T-3154-75
André Desjardins (Demandeur)
c.
Claude Bouchard, Jean-Paul Gilbert, La Commis
sion nationale des libérations conditionnelles et Le
procureur général du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 26 mai; Ottawa, le 22 juillet 1976.
Compétence—Emprisonnement—Le demandeur cherche à
obtenir un jugement déclaratoire portant que les défendeurs
n'ont pas compétence pour le convoquer à une audition ni pour
recommander au Solliciteur général la révocation de son
pardon et déclarant nul la procédure menant à la révocation et
le décret de révocation—La Cour peut-elle annuler le
décret?—Y a-t-il eu inobservation de la règle audi alteram
partem et des règles de la justice naturelle?—Loi sur le casier
judiciaire, S.R.C. 1970 (1e1 Supp.) c. 12, art. 4(4),(5) et 7—Loi
sur la Cour fédérhl à T 2,`18 ét 28(6)—Loi modifiant la Loi
sur les relations du travail dans l'industrie de la construction
(Québec), Bill 30, 1975, art. 2g).
A la suite de certains renseignements portés à sa connais-
sance et à la demande du Solliciteur général du Canada, la
Commission nationale des libérations conditionnelles a effectué
une enquête sur la conduite du demandeur afin de déterminer
s'il y avait lieu de révoquer son pardon. Le ministre de la
Justice du Québec a demandé au Solliciteur général de révo-
quer ce pardon en vertu de l'article 7 de la Loi sur le casier
judiciaire, en faisant mention du rapport de la Commission
d'enquête Cliche sur la liberté syndicale dans l'industrie de la
construction. Dans une lettre de la Commission nationale des
libérations conditionnelles, on priait le demandeur de se présen-
ter devant deux membres de cette Commission à propos de la
recommandation que celle-ci se proposait de faire. Il s'est
présenté, s'est opposé à la compétence de la Commission et a
exprimé ses doutes quant à son impartialité puisque la Commis
sion avait déjà décidé de faire cette recommandation. Cette
dernière a refusé de donner au demandeur des précisions sur la
nature des plaintes et sur les preuves de mauvaise conduite,
affirmant que sa recommandation avait été faite en vertu de
l'article 7b)(i) de la Loi et qu'il incombait au demandeur de
démontrer pourquoi son pardon ne devrait pas être révoqué. Le
demandeur a refusé de se justifier sans connaître les motifs de
la révocation et l'audience a été ajournée afin de lui permettre
de produire des observations écrites. Il a été convoqué de
nouveau et a essuyé un autre refus quant aux plaintes et aux
preuves retenues contre lui. De nouveau, il a refusé de faire des
observations. Les commissaires ont alors recommandé la révo-
cation du pardon et celui-ci fut révoqué en vertu de l'article 7.
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que
les commissaires et la Commission n'avaient pas compétence
pour le convoquer ni pour recommander la révocation, que la
procédure menant à la révocation était nulle et que le décret de
révocation était nul et sans effet.
Arrêt: l'action est rejetée. A cause de l'article 28(6) on ne
peut réclamer un examen judiciaire en vertu de l'article 28 de
la Loi sur la Cour fédérale même s'il fallait soumettre à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire la décision de révoquer.
Si le législateur avait entendu que le gouverneur en conseil ne
puisse faire l'objet d'un jugement déclaratoire, il aurait ajouté à
l'article 18 une disposition restrictive semblable plutôt que de
s'en tenir à la définition exposée à l'article 2 pour exclure ce
redressement. Si l'on ne pouvait obtenir un tel redressement
contre un décret du conseil par l'application de la définition
d' «office fédéral, etc...» à l'article 2, il serait alors superflu
d'exclure spécifiquement l'examen judiciaire au paragraphe (6)
de l'article 28. La Cour ne peut ni ne doit examiner la preuve
dans le but de déterminer si le gouverneur en conseil disposait
d'une «preuve suffisante» pour justifier le décret du conseil,
mais elle doit simplement juger si l'on a procédé de façon
appropriée, conformément à la Loi. L'article 7 de la Loi sur le
casier judiciaire n'indique pas la procédure à suivre mais
confère au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire
étendu. Il suffit que la preuve le convainque et les mots «a cessé
de se bien conduire» peuvent s'interpréter de façon large. Le
gouverneur en conseil pouvait probablement obtenir d'une ou
plusieurs sources les informations nécessaires lui permettant de
conclure en ce sens—le rapport de la Commission Cliche
pouvait à lui seul suffire. Puisque la question avait déjà été
soumise à la Commission des libérations conditionnelles aux
fins d'enquête, cette dernière a observé les formalités appro-
priées en cas de révocation. La décision de renvoyer la question
à la Commission, en l'absence de toute disposition expresse
dans la Loi quant à l'enquête ne comporte rien de répréhensi-
ble. Il a été jugé qu'une ordonnance de cette commission
révoquant une libération conditionnelle relève entièrement de
son pouvoir discrétionnaire en tant que question de nature
administrative, non susceptible d'examen judiciaire. En l'es-
pèce, la décision de la Commission n'était pas définitive, mais
on peut prétendre que le gouverneur en conseil adopterait
sûrement sa recommandation et peut-être serait-ce un sophisme
d'avancer que, puisque la Commission ne faisait qu'enquêter et
ne prenait aucune décision, elle n'était pas tenue d'agir de façon
judiciaire ou quasi judiciaire.
Pour rendre cette décision, il fallait se conformer aux princi-
pes de la justice naturelle, y compris le droit de se faire
entendre. Quant à la partialité alléguée, sans doute eût-il mieux
valu que la lettre de la Commission des libérations condition-
nelles indique simplement que la Commission étudiait la possi-
bilité de recommander la révocation, tout en invitant le deman-
deur à présenter ses observations, plutôt que d'indiquer son
intention de faire une telle recommandation, obligeant ainsi le
demandeur à justifier ses objections; néanmoins, cela ne suffi-
sait pas à l'empêcher de terminer son enquête et de faire son
rapport, d'autant plus qu'il s'agissait seulement d'une recom-
mandation et non d'une décision définitive.
Enfin, on ne conteste pas que le demandeur a eu, à deux
reprises, toute possibilité de se faire entendre; bien que norma-
lement une partie doive connaître les accusations portées contre
elle afin de présenter des observations appropriées, ce n'est pas
essentiel si elle est déjà au courant de ce dont on l'accuse. En
l'espèce, il connaissait les témoignages relatifs à sa conduite
présentés devant la Commission Cliche et leur gravité. Il n'y a
aucune raison de supposer que la Commission des libérations
conditionnelles possédait des preuves autres que celles conte-
nues dans le rapport de la Commission Cliche, ou en avaient
besoin. Le demandeur ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il a
refusé de présenter des observations quand il en avait la
possibilité.
Arrêts appliqués: «B» c. La Commission d'enquête [1975]
C.F. 602; Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223;
Wilson c. Esquimalt and Nanaimo Railway Company
[1922] 1 A.C. 202; Howarth c. La Commission nationale
des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453; Le
Roi c. Legislative Committee of the Church Assembly
[1928] 1 K.B. 411; Confederation Broadcasting Limited c.
Le Conseil de la radio-télévision canadienne [1971]
R.C.S. 906; Lazarov c. Le Secrétaire d'État [1973] C.F.
927 et Kômo Construction Inc. c. Commission des Rela
tions de Travail du Québec [1968] R.C.S. 172. Arrêts
approuvés: Gruen Watch Company of Canada Limited c.
Le procureur général du Canada [1950] O.R. 429 et
Border Cities Press Club c. Le procureur général de
l'Ontario [1955] O.R. 14. Arrêts analysés: Barnard c.
National Dock Labour Board [1953] 2 Q.B. 18;.Ex parte
Sullivan (1941) 75 C.C.C. 70; Ex parte McCaud [1965] 1
C.C.C. 168; Calgary Power Limited c. Copithorne [1959]
R.C.S. 24; Nakkuda Ali c. Jayaratne [1951] A.C. 66;
Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12; Saulnier c. La Com
mission de police du Québec [1976] 1 R.C.S. 572; Kanda
c. Government of Malaya [1962] A.C. 322 et Teasdale c.
La Commission de contrôle des permis d'alcool [1974]
C.S. 319. Distinction faite avec l'arrêt: Cathcart c. La
Commission de la Fonction publique [1975] C.F. 407.
ACTION.
AVOCATS:
M. Proulx et M. Robert pour le demandeur.
G. Côté pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Proulx & Levesque, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Au début de l'audience, l'inti-
tulé a été modifié sur consentement pour substi-
tuer à la Reine le procureur général du Canada à
titre de défendeur. Le demandeur cherche à obte-
nir un jugement déclaratoire portant que les com-
missaires Claude Bouchard et Jean Paul Gilbert
ainsi que la Commission nationale des libérations
conditionnelles n'avaient pas compétence pour le
convoquer aux fins d'effectuer une enquête ni de
faire une recommandation au Solliciteur général
du Canada relativement à la révocation du pardon
qui lui avait été accordé le 8 mai 1973, conformé-
ment aux dispositions de la Loi sur le casier
judiciaire 1 ; le demandeur réclame également un
jugement déclarant nuls tous les actes, enquêtes,
audiences, décisions, procédures et recommanda-
tions desdits commissaires et de la Commission
nationale des libérations conditionnelles portant
sur la révocation du pardon du demandeur et ce
dernier réclame en outre que soit déclaré nul et
sans effet le décret du gouverneur en conseil le 9
octobre 1975, révoquant ledit pardon par le décret
du conseil C.P. 1973-1078.
Les faits sont peu contestés et l'affaire a été
soumise seulement sur un exposé conjoint des faits
et sur diverses pièces produites sur consentement,
aucun témoin n'étant cité. Selon l'exposé conjoint
des faits, le 8 mai 1973 le demandeur a reçu son
pardon par décret du conseil conformément à la
Loi sur le casier judiciaire susmentionnée mais
subséquemment, à l'automne 1974, la suite de
certains renseignements portés à sa connaissance
et à la demande du Solliciteur général du Canada,
la Commission nationale des libérations condition-
nelles a effectué une enquête sur la conduite du
demandeur afin de déterminer s'il serait opportun
de recommander la révocation de son pardon. Plus
tard, dans une lettre portant la date du 8 mai
1975, le ministre de la Justice de la province de
Québec a demandé au Solliciteur général du
Canada de révoquer ledit pardon conformément
aux dispositions de l'article 7 de ladite loi; la lettre
faisait mention du rapport de la Commission d'en-
quête du Québec sur la liberté syndicale dans
l'industrie de la construction. Les parties recon-
naissent qu'il s'agissait d'une enquête instituée par
le gouvernement de la province de Québec et
présidée par le juge Robert Cliche, qui avait
soumis son rapport au gouvernement de la pro
vince de Québec le 2 mai 1975; l'une des recom-
mandations de ladite Commission portait qu'il fal-
lait modifier la Loi de façon à interdire à toute
personne reconnue coupable de certains crimes
d'accéder à des fonctions syndicales.
Dans une lettre du 21 mai 1975 signée par
Pierre L. Dupuis de la Division de la clémence et
du casier judiciaire de la Commission des libéra-
tions conditionnelles, on priait le demandeur de se
présenter devant deux membres de la Commission,
à savoir Claude Bouchard et Jean Paul Gilbert,
S.R.C. 1970, (1° , Supp.), c. 12.
pour leur faire les observations qu'il jugerait
opportunes relativement à la recommandation que
la Commission se proposait de faire au Solliciteur
général demandant la révocation de son pardon. Il
s'est présenté devant eux le 2 juin 1975 accompa-
gné de son avocat, qui a immédiatement soulevé la
question du manque de compétence des commis-
saires ou de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles pour révoquer le pardon puis-
que la Loi ne mentionne pas que la Commission ni
les commissaires ont ce droit de révocation et que
par conséquent, ils n'avaient pas le droit de le
convoquer à une enquête ni de faire une recom-
mandation au Solliciteur général du Canada. En
réponse à cette objection, les commissaires ont
déclaré que la Loi leur accordait en matière de
révocation des pardons une compétence analogue à
celle qu'elle leur accorde relativement à l'octroi
d'un pardon. A cette époque, on n'a pas mentionné
que le gouverneur en conseil ni aucune autre per-
sonne les avait autorisés à tenir une enquête.
Sous réserve de cette première objection relative
à la compétence, l'avocat du demandeur a égale-
ment allégué qu'on pouvait douter de l'impartialité
des commissaires puisque la Commission avait
déjà décidé de recommander au Solliciteur général
du Canada la révocation du pardon avant de con-
voquer ou d'entendre le demandeur. Les commis-
saires ont aussi rejeté cette objection et ont prié le
demandeur de faire toutes les observations qu'il
jugeait pertinentes.
Avant de s'exécuter, l'avocat du demandeur a
demandé aux commissaires de préciser la nature
des plaintes et des preuves de mauvaise conduite
qu'ils avaient contre son client afin de lui permet-
tre de les réfuter. Il a essuyé un refus catégorique
de la part des commissaires, ces derniers affirmant
que leur recommandation avait été faite en vertu
des dispositions du sous-alinéa (i) de l'alinéa b) de
l'article 7 de la Loi sur le casier judiciaire et qu'il
incombait au demandeur de démontrer pourquoi
son pardon ne devrait pas être révoqué. Le deman-
deur a refusé de se justifier tant qu'on ne lui aurait
pas révélé les motifs de la révocation projetée et
l'audience a alors été ajournée afin de permettre à
son avocat de produire des autorités par écrit, ce
qu'il a fait en temps et lieu. Le demandeur a alors
été convoqué de nouveau le 15 août 1975, et à ce
moment son avocat a exigé de nouveau que soient
précisées les plaintes et les preuves contre son
client, essuyant un autre refus de la part des
commissaires; de son côté, le demandeur a refusé
de faire des observations pour les raisons précitées.
Les commissaires ont alors laissé entendre au
demandeur qu'ils transmettraient leur recomman-
dation au Solliciteur général du Canada dans un
délai de quatre à six semaines, Ce qu'ils firent en
temps utile, recommandant la révocation du
pardon. De son côté, le Solliciteur général fit la
même recommandation au gouverneur en conseil
et par décret du 9 octobre 1975, le pardon fut
révoqué aux motifs que le demandeur avait cessé
de se bien conduire, le tout conformément à l'arti-
cle 7 de la Loi.
L'article 7 que l'on vient de mentionner dit
notamment:
7. Un pardon peut être révoqué par le gouverneur en conseil
a) si la personne à laquelle il est accordé est par la suite
déclarée coupable d'une nouvelle infraction en vertu d'une loi
du Parlement du Canada ou d'un règlement qui en découle;
ou
b) sur preuve établissant, à la satisfaction du gouverneur en
conseil,
(i) que la personne à laquelle il a été accordé a cessé de se
bien conduire, ou
(ii) que cette personne a sciemment fait une déclaration
inexacte ou trompeuse relativement à sa demande de
pardon, ou a sciemment dissimulé un détail important
relativement à cette demande.
Les parties reconnaissent qu'après l'octroi de son
pardon, le demandeur n'a pas fait l'objet d'une
autre condamnation. On a adinis également, sous
réserve des objections des défendeurs à ce sujet,
que le demandeur avait été accusé de complot en
vertu de l'article 423 du Code criminel, qu'il avait
été acquitté le 31 octobre 1974 et qu'une accusa
tion d'extorsion par menaces ou violences portée
conformément à l'article 305 avait abouti - aussi à
un acquittement en novembre 1975, c'est-à-dire
après la révocation de sa libération conditionnelle.
On n'allègue pas que le demandeur ait fait une
déclaration inexacte ou trompeuse au sujet de sa
demande de pardon, laquelle se reportait à des
infractions commises en 1951, 1954 et 1959 res-
pectivement, de sorte que la révocation devait uni-
quement se fonder sur le sous-alinéa (i) de l'alinéa
b) de l'article 7, à savoir qu'il avait été prouvé, à la
satisfaction du gouverneur en conseil, que le
demandeur avait cessé de se bien conduire. La
révocation du pardon prononcée pour ce motif est
évidemment de nature moins restreinte que celle
prononcée pour condamnation pour une autre
infraction, de sorte que même si le demandeur n'a
pas été reconnu coupable des infractions dont il a
été accusé découlant des incidents dont fait men
tion le rapport Cliche, le gouverneur en conseil
pourrait tout de même conclure qu'il a cessé de se
bien conduire, pourvu qu'il suive la procédure
appropriée et qu'il dispose des informations justi-
fiant sa conclusion. En fait, dans son rapport au
gouverneur en conseil, le Solliciteur général
déclare:
Cependant, suite à l'octroi du pardon, certains renseigne-
ments confidentiels reçus ont permis à la Commission d'établir
qu'André Desjardins n'est plus de bonne conduite. Il semble
qu'il fraye avec des gens associés de très près à la pègre et que
ses relations avec ces personnes sont de nature telle qu'elles
incitent à croire q'il s'agit de rencontres plus qu'accidentelles.'
De plus, André Desjardins attend de subir un procès sur des
chefs d'accusation en vertu de l'article 305 et 423 du Code
criminel. 3
Dans sa lettre du 8 mai 1975 au Solliciteur
général du Canada, le ministre de la Justice de la
province de Québec fait mention du rapport Cliche
et en joint une copie, soulignant qu'il a été rendu
public et que le cas de Desjardins y est étudié. Il
est donc évident que le Solliciteur général avait en
main les recommandations du rapport Cliche et on
peut assurément présumer que les commissaires,
qui étudiaient à sa demande la possibilité de révo-
quer la libération conditionnelle de Desjardins,
avaient aussi pris connaissance de ce rapport avant
d'adresser leur lettre au demandeur le 21 mai
1975, lui demandant de comparaître et en fait, de
démontrer pourquoi son pardon ne devrait pas être
révoqué. Toutefois, il est important de souligner
qu'on admet que les commissaires ont commencé à
enquêter sur la conduite de Desjardins à l'automne
de 1974, longtemps avant que la Commission
Cliche ait fait rapport et que le ministre de la
Justice de la province de Québec ait adressé sa
2 Cette phrase reprend celle dont s'est servie la Commission
des libérations conditionnelles dans sa recommandation et que
l'on trouve dans une lettre adressée en son nom à l'avocat du
demandeur le 26 novembre 1975 pour aviser ce dernier de la
révocation de son pardon.
3 Si je ne me trompe, l'aveu supplémentaire fait devant la
Cour, sans préjudice du droit d'objecter son manque de perti
nence, et qui n'a pas été consigné, semble indiquer qu'il avait
déjà été acquitté de l'accusation de complot le 31 octobre 1974,
mais cette date peut être erronée, ce qui de toute façon ne
saurait influer sur la décision en l'espèce pour les raisons citées
plus haut.
lettre au Solliciteur général du Canada, et bien
que cette lettre ait pu précipiter la révocation du
pardon, elle ne saurait l'avoir provoquée. La révo-
cation du pardon revêt une importance particulière
du fait qu'en vertu des dispositions d'une Loi
modifiant la Loi sur les relations du travail dans
l'industrie de la construction, qui est le Bill 30,
sanctionné le 22 mai 1975, l'Assemblée nationale
du Québec déclare inhabile à occuper des fonctions
syndicales toute personne trouvée coupable de cer-
tains crimes. Le second alinéa de l'article 2g) de la
Loi dit notamment:
A moins que la personne trouvée coupable ne bénéficie d'un
pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire (Statuts du
Canada), l'inhabilité prévue ci-dessus subsiste cinq ans après le
terme d'emprisonnement fixé par la sentence; s'il y a eu con-
damnation à une amende seulement ou si la sentence a été
suspendue, l'inhabilité subsiste durant cinq ans à compter de la
condamnation.
Le demandeur prétend que l'adoption de cette loi
et la nature du rapport de la Commission Cliche
ont influé sur la recommandation des commissaires
de la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles au gouverneur en conseil de même qu'ils
ont influencé ce dernier lorsqu'il a décidé de révo-
quer le pardon qui avait été accordé au
demandeur.
L'article 4 de la Loi sur le casier judiciaire
expose la procédure à suivre pour la production
d'une demande de pardon, qui doit être adressée
au Ministre et transmise par lui à la Commission,
laquelle fait effectuer l'enquête qui s'impose.
Cependant, le paragraphe (4) se lit ainsi:
(4) A la fin de son enquête, la Commission doit faire part de
ses résultats au Ministre, ainsi que de sa recommandation sur
l'opportunité de l'octroi d'un pardon; toutefois, si la Commis
sion se propose de recommander qu'un pardon ne soit pas
octroyé, elle doit, avant de faire cette recommandation, en
aviser immédiatement le requérant et l'informer qu'il a le droit
de présenter à la Commission toutes observations qu'il estime
pertinentes. La Commission doit alors examiner toutes observa
tions orales ou écrites qui lui sont présentées par le requérant
ou pour son compte dans un délai raisonnable après qu'un tel
avis a été donné et avant qu'un rapport ait été fait en vertu du
présent paragraphe.
et le paragraphe (5) dit:
(5) Au reçu d'une recommandation de la Commission préco-
nisant l'octroi du pardon, le Ministre doit transmettre ladite
recommandation au gouverneur en conseil qui peut accorder le
pardon; celui-ci doit être rédigé selon la formule indiquée à
l'annexe.
Cependant la Loi ne contient aucune disposition
semblable relative à la révocation du pardon et le
demandeur prétend qu'il aurait dû avoir la possibi-
lité de présenter des observations et de se faire
entendre tout comme il aurait pu le faire dans le
premier cas, si la Commission avait eu l'intention
de recommander que le pardon ne soit pas accordé.
Cependant, lorsqu'il s'agit de l'octroi du pardon, le
paragraphe (5) prévoit que le gouverneur en con-
seil «peut» accorder le pardon mais dit que le
Ministre «doit» transmettre la recommandation au
gouverneur en conseil. Le demandeur avance qu'à
toutes fins pratiques, le gouverneur en conseil suit
la recommandation de la Commission des libéra-
tions conditionnelles sans faire d'autres enquêtes et
sans disposer d'autres éléments de preuve que la
recommandation de ladite Commission. Il fait
valoir également que tandis que l'octroi d'un
pardon est un privilège de sorte que conformément
au paragraphe (4) précité, la Commission peut
enquêter sans aviser au préalable le demandeur et
doit lui accorder la possibilité de présenter des
observations seulement lorsqu'elle se propose de
faire une recommandation défavorable, la situa
tion est différente après l'octroi du pardon. En
effet, nous sommes alors en présence d'un droit
acquis dont on ne peut priver le bénéficiaire sans
preuve évidente qui est portée à sa connaissance et
qu'il a la possibilité de réfuter, établissant l'exis-
tence de motifs suffisants pour conclure qu'il «a
cessé de se bien conduire».
Cette cour doit d'abord déterminer si elle peut
annuler le décret du conseil révoquant le pardon
du demandeur au moyen des présentes procédures
déclaratoires. Je ne peux souscrire à la prétention
du demandeur selon laquelle le gouverneur en
conseil est «un office, commission ou autre tribunal
fédéral... ayant, exerçant ou prétendant exercer
une compétence ou des pouvoirs conférés par une
loi du Parlement du Canada» au sens de l'article 2
de la Loi sur la Cour fédérale. 4 Cependant, le
redressement recherché est à l'encontre des défen-
deurs dont les noms apparaissent dans l'intitulé de
la cause, y compris le procureur général du
Canada qui a été substitué à Sa Majesté la Reine
comme défendeur à la suite d'une modification
apportée au début des procédures. Cette modifica-
4 S.R.C. 1970 (2 , Supp.), c. 10.
don a été faite conformément aux conclusions de
mon collègue le juge Addy dans l'arrêt «B» c. La
Commission d'enquêtes où il déclare aux pages
616-17:
Même en l'absence d'autorisation légale, les personnes occu
pant une fonction relevant de la Couronne du chef du Canada
peuvent faire l'objet de jugements déclaratoires, quand elles
exercent un pouvoir non autorisé par la loi.
A l'appui de cette assertion, il renvoie à l'arrêt
Gruen Watch Company of Canada Limited c. Le
procureur général du Canada 6 dans lequel le juge
McRuer, alors juge en chef, déclare à la page 445:
[TRADUCTION] The Judicature Act et la compétence en
common law des King's Courts of Justice m'autorisent, lorsque
les droits de citoyen sont en cause, à rendre une ordonnance ou
un jugement déclaratoire contre des personnes occupant une
fonction relevant de la Couronne du chef du Dominion, quand
elles exercent un pouvoir non autorisé par la loi.
De nouveau à la page 450 il déclare:
[TRADUCTION] Ce droit particulier de recours aux tribunaux
est une précieuse protection dont dispose le citoyen contre
l'exercice arbitraire du pouvoir administratif non autorisé par
la loi, et les juges ne devraient pas hésiter à exercer le pouvoir
discrétionnaire dont ils disposent lorsqu'un jugement déclara-
toire offrira une certaine protection au citoyen dont les droits
ont été empiétés par des mesures administratives.
Le juge Addy renvoie aussi l'arrêt Landreville c.
La Reine' dans lequel le juge Pratte déclara à la
page 1230:
Je conclus de ce qui précède que la Cour a compétence pour
rendre un jugement déclaratoire qui, bien que dénué d'effet
juridique, pourrait avoir quelque utilité d'un point de vue
pratique.
En ce qui concerne les jugements déclaratoires, on
peut aussi se reporter à la déclaration de lord
Denning à la page 41 de l'arrêt Barnard c. Na
tional Dock Labour Board':
[TRADUCTION] Je ne connais aucune restriction au pouvoir
qu'ont les cours de rendre un jugement déclaratoire si ce n'est
celle qu'elles peuvent s'imposer, à leur discrétion; et j'estime
que les cours ne devraient pas se lier les mains en ce qui
concerne les tribunaux créés par une loi. Il est évident que,
lorsqu'un tribunal créé par une loi rend la justice, il doit agir
selon le droit. C'est l'intention claire du Parlement. Si le
tribunal n'observe pas le droit, que peut-on faire? Le recours au
certiorari est très difficile d'accès et risque d'être inutilisable.
Pourquoi la Cour n'interviendrait-elle pas alors au moyen d'un
[1975] C.F. 602.
6 [1950] O.R. 429.
'[1973] C.F. 1223.
s [1953] 2 Q.B. 18.
jugement déclaratoire et d'une injonction? Si elle ne peut pas
intervenir ainsi, cela voudrait dire que le tribunal pourrait
ignorer le droit, chose que personne ne peut faire dans ce pays.
De plus, certaines décisions affirment que l'on
peut rendre un jugement déclaratoire contre un
décret du conseil. Dans l'arrêt Border Cities Press
Club c. Le procureur général de l'Ontario' le juge
en chef Pickup, tel était alors son titre, a déclaré à
la page 19:
[TRADUCTION] Je suis d'accord avec le savant juge de la
Weekly Court, pour les raisons qu'il a énoncées, que le pouvoir
conféré existe seulement si la partie intéressée a pu présenter
ses observations, et que les lettres patentes ne devraient pas
avoir la compétence, en vertu de la loi, de donner l'ordre
contesté sans accorder à l'intimé l'occasion de se faire entendre
ou celle de justifier son opposition. En exerçant le pouvoir
mentionné, le lieutenant-gouverneur en conseil n'exerce pas,
selon moi, une prérogative de la Couronne mais un pouvoir
conféré par une loi, et un tel pouvoir ne peut être valablement
exercé qu'en se conformant aux dispositions législatives qui
sont, en droit, des conditions préalables à l'exercice d'un tel
pouvoir.
La dernière phrase de cette citation est particuliè-
rement pertinente en l'espèce, puisque le gouver-
neur en conseil exerçait un pouvoir conféré par une
loi plutôt qu'une prérogative de la Couronne.
Le demandeur ne peut réclamer un examen
judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale même s'il avait fallu soumettre à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire la décision
de révoquer son pardon, car le paragraphe (6) de
l'article 28 se lit comme suit:
28. (6) Nonobstant le paragraphe (1), aucune procédure ne
doit être instituée sous son régime relativement à une décision
ou ordonnance du gouverneur en conseil, du conseil du Trésor,
d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pensions
ou relativement à une procédure pour une infraction militaire
en vertu de la Loi sur la défense nationale.
Bien que l'avocat des défendeurs ait fait valoir
qu'il serait illogique d'accorder à la Division de
première instance la compétence pour rendre un
jugement déclaratoire en vertu des dispositions de
l'article 18 de la Loi, cette décision pouvant être
soumise à la Cour d'appel, alors que conformé-
ment aux dispositions de l'article 28(6), la Cour
d'appel ne peut connaître d'une demande d'exa-
men d'une décision ou ordonnance du gouverneur
en conseil, il faut souligner que les deux procédu-
res sont parfaitement distinctes. L'article 28 con
[1955] O.R. 14.
fère à la Cour d'appel le pouvoir d'accorder un
redressement particulier contre les décisions ou les
ordonnances autres que celles de nature purement
administrative rendues par un office, une commis
sion ou un autre tribunal, si notamment ils n'ont
pas observé un principe de justice naturelle. Le
paragraphe (6) prévoit que ce redressement ne
pourra être accordé à l'encontre d'une décision ou
ordonnance du gouverneur en conseil. D'un autre
côté, l'article 18 accorde à la Division de première
instance compétence exclusive en première ins
tance pour accorder divers redressements de
common law qui existent depuis toujours, y com-
pris la compétence de rendre un jugement déclara-
toire. Si le législateur avait entendu qu'une déci-
sion ou ordonnance du gouverneur en conseil ne
puisse faire l'objet d'un jugement déclaratoire, il
aurait ajouté à l'article 18 une disposition restric
tive comme celle contenue au paragraphe (6) de
l'article 28 plutôt que de s'en tenir à la définition
exposée à l'article 2 pour exclure ce redressement.
Comme le soutient l'avocat du demandeur, si on ne
pouvait obtenir un tel redressement contre un
décret du conseil par l'application de la définition
d'office, commission ou autre tribunal à l'article 2,
il serait alors superflu d'exclure spécifiquement
l'examen judiciaire au paragraphe (6) de
l'article 28.
Le Conseil privé, dans l'arrêt Wilson c.
Esquimalt and Nanaimo Railway Company 10 , a
aussi étudié la question du redressement possible
contre un décret du conseil. Le juge Duff a déclaré
aux pages 211 et 212:
[TRADUCTION] ... leurs Seigneuries estiment que le gouver-
neur en conseil, lorsqu'il tranche de telles questions, exerce une
fonction d'ordre judiciaire en ce qu'il doit, pour reprendre les
termes du lord juge Moulton dans l'arrêt Arlidge's [1915] A.C.
120 la page 150 «rester impartial» et s'acquitter de ses devoirs
«consciencieusement, pénétré du sentiment de ses responsabili-
tés» en tenant compte du fait qu'une décision favorable au
requérant aura pour conséquence de lui transférer des biens sur
lesquels, si ce n'était de la loi et de la production de la preuve
nécessaire, la compagnie intimée (ou les personnes ayant acquis
ces titres) aurait eu des droits inattaquables. Et aux fins du
présent appel, on peut admettre que la compagnie intimée (ou
ses successeurs) pourrait attaquer un octroi accordé grâce à une
décision prise à la suite de procédures dépourvues de ces
caractéristiques, comme étant accordé sans autorité ou en
abusant de l'autorité que crée la loi.
Cependant, le décret du conseil a été confirmé, le
juge disant à la page 212:
10 [1922] 1 A.C. 202.
[TRADUCTION] La question de savoir si, oui ou non, la preuve
fournie était une «preuve suffisante» était une question de fait
ressortissant au tribunal désigné, et la réponse affirmative du
lieutenant-gouverneur en conseil ne pouvait être contestée
devant aucune cour tout au moins tant que l'on n'avait pas
démontré qu'il ne disposait d'aucune «preuve» qu'il pouvait,
tout en agissant de façon judiciaire, considérer comme étant
raisonnablement suffisante.
et de nouveau à la page 214:
[TRADUCTION] ... le lieutenant-gouverneur en conseil n'était
pas tenu de suivre les règles de procédure régissant les procédu-
res entamées devant une Cour de justice.
On ne peut prétendre qu'il ait agi sans tenir compte des
droits des intimés et en l'absence d'une raison probante au
contraire, on doit présumer qu'il a adopté la procédure suivie
dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accorde la loi,
comme étant une façon convenable d'accomplir le devoir qui lui
était confié. Selon leurs Seigneuries, les décisions qu'il a prises
dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont finales et ne
peuvent faire l'objet d'un examen judiciaire.
Par conséquent, dans les présentes procédures,
la Cour ne peut ni ne doit examiner la preuve dans
le but de déterminer si le gouverneur en conseil
disposait d'une «preuve suffisante» pour justifier le
décret du conseil révoquant le pardon, mais elle
doit simplement juger si l'on a procédé de façon
appropriée, conformément à la Loi.
Bien que l'article 7 de la Loi sur le casier
judiciaire (précité) n'indique pas la façon dont le
gouverneur en conseil doit s'y prendre pour révo-
quer un pardon, mais expose seulement les motifs
justifiant une telle mesure, le libellé de l'article
accorde clairement au gouverneur en conseil un
pouvoir discrétionnaire très étendu. Il suffit que la
preuve le convainque et les mots «a cessé de se bien
conduire» peuvent s'interpréter de façon très large.
Il est fort possible que le gouverneur en conseil
puisse obtenir d'une ou plusieurs sources les infor-
mations nécessaires lui permettant de conclure en
ce sens. Les dépositions faites devant la Commis
sion d'enquête Cliche sur la liberté syndicale dans
l'industrie de la construction ont fait l'objet d'une
grande publicité de la part des organes d'informa-
tion au cours des audiences devant cette Commis
sion, portant sérieusement atteinte à la réputation
de nombreuses personnes mentionnées par divers
témoins. Bien que la preuve versée au dossier en
l'espèce ne révèle pas les raisons pour lesquelles le
Solliciteur général du Canada a demandé à la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les de faire enquête au sujet du demandeur André
Desjardins, il est reconnu qu'il l'a fait dès l'au-
tomne 1974 et comme on l'a déjà dit, le gouver-
neur en conseil pouvait assurément consulter le
rapport de la Commission. Le contenu de ce rap
port peut à lui seul avoir convaincu le gouverneur
en conseil que Desjardins avait cessé de se bien
conduire. Cependant, puisque la question avait
déjà été soumise à la Commission des libérations
conditionnelles aux fins d'enquête, cette dernière a
observé les formalités appropriées en cas de révo-
cation de la libération conditionnelle. Je ne vois
rien de répréhensible dans la décision de renvoyer
à la Commission des libérations conditionnelles la
question aux fins d'enquête et de rapport en l'ab-
sence de toute disposition expresse dans la Loi
indiquant comment doit se faire l'enquête. Com:ne
l'a concédé l'avocat du demandeur, le gouverneur
en conseil ne pouvait enquêter lui-même, étudier
les témoignages ni entendre les observations du
demandeur. Il fallait déléguer cette tâche à un
commissaire, qui pouvait être un avocat désigné à
cette fin, mais qui peut être plus compétent que les
membres de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles, rompus à ce genre d'en-
quête? Dans l'arrêt Ex parte Sullivan (1941) 75
C.C.C. 70, on a conclu que le ministre de la
Justice peut être convaincu de la nécessité d'ordon-
ner l'emprisonnement conformément au Règle-
ment 21 du Règlement sur la défense du Canada
(consolidation) 1940 bien qu'il n'ait procédé per-
sonnellement à aucune enquête, se contentant
d'agir selon la recommandation d'une autre per-
sonne déléguée pour enquêter et faire des recom-
mandations. C'est précisément ce que le gouver-
neur en conseil a fait en l'espèce. La Cour
suprême, dans une décision majoritaire, a statué
dans l'affaire Howarth c. La Commission natio-
nale des libérations conditionnelles" qu'une
ordonnance de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles révoquant une libération con-
ditionnelle est une décision qui relève entièrement
du pouvoir discrétionnaire de la Commission en
tant que question de nature administrative et par-
tant, n'est pas susceptible d'examen en vertu de
l'article 28. Cet arrêt a suivi la décision de la Cour
suprême dans l'affaire Ex parte McCaud 12 et le
jugement majoritaire a aussi renvoyé à l'arrêt
Calgary Power Limited c. Copithorne 13 . Dans
" [1976] 1 R.C.S. 453.
12 [1965] 1 C.C.C. 168.
13 [1959] R.C.S. 24.
cette décision, le juge Martland, a mentionné à la
page 30 le jugement du lord juge en chef Hewart,
dans Le Roi c. Legislative Committee of the
Church Assembly 14 où il a déclaré:
[TRADUCTION] Pour répondre aux critères imposés, il ne suffit
pas qu'un organisme soit habilité par la loi à trancher des
questions touchant les droits de citoyens; il faut en plus qu'il
soit tenu d'agir de façon judiciaire.
Cet extrait a été cité et approuvé par le Comité
judiciaire du Conseil privé dans l'arrêt Nakkuda
Ali c. Jayaratne 15
Cependant, en prononçant le jugement majori-
taire dans l'affaire Howarth le juge Pigeon a souli-
gné à la page 475 qu'il ne se prononçait pas sur la
question de savoir si, dans un cas semblable,
nonobstant l'article 23 de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, on ne pouvait chercher
redressement devant la Division d e première ins
tance de la Cour fédérale 16 .
Dans le jugement dissident rendu dans l'affaire
Howarth, le juge Dickson a mentionné l'article 23,
déclarant à la page 465:
Les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d'appel
ou de révision (art. 23). Elles ne sont pas investigatives ni
consultatives. Elles sont des décisions finales emportant effet
définitif.
En l'espèce, au contraire, c'est au gouverneur en
conseil de décider en dernier ressort si le pardon
doit être révoqué ou non de sorte que la recom-
mandation de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles n'était pas «une décision
finale emportant effet définitif.» Le juge Dickson,
dans son jugement dissident, a également souligné
que depuis l'arrêt McCaud, l'article 16(4) de la
14 [1928] 1 K.B. 411 à la page 415.
15 [1951] A.C. 66.
16 L'article 23 de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, S.R.C. 1970, e. P-2, dit:
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision
rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun
appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune
révision par un tribunal ou une autre autorité.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus a
été modifié, de sorte que la Commission doit main-
tenant, lorsque lui est renvoyé le cas d'un détenu à
liberté conditionnelle dont la libération condition-
nelle a été suspendue, faire effectuer toutes les
enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et
aucune décision n'est prise relativement à l'annula-
tion de la suspension ou à la révocation de la
libération conditionnelle avant que ces enquêtes ne
soient terminées et que la Commission ait examiné
la question; par conséquent, une décision doit être
prise que le juge Dickson estime être de nature
judiciaire ou quasi judiciaire.
La distinction entre la façon dont agissait la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les en l'espèce, en tant qu'organisme d'enquête
tenant son mandat du Solliciteur général du
Canada, et la façon dont elle doit agir lorsqu'elle
prend en considération la révocation de la libéra-
tion conditionnelle ressort d'une déclaration de feu
S.A. de Smith dans Judicial Review of Adminis
trative Action, 3 e éd. (1973) la page 68, citée à la
page 465 du jugement dissident rendu dans l'af-
faire Howarth, à savoir qu'[TRADUCTION] «un
organisme exerçant des pouvoirs qui sont simple-
ment de nature consultative, délibérante, investiga
tive, ou conciliatoire ou qui ne sont pas légalement
efficaces sans confirmation par un autre orga-
nisme, ou qui ne s'appliquent seulement qu'à la
prise d'une décision préliminaire, ne sera pas nor-
malement considéré comme agissant à titre
judiciaire.»
Dans l'affaire Guay c. Lafleur" le sous-ministre
du Revenu national a autorisé un fonctionnaire de
ce ministère à faire enquête sur les affaires de
l'intimé et d'autres personnes; il y eut audition de
témoins, qui ont déposé sous serment mais l'intimé
n'a pas été assigné pas plus qu'il n'a été officielle-
ment avisé de la tenue de l'enquête. A l'ouverture
de celle-ci, des avocats se sont présentés en son
nom pour demander que leur client puisse assister
à l'enquête et soit représenté par des avocats au
cours de l'interrogatoire de tous ceux qui avaient
été cités par l'enquêteur; cette requête fut rejetée.
L'intimé a obtenu une injonction, que la Cour
suprême a annulée. En rendant l'arrêt, le juge
Cartwright a déclaré aux pages 17-18:
19 [1965] R.C.S. 12.
[TRADUCTION] Bien sûr, il existe de nombreux organismes
administratifs liés par la maxime «audi alteram partem» mais
la raison en est qu'ils ont le pouvoir de rendre une décision qui
atteint les droits de certaines personnes ou leur impose des
obligations.
C'est d'un organisme investi d'un tel pouvoir que le lord
chancellier Loreburn a dit dans l'arrêt Board of Education c.
Rice [1911] A.C. 179 à la page 182
Inutile d'ajouter . .. qu'ils doivent agir de bonne foi et
entendre impartialement les deux parties, car c'est là le
devoir de toute personne ayant à juger quoi que ce soit.
L'appelant en l'espèce n'est pas autorisé à rendre une
décision.
et il a ajouté à la page 18:
De façon générale, mise à part une disposition législative la
rendant applicable, la maxime «audi alteram partem» ne s'ap-
plique pas à un agent d'administration dont la fonction consiste
simplement à recueillir des renseignements et à faire un rapport
et qui n'a aucunement le pouvoir d'imputer une responsabilité
ni de rendre une décision portant atteinte aux droits des parties.
On a mentionné et établi une distinction avec ce
jugement dans l'arrêt récent Saulnier c. La Com
mission de police du Québec 18 dans lequel le juge
Pigeon, prononçant la décision de la Cour, a
déclaré à la page 578:
Avec respect, je dois dire que la fonction de la Commission
n'est pas du tout celle de l'enquêteur en cause dans Guay c.
Lafleur. Cet enquêteur était uniquement chargé de recueillir
des renseignements et des éléments de preuve. Le ministre du
Revenu national pouvait bien ensuite se servir des preuves
documentaires recueillies, mais non d6s conclusions de l'enquê-
teur. C'est pourquoi l'on a décidé que l'enquêteur pouvait
refuser de permettre au contribuable visé d'être présent ou
représenté au genre d'enquête prévu par la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Il mentionne ensuite l'article 24 de la Loi de police
en vertu duquel a été faite l'enquête dans l'affaire
Saulnier et qui dit que des sanctions ne peuvent
pas être prises à moins que la Commission n'ait
entendu sur les faits qui donnent lieu au blâme ou
à la recommandation projetés la personne dont la
conduite fait l'objet de l'enquête, sauf si cette
personne a été invitée à se présenter devant la
Commission dans un délai raisonnable et si elle a
refusé ou négligé de le faire. Aux pages 578-579, il
se reporte en l'approuvant au jugement dissident
du juge Casey de la Cour d'appel de la province de
Québec dans lequel, établissant une distinction
avec l'affaire Guay c. Lafleur, il a déclaré en se
reportant à l'affaire qui lui était soumise:
1 » [1976] 1 R.C.S. 572.
[TRADUCTION] L'appelante a rendu une décision qui peut
nuire beaucoup à la réputation et l'avenir de l'intimé sinon les
détruire. Quand je lis les premier et quatrième considérants et
les conclusions de la sixième recommandation et quand je me
rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des faits
et des recommandations d'après lesquels normalement le Minis-
tre agira, l'argument qu'aucun droit n'a été défini et que rien
n'a été décidé est pur sophisme.
On peut certainement prétendre qu'en l'espèce, le
gouverneur en conseil adopterait sûrement la
recommandation de la Commission des libérations
conditionnelles portant sur la révocation du
pardon, transmise au Solliciteur général et adres-
sée par ce dernier au gouverneur en conseil en
reprenant fidèlement les termes dont s'est servie la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les lorsqu'elle a recommandé la révocation, et par
conséquent, peut-être serait-ce un sophisme
d'avancer que puisque la Commission nationale
des libérations conditionnelles ne prenait aucune
décision, mais au contraire ne faisait qu'enquêter
sur les faits, elle n'était pas tenue d'agir de façon
judiciaire ou quasi judiciaire.
Dans le jugement qu'il a rendu dans l'affaire
«Bo c. La Commission d'enquête [1975] C.F. 602
(précitée), mon collègue le juge Addy a traité
assez longuement des difficultés qu'il y a à conci-
lier cette jurisprudence assez compliquée lorsqu'il
déclare aux pages 611 et 612, en parlant de l'arrêt
Saulnier (précité):
La question a été tranchée en faveur de l'appelant au seul motif
que la Commission exerçait une fonction judiciaire ou quasi
judiciaire parce qu'elle était chargée de faire un rapport d'en-
quête qui «peut avoir des conséquences importantes sur les
droits des personnes qui en font l'objet» et parce qu'elle «portait
atteinte» aux droits de l'appelant.
Cette décision m'a beaucoup préoccupé, car elle a été rendue
quatre mois après l'arrêt Howarth (précité), par la même cour
et semble porter sur la ratio decidendi de l'arrêt Howarth
lequel avait suivi l'arrêt Calgary Power (précité), et les autres
arrêts que j'ai mentionnés, qui avaient été rendus par cette
même cour. A l'audience, j'ai demandé aux avocats si l'un
d'entre eux pouvait concilier la ratio decidendi de l'arrêt Saul -
nier et celle de l'arrêt Howarth et des autres arrêts suivis par
l'arrêt Howarth; ils ne m'ont proposé aucune solution
satisfaisante.
Comme l'a déclaré le juge Pigeon dans l'arrêt Saulnier, la
Commission faisait rapport au Ministre qui, strictement par-
lant, avait encore juridiquement le pouvoir de mettre à exécu-
tion les recommandations ou de ne pas le faire, et, d'un point de
vue pratique, on doit presque tenir pour acquis qu'il suivrait la
recommandation de la Commission qu'il avait créée, mais il
faut néanmoins se rappeler que, dans l'affaire Howarth, il n'y
avait aucune autre autorité compétente pour régler la question
de révocation de la libération conditionnelle et que la décision
était définitive à tout point de vue et ne représentait pas un
simple rapport adressé à une autorité supérieure. En outre dans
l'affaire Howarth la Commission avait à décider de la liberté
d'un sujet alors que dans l'affaire Saulnier elle s'occupait des
conditions de l'emploi de celui-ci et de son éventuelle
rétrogradation.
L'arrêt Saulnier n'a cité aucune décision antérieure, à l'ex-
ception de l'arrêt Guay c. Lafleur (précité), qui se distingue du
fait qu'il a établi que les droits d'un contribuable n'étaient pas
affectés par la cotisation. Puisque l'arrêt Saulnier n'a fait
aucune mention de l'arrêt Howarth qui, comme je l'ai déjà dit,
avait suivi plusieurs décisions antérieures de la Cour suprême
du Canada, je ne peux pas conclure que, dans l'arrêt Saulnier,
la Cour entendait modifier le droit ou reviser l'interprétation
qu'elle en avait faite dans ce dernier arrêt majoritaire. Je ne
peux non plus souscrire à l'opinion de l'avocat du requérant,
selon laquelle l'arrêt Saulnier peut être considéré comme un
précédent établissant le principe que la procédure est judiciaire
ou quasi judiciaire, par le simple fait qu'une loi accorde à une
personne le droit d'être entendue par un conseil ou une commis
sion. L'arrêt Saulnier n'est pas censé établir ce principe. A ce
sujet, je trouve un appui considérable dans la décision de mon
collègue le juge Collier dans l'affaire La succession Grauer c.
La Reine [1973] C.F. 355, où il a décidé que, dans les auditions
tenues en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'expropriation
S.R.C. 1970, (1°' Supp.) c. 16 en ce qui concerne la nécessité de
l'expropriation, lorsqu'une disposition spéciale prévoit que les
parties seront entendues, ces auditions revêtent un caractère
purement administratif puisqu'elles ne peuvent donner lieu qu'à
un simple rapport et que le fonctionnaire qui en est chargé n'a
pas le pouvoir de rendre une décision.
Aux pages 609 et 610 de sa décision, en plus de
discuter des conclusions des arrêts Howarth, Cal-
gary Power, et Guay c. Lafleur, le juge Addy
renvoie à deux arrêts de la Cour suprême, décla-
rant ce qui suit:
Dans l'affaire St. John c. The Vancouver Stock and Bond
Company Limited [1935] R.C.S. 441, une enquête a été tenue
en vertu de la Securities Fraud Prevention Act de la Colombie-
Britannique pour déterminer si un acte frauduleux ou une
violation de la Loi avait été commis et il a été décidé qu'une
telle enquête ne constituait, en aucune façon, une procédure
judiciaire ou quasi judiciaire et que le simple fait qu'une
procédure puisse affecter—et non pas déterminer—les droits
d'une personne ne suffit pas à lui conférer le caractère judi-
ciaire ou quasi judiciaire.
L'arrêt Godson c. City of Toronto (1891) 18 R.C.S. 36 porte
sur une enquête effectuée par un juge en qualité de persona
designata en vertu d'une résolution d'un conseil municipal,
prise conformément aux dispositions de la Municipal Act;
l'enquête avait été faite pour déterminer s'il y avait eu fraude,
mauvaise conduite, infraction ou abus de confiance de la part
des personnes ayant contracté avec la municipalité. La Loi
prévoyait que le juge aurait les pouvoirs conférés à un commis-
saire en vertu d'une Loi sur les enquêtes publiques et avait pour
mission de présenter un rapport. L'arrêt de la Cour d'appel de
l'Ontario a été confirmé par la Cour suprême du Canada et il a
été décidé que cette enquête ne constituait, en aucune façon,
une procédure judiciaire puisqu'elle avait pour objet d'obtenir
des renseignements pour le conseil en ce qui concerne la
conduite de ses membres, fonctionnaires et entrepreneurs et
qu'à partir de ce rapport, le conseil pourrait, à sa discrétion,
prendre des mesures.
Il a jugé que dans l'affaire qui lui était soumise, le
commissaire remplissait simplement une fonction
administrative et en fait il a conclu que la compé-
tence qu'accorde l'article 18 la Division de pre-
mière instance de rendre une ordonnance déclara-
toire ne pouvait s'exercer que dans un cas
semblable. Il déclare à la page 619:
En ce qui concerne l'ordonnance déclaratoire, puisqu'un
office ou une commission, exerçant des pouvoirs judiciaires ou
quasi judiciaires, ne pouvait jamais faire l'objet d'une action en
justice ou de redressements ou procédures en equity, et puisque
le redressement approprié contre un tel organisme s'obtient par
voie de bref de prohibition ou d'examen judiciaire par la Cour
d'appel en vertu de l'article 28, je ne peux pas considérer que
l'article 18 a ainsi créé un nouveau redressement par voie
d'ordonnance déclaratoire. En ce qui concerne les décisions ou
actions d'un tel organisme, on ne peut obtenir de jugements
déclaratoires. Cependant, puisqu'il faut donner un sens aux
mots, ils doivent donc être entendus comme accordant la com-
pétence sur un office fédéral, etc., exerçant des fonctions non
judiciaires.
A la lumière de la jurisprudence précitée, nous
faisons face en l'espèce à une triple difficulté.
1. On ne trouve dans la Loi aucune disposition
portant que le demandeur doit être entendu au
cours de l'enquête sur la révocation de son pardon
puisqu'en fait, la Loi reste muette sur la façon
dont doit se tenir l'enquête permettant au gouver-
neur en conseil de conclure que la révocation du
pardon s'impose.
2. La recommandation de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, ou plus parti-
culièrement celle des commissaires chargés de l'en-
quête, ne peut régler la question, la décision finale
relevant du gouverneur en conseil; cependant, il
faut dire qu'en pratique, il est plus que probable
que la recommandation sera adoptée.
3. Si l'on conclut que l'enquête doit se faire selon
un processus judiciaire ou quasi judiciaire, il n'est
pas certain que l'article 18 accorde à la Division de
première instance la compétence pour connaître de
telles actions déclaratoires.
Selon plusieurs des arrêts susmentionnés, il ne
faut pas nécessairement prendre une décision selon
un processus judiciaire ou quasi judiciaire simple-
ment parce qu'elle portera atteinte aux droits
d'une partie; je n'en estime pas moins qu'en l'es-
pèce, il ne fallait pas révoquer le pardon sans tenir
compte des principes de justice naturelle, y com-
pris le droit du demandeur de se faire entendre et
de présenter des observations. En concluant de la
sorte, je n'oublie pas la décision rendue dans l'af-
faire Wilson c. Esquimalt and Nanaimo Railway
Company (précitée) portant premièrement que la
Cour ne peut mettre en doute ce que le gouverneur
en conseil considère être une preuve suffisante et,
deuxièmement, que le gouverneur en conseil n'est
pas astreint à suivre les règles de procédure régis-
sant les actions engagées devant les cours de jus
tice et en l'absence de raisons concluantes établis-
sant le contraire, il faut présumer qu'il a adopté la
procédure suivie en exerçant le pouvoir discrétion-
naire que lui confère la loi, avec le souci d'accom-
plir convenablement le devoir dont il était chargé.
Ce qui nous amène à la question à résoudre en
l'espèce, c'est-à-dire savoir si, en fait, vu la nature
de l'enquête et la façon dont on y a procédé, le
brocard audi alteram partem et les règles de jus
tice naturelle ne s'en sont pas trouvées frustrées?
A ce propos, le demandeur a tout d'abord allégué
que les commissaires chargés de l'enquête étaient
prévenus contre lui. A motivé cette prétention, la
rédaction malheureuse du second paragraphe de la
lettre datée le 21 mai 1975, adressée à Desjardins
pour l'informer que lui-même ou son conseiller
juridique avait le droit de se présenter devant la
Commission pour faire toutes les représentations
jugées opportunes. Voici le paragraphe en
question:
Conformément à l'article 7 de ladite loi, la Commission se
propose présentement de recommander au Solliciteur général
du Canada la révocation du pardon octroyé.
On a vu dans ce paragraphe la preuve que les
commissaires s'étaient déjà fait une idée et on a
renvoyé à l'arrêt Cathcart c. La Commission de la
Fonction publique 19 où il est dit que lorsqu'un
organe quasi judiciaire s'est familiarisé au préala-
ble avec un aspect du litige sur lequel il est tenu de
se prononcer, il est à craindre que son aptitude à
agir avec impartialité à l'audience qui doit suivre
se trouve diminuée. Sans être en désaccord avec
19 [1975] C.F. 407.
cette décision, je doute sérieusement qu'elle puisse
s'appliquer aux faits en l'espèce. Il ressort claire-
ment de l'article 4(4) de la Loi que lorsqu'elle
octroie un pardon, la Commission mène à bien son
enquête sans prendre contact avec la personne qui
en est l'objet; cette dernière a la possibilité de
présenter des observations seulement si la Com
mission se propose de faire une recommandation
défavorable. La Loi étant muette sur les modalités
de l'enquête préalable à la révocation possible du
pardon, peut-on blâmer la Commission d'avoir
étudié d'abord les documents dont elle disposait,
comme elle le fait lorsqu'il s'agit d'octroyer un
pardon? Sans doute eût-il mieux valu que le
second paragraphe de la lettre adressée à Desjar-
dins portât simplement que la Commission étudiait
la possibilité de recommander la révocation de son
pardon au Solliciteur général, tout en l'invitant à
présenter ses observations, plutôt que d'indiquer
son intention de faire une telle recommandation,
obligeant ainsi le demandeur à justifier ses objec
tions et à prouver qu'il n'avait pas cessé de se bien
conduire; néanmoins, je ne suis pas disposé à con-
clure que cela suffisait à les empêcher de terminer
leur enquête et de faire leur recommandation,
d'autant plus qu'il s'agissait seulement d'une
recommandation de leur part et non d'une décision
finale. J'en arrive maintenant à la question de
savoir si, dans la conduite de leur enquête, les
commissaires ont observé la règle audi alteram
partem. On ne conteste pas que le demandeur a eu,
à deux reprises, toute possibilité de présenter des
observations et de se faire entendre et c'est sur
l'avis de son avocat qu'il n'a rien dit, au motif
qu'avant de faire une déclaration, il lui fallait
connaître la nature exacte de la preuve dont dispo-
saient les commissaires à son encontre et sur les-
quelles ils entendaient fonder leur recommanda-
tion. L'arrêt Kanda c. Government of the
Federation of Malaya 20 exprime particulièrement
bien la règle audi alteram partem à la page 337:
[TRADUCTION] Si le droit d'être entendu doit avoir une
valeur réelle et pratique, il doit comporter, pour l'accusé, le
droit de connaître la preuve réunie contre lui. Ce dernier doit
être informé des témoignages et des déclarations qui l'intéres-
sent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire.
20 [1962] A.C. 322.
Dans l'arrêt Confederation Broadcasting Lim
ited c. Le Conseil de la radio-télévision
canadienne 21 , le juge Spence a déclaré à la page
925:
Il est très clair que la justice naturelle exige qu'une personne
connaisse parfaitement et complètement les accusations portées
contre elle et qu'elle ait l'occasion de répondre à ces
accusations.
Dans l'arrêt Teasdale c. Commission de contrôle
des permis d'alcool 22 , le juge Jacques Dugas a
déclaré à la page 323:
On ne donne pas à un individu l'occasion de se faire entendre
si on ne l'informe pas de ce sur quoi il a intérêt de se faire
entendre. Comment peut-il se préparer adéquatement à l'audi-
tion, s'il ne sait pas ce qui l'attend.
Voici ce qu'a déclaré le juge Thurlow dans l'arrêt
Lazarov c. Le Secrétaire d'État du Canada 23 aux
pages 940-41:
Ceci ne veut pas dire qu'on doit nécessairement lui communi-
quer le texte ou la teneur d'un rapport confidentiel; mais on
doit le lui faire connaître suffisamment bien pour lui permettre
de répondre aux allégations pertinentes qui, si on ne leur oppose
aucune dénégation ou explication entraîneront le rejet de sa
demande. On doit donc lui donner une possibilité raisonnable
de les contester ou de s'en expliquer.
Dans Komo Construction Inc. c. Commission des
Relations de Travail du Québec 24 , le juge Pigeon
déclare à la page 175:
Pour ce qui est de l'application de la règle audi alteram
partem, il importe de noter qu'elle n'implique pas qu'il doit
toujours être accordé une audition. L'obligation est de fournir à
la partie l'occasion de faire valoir ses moyens. Dans le cas
présent, en face d'une contestation qui soulève uniquement un
moyen de droit, la Commission n'abusa pas de sa discrétion en
décidant qu'elle n'avait pas besoin d'en entendre davantage
avant de rendre sa décision.
Un examen attentif de ces arrêts indique qu'une
partie doit toujours avoir l'occasion de se faire
entendre à moins de lui nier toute justice naturelle
et bien que normalement, elle doit connaître les
accusations portées contre elle afin de présenter
des observations appropriées, ce n'est pas essentiel
si elle est déjà au courant de ce dont on l'accuse.
En l'espèce, il ne fait aucun doute que le deman-
deur Desjardins connaissait parfaitement les
témoignages relatifs à sa conduite présentés devant
la Commission Cliche, lesquels ont poussé cette
21 [1971] R.C.S. 906.
22 [1974] C.S. 319.
23 [1973] C.F. 927.
24 [1968] R.C.S. 172.
dernière à faire un rapport contenant des alléga-
tions si sérieuses contre lui que le Procureur géné-
ral de la province de Québec a demandé la révoca-
tion de son pardon. Plusieurs mois plus tôt, le
Solliciteur général du Canada avait déjà entrepris
des démarches en ce sens, probablement à la suite
de révélations faites au cours des audiences tenues
par la Commission Cliche, bien que le dossier ne le
dise pas spécifiquement. Quoi qu'il en soit, le
demandeur ou son avocat avait certainement en sa
possession une copie du rapport, que tous deux
avaient lu et étudié, de sorte que Desjardins con-
naissait parfaitement les accusations portées
contre lui et sur lesquelles les commissaires de la
Commission nationale des libérations conditionnel-
les allaient fonder leur recommandation portant
qu'il avait cessé de se bien conduire. Il n'y a
aucune raison pour supposer qu'ils possédaient, ou
avaient besoin contre lui, de preuves autres que
celles contenues dans le rapport. Bien que le dos
sier ne fasse pas état de la teneur de ce rapport,—
et d'ailleurs la Cour ne pourrait conclure si elle
justifiait le gouverneur en conseil de décider que le
demandeur avait cessé de se bien conduire—il est
spécieux de la part de ce dernier de s'être déclaré
ignorant des accusations dont il faisait l'objet et
partant, incapable d'y répondre. Je ne vois pas
pourquoi les commissaires ont refusé obstinément,
par principe semble-t-il, et selon leur pratique
lorsqu'ils étudient les demandes d'octroi ou de
révocation de la liberté conditionnelle, de révéler
au demandeur les preuves réunies contre lui alors
qu'il leur aurait probablement suffi de mentionner
le rapport Cliche; cependant, Desjardins n'a qu'à
s'en prendre à lui-même s'il a refusé de présenter
des observations à sa décharge quand il en avait la
possibilité. Je n'ai pas à me prononcer sur la
question de savoir si ces observations auraient
incité les commissaires ou la Commission nationale
des libérations conditionnelles à faire une recom-
mandation différente, mais je ne puis conclure que
Desjardins n'a pas disposé de l'entière liberté de se
faire entendre. Par conséquent, je dois statuer que
même si les procédures étaient de nature judiciaire
ou quasi judiciaire et devaient être conduites con-
formément aux principes de la justice naturelle,
ces principes ont en fait été observés de façon
satisfaisante et l'action du demandeur est donc
rejetée.
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