A-492-75
IBM Canada Limited -IBM Canada Limitée
(Appelante)
c.
Xerox of Canada Limited, et Xerox Corporation
(Intimées)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan—
Ottawa, les ler et 12 avril 1976.
Pratique—Appel relatif à la taxation des dépens—Mémoi-
res communs pour une requête en Division de première ins
tance et un appel de la décision rendue—La taxation est-elle
prématurée?—Pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire taxa-
teur—Examen de la décision d'accorder certains montants—
Règles 3(1)c) et 344(1) de la Cour fédérale—Tarif B, art.
2(2)b).
L'appelante demande, en vertu de la Règle 346(2), l'examen
de la taxation des frais occasionnés par une requête interlocu-
toire et l'appel subséquent. Aux fins de cette demande, les
mémoires de frais ont été réunis. Les intimées soutiennent que
l'appelante n'a pas respecté le délai pour présenter sa demande,
qu'il s'agisse d'un appel interjeté d'un jugement, d'une ordon-
nance d'un protonotaire ou d'une ordonnance interlocutoire.
L'appelante conteste le droit des intimées de taxer leur
mémoire à cette étape des procédures et soutient que la taxa
tion est prématurée. La Division de première instance et la
Cour d'appel ont débouté l'appelante de sa requête «avec
dépens» et cette dernière prétend que l'expression «avec dépens»
signifie «dépens à la demanderesse en l'espèce». L'appelante fait
valoir que si ce n'était pas le cas, le juge de première instance se
serait exprimé différement et prétend que les dépens doivent
suivre l'issue du litige et que, l'action n'ayant pas encore été
entendue, le litige n'est pas tranché et le mémoire de frais ne
peut donc être taxé.
Arrêt: même en l'absence de demande formelle de proroga-
tion de délai en vertu de la Règle 3(1)c), les questions soulevées
sont suffisamment importantes pour justifier une prorogation
de délai.
Indépendamment de la signification de l'expression «avec
dépens», la thèse de l'appelante selon laquelle la taxation est
prématurée est incompatible avec la Règle 344(1). Cette règle
n'exclut pas les procédures interlocutoires et, puisqu'elle n'em-
ploie pas le mot «action», l'expression «suivent le sort de l'affaire
sauf ordonnance contraire» doit signifier en l'espèce «suivent
l'issue de chaque procédure interlocutoire sauf ordonnance
contraire». Si cette interprétation est exacte, puisqu'aucune des
ordonnances ne tranche la question des dépens de manière
contraire, les dépens doivent suivre l'issue de la requête interlo-
cutoire et de l'appel. Dans les deux cas l'appelante a perdu; les
intimées avaient donc droit à la taxation de leur mémoire de
frais à la suite du rejet de la requête, puis de leurs dépens dans
l'appel.
En ce qui concerne l'opportunité d'accorder les débours
engagés pour la préparation de certains affidavits faits par des
avocats américains en réponse à des affidavits déposés par
l'appelante à l'appui de sa requête, le pouvoir d'accorder ces
débours est prévu à l'article 2(2)b) du Tarif B. Les affidavits en
question étaient indispensables aux intimées pour réfuter les
opinions exprimées par des avocats dans les affidavits déposés
par l'appelante et les comptes ont été payés. Un tribunal ne
devrait intervenir lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire
d'un fonctionnaire taxateur pour allouer des montants spécifi-
ques que lorsque les montants sont inappropriés ou que la
décision est déraisonnable au point de sembler résulter d'une
erreur de principe. L'administrateur de district a commis une
erreur car bien que de toute évidence il ait accepté le caractère
essentiel des affidavits, il n'a pas étudié la qualité de la preuve
soumise pour justifier chaque débours pouvant être exigé de la
partie adverse à titre de débours raisonnable. La nature de la
preuve soumise en l'espèce est très insuffisante pour justifier les
différences considérables entre les emplois du temps et les
honoraires réclamés. Vu la preuve insuffisante, il était évident
que le problème posé à chaque déposant était identique; malgré
cela, des montants très différents ont été accordés. Puisque les
questions posées étaient très similaires, il aurait dû y avoir, en
toute justice, un certain rapport entre les honoraires. Il se peut
que le principe diffère pour la taxation d'un mémoire de frais
entre un procureur et son client, mais, dans le cas d'un mémoire
entre parties, accepter sans étudier l'opportunité des débours
constitue une erreur et, dans un tel cas, la Cour est fondée à
réviser les sommes accordées.
REQUÊTE.
AVOCATS:
W. R. Edgar pour l'appelante.
R. T. Hughes pour les intimées.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'appelante.
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour les
intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'une demande de révi-
sion d'un mémoire de frais, présentée en vertu de
la Règle 346(2). Ce mémoire se rapportait à une
requête interlocutoire entendue par la Division de
première instance et à un appel devant cette cour
du jugement rendu en première instance. Les frais
ont été taxés par l'administrateur du district de
Toronto, le 24 février 1976. Le mémoire de frais
de la Division de première instance et celui de
cette cour furent réunis et bien que la Cour
entende cette demande, il ne faut pas en déduire
que cette réunion des mémoires des deux divisions
de la Cour fédérale est une procédure appropriée.
En fait, nous doutons fort de la régularité de cette
façon de procéder.
L'avocat des intimées a soulevé une objection
préliminaire aux termes de laquelle l'appelante n'a
pas respecté le délai pour présenter cette demande
de révision qu'il s'agisse d'un appel interjeté d'un
jugement de la Division de première instance ou
d'une ordonnance d'un protonotaire ou encore
d'une ordonnance interlocutoire, car la demande a
été introduite après l'expiration d'un délai plus
long que celui prévu pour interjeter appel d'une
des ordonnances prononcées dans ces procédures.
L'appelante n'a pas formellement demandé de pro-
rogation de délai en vertu de la Règle 3(1)c) de la
Cour, mais j'estime cependant que les questions
soulevées dans la requête sont suffisamment
importantes pour justifier une prorogation du délai
pour la présenter. `L'objection préliminaire devrait
donc être rejetée.
Dès le début, l'avocat de l'appelante a indiqué
qu'il n'attaquait pas le montant du mémoire de
frais taxés, ni aucune des rubriques de celui-ci,
mais qu'il contestait le droit des intimées de taxer
leur mémoire à cette étape des procédures; en
d'autres termes, il soutient que la taxation est
prématurée. L'ordonnance de la Division de pre-
mière instance a débouté l'appelante de sa requête
«avec dépens». De même, l'appel interjeté par l'ap-
pelante à l'encontre de cette ordonnance a été
rejeté «avec dépens». L'avocat prétend, semble-t-il,
que l'expression «avec dépens» signifie «dépens à la
demanderesse en l'espèce». Il prétend que si ce
n'était pas le cas, le savant juge de première
instance qui a entendu la requête se serait exprimé
différemment et aurait précisé, par exemple, [TRA-
DUCTION] «dépens aux demanderesses quelle que
soit l'issue de la cause» ou [TRADUCTION] «les
dépens seront exigibles immédiatement après leur
taxation». Vu l'absence de directives de cette
nature, l'avocat soumet que les dépens doivent
suivre l'issue du litige et que l'action n'ayant pas
encore été entendue, le litige n'est pas tranché et le
mémoire de frais ne peut donc pas être taxé.
Indépendamment de la signification donnée à
l'expression «avec dépens», cette thèse est incompa
tible, à mon avis, avec l'interprétation correcte de
la Règle 344(1), dont voici l'extrait pertinent:
(1) Les dépens et autres frais de toutes les procédures devant
la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort
de l'affaire sauf ordonnance contraire. [C'est moi qui souligne.]
Il est évident que cette définition n'exclut pas les
procédures interlocutoires et, puisque la Règle
344(1) n'emploie pas le terme «action», l'expres-
sion «suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance
contraire» doit signifier en l'espèce, «suivent l'issue
de chaque procédure interlocutoire sauf ordon-
nance contraire». Si mon interprétation est exacte,
puisque ni le savant juge de première instance ni
cette cour n'ont tranché la question des dépens de
manière contraire, les dépens doivent suivre l'issue
de la requête interlocutoire et de l'appel subsé-
quent. Dans les deux cas l'appelante a perdu; les
intimées avaient donc droit à la taxation de leur
mémoire de frais à la suite du rejet de la requête,
puis de leurs dépens dans l'appel.
Bien que l'avocat de l'appelante n'ait contesté
aucune rubrique du mémoire de frais taxé, la Cour
a invité les deux avocats à discuter de l'opportunité
d'accorder les débours engagés pour la préparation
de certains affidavits rédigés par des avocats aux
États-Unis en réponse à des affidavits déposés par
l'appelante à l'appui de sa requête. L'analyse des
états de compte annexés à l'affidavit de Paul Bour-
que, déposés par les intimées, révèlent une grande
différence entre les heures consacrées à la recher-
che juridique et les tarifs horaires réclamés pour la
recherche relative aux modalités d'application de
l'article 1782a) du Titre 28 du United States Code
relatif à l'assistance aux tribunaux étrangers et
internationaux dans les districts où les divers dépo-
sants exercent leur profession. Chaque avocat
devait se prononcer sur exactement le même pro-
blème; cependant, les heures consacrées à la
recherche varient de 8 1 / 2 heures seulement pour un
avocat du nord de la Californie jusqu'à 43 heures
pour un déposant de l'État de New York.
Le pouvoir d'accorder ces débours est prévu à
l'article 2(2)b) du Tarif B dont voici le texte:
b) peuvent également être accordés les autres débours qui,
selon la conviction du fonctionnaire taxateur, étaient essen-
tiels à la conduite de l'action.
Il ne fait aucun doute que les affidavits en
question étaient indispensables aux intimées pour
réfuter les opinions exprimées par des avocats dans
les affidavits déposés par l'appelante. En outre, il
n'est pas contesté que les comptes ont effective-
ment été payés. La théorie du droit sur la question
de la révision de l'exercice du pouvoir discrétion-
paire d'un fonctionnaire taxateur pour allouer des
montants spécifiques révèle clairement qu'un tri
bunal ne devrait intervenir que lorsque les mon-
tants accordés sont inappropriés ou que la décision
est déraisonnable au point de sembler résulter
d'une erreur de principe. (Voir: Rickwood c.
Aylmer'; Kaufman c. New York Underwriters In
surance Co. 2 ) Il nous reste donc à déterminer dans
cet appel si l'administrateur de district a commis
une erreur de principe en accordant les débours
relatifs aux affidavits mentionnés ci-dessus, sans
tenir compte des différences considérables entre le
montant des honoraires payés ou, en d'autres mots,
en allouant lesdits débours simplement parce que
ces montants avaient effectivement été payés, sans
apparemment avoir été contestés par les intimées.
A mon avis, l'administrateur de district a
commis deux erreurs. Premièrement, bien que de
toute évidence il ait accepté le caractère essentiel
des affidavits, il n'a pas étudié la qualité de la
preuve soumise à l'appui de la prétention selon
laquelle chaque débours était justifié en ce sens
qu'il pouvait être exigé de la partie adverse à titre
de débours raisonnable, aux fins de la taxation du
mémoire de frais entre parties. La nature de la
preuve soumise en l'espèce est très insuffisante
pour justifier ou expliquer la nécessité des diffé-
rences considérables entre les emplois du temps et
les honoraires réclamés (dans un des cas, quatre
avocats avaient été consultés et avaient tous pré-
senté des comptes différents).
Deuxièmement, vu la preuve insuffisante sou-
mise en l'espèce, il était évident que le problème
juridique posé à chaque déposant était identique,
les seules différences consistant à déterminer com
ment les tribunaux fédéraux des État-Unis, dans
chacun de ces districts, appliquaient les mêmes
dispositions du United States Code. Malgré cela,
le fonctionnaire taxateur a accordé des montants
très différents pour leurs opinions respectives. A
mon avis, puisque les questions posées étaient très
similaires, il aurait dû au moins y avoir, en prin-
cipe, un certain rapport entre les honoraires accor
dés à titre de paiement, pour être juste envers la
partie adverse qui est tenue de les payer. Il se peut
que ce principe diffère pour la taxation d'un
' [1954] O.W.N. 858.
2 [1955] O.W.N. 496.
mémoire de frais entre un procureur et son client,
mais, dans le cas d'un mémoire entre parties,
accepter sans étudier l'opportunité des débours
constitue une erreur et dans un tel cas, la Cour est
fondée à réviser les sommes accordées par le fonc-
tionnaire taxateur.
Puisque les états de compte relatifs aux affida
vits des déposants du district du nord de la Califor-
nie et du district du sud de la Californie donnent
approximativement le même nombre d'heures pour
la recherche et que rien n'explique la nécessité de
la période plus longue consacrée à la recherche par
le déposant de New York, je réduirais le montant
accordé au mémoire de frais pour les états de
compte de Kenyon et Kenyon, Reilly, Carr et
Chapin à $650, soit le plus élevé des montants
réclamés par les deux déposants de Californie.
Bien qu'on nous ait avisés que le compte de
Kaufman et Kramer, de l'État du Connecticut,
couvrait non seulement la recherche juridique et la
préparation de l'affidavit mais aussi le temps de
présence au contre-interrogatoire du déposant au
sujet de son affidavit, rien n'indique dans leurs
trois états de compte la partie de ceux-ci relative à
ce contre-interrogatoire. Je réduirais donc le mon-
tant accordé à $650 pour les honoraires, plus les
débours de $78.35, effectués par ce cabinet d'avo-
cats, soit une allocation totale de $728.35.
L'appelante ayant omis de présenter cette
requête en révision dans les délais fixés par les
règles, il n'y aura aucune adjudication des dépens
en l'espèce.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
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