T-876-76
In re la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2
et in re la Loi sur la citoyenneté canadienne,
S.R.C. 1970, c. C-19 et in re une demande de bref
de prohibition présentée par Robert Blaine Gray
contre H. D. Mooney, enquêteur spécial nommé
par le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration conformément au paragraphe 11(1) de la
Loi sur l'immigration et in re une enquête sur
l'immigration pendante devant H. D. Mooney,
siégeant à New Westminster (Colombie-Britanni-
que)
Division de première instance, le juge Addy—
Vancouver, les ler et 18 mars 1976.
Immigration Brefs de prérogative—Demande de prohibi
tion contre une enquête visée par l'article 25—L'enquêteur
spécial est-il compétent pour déterminer si le demandeur est
citoyen canadien? Dans le cas d'une personne née au Canada,
l'enquête relève-t-elle seulement du Secrétaire d'État?—Loi
sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 18(1)e)(ii),(iii), 25
et 26.
Une enquête intentée conformément à l'article 25 de la Loi
sur l'immigration et ajournée deux fois, n'a pas été reprise en
raison de la demande de prohibition déposée par le requérant.
Parce qu'il est né au Canada, le requérant prétend que l'enquê-
teur spécial n'est pas compétent pour déterminer s'il est citoyen
canadien et que, dans le cas d'une personne née au Canada,
seul le Secrétaire d'État peut enquêter sur cette question con-
formément aux articles 18 et 19 de la Loi sur la citoyenneté
canadienne. L'enquêteur spécial dispose d'éléments de preuve
qui peuvent démontrer que le requérant a renoncé à sa citoyen-
neté canadienne.
Arrêt: la requête est rejetée. Une enquête demandée par le
directeur de la division de l'immigration au ministère de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration, en vertu de l'article 25, et
faite conformément à l'article 26, se limite aux personnes qui
ne sont pas citoyens canadiens. Sauf dispositions législatives
contraires, il est évident que toute personne, commission, etc.
responsable d'une enquête et dont la compétence dépend de
l'existence d'un statut juridique déterminé, etc. qui à son tour
dépend de l'existence de certains faits, n'est pas seulement
compétente mais est tenue en droit de mener une enquête sur
les faits susceptibles de révéler si ledit statut existe. Le requé-
rant prétend que ce principe ne s'applique pas puisque le
Parlement a adopté les articles 18 et 19 de la Loi sur la
citoyenneté canadienne aux termes desquels seul le Secrétaire
d'État peut décider si la citoyenneté a été perdue. L'article 18
confère au Secrétaire d'État le pouvoir discrétionnaire de décla-
rer formellement qu'un citoyen a cessé de l'être. L'article 19(1)
l'autorise à soumettre la question à une commission ou à un
tribunal comme le prévoit l'article 18(3). L'article 18 ne dis- .
pose pas que, pour qu'un citoyen canadien perde sa citoyenneté,
le Secrétaire d'État doit déclarer qu'il l'a perdue. Si l'on
acceptait l'argument du requérant, on devrait conclure à l'in-
compétence d'une cour ou d'un tribunal, en dépit de l'examen,
par l'un ou l'autre, de certains droits, devoirs, etc. relatifs à la
citoyenneté et en dépit de l'importance de cet examen pour
rendre sa décision, ce qui l'obligerait à s'en remettre au pouvoir
discrétionnaire du Secrétaire d'État. De plus, une personne
intéressée ne disposerait d'aucun recours qui lui permettrait, de
plein droit, de faire trancher ce litige. Ceci pourrait conduire à
une forme d'injustice très grave, échappant à tout contrôle
judiciaire, puisque aucune cour ne pourrait examiner l'exercice
du pouvoir discrétionnaire du Ministre, prévu à l'article 18, de
ne pas décerner d'ordonnance, car ce pouvoir relèverait du
pouvoir exécutif. Le Parlement n'avait pas l'intention de subor-
donner à tous égards les prescriptions des articles 15 et 16 aux
dispositions spéciales de l'article 18. En outre, même s'il était
jugé qu'une ordonnance du Secrétaire d'État relative à la perte
de la citoyenneté lie tous les autres tribunaux, cela ne signifie-
rait pas que le Secrétaire d'État demeure, quelle que soit la
raison pour laquelle le litige doit être tranché, la seule autorité
compétente pour le faire si ce litige n'a pas encore été jugé.
Arrêts appliqués: Calgary Power Ltd. c. Copithorne
[1959] R.C.S. 24; La Commission de la Capitale natio-
nale c. Lapointe [1972] C.F. 568; Le Roi c. City of
Toronto [1946] R.C.É. 424 et Bawtinheimer c. Niagara
Falls Bridge Commission [1950] 1 D.L.R. 33.
ACTION.
AVOCATS:
D. J. Sorochan pour le requérant.
R. G. Wismer pour l'intimé.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: Après avoir reçu une requête
écrite présentée en vertu de l'article 8 de la Loi sur
l'immigration, le directeur de la division de l'im-
migration du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration a ordonné qu'un enquêteur spécial
procède, conformément à l'article 25, à une
enquête relative à l'expulsion éventuelle du requé-
rant. L'enquêteur spécial a commencé l'audition
de l'enquête prévue aux articles 26 et 27.
Après l'audition de certains témoignages, l'au-
dience a été suspendue à deux reprises et devait
reprendre le 3 mars 1976 mais ne l'a pas été par
suite de la présente demande de prohibition dépo-
sée entre-temps.
Les sous-alinéas (ii) et (iii) de l'article 18(1)e)
de la Loi sur l'immigration contiennent les disposi
tions applicables à la présente affaire.
Il ne fait aucun doute que le droit pour un
fonctionnaire à l'immigration d'établir un rapport
conformément à ces dispositions se limite aux rap
ports concernant des personnes qui ne sont pas
citoyens canadiens. Il en résulte que toute enquête
demandée par le directeur conformément à l'arti-
cle 25 et menée par un enquêteur spécial confor-
mément à l'article 26 se limite également aux
personnes qui ne sont pas citoyens canadiens.
Il est incontesté que le demandeur est né au
Canada. Se fondant sur cette situation, l'avocat du
requérant fait valoir que l'enquêteur spécial n'est
pas compétent pour décider si le demandeur est
citoyen canadien, et il prétend qu'on ne peut
enquêter sur cette question précise dans le cas
d'une personne née au Canada qu'à la suite d'une
directive du Secrétaire d'État du Canada confor-
mément aux dispositions des articles 18 et 19 de la
Loi sur la citoyenneté canadienne.
L'enquêteur spécial dispose d'éléments de
preuve qui peuvent très bien démontrer que le
requérant a renoncé à sa citoyenneté canadienne et
est devenu citoyen américain.
Sauf dispositions législatives contraires, il est
évident que toute personne, commission, conseil ou
tribunal responsable d'une enquête et dont la com-
pétence dépend de l'existence d'un statut, d'une
situation ou d'un rapport juridique déterminé qui à
son tour dépend de l'existence de certains faits,
n'est pas seulement compétent mais est tenu en
droit de mener une enquête sur les faits suscepti-
bles de révéler si le statut, la situation ou le
rapport exigés existent.
D'un autre côté, l'avocat du requérant fait valoir
que ce principe ne s'applique pas en l'espèce puis-
que le Parlement a adopté des dispositions législa-
tives spéciales, à savoir les articles 18 et 19 men-
tionnés ci-dessus de la Loi sur la citoyenneté
canadienne. Selon ces dispositions, seul le Secré-
taire d'État peut décider si la citoyenneté cana-
dienne a été perdue conformément aux articles
mentionnés ci-dessus de la Loi sur la citoyenneté
canadienne.
Voici les extraits pertinents de ces articles:
18. (1) Le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion,
ordonner que toute personne cesse d'être citoyen canadien si,
sur un rapport du Ministre, il est convaincu que cette personne
a
b) pendant qu'elle n'était pas frappée d'incapacité,
(ii) souscrit ou fait un serment, une affirmation ou une
autre déclaration d'allégeance à un pays étranger, ou
(iii) fait une déclaration de renonciation à la citoyenneté
canadienne.
(2) Avant de présenter un rapport visé au présent article, le
Ministre doit faire donner ou envoyer un avis à la dernière
adresse connue de la personne au sujet de laquelle le rapport
doit être présenté, lui fournissant l'occasion de demander que le
cas soit soumis à l'enquête ci-après prévue et, si ladite personne
fait cette demande conformément à l'avis, le Ministre doit en
conséquence renvoyer le cas pour enquête.
(5) Lorsque le gouverneur en conseil, par application du
présent article, prescrit qu'une personne cesse d'être un citoyen
canadien, l'ordonnance est exécutoire à compter du moment
que le gouverneur en conseil peut fixer; et dès lors cette
personne cesse d'être un citoyen canadien.
19. (1) Lorsque, de l'avis du Ministre, il existe un doute sur
la question de savoir si une personne a cessé d'être citoyen
canadien, le Ministre peut soumettre la question à la décision
de la commission ou de la cour mentionnée au paragraphe
18(3), et la décision de la commission ou de la cour, selon le
cas, est définitive.
Les articles 15(1) et 16 de la Loi sur la citoyen-
neté canadienne contiennent les dispositions de
fond relatives à la perte de la citoyenneté qui
peuvent s'appliquer en l'espèce. En voici le texte:
15. (1) Un citoyen canadien qui, se trouvant hors du
Canada et n'étant pas frappé d'incapacité, acquiert, par un acte
volontaire et formel autre que le mariage, la nationalité ou la
citoyenneté d'un pays autre que le Canada, cesse immédiate-
ment d'être citoyen canadien.
16. Si un citoyen canadien de naissance, à sa naissance ou
pendant sa minorité, ou un citoyen canadien, lors de son
mariage, est devenu ou devient, selon la loi de tout autre pays,
un ressortissant ou citoyen de cet autre pays et que, après avoir
atteint l'âge de vingt et un ans révolus, ou après le mariage, il
présente, pendant qu'il n'est frappé d'aucune incapacité et est
encore un tel ressortissant ou citoyen, une déclaration portant
renonciation à sa citoyenneté canadienne, il cesse immédiate-
ment d'être citoyen canadien. S.R., c. 33, art. 16.
Il m'apparaît évident que l'article 18 accorde au
Secrétaire d'État le pouvoir de déclarer formelle-
ment qu'une personne qui a été citoyen canadien a
cessé de l'être, s'il souhaite décerner une telle
ordonnance de sa propre initiative et à sa discré-
tion. Puisque la décision d'exercer ce pouvoir est
discrétionnaire et qu'elle conduit à des conséquen-
ces graves, les conditions dans lesquelles ce pouvoir
peut être exercé sont explicitement définies à l'ar-
ticle 18 et, si le Secrétaire d'État a des doutes à cet
égard, l'article 19(1) l'autorise à soumettre la
question à une Commission ou à un tribunal
comme le prévoit l'article 18(3).
L'article 18 ne dispose absolument pas que, pour
qu'un citoyen canadien perde sa citoyenneté, le
Secrétaire d'État doit déclarer qu'il l'a perdue.
Cette hypothèse entraînerait le résultat absurde
suivant: une personne qui a formellement renoncé
à sa citoyenneté et qui, sous serment, a prêté
allégeance à un autre pays et qui est même peut-
être devenu ennemi du Canada demeurerait néan-
moins citoyen canadien à la seule discrétion du
Secrétaire d'État et cette personne aurait le droit
de jouir de tous les privilèges et droits d'un citoyen
canadien jusqu'à ce que l'ordonnance soit décer-
née. En outre, puisque ce pouvoir est discrétion-
naire, si l'on accepte l'argument du requérant, on
devrait conclure à l'incompétence d'une cour ou
d'un tribunal en dépit de l'examen par cette cour
ou ce tribunal de certains droits, privilèges ou
devoirs d'un citoyen canadien et en dépit de l'im-
portance de cet examen pour sa décision. On
devrait également en conclure qu'il doit s'en
remettre à la discrétion, à l'initiative et au bon
vouloir du Secrétaire d'État qui seul serait compé-
tent pour décider si, dans les circonstances, il
souhaite trancher le litige. De plus, toute personne
intéressée pour quelque raison que ce soit à faire
trancher la question ne disposerait d'aucune voie
de droit ou de procédure judiciaire pour en obtenir
de plein droit la résolution. Elle devrait également
s'en remettre entièrement à la discrétion et au bon
vouloir du Secrétaire d'État. Ceci pourrait con-
duire à la forme d'injustice la plus grave en dehors
de tout contrôle par les tribunaux, puisque aucun
tribunal ne pourrait contrôler l'exercice d'une dis-
crétion ministérielle prévue à l'article, 18 de ne pas
décerner d'ordonnance. Un ministre de la Cou-
ronne exercerait un tel pouvoir discrétionnaire con-
formément à une loi du Parlement lui reconnais-
sant ce pouvoir discrétionnaire et ceci constituerait
par conséquent l'exercice d'un pouvoir exécutif.
Voir: Calgary Power Ltd. c. Copithorne [1959]
R.C.S. 24; Bawtinheimer c. Niagara Falls Bridge
Commission [1950] 1 D.L.R. 33; La Commission
de la Capitale nationale c. Lapointe [1972] C.F.
568, et Le Roi c. City of Toronto [1946] R.C.É.
424.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, et en l'absence
de toute déclaration à cette fin dans l'article 18 de
la Loi sur la citoyenneté canadienne, je ne puis
conclure, ainsi que m'y a invité l'avocat du requé-
rant, que le Parlement avait l'intention de subor-
donner à tous égards les prescriptions des articles
15 et 16 aux dispositions spéciales de l'article 18 et
d'accorder ainsi au Secrétaire d'État compétence
exclusive pour décider si en droit une personne qui
était citoyenne canadienne a cessé de l'être. Même
s'il était jugé qu'une ordonnance ou une déclara-
tion du Secrétaire d'État relative à la perte de la
citoyenneté canadienne lie à toutes fins, en fait et
en droit, toutes les autres cours, tribunaux, conseils
ou commissions, cela ne signifierait pas qu'il
demeure, quelle que soit la raison pour laquelle le
litige doit être tranché, la seule autorité compé-
tente pour le faire lorsque la question n'a pas
encore été jugée.
La demande est rejetée avec dépens.
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