A-371-75
La Reine (Appelante)
c.
Rockmore Investments Ltd. (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, les
ler et 2 avril 1976.
Impôt sur le revenu—Déduction accordée aux petites entre-
prises—Sens de revenu tiré d'une entreprise exploitée active-
ment—Compagnies associées qui investissent dans des hypo-
thèques—S'agit-il «d'une entreprise exploitée activement au
Canada»? Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c.
63, art. 3a), 125, 129, 248.
L'intimée et deux autres compagnies, soit M.R.T. et E.S.G.,
ont été constituées en vue d'investir dans des hypothèques.
MM. Godet et Reinhart sont les propriétaires de M.R.T. et de
Rockmore, et les gèrent toutes les trois. La plupart des prêts
consentis par les compagnies se font par des agents indépen-
dants. L'intimée a interjeté appel contre sa cotisation auprès de
la Division de première instance, tandis que l'appelante a fait
valoir qu'en 1972, ces compagnies n'exploitaient pas une entre-
prise active selon le sens prévu à l'article 125. Les appels
interjetés par Rockmore et M.R.T. ont été accueillis parce
qu'on a considéré que le revenu de 1972 était «tiré d'une
entreprise exploitée activement au Canada» au sens de l'article
125(1). L'appelante a interjeté appel.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il faut décider en premier lieu s'il y a
une «entreprise», terme qui est défini à l'article 248. L'article
3a) explique qu'il faut distinguer entre un simple investisse-
ment dans un bien et «un projet comportant un risque ... de
caractère commercial» ou un «commerce» au sens donné à ces
expressions à l'article 248. Par ailleurs, il faut résoudre tout
problème qui résulte de la question de savoir si une entreprise
est exploitée à la lumière des faits particuliers à chaque affaire.
Il n'existe aucune raison de modifier la conclusion du juge de
première instance. En second lieu, sur la question de savoir si
l'«entreprise» était «exploitée activement,, il faut une fois de
plus aborder chaque affaire à la lumière des circonstances.
L'expression n'a pas pour but d'exclure une entreprise dont les
activités sont totalement suspendues car l'article 125(1)a)(i)
parle de «revenu ... tiré d'une entreprise exploitée activement»
et il faut supposer que l'expression «exploitée activement» visait
à exclure des entreprises exerçant une activité suffisante pour
procurer un revenu.
Arrêt examiné: Clevite Development Limited c. M.R.N.
[1961] R.C.É. 296.
APPEL.
AVOCATS:
G. W. Ainslie, c.r., et T. W. Ocrane pour
l'appelante.
A. Gauthier et M. Noël pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Verchère, Primeau & Gauthier, Montréal,
pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
d'un jugement de la Division de première instance'
accueillant un appel contre la cotisation de l'inti-
mée en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur
le revenu pour l'année d'imposition 1972 et ren-
voyant cette cotisation au ministre du Revenu
national pour nouvelle cotisation aux motifs que le
revenu de l'intimée au cours de cette année-là
constituait un revenu «tiré d'une entreprise exploi-
tée activement au Canada» au sens donné à ces
mots dans la partie de l'article 125(1) de la Loi
précitée dont voici le texte:
125. (1) Une corporation, qui a été pendant toute l'année
une corporation privée dont le contrôle est canadien, peut
déduire de l'impôt payable par ailleurs pour une année d'impo-
sition, en vertu de la présente Partie, une somme égale à 25%
du moins élevé des montants suivants:
a) la fraction, si fraction il y a,
(i) de la totalité des sommes qui constituent chacune le
revenu de la corporation pour l'année, tiré d'une entreprise
exploitée activement au Canada,
qui est en sus de
(ii) la totalité des sommes qui constituent chacune une
perte de la corporation pour l'année, provenant de l'exploi-
tation d'une entreprise exploitée activement au Canada,
Si j'ai bien compris, l'avocat de l'appelante a
fait essentiellement valoir dans sa plaidoirie très
habile que
a) l'allégement de l'impôt sur le revenu des
sociétés privées dans la Partie I de la Loi de
l'impôt sur le revenu se trouve, pour ce qui est
du revenu tiré d'entreprises actives, à l'article
125 et, pour ce qui est du revenu d'autres entre-
prises, à l'article 129;
b) une étude de dispositions des articles 125 et
129 montre qu'il faut voir dans l'expression
«entreprise exploitée activement» une limitation
' Voir M.R.T. Investments Ltd. c. La Reine [1976] 1 C.F.
126.
pour mettre en oeuvre l'intention du Parlement;
et
c) une telle limitation représente ou comprend
(je ne sais pas quelle expression convient) une
exclusion de l'idée d'entreprise exploitée active-
ment pour toutes les entreprises qui accordent
des prêts hypothécaires.
L'avocat a déclaré que l'application de ces articles
a donné lieu à de nombreuses difficultés et que
bien des questions sont maintenues en suspens
dans l'espoir que la décision rendue dans cette
affaire donne des indications.
La tâche de l'avocat n'était pas facile, car l'éco-
nomie des dispositions en question, entre autres, ne
rend pas leur raison d'être accessible au profane.
Je me suis efforcé de suivre l'avocat qui s'est
attaché à montrer que le Parlement voulait limiter
dans une certaine mesure l'étendue des mots
«entreprise exploitée activement» sans le mention-
ner expressément, mais je dois avouer que je suis
tout à fait incapable de déceler une telle intention
de la part du Parlement.
Pour savoir si une entreprise est «exploitée acti-
vement» aux fins de la Partie I, il faut décider en
premier lieu s'il y a une «entreprise» au sens de ce
mot. L'article 248 dispose que ce mot, lorsqu'il est
utilisé dans la Loi de l'impôt sur le revenu, com-
prend «une profession, un métier, un commerce,
une manufacture ou une activité de quelque genre
que ce soit» et «un projet comportant un risque ou
une affaire de caractère commercial» mais ne com-
prend «pas une charge ni un emploi». De plus, le
contraste qui apparaît à l'article 3a) de la Loi
entre «entreprise» et «bien» en tant que source de
revenu explique à mon avis qu'il faut distinguer
aux fins de la Loi entre un simple investissement
dans un bien (y compris des hypothèques) pour en
tirer un revenu et une activité ou des activités qui
constituent «un projet comportant un risque ou une
affaire de caractère commercial» ou un «com-
merce» au sens donné à ces expressions par l'article
248 (précité). En dehors de ces dispositions, il
n'existe aucun motif particulier à ma connaissance
dont il faut tenir compte d'un point de vue juridi-
que pour décider si une activité ou une situation
constitue l'exploitation d'une entreprise aux fins de
la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Compte tenu de cela, il faut résoudre tout problè-
me qui résulte de la question de savoir si une
entreprise est ou a été exploitée comme une ques
tion de fait à la lumière des circonstances de
chaque affaire particulière.
En l'espèce, je ne vois aucune raison de modifier
la conclusion de la Division de première instance
selon laquelle les activités de l'intimée, attentive-
ment analysées par le savant juge de première
instance, constituent l'exploitation d'une entreprise
de prêts d'argent.
Parvenu à cette conclusion, la seconde question
à laquelle il faut répondre est de savoir si l'entre-
prise exploitée était une entreprise «exploitée acti-
vement» selon l'esprit de l'article 125. Évidem-
ment, l'expression entreprise «exploitée active-
ment» n'a pas pour but d'exclure une entre-
prise dont les activités sont totalement suspendues
car l'article 125(1)a)(i) parle de «revenu ... tiré
d'une entreprise exploitée activement» et il faut
supposer que l'expression «exploitée activement»
visait à exclure des entreprises exerçant au cours
de l'année une activité suffisante pour procurer un
revenu. 2 Qui plus est, il me semble qu'on ne peut
rien dire de façon générale, à ce stade, sur le sens
attribué à l'expression «exploitée activement» par
l'article 125(1)a)(i). 3 L'enquêteur doit aborder
chaque affaire à la lumière des circonstances de
celle-ci. L'application de la disposition pourra
révéler si l'on peut tirer de la Loi d'autres conclu
sions générales sur la façon d'appliquer l'expres-
sion entreprise «exploitée activement». A l'heure
actuelle, je ne puis le faire moi-même.
En ce qui concerne la présente affaire, je suis
d'accord avec le savant juge de première instance
pour dire que l'intimée, selon les éléments de
preuve, «exploitait activement une entreprise au
cours de l'année 1972» et dans les circonstances, je
suis d'avis que son revenu pour cette année-là
constituait donc «un revenu ... tiré d'une entre-
prise exploitée activement».
2 Comparer avec Clevite Development Limited c. M.R.N.
[1961] R.C.É.296.
3 A la lecture de l'article 125(1)a)(i), la question est de
savoir si «l'entreprise» est «exploitée activement» et la question
de savoir dans quelle mesure le propriétaire a participé aux
activités de l'entreprise ne semblerait pas pertinente. Cela me
semblerait aller de soi et cet article n'énonce pas de principe
général.
A mon avis, il y a lieu de rejeter l'appel avec
dépens.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
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