans le dossier
n'indique que ce montant avait cessé d'être exigible.
APPEL.
AVOCATS:
G. R. Tremblay et C. P. Desaulniers pour
l'appelant.
J. Ouellet, J. Potvin et J. Delage pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement de la Cour rendus
en français
Cet appel était dirigé contre un jugement de la
Division de première instance' rejetant trois requê-
tes faites par l'appelant. Nous l'avons rejeté à
l'audience, aussitôt après avoir entendu la plaidoi-
rie des avocats de l'appelant. Nous avons alors dit
que nous donnerions par écrit les motifs de notre
décision dans la mesure où elle se rapporte à la
troisième des requêtes rejetées par le premier juge.
Tel que nous les comprenons, les faits récités
dans la requête présentée à la Division de première
instance peuvent, dans la mesure où ils sont perti-
nents, se résumer comme suit:
a. Le 30 octobre 1973, on adressait à l'appelant
des avis de nouvelles cotisations pour les années
d'imposition 1968 1971; ces cotisations ajou-
taient $450,000 au revenu de l'appelant;
b. on a ensuite déposé un certificat ayant le
même effet qu'un jugement de la Cour fédérale
exigeant que l'appelant paie la somme de $209,-
020.36 dont $205,985.51 demeurent impayés;
c. suite au dépôt de ce certificat, la Division de
première instance a ordonné à l'appelant de
comparaître le ler avril 1974 pour être interrogé
sur les biens qu'il possède;
1 [1975] C.F. 548.
d. sous l'autorité du même certificat
(i) on a saisi des actions appartenant à
l'appelant,
(ii) on a obtenu que soit prononcée une
ordonnance constituant une charge sur un
immeuble de l'appelant,
(iii) on a saisi des biens meubles et des docu
ments appartenant à l'appelant; 2
e. le ou vers le 10 mai 1974, l'appelant a reçu
des avis de nouvelles cotisations, datés du 7 mai
1974, relativement aux mêmes années
d'imposition.
On trouvait, à la fin de la requête, deux paragra-
phes où l'appelant décrivait ainsi les conséquences
juridiques des faits récités plus haut:
10. Les premières cotisations ayant été annulées par les nouvel-
les cotisations, il s'ensuit que le certificat en vertu duquel toutes
les procédures d'exécution compris les saisies, les constitutions
de privilèges ... ont été effectuées, est nul et de nul effet;
11. Le requérant ayant 30 jours pour acquitter les impôts fixés
par la nouvelle cotisation, il s'ensuit qu'aucun montant n'est
encore payable par lui, ces nouvelles cotisations étant datées du
7 mai 1974.
Enfin, les conclusions principales de la requête, qui
portait la date du 22 mai 1974, se lisaient ainsi:
a) DÉCLARER NUL le certificat obtenu contre le
requérant, si tel certificat existe, en vertu des
cotisations datées du 30 octobre 1973;
b) DÉCLARER QUE l'ordonnance faite sous l'au-
torité dudit certificat par l'Honorable Juge
Walsh ordonnant au requérant de comparaître
pour être interrogé sur ses biens est maintenant
sans objet et inopérante;
c) ANNULER toutes les saisies, ... et constitu
tions de privilège faits ou exécutés en vertu dudit
certificat et, en conséquence, en donner
mainlevée;
Pour comprendre la prétention de l'appelant, et,
aussi, pour être en mesure d'expliquer pourquoi
elle ne nous paraît pas fondée, il faut d'abord se
2 La requête alléguait aussi que des saisies-arrêts avaient été
signifiées sous l'autorité du certificat. Cependant, les avocats de
l'appelant ont déclaré, à l'audience, renoncer à attaquer la
validité de ces saisies-arrêts.
référer à certaines dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu.'
Suivant les dispositions de la loi applicables aux
individus,
a) toute personne résidant au Canada est tenue
de payer un impôt sur son revenu taxable pour
chaque année d'imposition (article 2);
b) le montant de cet impôt annuel peut être
«fixé» (ou cotisé) par le ministre; le ministre peut
aussi, pendant le temps que fixe la loi, «procéder
à de nouvelles cotisations ou en établir de sup-
plémentaires» (article 152(4)); cependant, «Le
fait ... qu'aucune cotisation n'a été faite n'a pas
d'effet sur les responsabilités du contribuable à
l'égard de l'impôt ...» (article 152(3));
c) le contribuable doit payer partie de l'impôt
avant de faire la déclaration annuelle que la loi
l'oblige à produire (article 151); quant au solde,
il est payable
(i) en partie le ou avant le 30 avril de l'année
suivante (article 153(2) et article 156(1)), et
(ii) pour le reste, 30 jours après l'expédition
de l'avis de cotisation (article 158(1));
d) les tribunaux, sur appel du contribuable,
peuvent corriger toute cotisation;
e) l'obligation de payer le montant d'impôt
«fixé» par l'avis de cotisation existe même si le
contribuable appelle de la cotisation (article
158(1)) sujet, bien sûr, au droit de l'appelant
d'être remboursé dans le cas où son appel réussit
(article 164);
f) la loi prévoit que le ministre pourra utiliser
divers moyens pour forcer les contribuables à
payer leurs impôts; parmi ces moyens, il y a
celui que prévoit l'article 223 qui est la disposi
tion qu'il faut interpréter pour être en mesure de
trancher cet appel; cet article se lit en partie
comme suit:
223. (1) Un montant payable en vertu de la présente loi
qui est impayé, ... peut être certifié par le Ministre,
b) ... , à l'expiration d'une période de 30 jours après le
manquement.
Bien que la validité des cotis&tions dépende de la loi telle
qu'elle existait pendant les années d'imposition en question, il
est constant que le problème que soulève cet appel doit être
résolu à la lumière de la loi telle qu'elle existe depuis 1972.
(2) Sur production à la Cour fédérale ... , un certificat
fait sous le régime du présent article ... a la même force et
le même effet, et toutes les procédures peuvent être enga
gées à la faveur de ce certificat comme s'il était un
jugement obtenu de cette cour ....
Il faut, de plus, rappeler l'existence d'une cer-
taine jurisprudence qui nous apparaît être inappli
cable en l'espèce mais à laquelle les parties ainsi
que la Cour de première instance se sont référées.
La Cour de l'Échiquier et la Cour fédérale ont
jugé que lorsque, pour une année d'imposition, on
avait établi une nouvelle cotisation plutôt qu'une
cotisation supplémentaire, (c'est-à-dire lorsque l'on
avait déterminé de nouveau le montant total d'im-
pôt payable pour l'année plutôt que de déterminer
le montant additionnel payable) la nouvelle cotisa-
tion remplaçait l'ancienne qui se trouvait dès lors
annulée ainsi que tout appel dirigé contre elle.
(Voir, par exemple, Abrahams c. M.R.N. (N° 2) 4 .)
Comme le montrent les extraits de la requête
que nous avons cités plus haut, l'appelant prétend
a) que la cotisation originaire ayant été annulée
par les nouvelles cotisations, il s'ensuit que le
certificat émis en vertu de l'article 223 est
devenu nul de même que les ordonnances et
autres procédures d'exécution faites sous son
autorité, et
b) que l'appelant ayant 30 jours pour payer le
montant fixé par les nouvelles cotisations, aucun
montant n'était payable à la date de la requête.
Il semble que le premier juge a rejeté ces préten-
tions pour le motif que, à son avis, les nouvelles
cotisations n'étaient pas en réalité des cotisations
nouvelles mais bien plutôt des cotisations
supplémentaires.
L'examen de ces cotisations nous porte à croire
que, contrairement à ce qu'a semblé décider le
premier juge, ces cotisations ne sont pas des cotisa-
tions supplémentaires. Il n'est pas nécessaire,
cependant, de trancher cette question parce que
ces cotisations, quelqu'en ait été la nature, n'ont
pas eu pour effet, à notre avis, d'affecter la validité
du certificat établi en vertu de l'article 223 ou de
conférer à l'appelant le droit de demander l'annu-
lation de ce certificat.
4 [1967] 1 R.C.É. 333.
Comme il apparaît de la revue que nous avons
faite des dispositions de la loi, il y a une différence
entre
a) l'obligation de payer l'impôt en vertu de la
loi, et
b) la «cotisation» (qu'il s'agisse d'une cotisation
originaire, d'une nouvelle cotisation ou d'une
cotisation supplémentaire), qui n'est que la
détermination ou le calcul du montant de l'obli-
gation fiscale.
Il s'ensuit que l'établissement d'une nouvelle coti-
sation ne fait pas disparaître l'obligation de payer
le montant d'impôt fixé par une cotisation anté-
rieure dès lors que ce montant est inclus dans celui
que fixe la nouvelle cotisation. 5 L'appelant ne
pouvait réussir à moins qu'il ait eu raison de dire
que le «montant payable» mentionné au certificat
avait cessé d'être exigible. A notre avis, rien dans
le dossier n'indique que ce montant avait cessé
d'être payable et il nous a même semblé que
l'avocat de l'appelant, dans sa plaidoirie, avait pris
pour acquis que le montant apparaissant au certifi-
cat était inclus dans le montant fixé par les nouvel-
les cotisations.
L'avocat de l'appelant a invoqué spécialement
deux dispositions de la loi.
La première de ces dispositions est l'article
248(2):
(2) Dans la présente loi, l'impôt payable par un contribua-
ble, ... signifie l'impôt payable par lui, tel que le fixe une
cotisation ou nouvelle cotisation, sous réserve de changement
consécutif à une opposition ou à un appel ....
Cette disposition n'a pas, en elle-même, d'effet
propre. Il s'agit, à notre sens, d'une définition de
l'expression «impôt payable». L'avocat de l'appe-
lant ne nous a référés à aucune autre disposition de
la loi qui aurait eu pour effet de soutenir son
argumentation si on la lisait à la lumière de la
définition contenue dans l'article 248(2).
Quant à l'autre disposition qu'a invoquée l'avo-
cat de l'appelant, c'est l'article 158(1):
158. (1) Le contribuable doit, dans les 30 jours qui suivent
la date de l'expédition par la poste de l'avis de cotisation,
payer . _ . toute fraction de l'impôt, ... demeurant alors
impayée,....
5 Il en irait différemment, bien sûr, si la nouvelle cotisation
était émise dans le but de diminuer le montant de l'obligation
fiscale du contribuable.
Suivant l'avocat de l'appelant, cette disposition
signifierait que lorsqu'une cotisation est émise
relativement à un montant d'impôt impayé, ce
montant cesse d'être payable pour une période de
30 jours suivant la cotisation même si ce montant
était déjà exigible avant l'établissement de la coti-
sation. A notre avis, cet article ne dit rien de
semblable. Il a pour effet de créer l'obligation de
payer l'impôt dans les 30 jours. Il crée pareille
obligation uniquement en ce qui concerne l'impôt
qui n'était pas déjà payable, qu'il s'agisse d'un
montant qui n'avait pas fait l'objet de cotisations
antérieures ou qui n'était pas autrement devenu
payable en vertu de la loi.
C'est pour ces raisons que nous avons rejeté
l'appel avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.