T-4563-75
Koffler Stores Limited (Appelante)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
Division de première instance, le juge Addy—
Toronto, le 13 avril; Ottawa, le 23 avril 1976.
Marques de commerce—Le registraire a rejeté l'opposition
de l'appelante à la demande d'enregistrement de la marque
«Life» pour des boissons gazeuses—L'appelante est proprié-
taire de la marque «Life Brand» utilisée pour des produits
pharmaceutiques—Le registraire était-il fondé à inviter l'op-
posante à fournir ses observations avant d'étudier la question
et une telle mesure empêche-t-elle le registraire d'exercer le
pouvoir que lui confère l'article 37(4) de la Loi sur les mar-
ques de commerce?—Loi sur les marques de commerce, S.R.C.
1970, c. T-10, art. 37(4) à (8).
L'appelante, propriétaire de la marque «Life Brand» utilisée
pour des produits pharmaceutiques, a interjeté appel d'une
décision du registraire, rendue en vertu de l'article 37(4) de la
Loi sur les marques de commerce et rejetant son opposition à
une demande d'enregistrement de la marque «Life» pour dési-
gner des boissons gazeuses carbonatées. L'appelante prétend
que les boissons gazeuses de la requérante, fréquemment distri-
buées et vendues dans les pharmacies où l'on trouve les mar-
chandises de l'appelante, peuvent créer une certaine confusion.
Le registraire a écrit à l'appelante et l'a invitée à présenter ses
observations; l'appelante a répondu en ajoutant que le mot
«Life» utilisé pour des boissons gazeuses créait de la confusion
avec l'expression «Life Brand» utilisée pour des produits phar-
maceutiques et que l'utilisation faite du mot «Life» de la
marque «Life Brand», dans les annonces publicitaires créerait
de la confusion entre ses marchandises et celles de la
requérante.
Arrêt: l'affaire est renvoyée au registraire afin qu'il l'étudie
conformément à l'article 37(5) (8). Lorsqu'une opposition
soulève une question sérieuse à trancher le registraire ne peut
en aucun cas la rejeter en vertu de l'article 37(4). Malgré
l'emploi du verbe «estimer» à l'article 37(4), lorsque l'opposition
soulève une question sérieuse à trancher, le registraire ne peut
s'investir du pouvoir prévu à l'article 37(4) en concluant sim-
plement à l'absence de question sérieuse alors qu'en fait il en
existe une. Une telle question ne doit pas être tranchée sans que
la personne qui la soulève ait eu la possibilité de présenter ses
arguments et de produire ses preuves. S'il existe une question
sérieuse, le registraire doit alors s'abstenir de rendre une déci-
sion en vertu de l'article 37(4) et il doit procéder conformément
aux paragraphes (5) à (8). En ce qui concerne la pratique de
s'abstenir de prendre une décision et d'inviter la partie qui
s'oppose à la demande à présenter ses observations, la Cour a
jugé dans l'affaire Canadian Schenley ((1974) 15 C.P.R. (2«)
1) que ce faisant le registraire demandait en fait de produire de
plus amples détails à l'appui de l'opposition, en raison du défaut
de la partie d'exposer ces motifs d'opposition. En l'espèce, on ne
peut considérer que l'invitation à présenter des commentaires
correspond à une invitation à compléter une déclaration d'oppo-
sition. En vertu de l'article 37(4), le registraire est fondé à
inviter l'opposante a compléter ou expliquer son opposition. En
l'espèce, rien n'indique que la déclaration d'opposition ne satis-
fait pas aux exigences de la Loi ou qu'elle est obscure et le fait
d'inviter à présenter des observations peut être interprété
comme une invitation à débattre l'affaire au fond, ce qui
pourrait porter à conclure que le registraire a estimé qu'il
existait une question sérieuse à trancher et a voulu accorder à
la partie la possibilité d'avancer ses arguments avant de tran-
cher la question. Cela constitue une conception erronée de
l'article 37(4). Le registraire doit simplement décider s'il existe
une question sérieuse pour décision. Si c'est le cas, il doit alors
agir en vertu des paragraphes (5) à (8) et accorder à l'oppo-
sante la possibilité de se faire entendre.
Arrêt suivi: Pepsico Inc. c. Le registraire des marques de
commerce [1976] 1 C.F. 202. Distinction faite avec l'arrêt:
Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Le registraire des
marques de commerce (1974) 15 C.P.R. (2') 1. Arrêt
appliqué: Canadian Tampax Corporation Ltd. c. Le regis-
traire des marques de commerce (no du greffe: T-2738-75,
arrêt non publié).
APPEL.
AVOCATS:
I. Goldsmith, c.r., pour l'appelante.
D. Friesen pour l'intimé.
PROCUREURS:
Goldsmith & Caswell, Toronto, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Appel est interjeté d'une déci-
sion rendue par le registraire des marques de
commerce conformément à l'article 37(4) de la Loi
sur les marques de commerce, par laquelle il a
rejeté l'opposition de l'appelante à une demande
d'enregistrement de la marque de commerce «Life»
présentée par Non -Alcoholic Beverage Importers
Ltd. que cette dernière projette d'employer pour
désigner des boissons gazeuses carbonatées. L'ap-
pelante est propriétaire de la marque déposée «Life
Brand» utilisée pour des produits pharmaceutiques.
Voici le texte de l'article 37(4):
Si le registraire estime que l'opposition ne soulève pas une
question sérieuse pour décision, il doit la rejeter et donner avis
de sa décision à l'opposant.
Il est évident que le, registraire ne peut décider
de rejeter une opposition conformément à l'article
37(4) lorsque l'opposition soulève une question
sérieuse à trancher (voir Pepsico Inc. c. Le regis-
traire des marques de commerce'). Le registraire
doit alors se renseigner, comme le ferait un juge
saisi d'une requête visant la radiation d'une
défense et l'enregistrement du jugement en faveur
du demandeur au motif que le document ne révèle
aucune défense à l'action. Aucune preuve ne doit
être prise en considération pour trancher cette
question; le registraire doit limiter son examen à la
demande proprement dite et aux allégations que
contient l'opposition. Malgré l'emploi du verbe
«estimer» à l'article 37(4), lorsque l'opposition sou-
lève réellement une question sérieuse à trancher, le
registraire n'est pas libre de se demander si effecti-
vement une question sérieuse est soulevée car il se
renseignerait à tort et déciderait suivant un prin-
cipe erroné. Il ne peut s'investir du pouvoir prévu à
l'article 37(4) en concluant simplement à l'absence
de question sérieuse alors qu'en fait il en existe
une. «Question sérieuse» signifie une question à
trancher ou, en d'autres termes, une question où la
partie adverse peut avoir gain de cause si elle
prouve ses allégations. Une telle question ne doit
pas être tranchée sans que la personne qui la
soulève ait eu la possibilité de présenter ses argu
ments et de produire ses preuves si elle le désire.
S'il existe réellement une question sérieuse, telle
que définie ci-dessus, le registraire doit alors s'abs-
tenir de rendre une décision en vertu du paragra-
phe (4) de l'article 37 et il doit procéder conformé-
ment aux paragraphes (5) à (8) inclusivement de
cet article.
L'appelante en l'espèce a soulevé trois motifs
d'opposition, à savoir: que la marque de commerce
n'était pas enregistrable, que la requérante n'était
pas la personne ayant droit à l'enregistrement et
que la marque n'était pas distinctive. Chacun de
ces trois motifs repose sur l'idée fondamentale que
la marque qui fait l'objet de la demande crée de la
confusion.
L'opposition allègue en particulier que, puisque
les boissons gazeuses de la requérante sont fré-
quemment distribuées et vendues dans des phar
macies et dans des magasins plus importants du
genre des supermarchés distribuant toutes sortes
de marchandises dont celles de l'appelante, il y
aurait confusion s'il advenait que toutes deux utili-
sent le mot «Life». Le registraire des marques de
commerce a invité l'appelante par écrit à soumet-
' [1976] 1 C.F. 202.
tre de plus amples observations et en réponse,
celle-ci a précisé ses motifs d'opposition en ajou-
tant que le mot «Life» utilisé pour les boissons
gazeuses crée de la confusion avec l'expression
«Life Brand» employée pour les produits pharma-
ceutiques; elle a également avancé que la manière
dont l'appelante utilise le mot «Life» de la marque
«Life Brand», dans les annonces publicitaires crée-
rait de la confusion entre ses marchandises et
celles dont l'appelante demande l'enregistrement.
Après examen de ces trois arguments, et en parti-
culier l'utilisation faite par l'appelante du mot
«Life», on doit conclure que si elle prouvait ses
allégations, l'appelante pourrait avoir gain de
cause. Il existe donc une question à trancher et
l'appel doit être accueilli en conséquence.
A l'audience, les avocats des parties ont longue-
ment débattu la question de savoir si d'une part le
registraire est fondé à susciter les commentaires de
la personne s'opposant à la demande avant d'étu-
dier la question et si d'autre part une telle mesure
l'empêche d'exercer la compétence que lui confère
l'article 37(4). En l'espèce, après avoir reçu l'oppo-
sition initiale, le registraire a écrit à l'appelante le
ler octobre 1975 et, outre certains commentaires
sur le fond de l'affaire, la lettre déclare:
[TRADUCTION] Cette lettre a pour but de vous informer que
j'estime à première vue que la déclaration d'opposition ne
soulève aucune question sérieuse à trancher et qu'elle devrait,
par conséquent, être rejetée en vertu du paragraphe 37(4) de la
Loi sur les marques de commerce.
J'attendrai un mois à compter de la date de cette lettre avant
de prendre une décision définitive sur cette question. Vous
voudrez bien me faire tenir vos observations avant l'expiration
de ce mois.
Le registraire semble s'être fixé comme ligne de
conduite de s'abstenir de prendre une décision en
vertu de l'article 37(4) et d'inviter la personne
s'opposant à la demande à présenter ses
observations.
Cette pratique a été examinée dans trois déci-
sions récentes de cette cour. Dans l'affaire
Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Le regis-
traire des marques de commercez, l'appelante a
produit une opposition sans réellement fournir des
2 (1974) 15 C.P.R. (2e) 1.
motifs valables d'opposition; après avoir exprimé
son opinion sur la demande ainsi soumise, le regis-
traire a sollicité des observations. L'appelante a
présenté une déclaration modifiée. Mon confrère,
le juge Heald s'est prononcé comme suit:
En second lieu, la correspondance révèle qu'au lieu d'exami-
ner la question après avoir reçu la première opposition de
l'appelante, comme il était fondé à le faire en vertu de l'article
37(4), le registraire a, en réalité, fait plus que nécessaire en
demandant à l'appelante, dans sa lettre du 16 novembre 1973,
d'exposer ses motifs, lui donnant ainsi l'entière possibilité de
produire une opposition modifiée, après qu'elle eut pris connais-
sance des objections du registraire à la première opposition.
On remarquera ici que la Cour a jugé qu'en
invitant l'appelante à faire des commentaires, le
registraire lui demandait en fait de produire de
plus amples détails à l'appui de l'opposition, car
elle avait omis d'exposer ses motifs d'opposition.
Dans l'affaire Pepsico Inc. c. Le registraire des
marques de commerce (précitée), le registraire a
invité la partie s'opposant à la demande à démon-
trer «en exposant d'une manière assez détaillée» les
«preuves et moyens (établissant) ... qu'il y a une
question sérieuse à trancher», le même juge a fait
les observations suivantes aux pages 211 et 212 de
cet arrêt:
J'estime aussi que le registraire a commis une erreur en
demandant à l'opposante, au stade préliminaire visé par l'arti-
cle 37(4), de lui fournir des preuves et des moyens. Encore une
fois, je me réfère, par analogie, aux Règles de la Cour fédérale.
La Règle 408(1) exige que chaque plaidoirie contienne un
exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie
qui plaide [c'est moi qui souligne].
En d'autres termes, une plaidoirie convenable expose les faits
essentiels et non les preuves que la partie se propose de produire
pour établir ces faits. Il me semble qu'en imposant une telle
exigence en vertu de l'article 37(4), le registraire en réalité
essaye d'utiliser l'article 37(4) pour faire ce que l'article 37(8)
lui prescrit de faire à l'audience, après l'examen de toutes les
preuves. A mon avis, en imposant cette exigence, le registraire
s'est une fois de plus fondé sur un faux principe.
Dans l'arrêt non publié du 22 décembre 1975,
Canadian Tampax Corporation Ltd. c. Le regis-
traire des marques de commerce 3 , mon confrère,
le juge Cattanach, à propos de la pratique de
prendre une décision à première vue et de solliciter
ensuite des observations, avant de trancher la
question, a déclaré aux pages 6 et 7 de son
jugement:
3 Cour fédérale, n° du greffe: T-2738-75.
Le juge Heald a également exprimé l'opinion (dans l'affaire
Pepsico) que le registraire avait tort de demander à l'appelante,
dans l'affaire qui lui était soumise, de lui fournir les preuves et
moyens à l'étape préliminaire visée par l'article 37(4). Dans
l'affaire soumise au juge Heald, le registraire avait demandé à
l'opposante d'exposer d'une manière assez détaillée les preuves
et moyens qu'elle entendait respectivement produire et avancer.
Dans l'appel dont je suis saisi, le registraire n'a pas exigé de
façon catégorique que l'appelante lui fournisse un exposé assez
détaillé des preuves et des moyens qu'elle avancerait, mais,
après avoir exprimé son opinion sur les arguments très concis
qui lui ont été soumis, il a invité les avocats de l'appelante à
présenter leurs observations. Bien qu'exprimé différemment,
cela revient au même, et, plus précisément, cela entraîne le
même résultat à savoir la production par l'appelante d'un
résumé des preuves et des moyens qu'elle entendait avancer.
[Mis entre parenthèses par mes soins.]
En l'espèce et à la différence de l'affaire Schen-
ley (précitée), on ne peut considérer, à première
vue ou à la lecture des autres observations énon-
cées dans la lettre du registraire, qu'une invitation
à faire des commentaires correspond à une invita
tion à compléter une déclaration d'opposition bien
qu'en réalité c'est à la suite de cette sollicitation
que l'appelante a étoffé ses motifs d'opposition.
Avant de prendre une décision relativement à
une opposition conformément à l'article 37(4), le
registraire des marques de commerce a le droit, s'il
le désire, d'inviter la personne qui a produit l'oppo-
sition à la compléter ou en expliquer certains
points obscurs. L'arrêt Schenley (précité) consti-
tue le fondement de cette thèse et je suis tout à fait
d'accord avec celle-ci. Cependant, lorsqu'à pre-
mière vue ou de l'avis du registraire rien n'indique
que la déclaration d'opposition ne satisfait pas aux
exigences de la Loi ou qu'elle est obscure ou
susceptible de deux interprétations contradictoires,
le simple fait de solliciter des «observations» peut
fort bien s'interpréter comme une invitation à
débattre de l'affaire au fond. Cela pourrait égale-
ment permettre de conclure et d'établir de façon
satisfaisante, que suite à l'examen de la déclara-
tion d'opposition, le registraire a estimé que son
auteur avait en réalité soulevé un argument soute-
nable, et qu'il a voulu lui accorder la possibilité de
présenter son argumentation relative au bien-fondé
des motifs avancés ou soulevés avant de trancher
l'affaire. Aussi louable que puisse paraître cette
attitude d'un point de vue juridique, elle révèle une
conception erronée du but réel de l'article 37(4).
Aux termes de ce paragraphe, le registraire doit
simplement vérifier si la déclaration d'opposition
soulève un argument soutenable quant au fond. Si
sa décision est affirmative, il n'a pas le droit de
solliciter une discussion ni alors de trancher la
question conformément à l'article 37(4), car s'il
estime qu'il existe un argument soutenable, il ne
peut plus agir en vertu de l'article 37(4), mais doit
procéder conformément aux paragraphes (5) à (8)
et permettre à la personne qui s'oppose à la
demande de se faire entendre et de présenter des
preuves si elle le désire.
Pour ces motifs, la question est renvoyée au
registraire pour examen conformément aux para-
graphes (5) à (8) de l'article 37. Il ne sera bien sûr
accordé aucun dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.