T-5189-73
Paul D. Bowlen (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Calgary, les 20 juillet et 19 août 1976.
Impôt sur le revenu—Pratique—Requête de la défenderesse
présentée en vertu de la Règle 464 sollicitant une ordonnance
en vue d'enjoindre à la Banque Royale du Canada, d'une part,
de produire et de permettre l'inspection par la défenderesse de
documents relatifs, entre autres personnes, au demandeur et,
d'autre part, de préparer des copies certifiées desdits docu-
ments—Le demandeur requiert une déclaration portant qu'au-
cune fraction du revenu supplémentaire, d'un montant total de
$2,406,814.92, ajouté à son revenu imposable pour les années
d'imposition allant de 1963 1970 n'est incluse, ou ne doit
être incluse, dans son revenu—La défenderesse prétend que les
montants ont été ajoutés à juste titre et elle demande le rejet
de l'action—Compétence d'ordonner à une personne résidant
au Canada de produire des documents qui se trouvent à
l'étranger—S'agit-il d'une recherche à l'aveuglette ou d'une
demande de communication de documents en possession d'un
tiers—Jurisprudence contradictoire Requête accueillie—
Règle 464 de la Cour fédérale—Loi sur les banques, S.R.C.
1970, c. B-1.
L'exposé de la demande requiert du tribunal une déclaration
portant qu'aucune fraction du revenu supplémentaire, au mon-
tant de $2,406,814.92, établi pour les années d'imposition allant
de 1963 à 1970, n'est incluse, ou ne doit être incluse, dans le
revenu du demandeur. L'acte de défense prétend que les
sommes ont été ajoutées à juste titre et il demande le rejet de
l'action. Trois transactions, qui se sont déroulées le 9 mai 1963,
sont sérieusement controversées: a) le demandeur a acheté de
R. Ltd. des débentures à vue pour le montant total de $6,891,-
647.59, b) R. Ltd. a acheté une débenture de H. Ltd. pour le
même montant et c) H. Ltd. a acheté au demandeur des titres
ayant une valeur marchande totale équivalente. Les trois tran
sactions ont été payées par chèque. R. Ltd. et H. Ltd. ont toutes
deux été constituées en corporation au Bahamas. L'acte de
défense prétend que le demandeur, en procédant à la constitu
tion de ces deux compagnies, envisageait de disposer de compa-
gnies étrangères de manière à pouvoir détourner licitement des
revenus et des capitaux qui lui appartenaient personnellement.
Les plaidoiries démontrent que le demandeur contrôlait R. Ltd.
vu que Trust Corporation of Bahamas Limited détenait les
actions de celle-ci en fiducie pour sa femme et ses enfants. La
défenderesse allègue que le demandeur est pratiquement pro-
priétaire de H. Ltd. ou encore, qu'il la contrôle; ceci est
contesté par le demandeur. L'acte de défense allègue en outre
que les trois transactions étaient des trompe-l'oeil et qu'aucun
des acheteurs ne disposait des fonds nécessaires pour honorer
les chèques en question. Les trois opérations se sont déroulées à
la succursale de la Banque Royale du Canada à New York; la
banque a en sa possession, ou a eu en sa possession, des
documents concernant le litige. Il s'agit de savoir si l'on peut à
bon droit décerner une ordonnance et, dans l'affirmative, si
celle-ci doit être limitée dans son application.
La compétence d'ordonner à une personne résidant au
Canada de produire des documents se trouvant à l'étranger
pour emploi dans un procès devant un tribunal canadien est
bien établie. La Banque Royale du Canada est domiciliée au
Canada. L'existence de rapports particuliers entre la banque et
ses clients, de même que les désagréments que l'ordonnance
demandée pourrait lui causer, ne sauraient constituer un motif
de refus. La présente requête a été présentée conformément à la
Règle 464(1) des Règles de la Cour fédérale. Dans les provin
ces, il existe des Règles semblables. Il est généralement admis
qu'elles n'ont pas pour objet de permettre d'obtenir la commu
nication de documents appartenant à des tiers ni d'autoriser les
recherches à l'aveuglette. La jurisprudence ayant fait des dis
tinctions en prenant pour base le but recherché, certains précé-
dents sont difficiles à réconcilier. Dans des décisions récentes on
a statué que les ordonnances de communication de documents
n'ont pas besoin de se rapporter uniquement à des documents
admissibles comme preuve à l'audience mais la règle générale
énoncée dans l'affaire McCurdy c. Oak Tire & Rubber Co.
Limited demeure: la règle n'a pas pour objet de permettre
d'obtenir une communication provenant d'un tiers; sa raison
d'être, c'est de faciliter l'obtention de preuves pour le procès.
Arrêt: la demande est accueillie. Dans la mesure où leur
présentation en preuve sera vraisemblablement exigible à l'au-
dience, la production de tous les documents qu'un tiers a en sa
possession peut être demandée pourvu que la description qui en
est faite suffise à démontrer l'intérêt qu'ils représentent pour le
litige. Les représentants de la défenderesse n'ont pas vu certains
des documents mais l'objectif qui aurait conduit à la constitu
tion en corporation de R. Ltd. et de H. Ltd. et les liens qui
existeraient entre le demandeur et ces compagnies laissent
supposer d'une part, que les documents concernent vraisembla-
blement le litige et d'autre part, qu'il ne s'agit pas d'une
recherche à l'aveuglette.
Arrêts suivis: Robertson c. St. John City Railway Com
pany (No. 1) [1892] New Brunswick Equity Cases 462 et
Hannum c. McRae (1898) 28 O.R. 185 (Ont. C.A.).
Arrêts appliqués: McCurdy c. Oak Tire & Rubber Co.
Limited (1918) 44 O.L.R. 235; Trustee of the Property of
Lang Shirt Co. c. London Life Insurance Co. (1926) 31
O.W.N. 285; Doig c. Hemphill [1942] O.W.N. 391;
Weber c. Czerevko [1962] O.W.N. 245; McGilly c. Cush-
ing [1964] 2 O.R. 544; Markowitz c. Toronto Transit
Commission [1965] 2 O.R. 215; Kokan c. Dales [1970] 1
O.R. 465; Coderque c. Mutual of Omaha Insurance Co.
[1970] 1 O.R. 473 et Rhoades c. Occidental Life Insur
ance Company of California [1973] 3 W.W.R. 625. Dis
tinction faite avec l'arrêt: Elder c. Carter (1890) 25 Q.B.D.
194.
REQUÊTE.
AVOCATS:
H. S. Prowse, c.r., pour le demandeur.
M. R. V. Storrow pour la défenderesse.
J. Chipman, c.r., pour la Banque Royale du
Canada.
PROCUREURS:
Fenerty, Robertson, Brennan, Prowse, Fraser,
Bell & Hatch, Calgary, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La défenderesse
sollicite, par voie de requête, une ordonnance
[TRADUCTION] (1) enjoignant la Banque Royale du Canada
de produire et de permettre l'inspection par des fonctionnaires
de la défenderesse de tous les grands livres, dossiers, notes de
service,, lettres, documents et autres dossiers en la possession
de la Banque Royale du Canada afférents au demandeur Paul
D. Bowlen, à Regent Tower Estates Limited, à Hambeldon
Estates Limited, à Tico Estates S.A. et à Bowlen Investments
Ltd., où qu'ils se trouvent, y compris et sans restreindre la
généralité de ce qui précède, les documents mentionnés à
l'annexe A envoyés, reçus, préparés ou établis par la Banque
Royale du Canada, ses agents ou préposés au cours de leurs
activités.
(2) prescrivant la préparation de copies certifiées desdits
documents.
A l'audition de la requête, l'avocat de la défen-
deresse a déclaré qu'elle ne demandait pas, à ce
moment, la production de documents relatifs à
Tico Estates S.A.
L'annexe A de la requête contient une liste de
319 documents.
L'exposé de demande précise que le ministre du
Revenu national a établi une nouvelle cotisation à
l'égard du demandeur pour les années d'imposition
allant de 1963 à 1970, qui ajoute à ses cotisations
antérieures des montants substantiels pour chaque
année d'un montant total de $2,406,814.92. Il
demande une déclaration portant qu'aucune frac
tion de cette somme ne fait partie du revenu du
demandeur et qu'aucune fraction ne doit être
incluse dans son revenu.
L'exposé de défense affirme que les montants
ont été ajoutés à juste titre au revenu du deman-
deur par les avis de nouvelle cotisation et il
demande le rejet de l'action.
La nature, le but et l'effet réels de trois transac
tions qui se sont déroulées le 9 mai 1963 sont
sérieusement controversés dans cette action. Selon
l'exposé de demande, il s'agit des transactions
suivantes:
1. Le 9 mai 1963 ou vers cette date, le deman-
deur a acheté à Regent Tower Estates Limited
(ci-après Regent) des débentures à vue pour un
montant total de $6,891,647.59 $CAN et il lui a
payé cette somme par chèque.
2. Le 9 mai 1963 ou vers cette date, après
l'achèvement de la première transaction, Regent
a acheté une débenture de Hambeldon Estates
Limited (ci-après Hambeldon) pour le même
montant et a payé cette somme par chèque à
Hambeldon.
3. Le 9 mai 1963 ou vers cette date, Hambeldon
a acheté au demandeur des titres composés d'ac-
tions, d'obligations et de débentures pour
$6,891,647.59, soit une valeur marchande totale
équivalente, payée par chèque au demandeur.
Regent et Hambeldon ont été constituées en
corporation en vertu du Companies Act des Îles
Bahamas.
L'exposé de défense énonce que le demandeur,
en procédant à la constitution de ces deux compa-
gnies, envisageait de disposer de compagnies étran-
gères de manière à pouvoir donner l'«apparence»
de détourner légalement des revenus et des capi-
taux qui lui appartenaient personnellement au
profit de Regent et de Hambeldon ou au profit de
chacune d'elles.
Il ressort clairement des plaidoiries qu'à toutes
les époques pertinentes, le demandeur contrôlait
Regent dont Trust Corporation of Bahamas Limi
ted détenait les actions en fiducie pour sa femme
et ses enfants. L'exposé de défense précise qu'à
toutes les époques pertinentes le demandeur était
le propriétaire principal ou qu'il contrôlait par
ailleurs toutes les actions de Hambeldon. Ceci est
contesté par le demandeur.
L'exposé de défense précise ensuite que les trois
transactions du 9 mai 1963 étaient des trompe-
l'oeil ou des transactions semblables et qu'aucun
des acheteurs ne disposait, à aucune des époques
pertinentes, des fonds nécessaires pour couvrir
leurs chèques respectifs.
A l'audition de cette requête, l'avocat de la
défenderesse a déclaré que les trois opérations
précédentes se sont déroulées à la succursale de la
Banque Royale du Canada à New-York. Ceci n'a
pas été contesté.
Il ne fait aucun doute que la Banque Royale a
ou a eu en sa possession des documents concernant
les points litigieux que soulève cette action. En
réalité, des représentants de la défenderesse ont vu
à la succursale de la Banque à New-York la
plupart sinon l'ensemble des 319 documents ins-
crits à l'annexe A de l'avis de requête.
L'avocat de la défenderesse prétend que la pré-
sentation à l'audience de la Cour desdits 319 docu
ments et d'autres documents en la possession de la
Banque relatifs aux points litigieux soulevés dans
cette action est d'une importance capitale pour la
défenderesse. Il s'agit donc de savoir si l'on peut à
bon droit décerner une ordonnance, et, dans l'affir-
mative, si celle-ci doit être limitée dans son
application.
La compétence de la Cour pour ordonner à une
personne résidant au Canada, bien que cette per-
sonne soit un tiers, de produire des documents qui
se trouvent à l'étranger et doivent être utilisés pour
un litige devant un tribunal canadien, est bien
établie. La Banque Royale du Canada est une
société bancaire créée en vertu de la Loi sur les
banques' et dont le siège social se trouve à Mont-
réal. Son domicile est situé au Canada. Le fait que
les documents, ou la plupart de ceux-ci, dont la
production est demandée se trouvent à la succur-
sale de New-York (E.-U.) n'empêche pas la Cour
de décerner l'ordonnance demandée (Robertson c.
St. John City Railway Company (N° 1) 2 ). Il en est
de même des rapports particuliers d'une banque
avec ses clients et du fait que l'obéissance à une
telle ordonnance peut causer des désagréments à la
Banque. (Hannum c. McRae 3 .)
La présente requête est présentée conformément
à la Règle 464 des Règles de la Cour fédérale dont
voici le paragraphe (1):
Règle 464. (1) Lorsqu'un document est en la possession d'une
personne qui n'est pas partie à l'action et lorsqu'on pourrait la
contraindre à produire ce document à une instruction, la Cour
pourra, à la demande d'une partie, après avis à cette personne
et aux autres parties à l'action, prescrire la production et
l'examen du document, et elle peut donner des instructions pour
' S.R.C. 1970, c. B-1.
2 [1892] New Brunswick Equity Cases 462, la p. 467.
3 (1898) 28 O.R. 185 (Cour d'appel de l'Ontario).
la préparation d'une copie certifiée qui peut être utilisée à
toutes fins à la place de l'original.
La Règle 349 de l'Ontario, ancienne Règle 350,
est rédigée de la même façon à l'exception du mot
«opposant» au lieu de «autres parties à l'action»,
différence qui ne présente aucune importance pour
nous. En Colombie-Britannique et probablement
dans les autres provinces, il existe une Règle très
semblable. Le sens réel et l'application de la Règle
ont fait l'objet de nombreuses controverses qui
n'ont pas encore été tout à fait résolues. Cepen-
dant, un accord général est intervenu sur le plan
juridique selon lequel la règle n'a pas pour but de
permettre d'obtenir communication de documents
d'un tiers à l'action ni de s'engager dans une
recherche à l'aveuglette. Pour l'essentiel, ces con-
troverses proviennent du fait que la distinction
entre ce qui est et ce qui n'est pas une recherche à
l'aveuglette et entre ce qui est et ce qui n'est pas
une demande de communication de pièces adressée
à un tiers à l'action, semble être influencée par les
faits et les circonstances de chaque espèce. Il en
résulte, du moins à mon avis, que certaines déci-
sions sont difficiles à réconcilier.
On a souvent cité et suivi McCurdy c. Oak Tire
& Rubber Co. Limited 4 comme étant l'arrêt qui a
posé la règle générale. Le juge Middleton a dit à
cette occasion [à la page 235]:
[TRADUCTION] Je suis convaincu que la Règle 350 (devenue
Règle 349) avait pour but de simplifier l'obtention de preuves
et d'éviter d'impliquer dans un procès un témoin qui a la garde
de documents, et non pas de permettre une communication qui
provient de tiers à une action.
Quelques années plus tard, le Master (Garrow)
a exposé la question de façon plus explicite dans
Trustee of the Property of Lang Shirt Co. c.
London Life Insurance Co. 5 il dit [à la page 286]:
[TRADUCTION] La Règle ne s'applique pas du tout à la
communication, mais à la production et à l'inspection aux fins
de l'audition, y compris au dépôt de copies certifiées, de
documents dont on a démontré qu'ils sont en la possession d'un
tiers à l'action et dont la production peut être ordonnée à
l'audience. Avant de pouvoir décerner une ordonnance en vertu
de cette Règle, il faut avoir établi qu'un tiers à l'action a en sa
possession certains documents spécifiques que la Cour admet-
trait en toute probabilité à l'audience comme élément de preuve
se rapportant à certain des points litigieux que soulève l'action.
" (1918) 44 O.L.R. 235.
5 (1926) 31 O.W.N. 285.
On a aussi souvent cité l'affaire Doig c. Hemp-
hill 6 en faisant valoir qu'elle posait des limites à
la production de documents en vertu de la Règle
350 de l'Ontario. Dans cette affaire, le défendeur
avait agi à titre de mandataire au cours de tran
sactions sur le marché des grains pour les deman-
deurs et pour un certain nombre d'autres person-
nes. Tous les achats et toutes les ventes ont été
effectués par l'intermédiaire des courtiers Parrish
& Heimbecker Limited et ils ont tous été effectués
au nom du défendeur. Les demandeurs ont sollicité
une ordonnance tendant à la production, aux fins
d'inspection, par les courtiers de leurs dossiers
concernant toutes les commandes de ventes et
d'achats données par les demandeurs au cours
d'une période déterminée. Le Master F. H.
Barlow, K.C., dit à la page 392:
[TRADUCTION] Les transactions du défendeur avec les cour
tiers Parrish & Heimbecker Limited ont été effectuées en son
nom propre pour le compte des demandeurs et diverses autres
personnes. Par conséquent, il en résulte que la production et
l'inspection des livres des courtiers et même d'une copie certi-
fiée de ceux-ci ne sera d'aucune aide pour les demandeurs à
l'audience si l'on ne cite personne du bureau des courtiers
comme témoin. Il est clair que cette demande a pour but
d'obtenir communication de pièces de Parrish & Heimbecker
Limited qui est un tiers à l'action. Ceci est contraire à l'inter-
prétation exacte de la Règle 350.
Vingt ans plus tard, le Master (Kimber) expri-
mait une opinion semblable dans l'affaire Weber c.
Czerevko 7 soumise à la Haute Cour de justice de
l'Ontario. Dans cette affaire, une aide infirmière
prétendait avoir été agressée et blessée par le
défendeur qui dirigeait avec d'autres personnes le
petit hôpital où elle travaillait. La demanderesse
avait souffert de troubles nerveux avant l'événe-
ment dont elle se plaignait. Le défendeur a
demandé une ordonnance enjoignant l'Hôpital
général de Ste -Catharine et l'hôpital Hôtel Dieu
de produire tous les dossiers médicaux et tous les
antécédents concernant d'une façon ou d'une autre
le traitement de la demanderesse. Le Master s'est
reporté [à la page 246] l'affaire Doig c. Hemp-
hill, en disant:
[TRADUCTION] Dans l'affaire mentionnée en dernier lieu, le
Master (Barlow) explique que la Règle 349 n'a pas pour but
d'accorder le droit à la communication des pièces d'une tierce
personne. En réalité, c'est ce que demande le défendeur en
l'espèce. Il ignore si certains dossiers pourraient lui être utiles
ou ce que révéleraient ces dossiers s'ils existaient en réalité. Il
6 [1942] O.W.N. 391.
7 [1962] O.W.N. 245.
se lancera dans une recherche à l'aveuglette pour voir s'il peut
découvrir quelque chose qui lui servira à l'audience. En réalité,
sa demande équivaut à demander le droit d'interroger un
témoin éventuel pour l'audience.
Bien qu'une interprétation plus large de cette règle aurait pu
faciliter l'administration de la justice, la jurisprudence est tout
à fait contraire et cette demande doit être rejetée.
Passons maintenant à une affaire plus récente
qui a eu un résultat différent, McGilly c. Cush-
ing 8 . La défenderesse interjetait appel d'une
ordonnance du Master qui refusait la production
par le demandeur de dossiers médicaux. La défen-
deresse a demandé l'autorisation de modifier sa
requête en demandant comme alternative une
ordonnance en vertu de la Règle 349 prescrivant la
production et l'examen des dossiers médicaux de
l'Hôpital général de Toronto sur la demanderesse
au sujet de son hospitalisation et de son traitement
pour les blessures qui faisaient l'objet de l'action.
Le juge Haines a dit en bas de la page 544 et à la
page 545:
[TRADUCTION] Il est évident que le dossier médical contienne
des informations importantes dont la Cour devrait être
saisie ... et que la production de ce dossier médical peut être
demandée par l'une ou l'autre des parties au cours de l'audience
par le simple recours à un subpoena duces tecum.
La requérante prétend que le dossier médical devrait être
produit maintenant et je tends à en convenir. Un dossier
médical bien compilé est un effort d'équipe qui contient les
rapports des médecins, des techniciens, des infirmières et d'au-
tres membres du personnel. Lorsque sa production est obtenue
pour la première fois à l'audience au moyen d'un subpoena, une
bonne partie des informations importantes ne peut être admise
comme preuve puisque son introduction contredit la règle de la
preuve par ouï-dire. Une partie qui désire présenter ces élé-
ments de preuve est alors obligée soit de demander un ajourne-
ment, ce qui provoque une grande perte de temps pour la Cour,
les avocats et les témoins, soit de s'efforcer de trouver rapide-
ment ceux qui ont établi les rapports et de les assigner. Ceci
cause un grand embarras aux témoins qui sont cités péremptoi-
rement à comparaître avec un préavis de quelques heures, et
cela provoque en outre une rupture dans le travail du témoin et
des membres de la collectivité qu'il sert. Il me semble que cette
Cour a pour obligation d'ordonner l'utilisation de ses moyens de
contrainte pour que les faits matériels en la possession de tiers
soient révélés à temps aux parties et qu'elles aient ainsi la
possibilité de prévoir la présence de témoins en tenant compte
dans une certaine mesure des autres engagements que peuvent
avoir ces témoins. A cet égard, je prends une connaissance
spéciale des demandes de la collectivité aux services médicaux
et para-médicaux.
A la page 546 il dit, en partie:
8 [1964] 2 O.R. 544.
[TRADUCTION] Il >era décerné une ordonnance enjoignant
les employés concernés de l'Hôpital général de Toronto d'auto-
riser la requérante ou ses avocats à examiner et à recevoir les
informations tirées du dossier médical de la demanderesse... .
Dans Markowitz c. Toronto Transit Commis
sion 9 , le juge Thompson s'est dit d'accord avec
l'opinion que le juge Haines a exposée dans
McGilly selon laquelle l'examen antérieur de docu
ments, c'est-à-dire avant l'audience, devrait être
ordonné pour faciliter la preuve des informations
qui y étaient contenues au cours de l'audience.
Ensuite dans Kokan c. Males 10 , le juge Lacour-
cière a accepté les points de vue exprimés par le
juge Haines et le juge Thompson. Il dit à la page
468:
[TRADUCTION] Il me semble que l'énoncé de la Règle 349
ne se limite pas simplement aux documents admissibles à
l'audience....
Le fait qu'on peut exiger, par subpoena, la production à
l'audience de certains dossiers médicaux mais qu'ils ne sont pas
admissibles à l'audience puisqu'il s'agit d'exposés d'opinions, de
diagnostics, d'impressions ou d'événements qui se sont produits
en dehors de l'hôpital avant l'admission, invite fortement à
penser que de tels dossiers médicaux devraient être produits
pour être examinés avant l'audience de manière à faciliter la
preuve des informations qu'ils contiennent au cours de
l'audience.
Il ajoute à la page 470:
[TRADUCTION] Bien que l'ordonnance [en vertu de la Règle
349], si elle est décernée, puisse être indirectement une commu
nication de documents en la possession du tiers, la demande
n'est pas présentée dans le but de la communication de pièces,
mais plutôt pour faciliter la preuve d'informations à l'audience
et, par conséquent, il n'y a pas plus d'élément de communica
tion dans la présente affaire que dans l'affaire McGilly c.
Cushing et dans les nombreuses affaires qui l'ont suivie. Cer-
tains documents et certaines inscriptions mentionnés au dossier
sont peut-être tout à fait sans importance pour l'action; elles
sont peut-être embarrassantes pour le demandeur, voire diffa-
matoires et, en tant que telles, elles ne peuvent être utilisées à
l'audience. Avec l'avocat, je pense cependant qu'il est impossi
ble de savoir si c'est le cas avant d'avoir vu les documents et les
dossiers et c'est le juge de première instance qui statuera sur
leur admissibilité à l'audience.
La production de documents et de rapports
médicaux en la possession d'un médecin a égale-
ment été ordonnée à la demande du défendeur
dans Coderque c. Mutual of Omaha Insurance
Co."; le juge Keith dit à la page 477:
9 [1965] 20.R.215.
10 [1970] 1 O.R. 465.
11 [1970] 1 O.R. 473.
[TRADUCTION] Il ne s'agit pas d'obtenir une communication
de pièces d'un tiers. Il est tout à fait évident d'après l'affidavit
de M. Cornwall et d'après son contre-interrogatoire que le
défendeur sait que le Dr. Will est en possession de documents,
en particulier d'électrocardiogrammes et d'autres rapports qui
ont un impact direct sur le problème réel qui fait l'objet du
litige entre les parties. Il ne s'agit pas d'une recherche à
l'aveuglette.
Cependant, le juge Keith était en désaccord avec
la thèse de l'avocat du défendeur selon laquelle il y
a eu un revirement de jurisprudence avec l'arrêt
McGilly c. Cushing. Il a dit [à la page 477]:
[TRADUCTION] Je ne suis pas d'accord. A mon avis, le juge
Haines dans l'arrêt McGilly c. Cushing, précité, ne s'est pas
écarté du principe posé dans l'arrêt initial McCurdy c. Oak
Tire Co. qui a suscité cette controverse. En fait, le juge
Thompson a conclu expressément dans l'affaire Markowitz que
le principe n'avait subi aucune déviation.
J'aimerais mentionner une dernière décision,
celle de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni-
que dans l'affaire Rhoades c. Occidental Life In
surance Company of California 12 . Comme dans
l'affaire Coderque, il s'agissait d'une réclamation
au sujet d'une police d'assurance-vie. La compa-
gnie d'assurance défenderesse a plaidé le suicide de
la personne assurée moins de deux ans après la
délivrance de la police et la nullité de la police par
suite d'une présentation erronée des faits ou de
l'absence de révélation de tendances suicidaires.
La défenderesse a demandé, conformément à la
Règle O. 31, R. 20A (M.R. 362A) des Règles de
la Cour suprême de la Colombie-Britannique, la
production, l'examen et une copie de tous les docu
ments relatifs au décès de la personne assurée, en
la possession du docteur James E. Miles et du
University of British Columbia Health Sciences
Hospital, y compris les documents exposant ses
antécédents médicaux et toutes les notes, dossiers
et examens relatifs à sa santé mentale ou physique.
Le juge d'appel McFarlane (au jugement duquel
le juge d'appel Robertson a souscrit) a mentionné
deux arrêts ontariens, à savoir McCurdy c. Oak
Tire et Doig c. Hemphill (précités) affirmant que
la règle équivalente en Ontario avait simplement
pour but de simplifier l'obtention de preuves à
présenter à l'audience et qu'elle ne devait pas être
utilisée pour obliger un tiers à l'action à communi-
quer des pièces. Il a déclaré que dans l'arrêt
Doig c. Hemphill, le Master Barlow avait cité un
12 [1973] 3 W.W.R. 625.
extrait de la décision du lord juge Lindley dans
l'affaire Elder c. Carter", et il avait dit: [TRADUC-
TION] «Ceci s'applique évidemment à notre Règle
350.»
Le juge d'appel McFarlane a ensuite souligné
que la Règle anglaise 14 qui a servi de fondement à
l'arrêt Elder c. Carter ne concernait que la produc
tion de documents, et non pas leur inspection
comme c'est le cas pour la Règle O. 31, R. 20A de
la Colombie-Britannique. En outre, la Règle
anglaise avait pour but d'assurer la présence d'une
personne, alors que la Règle de la Colombie-Bri-
tannique ne concernait que la production et l'exa-
men. Avant 1970 en effet, la Règle de la Colom-
bie-Britannique était identique à la Règle anglaise
qui avait servi de fondement à l'arrêt Elder c.
Carter. Le savant juge d'appel n'a pas pu accepter
l'idée que certaines questions demeuraient inchan-
gées avec la nouvelle Règle O. 31, R. 20A de la
Colombie-Britannique en 1970. C'est pourquoi il a
déclaré que le raisonnement de l'arrêt Elder c.
Carter n'était pas applicable en Colombie-Britan-
nique.
Le juge d'appel McFarlane a ensuite cité l'ex-
posé succinct du juge Middleton dans McCurdy c.
Oak Tire au sujet du but recherché de la Règle
350 précitée de l'Ontario et il a fait remarquer que
l'exposé du juge Middleton n'accordait aucun effet
apparent au mot «examen». En conclusion, il a
déclaré qu'il n'avait pas l'impression qu'il devrait
appliquer l'arrêt McCurdy c. Oak Tire, et il a fait
observer que les deux dernières décisions rendues
par les tribunaux ontariens ont attribué un sens
moins restrictif à la Règle 350 que dans cette
dernière affaire.
Le juge d'appel McFarlane était d'accord pour
dire à la page 628 que la Règle ne devrait pas
[TRADUCTION] ... être simplement utilisée pour obtenir d'un
tiers communication de pièces. Ce serait une «recherche à
l'aveuglette» c'est-à-dire une tentative visant à déterminer si
cette personne est ou non en possession d'un document dont la
production pourrait être demandée à l'audience et à déterminer
dans ce cas la nature du document. Si une telle recherche à
l'aveuglette est interdite, c'est parce que la Règle envisage une
demande relative à un document déterminé et une ordonnance
concernant la production et l'examen de ce document. Par
conséquent, il faut montrer à la cour ou au juge que le tiers à
l'action est en possession d'un tel document avant de pouvoir
13 (1890) 25 Q.B.D. 194, à la p. 198.
14 Order XXXVII, r. 7.
décerner une ordonnance visant la production du document. Je
ne pense pas cependant que la précision de la description du
document demandé doit être telle qu'on puisse l'identifier
parmi d'autres documents.
Dans l'affaire dont il était saisi, il pensait que la
description des documents mentionnés dans l'avis
de requête soumettant la demande était suffisante.
Le juge d'appel Branca, troisième juge en appel,
a rédigé un jugement distinct souscrivant au
résultat.
Après une étude attentive de toutes les décisions
précitées et de celles qu'on m'a citées, je pense que
les décisions récentes mentionnées ainsi que d'au-
tres décisions dont le but est le même, ont élargi
dans une certaine mesure les limites de l'objectif
de la Règle 350 énoncées dans l'exposé du juge
Middleton dans McCurdy c. Oak Tire & Rubber
Co. (précité). Cet objectif élargi est apparu tout
d'abord dans McGilly c. Cushing. On a expliqué
dans des arrêts ultérieurs son application à des
circonstances particulières.
Il est exact que les documents dont la produc
tion a été ordonnée dans toutes les affaires récen-
tes précitées étaient des documents, des dossiers et
des rapports médicaux ou hospitaliers, mais je ne
vois pas pourquoi les résultats devraient être diffé-
rents dans d'autres affaires, à supposer que les
conditions restent les mêmes. Il est clair que la
production demandée n'a pas besoin de se rappor-
ter uniquement à un document déterminé, mais il
peut s'agir de tous les documents en la possession
d'un tiers à l'action, à supposer que la description
suffise à démontrer l'intérêt qu'il présente pour les
points en litige entre les parties, et plus particuliè-
rement pour le requérant. Il doit donc s'agir de
documents dont la production sera probablement
demandée à l'audience. Ceci ne signifie pas qu'ils
doivent être admissibles comme preuve à l'au-
dience, mais c'est à cette époque que leur admissi-
bilité sera établie par le juge de première instance.
Parmi les documents dont l'avocat de la défen-
deresse demande la production, l'inspection et la
préparation de copies certifiées, les représentants
de la défenderesse en ont vu 319, la succursale de
la Banque Royale du Canada à New-York. L'avo-
cat prétend qu'il ne peut pas établir la preuve de
ces documents tant que la demande n'est pas
accordée. Il s'agit de 319 documents spécifiques
qui sont décrits en détail par nom, date et parfois
par sujet. L'avocat demande également la produc
tion, l'inspection et les copies certifiées de tous les
autres documents concernant le demandeur Paul
D. Bowlen, Regent, Hambeldon et Bowlen Invest
ments Ltd. en la possession de la Banque Royale
du Canada. Eu égard aux motifs pour lesquels la
défenderesse prétend que Bowlen a constitué en
corporation Regent et Hambeldon aux Bahamas,
aux rapports existant entre le demandeur et ces
deux compagnies, et eu égard notamment à la
prétention selon laquelle ces trois transactions con-
cernant un chèque de $6,891,647.59, effectuées le
9 mai 1963 et impliquant le demandeur ainsi que
Regent et Hambeldon, ont toutes été exécutées à
la succursale de la Banque Royale du Canada à
New-York, il paraît certain que la Banque Royale
a en sa possession un certain nombre de documents
pertinents aux prétentions de la défenderesse.
D'après ce qu'a dit l'avocat à l'audience, il est plus
que probable que les représentants de la défende-
resse n'ont pas vu certains de ces documents. J'es-
time que le fait de demander tous les documents en
la possession de la Banque n'est pas plus une
recherche à l'aveuglette que ne l'est la demande de
production de tous les documents en possession du
médecin ou de l'hôpital dans les affaires médicales.
L'objectif qui aurait conduit à la constitution en
corporation de Regent et de Hambeldon et les
liens qui existeraient entre le demandeur et ces
compagnies montrent que presque chaque transac
tion intervenue entre eux ou entre lui et une com-
pagnie ou les deux, concerne très vraisemblable-
ment les prétentions de la défenderesse comme
c'est le cas pour les documents relatifs à toutes ces
transactions.
Sur ce point, je suis d'accord avec la déclaration
faite par le juge Lacourcière dans Kokan c. Dales
(précité) à la page 470 du recueil et j'estime
qu'elle est applicable à la présente affaire. Il dit:
[TRADUCTION] Bien que l'ordonnance [en vertu de la Règle
349], si elle est décernée, puisse être indirectement une commu
nication de documents en la possession du tiers, la demande
n'est pas présentée dans le but de la communication de pièces,
mais plutôt pour faciliter la preuve d'informations à l'audience
et, par conséquent, il n'y a pas plus d'élément de communica
tion dans la présente affaire que dans l'affaire McGilly c.
Cushing et dans les nombreuses affaires qui l'ont suivie.
Le demande est accueillie. Il sera décerné une
ordonnance enjoignant la Banque Royale du
Canada, par l'intermédiaire de ses agents, de pro-
duire tous les grands livres, dossiers, notes de
service, lettres, documents et autres dossiers en la
possession de la Banque Royale du Canada et
d'autoriser les représentants de la défenderesse à
examiner tous ces documents afférents au défen-
deur Paul D. Bowlen, à Regent Tower Estates
Limited, à Hambeldon Estates Limited et à
Bowlen Investments Ltd., où qu'ils se trouvent, y
compris et sans restreindre la généralité de ce qui
précède, les 319 documents mentionnés à l'annexe
A de l'avis de requête ci-joint, documents qui ont
été envoyés, reçus, préparés ou établis par la
Banque Royale du Canada, ses agents ou préposés
au cours de leurs activités.
Étant donné que la plupart des documents men-
tionnés ci-dessus, sinon tous, se trouvent à la suc-
cursale de la Banque Royale du Canada à New-
York, il conviendrait peut-être pour toutes les
parties que la production et l'examen soient effec-
tués à cet endroit, du moins pour les documents
qui se trouvent à New-York. Sauf accord différent
des parties, la production et l'inspection des docu
ments devront commencer au plus tard dans les
trois semaines qui suivent la date de délivrance de
cette ordonnance aux avocats du demandeur et de
la Banque. La défenderesse supportera les frais de
la production et de l'examen. Les avocats du
demandeur sont autorisés à assister à la produc
tion, à examiner les documents et à en établir des
copies.
L'ordonnance prescrira en outre à la Banque de
faire préparer une copie pour certification de tous
les documents indiqués par les fonctionnaires de la
défenderesse. Si la défenderesse et la Banque y
consentent, les copies pourront être établies par la
Banque et certifiées par un de ses agents, aux frais
de la défenderesse. Sinon les copies seront établies
par les fonctionnaires de la défenderesse ou sous
leur contrôle et certifiées soit par l'un d'eux ou par
l'un des agents de la Banque.
Le juge de première instance décidera de la
répartition définitive entre la défenderesse et le
demandeur des frais de production, d'examen, des
copies et de l'authentification. Dépens de cette
requête à suivre l'issue de la cause.
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