A-21-74
Albert Eggen (Appelant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Ryan
et le juge suppléant Sheppard—Vancouver, le 19
janvier 1976.
Immigration—Ordonnance d'expulsion—Après son arrivée
au Canada, le demandeur reconnaît avoir commis un crime
impliquant turpitude morale avant son arrivée au Canada—
Son aveu ultérieur a-t-il pour conséquence de le faire entrer
dans une catégorie interdite «au moment de son admission au
Canada»—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 5d),
18(1)e)(iv),(v) et 19.
L'appelant a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion «en
qualité de personne appartenant à une catégorie interdite au
moment de son admission au Canada», pour avoir reconnu qu'il
avait commis un «crime impliquant turpitude morale». Selon la
conclusion de l'enquêteur spécial et de la Commission d'appel
de l'immigration, l'aveu du crime perpétré avant d'arriver au
Canada a eu lieu après son admission au Canada.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'ordonnance annulée; un tel
aveu ultérieur n'a pas pour conséquence de faire entrer une
personne dans une catégorie interdite «au moment de son
admission au Canada». Il peut la faire entrer dans le cadre de
l'article 18(1)e)(v) de la Loi sur l'immigration, ou être la
preuve qu'elle n'a pas répondu conformément à la vérité (arti-
cle 19(2)); il n'en résulte pas que cette personne aurait dû se
voir refuser son admission en vertu de l'article 5d). Un rapport
prévu à l'article 18 ne peut être utilisé que pour appuyer une
ordonnance d'expulsion qui repose sur des «motifs» qui y son
énoncés. L'article 18(2) ne permet pas de délivrer une telle
ordonnance alors que le rapport prévu à l'article 18(1) repose
sur un alinéa de l'article 18(1) et que les faits allégués sur
lesquels doit se fonder l'ordonnance d'expulsion tombent sous
un autre alinéa.
Arrêt appliqué: Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Im-
migration c. Brooks [1974] R.C.S. 850.
APPEL.
AVOCATS:
R. Rosenbloom pour l'appelant.
G. Donegan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom & Boyle, Vancouver, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Dans cette affaire,
l'appelant a fait l'objet d'une ordonnance d'expul-
sion à la suite d'un rapport prévu à l'article 19' qui
présentait comme argument que l'appelant faisait
partie d'une «catégorie interdite lors de son admis
sion au Canada» au sens de l'article 19(1)e)(iv).
Le rapport prévu à l'article 19 s'appuyait sur la
catégorie interdite définie à l'article 5d) aux
termes duquel nul ne doit être admis au Canada
s'il fait partie de la catégorie de personnes dési-
gnées comme «des personnes qui ... admettent
avoir commis ... quelque crime impliquant turpi
tude morale ....»
Lorsque l'appelant fut admis au Canada, il
n'avait pas fait d'aveu mais, selon les constatations
de faits de l'enquêteur spécial et de la Commission
d'appel de l'immigration, il a reconnu après son
arrivée au Canada avoir commis un tel crime
avant sa venue dans ce pays.
A notre avis, un tel aveu ultérieur n'a pas pour
conséquence de faire entrer une personne dans une
catégorie interdite «au moment de son admission
au Canada». Il pourrait la faire entrer dans le
cadre de l'article 18(1)e)(v) comme étant une
personne qui «depuis son admission au Canada» est
devenue une personne «qui, si elle demandait son
admission au Canada, se la verrait refuser du fait
qu'elle est membre d'une catégorie interdite ...»,
ou cet aveu pourrait constituer une preuve qu'elle
n'a pas, contrairement à l'article 19(2) (de la Loi
actuelle), donné des réponses «véridiques» aux
questions que lui a posées un fonctionnaire à l'im-
migration. Cela n'a cependant pas pour consé-
quence qu'il aurait fallu refuser l'admission de
cette personne, en vertu de l'article 5d), parce
qu'elle avait reconnu avoir commis un crime impli-
quant turpitude morale.
L'intimé prétend qu'il faudrait rejeter l'appel de
toute façon car, étant donné les faits, il aurait fallu
délivrer l'ordonnance d'expulsion en partant de
l'idée que l'appelant, en raison de l'aveu, devenait
une personne à qui l'article 19(1)e)(v) s'appliquait.
1 Dans ces motifs, toute référence à une loi concerne la Loi
sur l'immigration et, sauf indications contraires, toute réfé-
rence à l'article 19 concerne l'article 18 de la présente Loi sur
l'immigration.
A notre avis, on ne peut utiliser un rapport prévu à
l'article 19 que pour appuyer une ordonnance d'ex-
pulsion qui repose sur des «motifs» qui y sont
énoncés. Cela ne signifie pas, comme l'a souligné
la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Brooks 2 , que les faits précis doivent correspondre
en tous points à ceux invoqués dans le rapport,
pourvu que l'on respecte les exigences de la justice
naturelle. Nous estimons cependant que l'article
19(2) ne permet pas de délivrer une ordonnance
d'expulsion lorsque le rapport prévu à l'article
19(1) repose sur un alinéa de l'article 19(1) et que
les faits allégués sur lesquels doit se fonder l'or-
donnance d'expulsion tombent sous un autre alinéa
de l'article 19(1) 3 .
Nous sommes d'avis que l'appel doit être
accueilli et l'ordonnance d'expulsion annulée.
2 [1974] R.C.S. 850, par le juge Laskin J. (maintenant juge
en chef) à la page 854.
3 Sinon l'article 25 qui exige une intervention du directeur
comme condition préalable à une enquête fondée sur l'article 18
de la Loi actuelle, intervention qui n'est pas requise dans le cas
d'un rapport prévu à l'article 22, semblerait sans objet.
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