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A-664-75
La Reine (Appelante)
c.
Roosevelt Bernard Douglas (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 14 avril 1976.
Immigration—Intimé frappé d'une ordonnance d'expul- sion—Certificat décerné en vertu de l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration—L'intimé demande l'annulation de ce certificat—La Division de première instance a rejeté la requête en radiation de la déclaration au motif qu'elle ne contenait aucune cause raisonnable d'action— Appel—Règles 419 et 474 de la Cour fédérale—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 15(1) et 21.
L'intimé a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion, et, conformément à l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, a été décerné un certificat «déclarant qu'il serait contraire à l'intérêt national» que l'intimé demeure au Canada. Celui-ci a demandé à la Division de première instance d'annuler ce certificat et d'interdire l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. Le juge de première instance a rejeté une requête en radiation de la déclaration au motif qu'elle ne contenait aucune cause raisonnable d'action. Cette décision est à l'origine du présent appel.
Arrêt: l'appel est accueilli, le jugement de la Division de première instance est annulé et la déclaration est radiée. Alors que la Cour d'appel ne contredit que très rarement la Division de première instance lorsqu'elle décide de façon discrétionnaire s'il convient mieux de statuer sur une requête en radiation (Règle 419) que de statuer sur une question de droit inscrite au rôle pour débat avant l'instruction (Règle 447) ou après l'ins- truction, il s'agit en l'espèce d'un cas il est tellement évident que la Division de première instance aurait dû, dans l'exercice de sa discrétion, accorder la requête en radiation que son jugement doit être infirmé.
La question de savoir si l'on ne peut décerner un certificat en vertu de l'article 21 qu'après avoir accordé à l'intéressé une audition a été tranchée dans l'affaire Prata ([1976] 1 R.C.S. 376). Quant à la prétention selon laquelle le certificat résultait de la «partialité» du ministre, on ne peut tirer une telle conclu sion des faits auxquels la déclaration a restreint la preuve relative à cette question. Le certificat constitue également une preuve péremptoire, en vertu de l'article 21(2), «des énoncia- tions qu'il renferme», y compris le fait que les ministres se sont, en tant que tels, dûment fait l'opinion exprimée. Selon l'arrêt Prata, «L'article déclare que leur certificat constitue une preuve péremptoire des énonciations qu'il renferme.»
Rien ne justifie l'interdiction de faire ce que la loi prévoit expressément une fois rejeté un appel à l'encontre d'une ordon- nance d'expulsion, même si une action contre Sa Majesté constituait le moyen approprié de demander ce redressement. Et il est très peu probable qu'un droit d'action existe pour annuler un document comme un certificat en vertu de l'article
21 après qu'il a atteint le but qu'il visait et qu'il a été mis à exécution, même si par ailleurs il était atteint d'un vice qui le rendrait annulable.
Arrêts examinés: La Reine c. Wilfrid Nadeau Inc. [1973] C.F. 1045. Arrêt suivi: Prata c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376.
APPEL. AVOCATS:
N. A. Chalmers, c.r., et J. P. Malette pour
l'appelante.
J. Westmoreland- Traoré pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Mergler, Melançon, Bless, Cloutier, Marion, Helie & Leclaire, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance rejetant une requête en radiation d'une déclaration au motif qu'elle ne contient aucun droit d'action raisonnable contre l'appelante.
La présente Cour a, à plusieurs reprises, rejeté un appel d'un tel jugement au motif que la Cour d'appel ne contredit que très rarement la Division de première instance lorsqu'elle décide de façon discrétionnaire s'il convient mieux de statuer sur une requête en radiation (Règle 419) que de sta- tuer sur une question de droit inscrite au rôle pour débat avant l'instruction (Règle 474) ou après l'instruction. (Voir, par exemple, La Reine c. Wil- frid Nadeau Inc. 1 ) Toutefois, à mon avis, il s'agit en l'espèce d'un exemple d'affaire il est telle- ment évident que la Division de première instance aurait dans l'exercice de sa discrétion accorder la requête en radiation que la présente Cour doit infirmer son jugement.
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un point de droit très difficile que les parties, de consentement exprès ou implicite, ont décidé de faire trancher par une requête en radiation. Il s'agit plutôt, comme je vais essayer de le démontrer, d'une affaire il est tout à fait manifeste, après examen
I [1973] C.F. 1045.
des allégations de la déclaration, de la loi et de la jurisprudence pertinente, que la déclaration ne révèle aucune cause d'action.
On peut, selon moi, aux fins des présentes, résumer ainsi les faits pertinents présentés dans la déclaration:
1. Le 16 octobre 1972, (alors qu'il était citoyen d'un pays du Commonwealth des nations britanni- ques, mais qu'il n'était pas citoyen canadien et qu'il n'avait pas de «domicile canadien> au sens de cette expression dans la Loi sur l'immigration), une ordonnance d'expulsion a été rendue contre l'intimé.
2. Conformément à l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, qui se lit, en partie, comme suit:
21. (1) Nonobstant la présente loi, la Commission ne doit pas
a) dans l'exercice de sa discrétion en vertu de l'article 15 surseoir à l'exécution d'une ordonnance d'expulsion ou, par la suite, prolonger ou renouveler le sursis, annuler une ordon- nance d'expulsion, ou ordonner que le droit d'entrée ou de débarquement soit accordé à toute personne, ou
s'il est produit auprès de la Commission un certificat signé par le Ministre et par le solliciteur général ils déclarent qu'à leur avis, fondé sur les rapports de sécurité ou de police criminelle qu'ils ont reçus et étudiés, il serait, pour la Commission, contraire à l'intérêt national de prendre cette mesure.
(2) Tout certificat présenté comme revêtu de la signature du Ministre et du solliciteur général en conformité du paragraphe (1) est réputé revêtu de leur signature et la Commission doit l'admettre sans preuve des signatures ou du caractère officiel des personnes qui semblent l'avoir signé, à moins que le Minis- tre ou le solliciteur général ne le contestent. Ce certificat constitue une preuve péremptoire des énonciations qu'il renferme.
le 24 mai 1973, le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et le solliciteur général ont signé un certificat [TRADUCTION] «déclarant qu'il serait contraire à l'intérêt national si le demandeur (intimé) demeurait au Canada» et ils ont versé celui-ci aux dossiers de la Commission d'appel de l'immigration.
3. Une requête demandant à ces ministres de reti- rer ce certificat a été refusée.
4. Le 23 avril 1975, la Commission d'appel de l'immigration a rejeté l'appel de l'intimé à l'encon- tre de l'ordonnance d'expulsion.
5. Il faut «inférer»
a) que lesdits Ministres ont fait preuve de «par- tialité» en «décidant» d'émettre le «certificat» et
b) que le «certificat» a été émis illégalement, irrégulièrement et sans accorder à l'intimé une audition juste et équitable en conformité avec
les principes et les coutumes fondamentales de la justice canadienne et en conformité avec la Déclaration canadienne des droits, vu que
[TRADUCTION] a) Le demandeur n'était pas un étranger conformément aux définitions de la Loi sur l'immigration et de la Loi sur la citoyenneté et, par conséquent, les Ministres n'avaient pas le droit d'exercer la prérogative royale à l'égard du demandeur;
b) Le demandeur a résidé au Canada légalement pendant presque dix ans avant sa condamnation et avait donc acquis le droit de domicile en vertu de la Loi sur la citoyenneté, ce qui donnait au demandeur le droit de demander la citoyenneté le ou après le, 24 novembre 1969;
c) Pour décider si la présence au Canada du demandeur est contraire à l'intérêt national, il faut se placer au moment la Commission d'appel de l'immigration enten- dait l'appel du demandeur et le défendeur WARREN ALL- MAND avait l'obligation légale de réviser les motifs du certificat déposé dans l'appel du demandeur;
d) La décision des défendeurs WARREN ALLMAND et ROBERT KNIGHT ANDRAS d'émettre et de produire un certificat était fondée sur du ouï-dire, des renseignements non contestés et une décision unilatérale prise sans un examen convenable de tous les faits, privant ainsi le demandeur de son droit à une audition équitable, de son droit de contre-interroger, de son droit de se défendre et de son droit d'établir son innocence, lequel, dans le cas du demandeur, est et doit être garanti par une présomption légale;
L'intimé, par ces allégations de faits, dans sa déclaration produite le 23 juillet 1975, demandait le redressement suivant:
[TRADUCTION] a) Une ordonnance de cette honorable Cour annulant le certificat produit contre le demandeur en vertu de l'article 21 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration;
b) Une ordonnance interdisant aux fonctionnaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration d'appli- quer l'ordonnance d'expulsion datée du 16 octobre 1972; 2
Deux questions de droit difficiles ont été tran- chées, selon moi, par la Cour suprême du Canada en 1975 dans l'arrêt Prata c. Le ministre de la
2 La déclaration demande également une troisième ordon- nance, mais, selon les motifs du savant juge de première instance, cette demande a été abandonnée lors de l'audition de la requête en radiation.
Main-d'oeuvre et de l'Immigration 3 , contraire- ment à l'affaire mentionnée par l'intimé dans sa déclaration. D'abord est-ce qu'on ne doit émettre un certificat en vertu de l'article 21 qu'après avoir accordé à l'intéressé une audition comme le veut la jurisprudence dans les cas s'appliquent les prin- cipes de la justice naturelle et ensuite est-ce que l'on peut attaquer un tel certificat en vertu des dispositions de la Déclaration canadienne des droits? De ce point de vue, je ne pense pas que l'on puisse prétendre à l'existence d'une distinction per- tinente fondée sur les circonstances spéciales du cas qui nous occupe, comme le fait que l'intimé, bien qu'il ne soit pas citoyen canadien et n'ait pas de domicile au Canada, est un sujet britannique parce que citoyen d'un pays du Commonwealth britannique autre que le Canada ou le fait qu'il a résidé au Canada légalement pendant 10 ans. 4 Quant à cette partie de la contestation du certifi- cat, à mon avis, la question est réglée, pour la présente Cour, par l'arrêt Prata de la Cour suprême du Canada.
Dans la mesure la contestation du certificat est fondée sur la «partialité» des ministres, il faut souligner que la «partialité» alléguée est limitée à une conclusion qu'il faut tirer, dit-on, des affirma tions de la déclaration que j'ai citées. A mon avis, peu importe quels faits peuvent constituer la par- tialité alléguée, que ce soit au sens large attribué à ce mot relativement à des actes de nature judi- ciaire ou au sens d'un usage abusif de pouvoirs de nature purement ministérielle ou à un sens inter- médiaire de ce mot, on ne peut inférer aucune partialité des faits auxquels la déclaration a res- treint la preuve relative à cette question. Dans ces conditions, je dois respectueusement exprimer mon désaccord avec le savant juge de première ins tance, qui a dit qu'il s'agit d'une question de fait qui ne peut pas [TRADUCTION] «être examinée équitablement à moins que l'on entende des témoi- gnages afin de décider, au besoin, s'il y a eu partialité ou non....» Toutefois, tout à fait indé- pendamment de cette conclusion fondée sur la manière dont cette déclaration particulière allègue la «partialité», il me semble, le «certificat» consti- tue une preuve péremptoire, en vertu du paragra- phe (2) de l'article 21, «des énonciations qu'il renferme», y compris le fait que les ministres se
3 [1976] 1 R.C.S. 376.
4 Voir les articles 2, 3 et 4 de la Loi sur l'immigration.
sont, en tant que ministres, dûment fait l'opinion exprimée. Voir Pràta c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'immigration (supra) le juge Maitland, prononçant l'arrêt de la Cour suprême du Canada, a dit la page 381]: «L'article déclare que leur certificat constitue une preuve péremptoire des énonciations qu'il renferme.»
Par conséquent, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de rendre une ordonnance «annulant» le certificat en vertu de l'article 21.
Quant à la demande d'une ordonnance interdi- sant l'exécution de l'ordonnance d'expulsion, les faits allégués ne justifient aucunement, selon moi, l'interdiction de faire ce que la loi prévoit expressé- ment une fois rejeté un appel à l'encontre d'une ordonnance d'expulsion 5 , même si une action contre Sa Majesté constituait le moyen approprié de demander ce redressement.
Finalement, j'aimerais ajouter que je doute for- tement qu'un droit d'action existe pour annuler un document comme un certificat en vertu de l'article 21 après qu'il a atteint le but qu'il visait et qu'il a été mis à exécution, même si par ailleurs il était atteint d'un vice qui le rendrait annulable.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens dans cette Cour et dans la Division de première instance, d'infirmer le jugement de la Division de première instance et de radier la décla- ration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action contre l'appelante.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
5 Voir l'article 15(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
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