A-437-75
Les États-Unis d'Amérique (Requérant)
c.
John T. Couche (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les 24 et 27 février
1976.
Examen judiciaire—Extradition—Le crime de recel et de
possession de biens volés est-il un crime entraînant l'extradi-
tion au sens de l'article I, par. 3 de la Convention supplémen-
taire relative à l'extradition des criminels, 1889—Traité Ash-
burton- Webster, 1842, art. X—Convention supplémentaire,
1889, art. I, par 3; 1900, art. I, par 11, 1951, art. I, par. 11A et
11a.
L'intimé a été accusé de recel et de possession de biens
détournés et volés. La demande d'extradition a été refusée et
l'intimé a été acquitté. Le juge en extradition a suivi l'arrêt Re
Cohen ((1904) 8 C.C.C. 251) où l'on a statué que les termes
«argent, valeurs et autres biens» employés dans l'Acte d'extra-
dition de 1889 ne s'appliquent pas aux «marchandises» à cause
de la règle d'interprétation ejusdem generis.
Arrêt: la demande est accueillie et l'ordonnance est annulée;
il ne fait aucun doute que le juge en extradition a correctement
évalué l'arrêt Cohen, mais il est difficile d'appliquer la règle
ejusdem generis au paragraphe 3 de l'article I de façon à
limiter la portée des mots «autres biens» de telle sorte que les
«marchandises» échappent à ce paragraphe. L'expression
«autres biens», dans son sens habituel, comprend des marchan-
dises. En 1900, on ajoutait à l'article I certains crimes entraî-
nant l'extradition, y compris (paragraphe 11) «l'escroquerie ...
d'autres biens». Dans l'arrêt Re Rosen ((1931) 56 C.C.C. 162),
on a jugé que ce paragraphe n'englobait pas les marchandises.
En 1951, le paragraphe a été modifié comme suit: «obtention de
biens, d'argent ou de valeurs par de faux prétextes...» (para-
graphe 11A). Bien qu'on ait soutenu que le libellé du nouveau
paragraphe confirmait le sens restreint donné dans les arrêts
Cohen et Rosen aux paragraphes 3 et 11 et que le nouvel
énoncé du paragraphe 11 étendait la portée du nouveau para-
graphe sans modifier celle du paragraphe 3, ces modifications
n'avaient pas pour seul but d'inclure le mot «marchandises». Et
si les décisions rendues dans les arrêts Re Cohen et Re Rosen
sont erronées, les parties à la Convention se sont méprises si, en
substituant le paragraphe 11A à l'autre, elles pensaient que ces
deux arrêts représentaient un exposé correct du droit. Si, avant
la modification du paragraphe 11, le paragraphe 3 était assez
large pour couvrir le recel de marchandises, la nouvelle rédac-
tion du paragraphe 11A ne pourrait restreindre le sens du
paragraphe 3, par modification implicite, de façon que les
marchandises échappent à son application.
Arrêts analysés: Re Cohen (1904) 8 C.C.C. 251 et Re
Rosen (1931) 56 C.C.C. 162.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
B. R. Shilton pour le requérant.
E. J. Levy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Earl J. Levy, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'une demande présen-
tée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale aux fins d'examiner et d'annuler l'ordon-
nance que le juge en extradition W. M. Martin a
rendue le 21 juillet 1975; comme suite à des
procédures intentées en vertu de la Loi sur l'extra-
dition, cette ordonnance refusait une demande qui
visait l'extradition de l'intimé qu'elle acquittait.
On a intenté ces procédures d'extradition devant
la Cour de district des États-Unis pour l'Eastern
District du Michigan, Southern Division. Un acte
d'accusation imputait à l'intimé et à deux autres
personnes le recel et la possession [TRADUCTION]
«... de biens meubles qui valaient plus de $100, à
savoir 73,580 livres de rouleaux de fil métallique et
de tôle détournés et volés ...u, alors que les accu-
sés savaient que ces biens avaient fait l'objet de
détournement et de vol. Ces biens auraient été
détournés et volés alors qu'ils faisaient partie d'un
chargement de marchandises transporté entre
États; les inculpations furent portées en vertu des
articles du titre 18 de l'United States Code.
L'article X du Traité Ashburton -Webster, signé
à Washington en 1842 par Sa Majesté et les
États-Unis d'Amérique, prévoyait l'extradition des
personnes inculpées des crimes prévus dans cet
article. L'article I d'une Convention supplémen-
taire signée en 1889 rendait la disposition de l'arti-
cle X applicable à des crimes additionnels, y
compris:
3. Détournement de fonds; larcin; recel d'argent, de valeurs ou
autres biens que l'on sait avoir été détournés, volés ou fraudu-
leusement obtenus.
La question cruciale en l'espèce consiste à savoir
si le crime relatif au recel et à la possession allégué
dans l'acte d'accusation constitue un crime qui
entraîne l'extradition et tombe sous le coup de
l'article I, paragraphe 3 de la Convention de 1889.
Les marchandises qui auraient été recelées, à
savoir les 73,580 livres de rouleaux de fil métalli-
que et de tôle, constituent clairement des biens et
semblent visées par les mots «autres biens» de
l'article I, paragraphe 3. Néanmoins, le savant
juge en extradition a suivi une décision du juge
Anglin (tel était alors son titre) dans l'arrêt Re
Cohen'. D'après les motifs du juge Martin exposés
dans la transcription des procédures en l'espèce à
la page 81, le juge Anglin a conclu [TRADUCTION]
«... que les termes `argent, valeurs ou autres biens'
employés dans l'Acte d'extradition de 1889... ne
s'appliquent pas aux `marchandises' à cause de la
règle d'interprétation ejusdem generis.» A la page
82 de la transcription des procédures, le juge
Martin ajoutait ceci:
[TRADUCTION] L'infraction pour laquelle les États-Unis
d'Amérique recherchent l'extradition en l'espèce, est identique
à celle de l'affaire Re Cohen. Il s'ensuit donc que l'infraction en
l'espèce n'en est pas une qui entraîne l'extradition parce qu'on
ne peut pas dire qu'une quantité quelconque d'acier est ejus-
dem generis que de l'argent ou des valeurs.
Le juge Martin a sans doute correctement
évalué l'arrêt Cohen. Si cet arrêt fait un exposé
exact du droit, l'ordonnance du juge Martin
s'avère donc bien fondée. En toute déférence
cependant, il m'est difficile d'appliquer la règle
ejusdem generis à l'article I, paragraphe 3 de
façon à limiter la portée des mots «autres biens» de
telle sorte que les marchandises échappent à ce
paragraphe. Pour les fins de ce même paragraphe,
il m'est difficile de découvrir une catégorie qui
comprendrait l'argent, les valeurs et les autres
sortes de biens sans y inclure les marchandises. Du
reste, à mon avis, on ne doit pas forcer le sens des
mots pour trouver pareil genre ou catégorie; on
doit plutôt donner aux termes «autres biens» leur
sens habituel qui comprend des marchandises.
On a allégué que cette interprétation ne tien-
drait pas compte de la présence dans le paragraphe
des termes «argent et valeurs», objets qui auraient
été couverts si on avait employé les termes «recel
de biens» plutôt que «recel d'argent, de valeurs ou
autres biens». Nous ne pouvons que spéculer sur le
motif relié à la mention spécifique de ces deux
exemples de biens. Néanmoins, je trouve digne de
remarque l'idée émise dans une annotation perti-
nente de l'éditeur et qui porte sur l'arrêt Cohen; je
(1904) 8 C.C.C. 251.
cite le passage suivant de cette note: 2
[TRADUCTION] Les mots «recel d'argent, de valeurs ou autres
biens que l'on sait avoir été détournés, volés ou frauduleuse-
ment obtenus», considérés selon leur acception naturelle ou
ordinaire et non selon l'interprétation stricte donnée aux lois
pénales, semblent largement suffisants pour englober les mar-
chandises et toutes les catégories de biens qui peuvent faire
l'objet de vol ou de détournement de fonds.
Comme le terme «recel» est associé dans le traité aux termes
«détournés, volés ou frauduleusement obtenus», la dernière
expression doit de toute façon se limiter aux biens meubles
qu'on peut transporter.
L'omission des termes spécifiques «argent» et «valeurs» aurait
suscité un doute quant à savoir si l'expression «recel de biens»
pouvait avoir une portée plus grande que le simple recel de
marchandises; il semble donc raisonnable de penser que les
termes «argent» et «valeurs» ont été spécifiquement mentionnés
pour plus de précaution et que les parties doivent considérer ces
deux catégories comme des «biens» pour les fins du traité.
Nous estimons que l'économie et l'objectif d'ensemble du
traité qui ressortent de la Convention elle-même font voir qu'on
n'emploie pas les termes «argent» et «valeurs» dans un sens
restrictif avec l'intention de séparer une catégorie de biens volés
d'avec une autre ou de la choisir par rapport à une autre; et
puisqu'il en est ainsi, à notre avis, cela écarte de la discussion la
règle ejusdem generis.
Interpréter les termes «autres biens» comme s'ils
comprenaient les marchandises—et selon moi c'est
l'interprétation la plus logique—apparaît conforme
à la façon d'aborder l'interprétation des traités
d'extradition que G. V. La Forest décrit à la page
21 de son ouvrage intitulé Extradition to and from
Canada:
[TRADUCTION] Quand ils interprètent les traités et les lois
relatifs à l'extradition, c'est une règle bien établie que les
tribunaux doivent leur donner une interprétation juste et libé-
rale afin de permettre au Canada de s'acquitter de ses obliga
tions internationales.
L'avocat de l'intimé a présenté une autre alléga-
tion qui nécessite un examen approfondi.
En 1900, une Convention supplémentaire ajou-
tait à la liste des crimes numérotés de 1 à 10 dans
l'article I de la Convention de 1889, certains
crimes à l'égard desquels l'extradition peut être
accordée. Les crimes ajoutés comprennent:
11. Escroquerie d'argent ou de valeurs ou d'autres biens.
Ce paragraphe a été interprété dans l'arrêt Re
Rosen 3 . On a suivi l'arrêt Re Cohen, appliqué la
z (1904) 8 C.C.C. 251, la page 262.
3 (1931) 56 C.C.C. 162.
règle ejusdem generis et jugé que les termes
«autres biens» n'englobaient pas les marchandises.
La Convention supplémentaire signée en 1951
modifie l'article I, paragraphe 11 en le remplaçant
par deux nouveaux paragraphes, soit 11A et 11B;
voici le contenu du nouveau paragraphe 11A:
11n. Obtention de biens, d'argent ou de valeurs par de faux
prétextes ou en fraudant le public ou quelque personne par la
supercherie, le mensonge ou d'autres moyens dolosifs, que cette
supercherie, ce mensonge ou ces autres moyens dolosifs consti
tuent ou non un faux prétexte.
On a soutenu que la rédaction du nouveau para-
graphe, en particulier le déplacement du terme
«biens», confirme que les parties à la Convention
ont reconnu que les paragraphes 3 et 11 de l'article
I avaient tous deux la signification restreinte énon-
cée dans les arrêts Re Cohen et Re Rosen et que le
changement de rédaction du paragraphe 11 opéré
par le nouveau paragraphe 11A avait et était des-
tiné à avoir comme conséquence celle d'étendre la
portée de ce dernier sans modifier le paragraphe 3.
A mon avis, pour les fins qui nous occupent, ce
serait donner trop d'importance au changement.
Et, en tout état de cause, cette intention paraît peu
probable. De fait, on ne peut que spéculer sur les
motifs qui ont inspiré ces modifications. L'objectif
très large de ces modifications, allant bien au-delà
de l'intention d'inclure ou non des marchandises, si
on avait vraiment cette intention, ressort non seu-
lement des modifications elles-mêmes mais aussi
du préambule de la Convention qui énonçait le
désir des parties de modifier et de compléter la
liste des crimes entraînant l'extradition «... de
façon à y faire entrer tous les actes frauduleux
punissables du droit criminel des deux États con-
tractants, et particulièrement ceux qui se commet-
tent à l'occasion des mouvements de valeurs ...»'.
Du reste, si j'ai raison d'estimer que les décisions
rendues dans les arrêts Re Cohen et Re Rosen sont
erronées, cela veut dire que les parties à la Con
vention se sont méprises si, en substituant le para-
graphe 11A à l'autre, elles ont agi en considérant
que ces deux arrêts représentaient un exposé cor
rect du droit. Si, avant la modification de l'article
I, paragraphe 11, le troisième paragraphe de l'arti-
cle I était assez large pour couvrir le recel de
marchandises, comme c'était le cas selon moi, je ne
4 G. V. La Forest, Extradition to and from Canada, page
171.
peux pas voir comment la nouvelle rédaction adop-
tée par les parties contractantes à l'article I, para-
graphe I1A, pourrait restreindre le sens du para-
graphe 3, au moyen d'une modification implicite,
de façon que les marchandises échappent à son
application.
Je suis d'avis d'accueillir la demande et d'annu-
ler l'ordonnance du savant juge en extradition. Je
renvoie l'affaire à un juge en extradition dont la
décision tiendra compte de ces motifs.
* * *
LE JUGE HEALD a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à
l'avis.
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