T-3826-74
La Reine (Demanderesse)
c.
Stuart House Canada Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Toronto, le 12 janvier; Ottawa, le 19 janvier 1976.
Douanes et accise—La défenderesse coupe du papier d'alu-
minium, l'enroule de nouveau et l'emballe—S'agit-il d'une
«production» de papier d'aluminium? Loi sur la taxe d'ac-
cise, S.R.C. 1970, c. E-13.
La défenderesse reçoit des rouleaux de papier d'aluminium
qu'elle coupe et enroule de nouveau sur des tubes de carton. Les
boîtes dans lesquelles sont emballés ces rouleaux sont pré-
imprimées, plissées et munies d'une lame tranchante. La défen-
deresse forme les boîtes et en colle les parois pour les fermer.
On y place alors un rouleau de papier d'aluminium et le produit
est mis sur le marché. Cette activité constitue-t-elle de la
production?
Arrêt: l'action est rejetée. L'expression appliquée dans des
cas semblables est: «de nouvelles formes, qualités et propriétés
ou combinaisons». La défenderesse n'a pas modifié la forme ni
les qualités ni les propriétés du papier d'aluminium. Ces termes
devraient être considérés globalement; ils s'appliquent à tous les
arrêts où l'on a jugé qu'une activité constituait une production
ou fabrication au sens de la Loi sur la taxe d'accise. Les deux
seuls mots de cette expression pouvant être considérés séparé-
ment sont «propriétés» et «combinaisons». Il doit donc y avoir
une modification de la forme, des qualités et des propriétés ou
de la forme, des qualités et des combinaisons pour qu'il y ait
fabrication ou production au sens ordinaire de ces mots. Il
serait contraire au sens ordinaire du terme «produit» de décider
que la défenderesse produit du papier d'aluminium parce
qu'elle l'emballe dans des contenants plus petits et plus prati-
ques, le rendant ainsi plus facile à commercialiser. On ne peut
non plus parler de production, à l'égard de l'activité de moindre
importance. qui consiste à placer dans un nouvel emballage les
gros rouleaux de papier non coupé et à les traverser d'une tige
afin de les vendre aux restaurants car, le papier n'étant pas
coupé, on y effectue encore moins de travail.
Arrêts appliqués: Le Roi c. Vandeweghe Limited [1934]
R.C.S. 244; La Reine c. York Marble, Tile and Terrazzo
Limited [1968] R.C.S. 140; Commission hydro-électrique
de Québec c. Le sous-M.R.N. [1970] R.C.S. 30; La Reine
c. E. J. Piggott Enterprises Ltd. 73 DTC 5013; La Reine c.
Canadian Pacifie Railway Company [1971] R.C.S. 821 et
Consumers' Gas Company c. Le sous-M.R.N. (1975) 6
N.R. 602, Arrêt approuvé: Gruen Watch Company of
Canada Limited c. Le procureur général du Canada
[1950] O.R. 429.
ACTION.
AVOCATS:
G. R. Garton pour la demanderesse.
C. Campbell pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Il s'agit en l'espèce de détermi-
ner si la défenderesse est assujettie à la taxe
d'accise en tant que fabricant ou producteur de
papier d'aluminium. Si tel est le cas, le montant dû
n'est pas contesté, les parties ayant convenu que le
montant total de la taxe, y compris l'amende cal-
culée au 31 janvier 1976, atteint $19,974.26, soit
$17,263.05 de taxe et $2,711.21 d'amende.
Les parties ayant soumis un exposé conjoint des
faits (annexé aux présentes)*, aucun témoignage
ne fut rendu à l'audience. Il n'y a donc aucune
question de fait à trancher.
D'après l'exposé conjoint des faits, il est évident
que la seule activité de la défenderesse consiste à
couper le papier d'aluminium et à l'enrouler de
nouveau sur des tubes de carton. Les boîtes dans
lesquelles sont emballés ces tubes de papier d'alu-
minium sont pré-imprimées, plissées pour être
pliées et munies d'une lame tranchante. La défen-
deresse plie ces feuilles selon les plis, leur donne la
forme d'une boîte et en colle les parois pour les
fermer. On y place alors un rouleau de papier
d'aluminium et le produit terminé est mis sur le
marché.
Il est important de remarquer que le papier
d'aluminium est livré à la défenderesse dans des
rouleaux de deux largeurs, soit douze pouces et
dix-huit pouces, et que seule la longueur et non la
largeur du papier est modifiée.
D'après un principe bien établi, les mots «pro-
duction» et «fabrication» n'ont pas un sens précis et
l'on peut considérer qu'une chose a été produite
sans être fabriquée. Voir Le Roi c. Vandeweghe
Limited 1 et, plus particulièrement, Gruen Watch
Company of Canada Limited c. Le procureur
* [L'exposé conjoint des faits n'est pas reproduit—L.]
' [1934] R.C.S. 244, la page 248.
général du Canada 2 où le juge McRuer
(J.C.H.C.) a déclaré à la page 442:
[TRADUCTION] Je ne peux conclure que le simple fait de
placer un mouvement de montre dans un boîtier consiste à
«fabriquer» une montre au sens «usuel et habituel» du terme,
mais je crois qu'il est clair que la demanderesse «produit» des
montres «adaptées à des usages domestiques ou personnels». Il
est possible, comme le prétend l'avocat des demanderesses, que
le mouvement importé dans un boîtier de fer blanc ou d'alumi-
nium compte les heures et puisse servir de montre. Mais cela
comporterait beaucoup d'inconvénients. Il ne s'agirait pas d'une
montre «adaptée à des usages domestiques ou personnels» au
sens usuel et habituel de ces termes et le mouvement contenu
dans un boîtier en aluminium ne pourrait être vendu comme tel.
La Cour suprême du Canada a approuvé cet
énoncé dans l'arrêt La Reine c. York Marble, Tile
and Terrazzo Limited 3 où le juge Spence, rendant
le jugement de la Cour, a déclaré à la page 147:
[TRADUCTION] ... je souscris au raisonnement du juge
McRuer, juge en chef de la Haute Cour, dans l'arrêt Gruen
Watch Co. c. Le procureur général du Canada, selon lequel un
article peut être «produit» sans être «fabriqué». Dans cette
affaire, bien qu'il lui ait été impossible de conclure que le
simple fait de placer le mouvement dans le boîtier consistait à
fabriquer la montre, il a pu facilement décider que cette
opération consistait à produire une montre.
En l'espèce, le litige ne porte pas sur la fabrica
tion mais la production de papier d'aluminium par
la défenderesse.
Il s'agit donc simplement de déterminer si l'acti-
vité de la défenderesse constitue une production du
papier d'aluminium. L'avocat de la demanderesse
a cité plusieurs arrêts. Dans l'affaire Gruen Watch
Co., précitée, la demanderesse importait des mou-
vements de montre et les plaçait dans un boîtier; il
fut jugé qu'il s'agissait de production de montres.
Toutefois, il convient de remarquer que la deman-
deresse ne recevait pas des montres mais des mou-
vements et des boîtiers et qu'un objet différent
résultait de son intervention, c'est-à-dire des mon-
tres terminées. A la page 442 du rapport judiciaire
susmentionné, le juge McRuer (J.C.H.C.)
déclarait:
[TRADUCTION] Je conclus donc qu'aux fins de la Loi sur la taxe
d'accise, les mouvements de montre importés ne constituent pas
des montres.
z [1950] O.R. 429.
3 [1968] R.C.S. 140.
On ne peut évidemment pas en dire de même
pour le papier d'aluminium: le papier vendu était
le même que celui qu'on avait reçu.
De même, dans l'affaire Le Roi c. Vandeweghe
Limited, précitée, à la page 248, on recevait des
fourrures ou des peaux non apprêtées et produisait
des fourrures taillées et teintes. Dans l'affaire
York Marble, précitée, le contribuable procédait
aux opérations suivantes sur des tranches de
marbre: ces dernières étaient appareillées, masti-
quées, renforcées de tiges métalliques, recollées,
émeulées, polies sommairement puis finement, tail-
lées et le bord en était fini. Ces opérations sont
entièrement décrites aux pages 143 et 144 du
recueil susmentionné. Il n'existe pas le moindre
doute, d'après les faits, que le contribuable produi-
sait un article différent du marbre brut.
Dans l'arrêt Commission hydro-électrique de
Québec c. S.M.R.N. 4 , on procédait à la transfor
mation de l'électricité d'un courant alternatif à ce
que la Commission du tarif a décrit comme suit
dans sa conclusion, aux pages 33 et 34:
[TRADUCTION] Par induction électromagnétique, provoquée
par l'énergie électrique du courant alternatif primaire, un
nouveau courant alternatif distinct se produit dans l'enroule-
ment secondaire d'un transformateur. Le courant dans le cir
cuit secondaire diffère ordinairement, non dans le nombre de
watts ou de périodes, mais dans le nombre de volts et
d'ampères.
La Cour suprême du Canada s'est bien sûr
appuyée sur cette constatation de fait pour accueil-
lir l'appel de la Cour de l'Échiquier et rétablir la
décision de la Commission du tarif. Le juge
Abbott, rendant l'opinion de la majorité de la Cour
(le juge Pigeon étant dissident), a cité l'extrait
suivant à la page 34:
[TRADUCTION] Étant donné que c'est grâce au procédé de
transformation en question que l'énergie électrique devient
utilisable par le client, il faut considérer que cette transforma
tion fait partie intégrante du procédé de fabrication ou de
production de l'électricité. [C'est moi qui souligne.]
A mon avis, le mot «devient» porte sur la nature
même du produit qui, avant de subir la «transfor-
mation» ne pourrait être utilisé par le consomma-
teur. Cette distinction fondamentale devient
encore plus évidente dans la récente décision de la
Cour suprême du Canada, dans l'affaire The Con
" [ 1970] R.C.S. 30.
sumers' Gas Company c. S.M.R.N. 5 , non encore
publiée, où la Cour, approuvant la conclusion de la
Commission du tarif et de la Cour d'appel fédé-
rale, a jugé que l'arrêt Hydro -Québec, précité,
n'était pas applicable. Cette distinction est fondée
sur le fait qu'il ne s'agissait que d'une modification
de la pression des pipelines et que le rôle de la
compagnie appelante consistait [TRADUCTION]
"simplement à acheminer le gaz, le transporter ou
le conduire des pipelines à pression plus élevées
aux pipelines à pression moindre, et non à produire
un nouveau courant à voltage différent, ce qui était
la fonction des transformateurs, comme l'indique
l'arrêt Hydro -Québec." (Le juge Pigeon, à la page
2 des motifs.) En d'autres mots, à la suite de
l'intervention de l'appelante, la nature du gaz, sa
forme, ses propriétés et qualités n'étaient aucune-
ment modifiées.
Une autre décision traite de cette question, il
s'agit de l'arrêt La Reine c. E. J. Piggott Enter
prises Ltd.' Cette affaire porte sur la production
de cartouches avec bande magnétique. La bobine
et les divers éléments la composant pouvaient être
achetés séparément des cartouches les contenant.
Ces éléments consistaient en une pièce supérieure
et une pièce inférieure formant le contenant, une
bobine, un tampon presseur et un ressort. Ces
pièces étaient fixées les unes aux autres par une
vis. Après l'assemblage des pièces de la cartouche,
la bande magnétique était enroulée sur la bobine
de la cartouche et le tout était vendu sous le nom
de cartouche Ferropak. La défenderesse était
engagée dans une autre activité qui consistait à
enregistrer de la musique d'ambiance; elle utilisait
un original et le reproduisait sur des bandes vier-
ges (en d'autres termes, elle faisait des copies à
partir d'un original). Après la première opération,
la bande ne pouvait être utilisée à moins d'être
placée dans la cartouche et après la seconde, il
était bien évident qu'une bande contenant un enre-
gistrement musical était différente d'une bande
vierge. A la suite de chacune de ces opérations, un
nouveau produit était créé, ayant une nouvelle
forme, de nouvelles qualités et de nouvelles
propriétés.
De même, dans l'affaire La Reine c. Canadian
Pacific Railway Company', l'intimée faisait
5 (1975) 6 N.R. 602.
6 73 DTC 5013.
7 [1971] R.C.S. 821.
imprégner de créosote des traverses dans le but de
prolonger leur durée d'environ vingt-cinq ans. Les
traverses étaient aussi percées aux endroits qui
devaient recevoir les crampons. La Cour jugea que
les traverses avaient acquis de nouvelles formes,
qualités et propriétés et constituaient donc des
marchandises fabriquées ou, du moins, produites
au sens ordinaire de ce terme.
L'expression «de nouvelles formes, qualités et
propriétés ou combinaisons» n'a pas seulement été
employée dans cette décision mais aussi dans d'au-
tres affaires comme, par exemple, La Reine c.
Piggott Enterprises Ltd., précitée, à la page 5019
et York Marble Tile, précitée, à la page 145.
Je ne partage pas l'opinion de l'avocat de la
demanderesse selon laquelle ces mots doivent être
employés séparément et je ne pense pas non plus
que l'on puisse considérer que le papier d'alumi-
nium coupé acquiert une nouvelle forme. La qua-
lité et les propriétés du papier n'ont certes pas été
modifiées. Eu égard à ma conclusion selon laquelle
la demanderesse n'a pas modifié la forme ni les
qualités ni les propriétés des marchandises, il ne
m'est peut-être pas nécessaire de décider si les
termes de cette expression doivent être considérés
séparément ou globalement. Je tiens tout de même
à préciser qu'à mon avis, ils devraient être considé-
rés globalement: l'expression s'applique intégrale-
ment à tous les arrêts auxquels on m'a référé et à
ceux que j'ai retracés où l'on a jugé que le contri-
buable fabriquait ou produisait un article au sens
de la Loi sur la taxe d'accise'. Les deux seuls
termes de cette expression pouvant être considérés
séparément sont les mots «propriétés» et «combi-
naisons»; il doit donc y avoir une modification de la
forme, des qualités et des propriétés des marchan-
dises ou de la forme, des qualités et des combinai-
sons des marchandises utilisées pour qu'il y ait
fabrication ou production au sens ordinaire de ces
mots. Je ne me réfère pas bien sûr aux cas où la
Loi indique clairement que certaines opérations
sont assujetties à la taxe.
Selon un principe bien établi, une loi assujettis-
sant à l'impôt devrait être strictement interprétée à
l'encontre de l'autorité qui prélève l'impôt et, bien
s S.R.C. 1970, c. E-13.
que l'on doive considérer que le mot «produit» a été
employé dans son sens courant, j'estime qu'il serait
contraire au sens ordinaire de ce terme de décider
qu'en l'espèce la défenderesse produit du papier
d'aluminium simplement parce qu'elle l'emballe
dans des contenants plus petits et plus pratiques,
qui permettent de couper le papier sans ciseaux, et
qu'elle a ainsi rendu le produit plus facile à com-
mercialiser ou à vendre au consommateur ordi-
naire que s'il était vendu sous sa forme initiale, en
rouleaux de 450 pieds ou de 900 pieds, pesant
approximativement 100 livres.
En ce qui concerne l'autre activité de la défende-
resse, mentionnée dans l'exposé conjoint des faits,
comparativement moins importante (environ 5
pour cent), et qui consiste à placer dans un nouvel
emballage les gros rouleaux de papier non coupé et
à les traverser d'une tige, afin de les vendre sur le
marché des restaurants, j'estime qu'on y effectue
encore moins de travail car le papier n'est pas
coupé, et que cette activité ne constitue pas une
production de papier d'aluminium.
Pour ces motifs, l'action est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.