T-1751-74
William Henry Bowler et Hilda Bowler
(Demandeurs)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Ottawa, le 13 mai 1976.
Pratique—Frais—Expropriation—Règlement des actions—
Les demandeurs sollicitent une ordonnance rejetant les actions
et la taxation sur la base des frais taxés entre un procureur et
son client—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (P' Supp.) c.
16, art. 36—Loi sur la Cour fédérale, art. 57(3) et Règle 605.
Les demandeurs sollicitent un jugement sur consentement
dans une action en indemnisation par suite d'une expropriation;
ils demandent une ordonnance rejetant l'action et leur allouant
les frais taxés entre procureur et client.
Arrêt: les demandes seront rejetées si avant le 25 mai 1976
on ne demande pas à plaider la question oralement. La formule
proposée est non seulement en contradiction avec elle-même,
mais elle est aussi contraire à la Règle 605. Si les parties
conviennent du montant, une décision de la Cour est inutile;
l'entente prévaut et doit apporter une solution à tous les aspects
du règlement. Si au moment de l'accord, une procédure se
trouve pendante devant la Cour, l'accord en question doit
prévoir le désistement ou le rejet de l'action sans frais, car la
Cour ne peut alors rien accorder aux parties. En l'absence
d'accord, la somme allouée est versée conformément à l'article
57(3) de la Loi sur la Cour fédérale. La Cour ne doit pas
permettre le stratagème par lequel un jugement sur consente-
ment des parties prendrait la place d'une décision fondée sur
des documents établissant la responsabilité réelle de la Cou-
ronne. Lorsque la Cour fixe le montant de l'indemnité, elle peut
accorder des dépens. On s'efforçait de combiner une entente
avec une ordonnance de la Cour qui, à première vue, semblerait
accorder une partie de l'indemnité convenue et qui allouerait
des frais rarement accordés dans une action ordinaire. Cela est
contraire au principe appliqué dans l'arrêt Hooper ([1942]
R.C.É. 193) et l'article 36 de la Loi sur l'expropriation n'auto-
rise ni ne justifie une telle façon d'agir. Même si l'on pouvait
considérer que le montant de l'indemnité «allouée» dont fait
mention l'article 36(2) comprend le montant de l'indemnité
convenue, rien n'indique qu'on devrait accorder le paiement de
frais entre procureur et client.
DEMANDE par écrit en vertu de la Règle 324.
PROCUREURS:
Chappell, Bushell & Stewart, Toronto, pour
les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Il s'agit
d'une demande présentée conformément à la Règle
324 visant à obtenir un jugement sur consentement
dans une action en indemnisation par suite d'ex-
propriation de biens conformément à la Loi sur
l'expropriation. J'ai été saisi de demandes sembla-
bles dans six autres actions. Dans chaque cas,
l'ordonnance recherchée se lit ainsi:
[TRADUCTION] SUR dépôt du consentement des parties, la
présente cour statue que cette action est rejetée et que la
défenderesse est tenue de payer aux demandeurs les frais de la
présente action et ceux qui y sont accessoires, sur la base de
frais taxés entre le procureur et son client.
De toute évidence les demandes n'ont pas été
préparées avec soin. Dans sa présentation initiale,
l'ordonnance recherchée en l'instance, ainsi que
dans une autre action, visait au rejet de l'action
[TRADUCTION] «avec frais payables entre le procu-
reur et son client», une ordonnance qui aurait eu
un effet totalement différent. Néanmoins, les pro-
cureurs des demandeurs y ont consenti. On a alors
demandé aux avocats d'expliquer pourquoi les frais
devaient être alloués entre procureurs et clients; on
trouvera la réponse plus loin dans ces motifs.
Dans quatre des sept affaires en cause, l'ordon-
nance initiale visait au rejet de l'action «avec frais
payables conformément à la Loi sur l'expropria-
tion». On a demandé en vain aux avocats de préci-
ser le sens de cette expression.
Dans la dernière affaire, l'ordonnance initiale
demandait «le rejet de l'action avec dépens aux
demandeurs». Une telle ordonnance est en contra
diction avec elle-même puisque le rejet de l'action
signifie que les demandeurs ne retirent rien de leur
action. On a proposé une formule ou une ordon-
nance rejetant l'action tout en prévoyant le paie-
ment aux demandeurs des frais entre parties mais
les avocats n'ont pas tenu compte de cette sugges
tion en renouvelant les demandes.
La formule proposée, visant au paiement des
frais aux demandeurs, est non seulement en con
tradiction avec elle-même mais aussi contraire à la
Règle 605 qui continue la pratique établie depuis
longtemps en vertu de l'ancienne Loi sur les péti-
tions de droit.
J'en viens maintenant à l'essentiel des ordonnan-
ces recherchées, selon leur formulation finale.
En vertu de la Loi sur l'expropriation, le mon-
tant de l'indemnité payable pour le bien exproprié
peut être fixé par entente entre les parties ou par
décision de la Cour. Mais les deux méthodes ne
sont pas les mêmes. Si les parties conviennent du
montant, point n'est besoin de la Cour ni d'un
jugement. L'entente prévaut et doit apporter une
solution à tous les aspects du règlement. Si au
moment où les parties se mettent d'accord, se
trouve pendante devant la Cour une procédure
visant à fixer le montant de l'indemnité, l'accord
en question devra prévoir la fin des procédures, par
désistement ou rejet de l'action sans frais puisque
dans une action de cette nature, la Cour ne peut
rien accorder aux parties, que ce soit au moyen de
dépens ou autrement) Ne perdons pas de vue
qu'en pareil cas, la somme convenue devra faire
l'objet d'un crédit voté à cette fin par le Parlement.
En revanche, lorsque les parties n'ont pu s'en-
tendre et que la Cour doit fixer l'indemnité, la
somme allouée est payée conformément à l'article
57(3) de la Loi sur la Cour fédérale. Il va sans
dire son montant doit se limiter à ce que la Cour a
jugé la Couronne tenue de payer. Par conséquent,
la Cour ne doit pas permettre le stratagème par
lequel un jugement sur consentement des parties
prendrait la place d'une décision fondée sur des
documents établissant la responsabilité réelle de la
Couronne. 2 Lorsque la Cour fixe le montant de
l'indemnité, elle peut accorder des dépens et la Loi
sur l'expropriation contient des dispositions spé-
ciales à cet effet. L'article 36 prévoit que:
36. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais des procé-
dures devant le tribunal - en vertu de la présente Partie et les
frais accessoires à ces procédures, sont laissés à la discrétion du
tribunal ou, dans le cas de procédures devant un juge du
tribunal ou un juge de la cour supérieure d'une province, à la
discrétion dudit juge. Le tribunal ou le juge peuvent ordonner,
qu'en tout ou partie, ces frais soient acquittés par la Couronne
ou par une partie auxdites procédures.
(2) Lorsque le montant de l'indemnité allouée en vertu de la
présente Partie, à une partie à des procédures devant le tribunal
en vertu de l'article 29, pour un droit exproprié, ne dépasse pas
le montant total de toute offre faite à cette partie en vertu de
1 Je spécifie «sans frais» car en vertu des Règles de la Cour, le
simple désistement ou le rejet de l'action permettra au défen-
deur de réclamer au demandeur ses frais taxés.
2 Voir Le Roi c. Hooper [1942] R.C.É. 193.
l'article 14 et de toute offre subséquente à elle faite pour ce
droit avant le début de l'instruction des procédures, le tribunal
doit, sauf s'il conclut que le montant de l'indemnité réclamée
par cette partie dans les procédures était déraisonnable, ordon-
ner que la totalité des frais des procédures et des frais accessoi-
res encourus par cette partie soit payée par la Couronne, et
lorsque le montant de l'indemnité ainsi allouée à cette partie
dépasse ce montant total, le tribunal doit ordonner que la
totalité des frais des procédures et des frais accessoires encou-
rus par cette partie, y compris les frais extrajudiciaires que le
tribunal détermine, soit payée à cette partie par la Couronne.
J'en arrive à l'explication donnée, à laquelle j'ai
fait allusion plus haut, lorsque la Cour a demandé
pourquoi les frais devaient être accordés entre
procureur et client. La voici:
[TRADUCTION] J'ai en main vos trois lettres du 22 avril
1976, se rapportant aux sept affaires susmentionnées.
Lors du règlement de ces actions, on a convenu que la
défenderesse paierait aux demandeurs les frais extrajudiciaires
à être taxés par un officier taxateur de la Cour à moins que les
parties puissent s'entendre sur le montant des frais avant la
taxation. Il semble que cela ne soit pas exprimé de façon
satisfaisante dans les consentements qu'on nous a remis et qui
ont été déposés; c'est pourquoi j'inclus pour chacun d'eux un
nouvel avis de requête et de consentement ainsi qu'un projet de
jugement. On devra statuer à leur égard conformément à la
Règle 324 sans comparution en personne des avocats des
parties.
J'espère qu'ils reflètent avec plus de justesse le fondement du
jugement recherché.
Il me semble qu'on s'efforce ainsi de combiner
une entente fixant l'indemnité avec une ordon-
nance de la Cour, qui à première vue semblerait
accorder une partie de l'indemnité convenue. Ce
serait également accorder des frais rarement
alloués dans une action ordinaire et seulement
pour des raisons très valables. En même temps, ils
seraient vraisemblablement très supérieurs aux
frais taxés entre parties, qui sont normalement
accordés, conformément aux Règles, à la suite
d'un simple désistement ou rejet de l'action.
A mon avis, ce que l'on recherche est contraire
au principe appliqué par cette cour dans l'arrêt Le
Roi c. Hooper 3 et rien dans le libellé de l'article 36
de la Loi sur l'expropriation ne l'autorise ni ne le
justifie. Au surplus, même si l'on pouvait considé-
rer que le montant de l'indemnité «allouée» dont
fait mention l'article 36(2) comprend le montant
de l'indemnité dont on a convenu, et je ne crois pas
3 [1942] R.C.É. 193.
que ce soit le cas, rien au dossier n'indique, et le
contraire ne devrait pas se produire", qu'en l'es-
pèce, la Cour devrait ordonner le paiement de frais
entre procureur et client.
Si les avocats souhaitent plaider la question
oralement, les mesures nécessaires seront prises
pour inscrire les requêtes au rôle. Si d'ici au 25
mai 1976 on ne fait aucune demande en ce sens,
les requêtes seront rejetées.
Ces motifs s'appliquent aux demandes portant
lés nO5 du greffe T-1751-74, T-1777-74, T-1778-74,
T-1779-74, T-1800-74, T-1801-74 et T-2462-75.
° Voir Galway c. La Reine [1974] C.T.C. 454, la page 455.
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