A-457-76
La Reine du chef du Canada (Appelante)
c.
Hawker Siddeley Canada Ltd. et Chemi-Solv
Limited (Intimées)
Cour d'appel, les juges Urie et Le Dain et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les ler et 2 novem-
bre 1976.
Demande d'exemption de production — Une partie doit
rencontrer nettement les exigences propres à une demande
d'exemption de production Affidavits produits en preuve —
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 42(1).
L'appelante prétend que le rapport de la commission d'en-
quête convoquée sous le régime de l'article 42(1) de la Loi sur
la défense nationale est exempt de production parce que l'un
des objectifs de l'enquête était la préparation d'un rapport
devant être soumis aux conseillers juridiques du Ministère aux
fins du procès prévu.
Arrêt: l'appel est rejeté. Une partie doit rencontrer nettement
les exigences propres à une demande d'exemption de produc
tion. Il est raisonnable de conclure qu'au moment de la convo
cation de la commission d'enquête, on envisageait la possibilité
d'un procès. Cependant, l'article 42(1) de la Loi sur la défense
nationale ne fait aucune mention de la réunion de documents
aux fins d'un procès et le mandat ne parle aucunement d'un
procès prévu. Les affidavits des conseillers juridiques de la
commission et du juge-avocat général adjoint n'ont aucune
valeur probante sur la question de fait.
APPEL.
AVOCATS:
Derek H. Aylen, c.r., et L. Holland pour
l'appelante.
J. D. Holding, c.r., pour l'intimée Hawker
Siddeley Canada Ltd.
Personne n'a comparu pour l'intimée Chemi-
Solv Limited.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Borden & Elliot, Toronto, pour l'intimée
Hawker Siddeley Canada Ltd.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac -
Kell & Clermont, Montréal, pour l'intimée
Chemi-Solv Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'un appel d'un
jugement de la Division de première instance' qui
a ordonné la production pour examen des procédu-
res et du rapport de la commission d'enquête
convoquée sous le régime de l'article 42(1) 2 de la
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4,
pour déterminer l'étendue et la cause de la corro
sion des machines principales et auxiliaires et de
celles du système accessoire du Restigouche. L'ap-
pelante s'oppose à cette production au motif que
les procédures et le rapport sont exempts de
communication.
En 1970, l'appelante a engagé par contrat l'inti-
mée Hawker Siddeley Canada Ltd. (ci-après
appelé «Hawker») pour faire certains travaux de
transformation et de réparation sur le Restigou-
che, qui devaient s'effectuer aux chantiers de cons
truction navale de Hawker à Halifax et, par con-
trat de sous-traitance, Hawker a confié la tâche de
nettoyer les chaudières du navire à l'intimée Che-
mi-Solv Limited. Suite à la découverte de ladite
corrosion, une lettre datée du 4 juillet 1972 a été
envoyée au nom de l'appelante à Hawker, pour
l'informer qu'elle était tenue responsable des dom-
mages. Par lettre datée du 11 juillet 1972, Hawker
a répondu en niant toute responsabilité pour les
dommages allégués et a justifié sa dénégation de
responsabilité en déclarant que la décision de net-
toyer à l'acide avait été prise par des fonctionnai-
res du ministère de la Défense nationale en dépit
des conseils à l'effet contraire et que le nettoyage a
été exécuté sous la direction et la supervision du
personnel du Ministère. Par une ordonnance en
date du 4 août 1972 le vice-amiral D. A. Collins,
chef des services techniques, émettait des directi
ves visant l'institution d'une commission d'enquête
pour [TRADUCTION] «déterminer l'étendue et la
cause de la corrosion des machines principales et
auxiliaires et de celles des systèmes accessoires du
[1977] 1 C.F. 463.
2 42. (I) Le Ministre, de même que toute autre autorité qu'il
indique ou nomme à cette fin, peut, s'il importe que le Ministre
ou cette autre autorité soit renseignée sur toute question rela
tive au gouvernement, à la discipline, à l'administration ou aux
fonctions des Forces canadiennes ou concernant tout officier ou
homme, convoquer une commission d'enquête pour examiner
cette question et en faire rapport.
Restigouche», et exposait son mandat. La commis
sion devait rassembler des preuves, tirer des con
clusions et faire des recommandations; voici les
termes de son mandat:
[TRADUCTION] 4. La commission doit entendre tous les
témoins pouvant déposer et, en particulier, doit consigner la
preuve relative
a. aux autres causes techniques possibles des dommages;
b. aux procédés techniques et mesures administratives de
nature à avoir contribué à la cause la plus probable de ces
dommages;
c. aux personnes qui ont pris ou exécuté ces mesures et
procédés; et
d. à l'étendue et au prix des réparations.
5. La commission doit présenter des conclusions
a. sur la cause technique la plus probable des dommages;
b. sur les mesures d'ordre administratif ayant contribué à la
cause des dommages; et
c. sur les réparations nécessaires.
6. La commission doit faire des recommandations
a. quant aux procédés d'ordre technique à utiliser pour éviter
la répétition de tels dommages à l'avenir; et
b. quant aux mesures administratives à prendre pour qu'un
tel incident ne se reproduise pas.
Le mandat prévoyait la présence des représentants
de l'intimée Hawker (ci-après appelés les chantiers
de construction navale de Halifax) en ces termes:
[TRADUCTION] Des représentants du service de construction
navale du ministère des Approvisionnements et Services à
Ottawa et des chantiers de construction navale de Halifax
devraient être invités à assister aux délibérations de la
commission.
Un communiqué du ministère de la Défense
nationale en date du 29 septembre 1972 décrivait
de façon générale les conclusions de l'enquête et
déclarait:
[TRADUCTION] Le rapport d'enquête de près de 400 pages
fait l'objet d'un examen minutieux au quartier général de la
Défense nationale afin de déterminer quelles autres mesures
peuvent être nécessaires, sans écarter la possibilité d'une action
en recouvrement du coût des réparations.
L'appelante a intenté l'action au mois d'août 1975.
L'appelante a produit en preuve des affidavits à
l'appui de sa demande d'exemption de production
des procédures et du rapport de la commission.
L'affidavit de J. L. Scott Henderson, avocat et
conseiller juridique de la commission d'enquête, en
date du ler mai 1976, contient la déclaration
suivante:
[TRADUCTION] 5. Pendant ses délibérations, la commission
était au courant, par la lettre de W. E. Smith du quartier
général des Forces canadiennes, en date du 4 juillet 1972,
adressée aux demanderesses, jointe au présent affidavit comme
pièce A, que la Couronne avait signifié avis de réclamation
contre Hawker Siddeley Ltd.
6. En conséquence, la commission a recueilli pendant ses déli-
bérations, des déclarations des témoins et des éléments de
preuve de nature à étayer la réclamation de la Couronne contre
les parties responsables en droit des dommages causés au
navire.
7. La commission s'attendait à ce que les éléments de preuve
recueillis soient transmis aux avocats de la Couronne pour être
utilisés au cours des poursuites intentées à la suite des domma-
ges subis par le Restigouche.
Dans son affidavit en date du 8 juin 1976, le
colonel Roland F. Barnes, juge-avocat général
adjoint des Forces armées canadiennes, affirme:
[TRADUCTION] ... il était évident, avant la convocation de la
commission d'enquête et durant ses délibérations, qu'un diffé-
rend opposait déjà la demanderesse et la défenderesse Hawker
et qu'il serait nécessaire d'instituer une action en recouvrement
du coût de la réparation du navire, et cela s'est révélé juste.
Lors d'un appel téléphonique que j'ai fait d'Ottawa à J. L.
Scott Henderson à Halifax le 6 mai 1976, il m'a informé que
lorsque la commission a été convoquée, lui-même et les autres
personnes intéressées à l'enquête s'attendaient à ce que celle-ci
vise principalement à recueillir des déclarations de témoins
éventuels et des éléments de preuve de nature à étayer une
revendication contre les défenderesses pour les frais très élevés
des réparations des dommages résultant de la corrosion et,
qu'ils espéraient que la preuve ainsi obtenue serait transmise
aux avocats qui représenteraient la demanderesse pour intenter
des poursuites et faire valoir une réclamation, et c'est pourquoi
la commission a recueilli des déclarations, a identifié les
témoins éventuels et leur a demandé de signer leur déclaration.
Il n'y a pas de désaccord important entre les
parties au sujet du droit applicable en l'espèce. Il
est commodément énoncé dans The Law of Civil
Procedure, Vol. 2, p. 916, un ouvrage de Williston
& Rolls où il est dit: [TRADUCTION] «Sont
exempts de production tous les documents et
copies de ces documents rédigés dans l'intention—
pas nécessairement unique ni primordiale—d'aider
une partie ou ses conseillers juridiques dans un
procès en cours ou prévu.» Les intimées s'appuient
sur une certaine jurisprudence' pour dire que si
telle n'est pas la raison unique ou primordiale
justifiant la rédaction d'un document, ce doit être
au moins une raison sérieuse mais, ce fait ne
semble pas important en l'espèce. Il n'est pas
essentiel, comme on peut conclure des motifs du
juge de première instance, que les documents
soient préparés à la demande d'un conseiller juridi-
que; il suffit qu'ils soient préparés à cette fin par
une partie de sa propre initiative.
Il s'agit en l'espèce de décider, à partir de la
preuve documentaire, si l'appelante a réussi à éta-
blir clairement que l'un des objectifs de l'enquête
était la préparation d'un rapport devant être
soumis aux conseillers juridiques aux fins du
procès prévu. Une partie doit rencontrer nettement
les exigences propres à une demande d'exemption
de production. Il est de l'intérêt de la justice de
produire le plus grand nombre de documents ayant
directement trait au litige et pouvant jeter de la
lumière sur les questions qu'il soulève.
Nous sommes tous d'avis que l'appelante ne s'est
pas libérée de ce fardeau en l'espèce. Il est certai-
nement raisonnable de conclure qu'au moment de
la convocation de la commission d'enquête, on
envisageait la possibilité d'un procès, compte tenu
de l'échange de correspondance entre les parties
peu avant la constitution de la commission. Cepen-
dant la preuve n'indique pas clairement que l'un
des objectifs de l'établissement de la commission
était d'obtenir un rapport devant être soumis aux
conseillers juridiques aux fins dudit procès. La
commission d'enquête devait suivre les directives
de l'amiral Collins et ces directives doivent déter-
miner sa raison d'être. L'article 42(1) de la Loi sur
3 On a cité à la Cour une jurisprudence abondante sur la
question de l'exemption de communication: Woolley c. North
London Railway Company (1869) L.R. 4 C.P. 602; Cook c.
North Metropolitan Tramway Company (1889) 6 T.L.R. 22;
Birmingham and Midland Motor Omnibus Co. Ltd. c. London
and North Western Railway Company [1913] 3 K.B. 850;
Blackstone c. The Mutual Life Insurance Company of New
York [1944] O.R. 328; Cook c. Cook and Kelterbourne [1947]
O.R. 287; Seabrook c. British Transport Commission [1959] 2
All E.R. 15; Longthorn c. British Transport Commission
[1959] 2 All E.R. 32; Susan Hosiery Limited c. M.R.N. [1969]
2 R.C.E. 27; Mitchell c. La Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada (1974) 38 D.L.R. (3') 581; Alfred
Crompton Amusement Machines Ltd. c. Customs and Excise
Commissioners (N° 2) [1974] A.C. 405.
la défense nationale qui permet de convoquer cette
enquête, ne fait aucune mention, expresse ou
tacite, de la préparation ou de la réunion de docu
ments aux fins d'un procès. Il traite d'affaires
«... relative[s] au gouvernement, à la discipline, à
l'administration ou aux fonctions des Forces cana-
diennes ou concernant tout officier ou
homme ....» Le mandat contenu dans l'ordre
adressé par l'amiral Collins au président de la
commission ne parlait aucunement de conseillers
juridiques ni des exigences d'un procès prévu. Il y
est question de déterminer l'étendue et la cause des
dommages et de recommandations sur la façon
d'éviter leur répétition à l'avenir. Il réflète la
préoccupation administrative du chef des services
techniques plutôt que les exigences d'un procès
prévu. A notre avis, l'intention clairement expri-
mée selon laquelle des représentants de l'intimée
Hawker «devraient être invités à assister aux déli-
bérations de la commission» est des plus révéla-
trice. Rien au dossier n'indique une limitation de
ce droit d'assistance. La déclaration dans le
mandat portant que «Cette enquête est CONFIDEN-
TIELLE» n'indique pas clairement, à notre avis,
dans quelle mesure l'intimée Hawker pouvait assis-
ter aux délibérations et les suivre. A notre avis,
cette intention exprimée voulant que l'intimée
devrait avoir le droit d'être présente est incompati
ble avec l'intention d'utiliser l'enquête pour prépa-
rer un document exempt de communication. En ce
qui concerne les affidavits soumis en preuve, non
seulement ne sont-ils pas la meilleure preuve des
intentions de l'amiral Collins lorsqu'il a institué
l'enquête, mais ils ne constituent pas une preuve
claire et non équivoque de ce que lui, par opposi
tion aux membres de la commission ou de ses
conseillers. juridiques, envisageait comme objectif
de l'enquête. Nous sommes donc d'avis que ces
affidavits n'ont aucune valeur probante sur la
question de fait qui nous est soumise.
Pour tous ces motifs nous rejetons l'appel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.