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T-4534-75
Diego Diaz Vara (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion et Guy Foucault (Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 12 janvier; Ottawa, le 29 janvier 1976.
Immigration—Mandamus—Demande de rouvrir une enquête spéciale—On a ordonné l'expulsion du requérant puisqu'il n'avait que $200 et aucun billet de retour—Un ami est par la suite arrivé en apportant de l'argent—L'enquêteur a refusé une demande de réouverture présentée sans formalité et il a remis le requérant en liberté moyennant un cautionne- ment—Le requérant est retourné en Espagne—La Cour d'ap- pel a reporté la demande d'examen pour un temps indéfini— Une demande formelle de réouverture d'enquête est refusée— Le requérant allègue que l'art. 35 va agir contre lui si on ne rouvre pas l'enquête—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. .5p), 26, 27, 28, 35.
Le requérant demande un mandamus qui ordonnerait de rouvrir une enquête spéciale par suite de laquelle une ordon- nance d'expulsion a été délivrée en vertu de l'article 5p) de la Loi sur l'immigration (le requérant n'avait que $200 et aucun billet de retour). Il n'a demandé aucun ajournement afin de présenter une preuve supplémentaire; trois jours plus tard, un ami est arrivé avec l'argent du requérant. L'enquêteur a refusé une demande de réouverture d'enquête présentée sans formalité et il a remis le requérant en liberté moyennant un cautionne- ment. Après avoir séjourné sept jours, il est retourné en Espa- gne. La Cour d'appel a reporté pour un temps indéfini sa demande d'examen. L'enquêteur spécial a refusé une demande de réouverture dûment présentée, en affirmant qu'il ne fallait pas se servir de l'article 28 pour examiner des faits survenus après l'audition et qu'il n'était plus possible de rendre une décision dans le cadre de l'article 27(2) vu que le requérant avait quitté le Canada. Le requérant allègue que l'article 35 va agir contre lui à moins de rouvrir l'enquête et d'annuler l'ordon- nance, malgré l'offre de consentement du Ministre en vertu de l'article 35, une façon de procéder que le requérant considère peu pratique et qui exige beaucoup de temps.
Arrêt: la requête est rejetée. La question de la réouverture est de nature administrative mais il faut la trancher conformément aux principes de justice naturelle. La preuve en l'espèce n'était pas nouvelle, comme on l'a prétendu, mais disponible au moment de l'enquête même si c'est sans corroboration. Si le requérant avait demandé un ajournement jusqu'à l'arrivée de son ami, cela aurait pu lui être accordé—un refus aurait pu être interprété comme une violation de la justice naturelle. Le refus de réouverture par l'intimé après la première requête verbale est surprenant. Cependant, vu que le requérant n'est plus au Canada, on ne peut plus le considérer comme une personne cherchant l'admission ou comme une personne se trouvant au Canada au sens de l'article 27 de façon à rendre une décision qui lui permettrait d'«entrer ou demeurer au Canada». En général, un bref de mandamus ne sera pas délivré pour imposer
l'impossible. De plus, il existe un certain doute sur la question de savoir si l'audition d'un nouvel élément de preuve se révéle- rait approprié quand la Cour d'appel vient d'être saisie de cette décision, même si la demande d'examen a prétendument été ajournée d'une fois à l'autre afin de permettre cette réouverture.
REQUÊTE. AVOCATS:
F. Philibert pour le requérant.
J. P. Belhumeur pour les intimés.
PROCUREURS:
L'Aide juridique du Québec, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Le requérant demande un bref de mandamus qui ordonnerait aux intimés de rouvrir une enquête spéciale sur l'admissibilité du requérant au Canada, en présence de son avocat et malgré l'absence du requérant qui se trouve hors du pays.
Voici les faits de l'espèce: le l er août 1975, une enquête avait lieu conformément aux articles 22 et suivants de la Loi sur l'immigration', par suite de laquelle on ordonnait la détention et l'expulsion du requérant, en application de l'article 5p) de la Loi, en tant que personne qui, de l'avis de l'enquê- teur spécial Guy Foucault, n'était pas un immi grant authentique ou un non-immigrant puisqu'il n'avait, au moment de l'enquête, que la somme de $200 et aucun billet de retour dans son pays d'origine, l'Espagne; ceci a apparemment constitué le motif de la décision.
Il est révélateur qu'à l'époque de l'audition, il n'ait présenté aucune requête d'ajournement afin de présenter une preuve supplémentaire relative à sa situation financière. Le 4 août 1975, le requé- rant présentait à la Cour d'appel une demande d'examen de cette décision, conformément à l'arti- cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le même jour, un ami du requérant, un citoyen américain, arrivait de Madrid (Espagne) apportant un mon- tant d'argent qui appartenait au requérant, comme
1 S.R.C. 1970, c. I-2.
ce dernier l'aurait annoncé pendant son audition. Le lendemain suivant, l'avocat du requérant a, sans formalité, demandé à l'enquêteur spécial, Guy Foucault, de rouvrir l'enquête en vertu de l'article 28 de la Loi sur l'immigration pour entendre une preuve supplémentaire à cet égard. Voici le texte de l'article 28:
28. Une enquête peut être rouverte par un enquêteur spécial pour l'audition et la réception de quelque preuve ou témoignage supplémentaire, et un enquêteur spécial a le pouvoir, après avoir entendu cette preuve ou ce témoignage supplémentaire, de confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieurement modifiée. 1966-67, c. 90, art. 28.
Foucault a refusé mais, sans formalité spéciale et en dehors de l'enceinte du tribunal, il a parlé à l'ami en question qui a confirmé l'assertion du requérant; Foucault a alors remis le requérant en liberté moyennant le dépôt d'un cautionnement de $100. Le requérant avait également un visa de touriste, valide pour aller aux États-Unis. En temps voulu, après avoir séjourné 7 jours au Canada, il est retourné en Espagne. Le 12 septem- bre 1975, la Cour d'appel a reporté au 17 septem- bre 1975 l'audition de sa demande d'examen de la décision de l'enquêteur spécial et, ensuite, pour un temps indéfini, probablement pour permettre la réouverture de l'enquête. Le 20 octobre 1975, le requérant a dûment présenté une demande de réouverture d'enquête et, le 28 octobre 1975, l'en- quêteur spécial Guy Foucault a de nouveau refusé de la rouvrir. Cependant, le même jour, Foucault remettait à l'avocat du requérant une lettre dans laquelle il communiquait les motifs de son refus; il expliquait qu'il ne fallait pas se servir de l'article 28 de la Loi pour examiner des faits survenus après l'audition et que, le requérant ayant quitté le Canada et ne recherchant plus à y être admis, il n'était plus possible de rendre une décision dans le cadre de l'article 27(2) de la Loi puisque, selon cet article, l'enquêteur spécial doit, en rendant sa déci- sion, soit «admettre ou laisser entrer cette personne au Canada, ou y demeurer, selon le cas» soit, en vertu de l'article 27(3) «émettre contre elle une ordonnance d'expulsion.»
Tout en admettant qu'il n'est plus au Canada ou que, présentement, il ne cherche plus à y être admis, le requérant allègue que l'article 35 de la Loi va agir contre lui à moins qu'on ne rouvre l'enquête et annule l'ordonnance d'expulsion. Voici cet article:
35. Sauf lorsqu'un appel d'une telle ordonnance est admis, une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été rendue et qui est expulsée ou quitte le Canada, ne doit pas subséquemment être admise dans ce pays, ou il ne doit pas lui être permis d'y demeurer, sans le consentement du Ministre. S.R., c. 325, art. 38.
En réponse à cet argument, l'intimé renvoie au dernier paragraphe de la lettre écrite à l'avocat du requérant le 28 octobre 1975 dont voici le texte:
Si toutefois monsieur Vara désire revenir au Canada, notre ministère est prêt à lui accorder le consentement du Ministre en vertu de l'article 35, s'il se conforme aux exigences de la Loi et des Règlements sur l'immigration.
Malgré la protection que cela lui accorde contre les effets de l'application de l'article 35, le requé- rant prétend, et probablement n'a-t-il pas tout à fait tort, que cette façon de procéder n'est pas commode et qu'elle peut occasionner une perte de temps considérable s'il désirait, du jour au lende- main, entrer de nouveau au Canada.
L'article 26(1) de la Loi prévoit que l'enquête doit avoir lieu «en présence de l'intéressé chaque fois que la chose est pratiquement possible.» Cela paraît être une disposition insérée dans la Loi au bénéfice de la personne qui cherche à entrer au pays et cette même personne peut y renoncer quand, comme en l'espèce, il ne lui est pas prati- quement possible d'être présente à la réouverture de son enquête. Assurément, l'article 28 accorde à l'enquêteur spécial le droit de rouvrir l'enquête, de recevoir une preuve supplémentaire et de modifier ou révoquer sa décision antérieure; je suis d'avis que l'intimé aurait pu facilement le faire le 5 août 1975 alors que le requérant était encore sur les lieux, de même que son témoin, et que, par suite de cette preuve supplémentaire, il aurait pu modifier sa décision et annuler l'ordonnance d'expulsion. Il a plutôt choisi, sans formalité spéciale, de libérer le requérant moyennant caution. La question de la réouverture de l'enquête implique une décision de nature administrative qui doit néanmoins être prise conformément aux principes de justice naturelle.
Foucault déclare qu'il a fondé son refus de rouvrir l'enquête à l'époque sur le fait qu'il n'est pas obligé d'entendre un nouvel élément de preuve seulement après l'enquête, autrement il n'y aurait pas de fin aux demandes de réouverture de ces enquêtes; aussi, la décision doit-elle se fonder sur les éléments de preuve disponibles au moment
de l'enquête. Il m'apparaît que la preuve de la solvabilité du requérant était cependant disponible au moment de l'enquête même si elle ne pouvait être corroborée puisque son ami n'était pas encore arrivé d'Espagne avec les fonds additionnels desti- nés au requérant. Si le requérant avait demandé un ajournement de l'audience jusqu'à l'arrivée de son ami, cela aurait pu lui être accordé; sinon, le refus de l'accorder aurait pu être interprété comme une violation de la justice naturelle. Cependant, en l'absence d'une telle requête, l'intimé Foucault pouvait bien être fondé à douter du témoignage du requérant selon lequel un ami venait d'Espagne avec des fonds qui lui étaient destinés. Il est sur- prenant qu'à l'arrivée de l'ami, le 5 août, l'intimé ait refusé la requête verbale sollicitant la réouver- ture de l'enquête puisque cela aurait réglé le litige à l'époque.
Cependant, le 20 octobre 1975, quand la demande visant à la réouverture de l'enquête a été dûment présentée, le requérant n'était plus au pays; par conséquent, je dois souscrire au point de vue de l'intimé suivant lequel le requérant ne pouvait plus être considéré comme une personne cherchant l'admission au Canada ou comme une personne se trouvant au Canada au sens de l'arti- cle 27 de la Loi, de sorte que l'enquêteur spécial ne pouvait plus rendre une décision conforme à l'arti- cle 27(2) qui permettrait au requérant d'«entrer ou demeurer au Canada». Dans son ouvrage, S.A. de Smith 2 a déclaré:
[TRADUCTION] Lex non cogit ad inutilia. En général, un bref de mandamus ne sera pas émis pour forcer un intimé à faire ce qui est impossible en droit ou en fait.
De plus, il paraît y avoir un certain doute sur la question de savoir s'il pourrait à bon droit à ce moment, entendre une nouvelle preuve en vue de modifier sa décision, quand la Cour d'appel est saisie de cette décision à la suite d'une demande d'examen, même si cette demande a prétendument été ajournée d'une fois à l'autre afin de permettre cette réouverture.
Je suis donc d'avis que le requérant devra se satisfaire de l'engagement pris dans la lettre du 28 octobre 1975, qui sans aucun doute fera partie de son dossier au ministère de l'Immigration, et aux termes duquel on ne se servira pas de l'article 35 de la Loi de façon à empêcher son admission
2 Judicial Review of Administrative Action, à la page 499.
subséquente au Canada, pourvu qu'à cette époque il se conforme aux _exigences de la Loi et des Règlements.
Dans les circonstances, la requête sera rejetée mais sans frais.
ORDONNANCE
La requête sollicitant un bref de mandamus est rejetée sans frais.
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