T-2695-75
Irving Refining Limited (Requérante)
c.
Le Conseil des ports nationaux (Intimé)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 12 janvier; Ottawa, le 29 janvier
1976.
Pratique—Parties—Le bail prévoit que le locataire pourra
présenter, dans un délai de 90 jours, une demande de détermi-
nation du loyer—Les procédures auraient-elles dü être enga
gées contre la Reine par voie d'action?—Loi sur la Cour
fédérale, art. 17(2) et (3) et Règles 319 et 332(5)—Loi sur le
Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8, art. 3(2) et
(3).
Un bail prévoyait qu'après avoir été avisé d'une augmenta
tion de loyer, le locataire pouvait, dans les 90 jours, demander à
la Cour fédérale de déterminer le loyer approprié. L'avis est
daté du 22 avril 1975; la requérante prétend l'avoir reçu le 6
mai et les présentes procédures ont été engagées le 1°' août.
Sans prétendre que la requérante n'a pas respecté le délai,
l'intimé soutient que (1) les procédures auraient dû être enga
gées contre la Reine et que (2) la requérante aurait dû procéder
par voie d'action introduite par une déclaration plutôt qu'au
moyen d'une requête présentée en vertu de la Règle 319. Si l'un
de ces deux moyens est accueilli, le délai accordé à la requé-
rante sera expiré, et cette dernière demande l'autorisation de
faire les modifications qui s'imposent.
Arrêt: la requête est accueillie. (1) La Cour a compétence en
vertu de l'article 17(2) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale. Le
contrat a été conclu entre Irving et le Conseil des ports natio-
naux, de- par sa loi constitutive un corps constitué et politique,
mandataire de la Couronne, habile à passer des contrats ainsi
qu'à ester en justice en son propre nom. On aurait pu engager
les procédures contre la Reine représentée par le Conseil des
ports nationaux mais le fait de les engager directement contre
le Conseil ne cause aucun préjudice. (2) Le bail prévoit la
présentation d'une «demande» à la Cour; il semble que les
parties voulaient que la Cour fixe le loyer après avoir entendu
la preuve et les plaidoiries. Bien qu'il faudrait soumettre un
affidavit à l'appui plus détaillé, la Règle 319 prévoit que la
partie adverse peut aussi déposer des affidavits et qu'avec
l'autorisation de la Cour, un témoin peut être cité. Rien n'em-
pêche, avec l'autorisation de la Cour, de présenter la preuve
nécessaire, sans préjudice à aucune des parties, à l'occasion
d'une simple requête. Si la demande de la requérante était
rejetée à ce stade des procédures, il lui serait impossible de
demander à la Cour de juger sa demande au fond, comme les
parties l'avaient prévu.
Arrêts appliqués: North Shipping and Transportation
Limited c. Le Conseil des Ports nationaux [1969] 1
R.C.É. 12; Hunt c. La Reine [1967] 1 R.C.É. 101; Alad-
din Industries Inc. c. Canadian Thermos Products Limited
[1973] C.F. 942 et Re Coles and Ravenshear [1907] 1
K.B. 1.
REQUÊTE.
AVOCATS:
C. Blondeau pour la requérante.
J. C. Ruelland pour l'intimé.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour
la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Dans la présente demande, la
requérante conteste une augmentation de loyer que
veut lui imposer l'intimé à compter du ler mai
1975 pour la location de certains droits dont celui
d'exploiter un pipe-line dans le port de Saint-Jean,
en vertu d'un bail datant du ler mai 1965. Ledit
bail prévoit un loyer annuel de $200 du l e ` mai
1965 au 30 avril 1970, de $279 du ler mai 1970 au
30 avril 1975 et, pour la période du ler mai 1975
au 30 avril 1980, prévoit que le Conseil peut en
modifier le montant en vertu du paragraphe B de
la clause d'interprétation qui stipule que:
[TRADUCTION] le Conseil pourra fixer un loyer différent dans
les six mois du début de la période et, si nécessaire, le loyer
s'appliquera rétroactivement au début de la période.
et ajoute que, si le taux est supérieur au taux
précédent,
[TRADUCTION] Sa Majesté du chef du Canada, représentée par
le Conseil, d'une part, et le locataire, d'autre part, conviennent
que ce dernier pourra demander à la Cour fédérale de détermi-
ner le montant approprié du loyer pour la période en cause.
et plus loin:
[TRADUCTION] En tout état de cause, le loyer fixé par le
Conseil sera applicable et liera le locataire à moins que, dans
les 90 jours de la signification par le Conseil du loyer ainsi fixé,
le locataire ne présente à la Cour fédérale une demande de
détermination dudit loyer.
La décision de la Cour fédérale fixant le nouveau
taux est sans appel.
Un autre article du bail prévoit que «Cour fédé-
rale» désigne la «Division de première instance de
la Cour fédérale du Canada».
Le 22 avril 1975, l'intimé avisait la requérante
d'une augmentation du loyer pour la période du ler
mai 1975 au 30 avril 1980, raison de 12¢ le pied
en fonction du diamètre du pipe-line; le loyer
passait donc de $279 $558 par année, soit le
double. La requérante prétend avoir reçu cette
lettre le 6 mai 1975. Les présentes procédures, par
lesquelles on demande à la Cour fédérale de fixer
le montant du loyer, ont été engagées le ler août
1975.
Dans son opposition à la demande, l'intimé ne
prétend pas que l'avis de l'augmentation de loyer
doit être considéré comme datant du 22 avril 1975,
date inscrite sur la lettre, plutôt que du 6 mai
1975, date de sa réception par la requérante, et
qu'en conséquence, les procédures en l'espèce,
engagées le ler août 1975, ne respectent pas le
délai de 90 jours pour interjeter appel devant la
Cour fédérale, de telle sorte que le taux de location
fixé par le Conseil devient obligatoire; il fonde son
opposition sur deux motifs seulement. Il prétend en
premier lieu, que les procédures auraient dû être
engagées contre Sa Majesté la Reine et non contre
le Conseil des ports nationaux et, en second lieu,
que la requérante aurait dû procéder par voie
d'action introduite par une déclaration plutôt
qu'au moyen d'une simple requête présentée en
vertu des dispositions de la Règle 319 des Règles
de la Cour fédérale. Toutefois, si l'un des moyens
avancés par l'intimé est accueilli, le délai de 90
jours accordé à la requérante pour introduire des
procédures sera certainement expiré; pour ce
motif, la requérante prétend que si l'on conclut que
les procédures auraient dû être engagées contre
une autre partie que l'intimée ou qu'elles auraient
dû l'être au moyen d'une action et non d'une
requête, la Cour devrait autoriser les modifications
qui s'imposent pour pallier à ce problème puis-
qu'un rejet des procédures priverait la requérante
de tout recours.
En ce qui concerne le premier motif d'opposi-
tion, la Cour a compétence en vertu de l'article
17(3) de la Loi sur la Cour fédérale pour entendre
et juger la question suivante:
a) le montant à payer lorsque la Couronne et une personne
ont convenu par écrit que la Couronne ou cette personne paie
un montant devant être déterminé
(i) par la Cour fédérale.
Le contrat de location en cause n'a pas été conclu
entre la Couronne et Irving Refining Ltd., mais
entre le Conseil des ports nationaux et ladite
compagnie. Voici le texte de l'article 3(2) de la Loi
sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c.
N-8:
3. (2) Le Conseil est un corps constitué et politique, et, pour
les fins de la présente loi, il est et est censé être mandataire de
Sa Majesté du chef du Canada.
Et le paragraphe (3):
(3) Le Conseil est habile à passer des contrats ainsi qu'à
ester en justice en son propre nom.
Le contrat de location stipule que (comme il est dit
ci-dessus) lorsqu'on fixera le montant de
l'augmentation:
[TRADUCTION] Sa Majesté du chef du Canada, représentée par
le Conseil, d'une part, et le locataire, d'autre part, conviennent
que ce dernier pourra demander à la Cour fédérale de détermi-
ner le montant approprié du loyer pour la période en cause.
S'il subsistait des doutes quant à la compétence de
la Cour, il suffirait de se reporter à l'article 17(2)
qui confère à la Division de première instance la
compétence dans tous les cas «où la demande
découle ou est née d'un contrat passé par la Cou-
ronne ou pour son compte».
On aurait pu engager les procédures contre Sa
Majesté la Reine, représentée par le Conseil des
ports nationaux, mais le fait de les engager,
comme en l'espèce, directement contre le Conseil
n'a causé, à mon avis, aucun préjudice, compte
tenu des dispositions de l'article 3(3) (précité) de
la Loi sur le Conseil des ports nationaux; je ne
peux non plus conclure que la Cour n'a pas compé-
tence pour connaître des procédures engagées
contre le Conseil plutôt que contre Sa Majesté la
Reine. (Voir North Shipping and Transportation
Limited c. Le Conseil des Ports nationaux [1969]
1 R.C.É. 12, la page 18 qui renvoie à Hunt c. La
Reine [1967] 1 R.C.É. 101, la page 102.)
Je considère plus sérieux le moyen selon lequel
les procédures en l'espèce auraient dû être intro-
duites sous forme d'action, ce qui aurait permis la
présentation de demandes de précisions, la tenue
d'interrogatoires préalables et la définition du
point en litige pour l'audition au fond, de manière
à fournir à la Cour toute la preuve nécessaire aux
fins de la détermination du montant du loyer.
Cependant, le contrat de location permet au loca-
taire de «demander à la Cour fédérale de détermi-
ner le montant approprié du loyer» et spécifie plus
loin que la demande du locataire à cette fin doit
être présentée dans les 90 jours de l'avis d'augmen-
tation. Le terme «demande» n'a pas de signification
juridique spéciale et, bien que n'excluant probable-
ment pas les procédures introduites par voie de
déclaration, son acception courante l'associe cer-
tainement davantage avec une demande moins for-
melle telle qu'une pétition ou une requête, d'autant
plus qu'il semble que les parties voulaient simple-
ment que la Cour fédérale fixe le loyer approprié
après avoir entendu la preuve et les plaidoiries des
parties à cet égard. La Règle 319, dont s'autorise
la requête, prévoit qu'elle doit «être appuyée par
un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se
fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dos
sier». L'affidavit à l'appui de la présente requête,
certifiant simplement que tous les faits allégués
sont vrais ne fournit évidemment aucune raison
pour laquelle le loyer n'aurait pas dû être porté à
$558 par année et n'indique pas ce que serait un
loyer approprié; il faudrait certainement soumettre
un ou plusieurs affidavits plus détaillés avant que
la Cour possède suffisamment de preuves lui per-
mettant de rendre une décision à cet égard. Ladite
Règle prévoit également que la partie adverse peut
aussi déposer des affidavits et qu'avec l'autorisa-
tion de la Cour, un témoin peut être appelé à
témoigner en séance publique. La Règle 332(5)
autorise le contre-interrogatoire d'une partie au
sujet de son affidavit. Cette procédure est souvent
employée lorsqu'on demande des injonctions en
matière de propriété industrielle; donc, rien n'em-
pêche vraiment, avec l'autorisation de la Cour, de
présenter la preuve nécessaire, sans préjudice à
aucune des parties, à l'occasion d'une simple
requête comme à l'occasion d'une action engagée
de la façon habituelle par le dépôt d'une
déclaration.
Dans l'affaire Aladdin Industries Inc. c.
Canadian Thermos Products Limited', le juge
Kerr a alloué des dépens supérieurs à ceux qu'au-
torise le tarif sans avoir lui-même donné aupara-
vant d'instruction spéciale à cet effet, et a cité le
maître des rôles Collins dans l'arrêt Re Coles and
Ravenshear 2 , qui déclarait:
[1973] C.F. 942, la page 945.
2 [1907] 1 K.B. I, à la page 4.
[TRADUCTION] Tout en étant d'avis qu'un tribunal ne peut
mener ses affaires sans un code de procédure, il me semble que
les règles de pratique doivent plutôt être au service de la justice
que la dominer et que des règles qui, après tout, ne sont que des
règles générales de procédure, ne doivent pas lier le tribunal
avec une rigueur telle qu'il doive commettre une injustice dans
une affaire donnée.
Je suis tout à fait d'accord avec cette citation et
je crois qu'elle s'applique en l'espèce. Si la
demande de la requérante était rejetée à ce stade
des procédures, il lui serait impossible de deman-
der à cette Cour de juger au fond sa demande de
détermination du loyer, comme les parties l'avaient
prévu dans le contrat de location. En revanche, la
détermination au fond de la question ne peut
causer à l'intimé aucun préjudice à moins qu'un tel
préjudice ne résulte simplement du fait que la
requérante serait privée de tout recours si la ques
tion ne pouvait être réglée par les présentes
procédures.
Dans les circonstances, la demande de la requé-
rante est accueillie, mais comme les procédures
n'ont probablement pas été engagées de la façon la
plus appropriée, sans adjudication des dépens.
ORDONNANCE
La requête est accueillie sans dépens. Permission
est accordée à la requérante de déposer un ou
plusieurs affidavits appropriés relativement aux
faits qui peuvent fonder ses prétentions quant au
montant du loyer. L'intimé aura le droit de contre-
interroger les auteurs de ces affidavits et de pré-
senter en réponse un ou plusieurs affidavits au
sujet desquels la requérante aura également le
droit de contre-interroger les auteurs. Les contre-
interrogatoires terminés, l'une ou l'autre des par
ties pourra inscrire la requête pour audition.
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