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T-3116-76
Emmanuel Okolakpa (Pétitionnaire)
c.
G. Lanthier (Intimé)
et
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 13 septembre 1976; Ottawa, le 21 septembre 1976.
Immigration—Requête visant à obtenir un bref de prohibi tion afin d'empêcher la tenue d'une enquête spéciale—Une nouvelle enquête est ordonnée à la suite d'un rapport fondé sur les mêmes faits qu'un rapport précédent ayant motivé une ordonnance d'expulsion—La Cour d'appel fédérale a annulé cette ordonnance d'expulsion—Le bref de prohibition est accordé—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 18(1)e)(iv) et (viii), 27(4)—Règlement sur l'immigration, art. 35(2)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le pétitionnaire demande un bref de prohibition visant à empêcher la tenue d'une enquête spéciale pour déterminer son statut au Canada et une ordonnance exigeant que soit tranchée sa demande de visa d'étudiant. Le pétitionnaire est entré au Canada à titre d'étudiant et a demandé la prorogation de son visa en déclarant qu'il ne travaillait pas. On a par la suite constaté qu'il travaillait, un rapport a été fait en vertu de l'article 18(1)e)(iv) et l'enquêteur spécial a rendu une ordon- nance d'expulsion au motif qu'il n'avait pas obtenu l'autorisa- tion écrite nécessaire, en contravention de l'article 35(2) du Règlement. La Cour d'appel fédérale a annulé cette ordon- nance sans rendre de motifs écrits. Un second rapport, fondé sur les mêmes faits, a alors été rédigé par le même fonction- naire à l'immigration, invoquant cette fois l'article 18(1)e)(viii) et alléguant que le pétitionnaire est entré au Canada et a obtenu la prorogation de son visa par suite de faux renseigne- ments. Suite à ce rapport, on a ordonné une nouvelle enquête spéciale. Le pétitionnaire prétend qu'une enquête spéciale fondée sur un rapport invoquant les mêmes faits tout en s'appuyant sur un paragraphe différent de la Loi est contraire à la justice naturelle et constitue une dualité de poursuites pour les mêmes faits.
Arrêt: le second rapport ne peut justifier une seconde enquête spéciale; il est défendu à l'intimé de tenir une autre enquête spéciale et il est déclaré que le pétitionnaire a droit sans délai à une décision relative à la demande de prorogation de son visa d'étudiant. Tout «rapport subséquent» et enquête ultérieure en vertu de l'article 27(4) doivent se fonder sur de nouveaux faits. En outre, à l'époque de la première ordonnance d'expulsion, le visa du pétitionnaire n'était pas encore expiré de sorte qu'il aurait pu interjeter appel auprès de la Commission d'appel de l'immigration. Cependant, son visa n'est plus en vigueur, il ne pourrait pas soumettre à la Commission d'appel de l'immigration une demande d'annulation de l'ordonnance d'expulsion et il serait ainsi privé d'un de ses recours.
Distinction faite avec l'arrêt: Sadique c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration [1974] 1 C.F. 719. Arrêts analysés: Kalicharan c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 2 C.F. 123 et Anwar c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
(non publié, A-422-75).
REQUÊTE visant l'obtention d'un bref de prohibi tion et d'une ordonnance.
AVOCATS:
Julius Grey pour le pétitionnaire.
R. Leger pour l'intimé et mis-en-cause.
PROCUREURS:
Lapointe, Rosenstein, Konigsberg & Delorme, Montréal, pour le pétitionnaire.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé et mis-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le pétitionnaire demande un bref de prohibition visant à empêcher une autre enquête spéciale pour déterminer son statut au Canada et une ordonnance exigeant que soit tran- chée sa demande de visa d'étudiant. Voici les faits:
Le 5 avril 1976, une enquête spéciale a été tenue à la suite d'un rapport daté du 4 février 1976 et rédigé par R. A. Duval, un fonctionnaire à l'immi- gration, conformément à l'article 18 de la Loi sur l'immigration'; selon ce rapport, en vertu du sous- alinéa 18(1)e)(iv) de la Loi, le pétitionnaire, un étudiant aux termes de l'article 7(1)f) de la Loi, a accepté un emploi au Canada sans l'autorisation écrite d'un fonctionnaire à l'immigration, en con travention de l'article 35(2) du Règlement. Le 14 novembre 1975, son statut d'étudiant a été prorogé jusqu'au 31 août 1976, date à laquelle il a déclaré qu'il ne travaillait pas; cependant, on a par la suite constaté qu'il travaillait depuis le 16 septembre 1975. Un enquêteur spécial a donc rendu l'ordon- nance d'expulsion en vertu de l'article 18(1)e)(iv). Le 15 juin 1976, la Cour d'appel a annulé cette ordonnance sans rendre de motifs écrits.
Le 3 juillet 1976, ledit R. Duval a rédigé un second rapport fondé sur les mêmes faits mais invoquant cette fois l'article 18(1)e)(viii); il est allégué que le pétitionnaire est entré au Canada
1 S.R.C. 1970, c. I-2.
par suite de faux renseignements car à l'enquête du 14 novembre 1975, il a déclaré ne pas travailler au Canada et c'est sur la foi de cette déclaration que son visa d'étudiant a été renouvelé. Suite à ce rapport, on a ordonné une nouvelle enquête spé- ciale que le pétitionnaire cherche à éviter par le présent bref de prohibition.
Après le jugement annulant l'ordonnance d'ex- pulsion, le pétitionnaire a demandé la prorogation de son visa d'étudiant mais aucune décision n'a été prise à ce sujet et on lui a dit d'attendre une sommation de comparaître. Il prétend qu'une enquête menée par un enquêteur spécial comme celle ordonnée en l'espèce, ne peut avoir lieu qu'à la suite d'un rapport écrit, valide et conforme à l'article 18 et que le fonctionnaire à l'immigration ayant déjà rédigé un tel rapport le 4 février 1976, qui a mené à l'enquête spéciale dont est résultée l'ordonnance d'expulsion fondée sur l'inobservation de l'article 18(1)e)(iv) et annulée par la Cour d'appel, ledit fonctionnaire ne peut, en l'absence de faits nouveaux et pour le même motif mais en invoquant cette fois l'article 18(1)e)(viii) de la Loi, rédiger un second rapport en vue d'une nouvelle enquête spéciale visant son expulsion; le pétition- naire prétend en outre qu'invoquer les mêmes faits tout en se fondant sur un sous-alinéa différent de l'article de la Loi est contraire à la justice natu- relle et constitue une dualité de poursuites pour les mêmes faits, lesquelles pourraient se multiplier à l'infini s'il était possible de recourir à une nouvelle disposition de la Loi et de tenir une nouvelle enquête chaque fois qu'une ordonnance d'expul- sion est annulée.
L'article 18(1)e)(iv) traite d'une personne autre qu'un citoyen canadien, ou d'une personne ayant un domicile canadien, qui
(iv) était un membre d'une catégorie interdite lors de son admission au Canada,
alors que le sous-alinéa (viii) traite d'une personne qui
(viii) est entrée au Canada, ou y demeure, avec un passeport, un visa, un certificat médical ou autre document relatif à son admission qui est faux ou irrégulièrement délivré, ou par suite de quelque renseignement faux ou trompeur, par la force, clandestinement ou par des moyens frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou par quelque autre personne.
On a plaidé que l'article 27(4) entrevoit la possibilité d'un rapport subséquent et d'une enquête ultérieure. Il dispose:
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne doit empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est requise en raison d'un rapport subséquent sous le régime de l'article 18 ou conformément à l'article 24.
Toutefois, à mon avis, le «rapport subséquent» doit se fonder sur de nouveaux faits et ne peut simplement baser sa recommandation sur un sous- alinéa différent de la Loi, la Cour d'appel ayant jugé inapplicable le sous-alinéa initialement invo- qué. Le fonctionnaire à l'immigration aurait pu invoquer le sous-alinéa (viii) au lieu ou en plus du sous-alinéa (iv) à l'appui de l'ordonnance d'expul- sion, mais il ne l'a pas fait et cette omission ou erreur de droit ne peut motiver un second rapport et une nouvelle enquête spéciale fondée sur des faits identiques. En outre, à l'époque de la pre- mière ordonnance d'expulsion, le visa du pétition- naire n'était pas encore expiré, de sorte qu'il aurait pu interjeter appel auprès de la Commission d'ap- pel de l'immigration au lieu de présenter une demande à la Cour d'appel en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; cependant, son visa n'est plus en vigueur et si une nouvelle enquête menait à une ordonnance d'expulsion, comme cela semble être le cas, il ne pourrait pas soumettre à la Commission d'appel de l'immigration une demande d'annulation de l'ordonnance d'expulsion et, ainsi privé d'un de ses recours, il subirait un préjudice. Il demande maintenant que soit décidée la demande de prorogation de son visa d'étudiant et il prétend, sans être contredit, avoir été admis pour poursuivre ses études durant l'année à venir et posséder les titres nécessaires pour étudier au Canada. Je n'entends pas ici conclure que son visa d'étudiant devrait être prorogé car cette question ne relève pas du pouvoir discrétionnaire de la Cour et n'a pas été soulevée en l'espèce.
Le bref de prohibition sollicité en l'espèce me semble le recours approprié pour empêcher une seconde enquête spéciale fondée sur les mêmes faits. Dans l'arrêt Sadique c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration 2 le juge sup pléant Cowan déclare à la page 723:
2 [1974] 1 C.F. 719.
... la délivrance d'un bref de prohibition ne serait pas le moyen de droit approprié puisqu'un tel bref ne peut être émis que pour empêcher un fonctionnaire, dans ce cas l'enquêteur spécial, d'excéder sa compétence. De toute façon, puisque l'enquête est terminée, le bref de prohibition n'est pas un moyen approprié.
Si en l'espèce, un second rapport fondé sur des faits identiques ne peut servir à annihiler la déci- sion de la Cour d'appel annulant l'ordonnance d'expulsion, il s'ensuit que l'enquêteur spécial, qui ne peut tenir une nouvelle enquête qu'en se fon dant sur un rapport subséquent, excéderait sa com- pétence. En conséquence, cette seconde enquête n'étant pas commencée, le bref de prohibition est recevable. Voir également l'affaire Kalicharan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion', le juge Mahoney a accordé un bref de prohibition en vue d'empêcher l'exécution d'une ordonnance d'expulsion, jugée sans fondement. C'est aller plus loin que délivrer un bref de prohi bition pour empêcher une nouvelle enquête. Il convient aussi de citer la décision non encore publiée de la Cour d'appel rendue le 17 septembre 1975, dans l'affaire Anwar c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [A-422-75]; le juge Urie y déclare au nom de la Cour:
Selon nous, il est évident qu'au moment de son entrevue avec un fonctionnaire à l'immigration le 12 juin 1975, l'intention réelle du requérant était d'obtenir la prorogation du visa qui l'autorisait à entrer au Canada en qualité d'étudiant conformé- ment à l'alinéa 7(1)f) de la Loi sur l'immigration. Apparem- ment la question ne fut traitée ni par le fonctionnaire à l'immigration ni par l'enquêteur spécial. Ce dernier a ordonné l'expulsion du requérant en se fondant uniquement sur le fait qu'il était entré au Canada en qualité de non-immigrant et y était demeuré après avoir cessé d'être un non-immigrant.
Le requérant avait droit à une décision sur la question de sa demande de prorogation de son visa d'étudiant. En l'absence d'une telle décision, nous sommes d'avis que l'ordonnance d'expulsion devrait être annulée.
Pour ces motifs, je conclus que le second rapport du fonctionnaire à l'immigration ne peut justifier une seconde enquête spéciale; je défends donc à l'intimé de tenir une autre enquête spéciale et déclare que le pétitionnaire a droit, sans délai, à une décision relative à la demande de prorogation de son visa d'étudiant, le tout avec dépens.
3 [1976] 2 C.F. 123.
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