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T-2086-75
Jean-P. Desrochers (Demandeur) c.
La Reine du chef du Canada et André Lavery (Défendeurs)
et
Antoine Archambault (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Marceau— Montréal, le 2 mars 1976; Ottawa, le 12 mars 1976.
Fonction publique—Demandeur occupant un poste à titre intérimaire—Le poste a fait l'objet d'une nouvelle classifica tion et un concours a été organisé—Le demandeur n'a pas satisfait aux exigences—Le demandeur prétend que le fait d'avoir occupé le poste de façon satisfaisante pendant plus de 21 ans, lui donne automatiquement droit au poste à titre indéterminé et que le concours n'avait pas d'objet et n'a pu avoir aucun effet—Il cherche à obtenir un jugement déclarant qu'il détient le poste à titre permanent depuis mai 1972 ou, alternativement, lui accordant des dommages-intérêts—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 8, 21 et 27—Article 84(2) du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique—Articles 27 et 41 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique.
Le demandeur était, à titre intérimaire, adjoint au directeur du pénitencier de Cowansville de mars 1972 mars 1973. Il a été confirmé à ce poste jusqu'en mars 1974, puis mars 1975 et finalement juillet 1975. En mai 1974, le poste a fait l'objet d'une nouvelle classification. Un concours a été organisé et bien que le demandeur fût invité et admis à se présenter, il n'a pas satisfait aux exigences. Son appel a été rejeté et il demande un jugement déclarant qu'il détient le poste à titre permanent depuis plus de deux ans et demi ou, alternativement, lui accor- dant $100,000 de dommages-intérêts. Il prétend que le fait d'avoir occupé le poste à titre intérimaire de façon satisfaisante pendant plus de deux ans et demi, lui donne automatiquement droit au poste à titre indéterminé, et que le concours auquel il a été forcé de participer n'avait pas d'objet et partant n'a pu avoir aucun effet.
Arrêt: l'action est rejetée. La Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne prévoit nulle part que le seul écoulement du temps puisse remplacer le droit de la Commission de la Fonction publique de nommer à un poste à titre indéterminé en transformant une affectation temporaire en affectation perma- nente. S'il en était autrement, le but essentiel de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique serait contredit. Et, les articles 27 et 41 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique servent à protéger les candidats éligibles mécontents d'une nomination. Le demandeur ne peut pas en tirer argument en sa faveur. Il ne peut non plus faire valoir la thèse selon laquelle il a reçu un salaire correspondant à la nouvelle classifi cation du poste. Ni le temps pendant lequel il a occupé le poste, ni les recommandations favorables de son supérieur hiérarchi- que ne lui ont donné droit au poste et la Commission était justifiée d'organiser un concours restreint.
ACTION. AVOCATS:
P. Langlois pour le demandeur.
J. P. Belhumeur pour les défendeurs et le
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Cutler, Langlois & Castiglio, Montréal, poui le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada poui les défendeurs et le mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Par son action, le deman- deur cherche à obtenir de cette Cour le prononcé d'un jugement déclarant «qu'il détient à titre per manent, à compter du 13 mai 1972, le poste d'adjoint au directeur du pénitencier de Cowans- ville, Province de Québec.» Il demande «alternati- vement» (c'est-à-dire si sa demande principale n'est pas agréée, a expliqué son procureur à l'au- dience) que les défendeurs—Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, de qui relève ladite institution pénitencière de même que la Commission de la Fonction publique du Canada, et André Lavery tant personnellement qu'en sa qualité de directeur, organisateur et administrateur du Service cana- dien des pénitenciers—soient condamnés à lui payer des dommages pour la somme de $100,000.
Pareille jonction de remèdes, réclamés «alterna- tivement» dans une action telle qu'ici intentée, soulèvent des difficultés tant sur le plan procédure que sur celui de leur rattachement logique aux faits allégués dans la déclaration. Il ne me paraît toutefois pas nécessaire de m'y arrêter et il me suffira de répondre à la seule question de fond posée par les procédures: le demandeur a-t-il acquis à titre permanent le poste auquel il prétend avoir droit et qu'on lui dénie?
Le demandeur entra au Service canadien des pénitenciers, qui relève de la Fonction publique du Canada, en 1965, pour occuper une fonction de commis au pénitencier de Cowansville, il fut successivement directeur du secrétariat et préposé au personnel. En mars 1972, il lui était offert de combler temporairement la vacance créée par le départ du directeur adjoint de l'institution; il
accepta. Il fut donc nommé à titre intérimaire à compter du 13 mars 1972 et se vit accorder le salaire minimum prévu pour un tel poste qui en était un d'administration et services désigné sous l'abréviation CR-3. Le 26 février 1973, l'adminis- trateur régional écrivait au directeur de l'institu- tion pour lui rappeler que le demandeur était sur le point de compléter sa «période d'un an comme O & et lui suggérer «d'appointer un autre employé pour remplir ce poste» si le besoin existait toujours (pièce D-1). Un échange intervint entre l'administrateur régional et le directeur qui disait n'avoir pas d'autre employé disponible, et il fut convenu que le demandeur cesserait d'agir pendant quelques semaines puis serait de nouveau nommé à titre intérimaire. On voulait ainsi éviter, officielle- ment, une assignation temporaire excédant douze mois qui aurait requis tout à la fois l'autorisation de la Commission de la Fonction publique (article 27 du règlement établi aux termes de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique') et celle du Conseil du trésor exigée par l'article 84(2) du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique établi en vertu de l'article 7 de la Loi sur l'administration financière 2 . Une deuxième nomination intérimaire fut faite le 19 mars 1973, qui, pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions, prit officiellement fin le 18 mars de l'année suivante. La troisième dura du 22 mars 1974, jusqu'au 21 mars 1975, et elle fut remplacée par une dernière qui cessa le 14 juillet 1975.
Pendant que le demandeur agissait ainsi à titre temporaire comme directeur adjoint à l'adminis- tration, une réorganisation interne du Service des pénitenciers était en cours. Il en résultat que le ler mai 1974, le poste occupé par le demandeur, qu'on avait songé à abolir dans toutes les institutions, passa au contraire au niveau AS-4 et se vit ratta- cher, explique le témoin Laferrière, directeur du Service pour la région de Québec, de «nouvelles exigences et de nouvelles qualifications». La Com mission de la Fonction publique décida aussitôt de le combler en même temps que trois autres équiva- lents à partir des résultats d'un concours ouvert aux seuls membres de la Fonction publique. Le demandeur fut invité et admis à se présenter au concours en raison de son expérience, mais le jury
1 S.R.C. 1970, c. P-32.
2 S.R.C. 1970, c. F-10.
de sélection jugea ses connaissances insuffisantes et écarta sa candidature. Il interjeta aussitôt appel contre la décision du jury en se prévalant des dispositions de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, mais son appel fut rejeté par décision motivée du 21 janvier 1975. Le 19 juin suivant, la présente action était signifiée.
Le demandeur prétend que le fait d'avoir occupé le poste à titre intérimaire pendant plus de deux ans et demi, et ce à la complète satisfaction de ses supérieurs, lui donnait automatiquement droit au poste à titre indéterminé, et que le concours auquel il a été forcé de participer n'avait pas d'objet et partant n'a pu avoir aucun effet. Ces prétentions, à mon avis, ne sont pas soutenables.
L'article 8 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique est formel: la Commission de la Fonction publique possède le droit exclusif de nomination à un poste à titre indéterminé et aucune disposition de ladite Loi n'est à l'effet que le seul écoulement du temps puisse remplacer une telle nomination en transformant une assignation temporaire en assignation permanente. S'il en était autrement d'ailleurs, le but essentiel de la Loi serait contredit.
Le demandeur invoque le fait qu'on aurait omis de suivre pour lui les prescriptions des articles 27 et 41 du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique qui, dans le cas d'une nomination tempo- raire excédant deux mois, prévoit en substance la publication d'un avis et le droit d'en appeler de tout employé dont les chances d'avancement sont en conséquence amoindries. Mais ces dispositions servent à protéger les candidats éligibles mécon- tents d'une assignation, et je ne vois pas comment il peut en tirer argument en faveur de sa thèse. Il s'est employé aussi à démontrer qu'entre le l er mai 1974 et le 21 mars 1975, sauf pour quelques jours, il avait reçu le salaire correspondant à la nouvelle classification AS-4 qui venait d'être attribué au poste qu'il occupait temporairement. Mais les autorités régionales ont montré que c'était involon- tairement que les conditions salariales attachées à l'assignation avaient été ainsi modifiées au moment était devenue officielle la réclassifica- tion et que le salaire temporaire antérieur avait été rétabli sitôt la situation réalisée. De toute façon, je ne vois pas, non plus, quel argument le deman- deur pourrait en tirer.
A la question de fond posée par les procédures, il me semble qu'une seule réponse est possible. Le demandeur n'a pas été nommé à titre indéterminé au poste de directeur adjoint. Le temps il a occupé le poste par suite d'assignations temporai- res successives n'a pas eu pour effet de lui attri- buer de droit, pas plus d'ailleurs que les recom- mandations favorables de son supérieur hiérarchique. La Commission de la Fonction publi- que était justifiée de tenir un concours restreint pour combler de façon permanente le poste tel que réévalué. L'action du demandeur n'est donc pas fondée et le jugement sera rendu en conséquence.
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