T-328-76
In re la Loi sur la radiodiffusion, et in re Capital
Cable Co-operative et le Conseil de la Radio-Télé-
vision canadienne et Victoria Cablevision Limited
Division de première instance, le juge Dubé—
Vancouver, le 2 février 1976.
Radiodiffusion—Brefs de prérogative—Demande de bref de
mandamus enjoignant le CRTC d'entendre la demande de la
requérante en vue d'obtenir une licence de télévision par
câble—La pratique du CRTC d'entendre d'abord une demande
de renouvellement de licence et de n'entendre les autres requé-
rants que si la demande de renouvellement est rejetée est-elle
contraire à la Loi et aux règles de la justice naturelle?—Loi
sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, c. B-11, art. 3, 15, 17, 19 et
21—Règles de procédure 3, 4 et 13 du CRTC.
La licence de Victoria Cablevision devait expirer le 31 mars
1976 et la requérante demanda une licence devant desservir la
même région. Le CRTC l'informa que selon une pratique bien
établie, il n'accepte pas de demandes lorsqu'une licence a été
attribuée et vient à expiration, mais tient une audience publique
afin de déterminer si cette licence doit être renouvelée. S'il
décide de ne pas renouveler la licence, il examine alors les
autres demandes. Entre temps, les auteurs de demandes peu-
vent intervenir lors de l'audition portant sur le renouvellement.
Alléguant que cette pratique est contraire à la Loi et à la
justice naturelle, la requérante demande l'émission d'un bref de
mandamus enjoignant le CRTC d'entendre sa demande.
Arrêt: la requête est accueillie; le Conseil doit entendre la
demande de Capital avant de renouveler la licence de Victoria.
Bien qu'il soit plus grave de dénier au titulaire d'une licence le
droit de demander un renouvellement que de ne pas accorder
une audition à un autre requérant, ni l'un ni l'autre n'ont un
droit acquis à la licence et tous deux ont le droit d'être
entendus. Le CRTC a le devoir d'entendre la requérante. Il est
possible qu'une plus grande concurrence aide le CRTC à
atteindre les objectifs énoncés à l'article 3 de la Loi sur la
radiodiffusion. Décider sans tenir une audition est contraire
aux principes fondamentaux de la justice naturelle et, bien qu'il
soit juste d'accorder la priorité au titulaire de la licence, il n'est
pas moins important de donner à d'autres la possibilité de
présenter des solutions de rechange. Des normes plus élevées en
résulteront inévitablement.
Arrêt appliqué: Confederation Broadcasting (Ottawa)
Limited c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne
[1971] R.C.S. 906.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. S. Lisson pour la requérante.
B. W. F. McLoughlin, c.r., pour l'intimé
CRTC.
A. McEachern pour l'intimée Victoria
Cablevision Limited.
PROCUREURS:
Lisson, McConnan, Bion & O'Connor, Victo-
ria, pour la requérante.
Lawrence & Shaw, Vancouver, pour l'intimé
CRTC.
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour l'inti-
mée Victoria Cablevision Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs
d'ordonnance prononcés oralement par
LE JUGE DURE: Il s'agit d'une demande de bref
de mandamus enjoignant le Conseil de la Radio-
Télévision canadienne (ci-après le CRTC) d'enten-
dre la demande de la requérante en vue d'obtenir
une licence de télévision par câble devant desservir
la région métropolitaine de Victoria. La requé-
rante estime en effet que la pratique du CRTC
d'entendre seulement une demande de renouvelle-
ment de licence, avec les interventions, et de n'en-
tendre les autres demandes portant sur ladite
licence que si la demande de renouvellement est
refusée est contraire à la Loi et aux règles de la
justice naturelle.
Vu l'urgence de l'affaire (la demande de renou-
vellement doit être entendue le 6 février 1976) et
mon horaire serré, je tenterai d'être bref et de
m'en tenir à l'essentiel.
Victoria Cablevision Ltd. (ci-après «Victoria»)
détient une licence d'exploitation d'une entreprise
de réception de radiodiffusion pour un service de
télévision par câble desservant la région métropoli-
taine de Victoria. Cette licence est valide et expire
le 31 mars 1976. Victoria en a demandé le renou-
vellement et le CRTC a fixé la date de l'audience
qui doit se tenir à Victoria (C.-B.) le 5 février
1976.
Dans son affidavit, elle affirme s'être conformée
à tous égards aux conditions de la licence qu'elle
détient actuellement.
La requérante est une entreprise de communica
tion à but non lucratif, au bénéfice de la popula
tion de la région métropolitaine de Victoria. Con-
formément à ses objectifs, elle a déposé, le 31
octobre 1975, une demande de licence d'exploita-
tion d'un câble devant desservir ladite région. Le
CRTC lui a répondu par lettre que, selon une
pratique bien établie, il n'accepte pas de demandes
lorsqu'une licence a été attribuée et vient à expira
tion, mais tient une audience publique afin de
déterminer si cette licence doit être renouvelée. S'il
décide de ne pas renouveler la licence, il examine
alors les demandes des autres parties intéressées.
Entre temps, les demandeurs peuvent déposer une
intervention en opposition à ce renouvellement.
En vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, la requérante demande l'émission d'un
bref de mandamus enjoignant le CRTC d'entendre
sa demande.
La Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider
de l'octroi d'un bref de mandamus. Il n'est pas
accordé de plein droit ni d'office. Il est accordé
afin que justice soit faite lorsqu'il existe un droit
spécifique et qu'il constitue le seul recours
possible.
L'auteur d'une demande de bref de mandamus
doit prouver son droit à l'exécution d'un devoir
légal par la personne contre laquelle il demande le
mandamus. De plus, l'objet du bref doit être clair
et l'acte dont l'exécution est demandée doit relever
d'un devoir impératif et non discrétionnaire. La
Cour devrait accorder le bref lorsqu'un droit fon-
damental important n'a pas été respecté, sans
autorisation expresse ou implicite du législateur.
L'existence d'un devoir et le refus de l'exécuter
constituent les deux éléments essentiels préalables
à l'octroi d'un bref de mandamus. En l'espèce, il
s'agit donc principalement de déterminer si le
CRTC a le devoir d'entendre la demande de la
requérante avant de renouveler la licence de Victo-
ria, une fois admis qu'il a refusé de le faire.
L'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion
énonce les objectifs de la politique de radiodiffu-
sion au Canada et déclare que la meilleure façon
d'atteindre ces objectifs consiste à confier la régle-
mentation et la surveillance du système canadien
de radiodiffusion à un seul organisme public auto-
nome, c.-à-d. le CRTC. Les paragraphes déclarent
que les fréquences sont du domaine public, que le
système de la radiodiffusion canadienne devrait
être possédé et contrôlé effectivement par des
Canadiens de façon à sauvegarder, enrichir et
raffermir la structure culturelle, politique, sociale
et économique du Canada; que tous les Canadiens
ont droit à un service de radiodiffusion dans les
langues anglaise et française, au fur et à mesure
que des fonds publics deviennent disponibles; que
la réglementation et la surveillance du système de
la radiodiffusion canadienne devraient être sou-
ples, etc.
Selon l'article 15, le Conseil doit réglementer et
surveiller tous les aspects du système en vue de
mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion
décrite à l'article 3 (précité).
L'article 17 définit les pouvoirs du CRTC,
notamment le pouvoir d'attribuer des licences de
radiodiffusion pour des périodes d'au plus cinq ans
et celui de renouveler les licences pour des périodes
d'au plus cinq ans.
En vertu de l'article 19, le CRTC doit tenir une
audition publique au sujet de l'attribution et du
renouvellement de licences, à moins que, dans ce
dernier cas, il ne soit convaincu qu'une telle audi
tion n'est pas nécessaire.
L'article 21 autorise le Conseil à établir des
règles. La Règle 3 précise que toute demande
d'octroi ou de renouvellement de licence doit être
présentée par écrit. La Règle 4 traite des audien
ces relatives aux demandes d'attribution et de
renouvellement. La Règle 13 spécifie que le seul
but des interventions est d'appuyer la demande, de
s'y opposer ou de la modifier.
La décision Confederation Broadcasting
(Ottawa) Limited c. Le Conseil de la Radio-Télé-
vision canadienne' est la plus pertinente en l'es-
pèce; la majorité de la Cour suprême du Canada a
jugé que la décision du Conseil ne pouvait être
maintenue dans la mesure où elle privait l'appe-
lante du droit de demander un autre renouvelle-
ment. Il fut arrêté que la Loi ne contenait aucune
disposition investissant le Conseil du pouvoir d'ac-
corder un renouvellement tout en déniant péremp-
toirement la qualité requise pour demander un
autre renouvellement avant l'expiration de la
période de prolongation.
Le juge Laskin (maintenant juge en chef) pré-
cise [à la page 931] que le titulaire d'une licence
n'a pas droit au renouvellement mais a le droit de
le demander, se trouvant ainsi dans une position
plus favorable que les autres. On ne dit nulle part
' [1971] R.C.S. 906.
cependant que les autres requérants ne sont pas
fondés à présenter une demande.
Qu'il soit possible ou non pour l'appelante de présenter une
nouvelle demande pour la fréquence en question, il est évident
que le requérant qui, pour obtenir une licence, doit entrer en
concurrence avec un nombre indéterminé d'autres requérants se
trouve, prima facie du moins, dans une position moins favora
ble que s'il demandait le renouvellement d'une licence en
vigueur.
A mon avis, la Loi donne au titulaire d'une licence qui n'a
pas été révoquée ou suspendue pendant sa durée d'application
le droit d'en demander le renouvellement. Le fait d'avoir qua-
lité pour obtenir une licence et de conserver cette qualité met en
cause des facteurs d'ordre économique évidents et on ne peut
refuser le droit de demander le renouvellement d'une licence
sous prétexte qu'il n'a qu'une valeur éphémère, le droit au
renouvellement n'existant pas:
De toute évidence, il est bien plus grave de
dénier au titulaire d'une licence le droit de deman-
der un renouvellement que de ne pas accorder une
audition à un autre requérant dont la demande
porte sur la même licence. Le premier a habituelle-
ment dépensé des sommes importantes pour mettre
sur pied son entreprise alors que le second a sur-
tout investi du temps et de l'énergie dans la prépa-
ration de sa demande. Ni l'un ni l'autre n'ont un
droit acquis à la licence de radiodiffusion mais, à
mon avis, tous deux ont le droit d'être entendus.
Assurément, le premier, s'il s'est conformé à tous
égards aux conditions de la licence qu'il détient, a
le droit d'être entendu en priorité, mais la Loi ne
prévoit aucunement que le second ne devrait pas
être entendu. A mon avis, le CRTC a le devoir
d'entendre sa demande avant de renouveler la
licence. Cet apport additionnel ne causera aucun
tort et le CRTC demeure libre de décider selon son
choix.
On peut même avancer qu'une plus grande con
currence aiderait considérablement le CRTC à
atteindre ses objectifs, dont ceux de «sauvegarder,
enrichir et raffermir la structure culturelle, politi-
que, sociale et économique du Canada» selon l'arti-
cle 3 de la Loi. Si le CRTC renouvelait la licence,
sans entendre les autres demandes, il pourrait
s'apercevoir trop tard qu'il a ignoré une solution
meilleure et plus acceptable, peut-être au détri-
ment des habitants de la région desservie.
Décider sans tenir une audition est contraire aux
principes fondamentaux de la justice naturelle. Il
est évidemment juste et équitable d'accorder en
priorité au titulaire d'une licence une audition dont
le but est de décider de la prolongation de son
monopole, mais il n'est pas moins important de
donner aux autres requérants, dont la demande
porte sur la même licence, la possibilité de présen-
ter des solutions de rechange et d'établir ainsi des
normes plus élevées.
Bien sûr cela pourra causer des problèmes admi-
nistratifs au CRTC mais, pour reprendre les
termes de l'article 3j) de la Loi, le Conseil devrait
adopter un mode de réglementation et de surveil
lance suffisamment «souple» pour lui permettre de
s'adapter «aisément» aux «progrès scientifiques et
techniques».
J'ordonne l'émission d'un bref de mandamus
enjoignant le Conseil de la Radio-Télévision cana-
dienne d'entendre la demande de Capital Cable
Co-operative en vue d'obtenir une licence de télévi-
sion par câble devant desservir la région métropoli-
taine de Victoria, comme le demandait l'avis intro-
ductif d'instance et ce, avant de renouveler la
licence de Victoria Cablevision Ltd.
ORDONNANCE
Est ordonnée l'émission d'un bref de mandamus
enjoignant le Conseil de la Radio-Télévision cana-
dienne d'entendre la demande de Capital Cable
Co-operative en vue d'obtenir une licence de télévi-
sion par câble devant desservir la région métropoli-
taine de Victoria, comme le demandait l'avis intro-
ductif d'instance et ce, avant de renouveler la
licence de Victoria Cablevision Ltd.
Dépens à la requérante.
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