T-5370-73
Wong Wing Food Products Co. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, les 2, 3 et 4 février; Ottawa, le 3 mars
1976.
Expropriation—Quartier chinois de Montréal—La défende-
resse peut-elle demander à la demanderesse de payer un loyer
pour avoir occupé les lieux gratuitement après que celle-ci eut
accepté une offre d'indemnité de la défenderesse—Loi sur
l'expropriation, S.R.C. 1970 (1 er Supp.) c. 16, art. 17,
24(3)b)(ii),(4)b)(ii),(5), 29(1), 33(3) Code civil du Québec, art.
1634, 2214, 2215—Loi sur la Cour fédérale, art. 17(4) et Règle
420.
Il s'agit de savoir si la défenderesse peut demander à la
demanderesse de payer un loyer pour avoir occupé les lieux
gratuitement après que celle-ci eut accepté l'offre d'indemnité
de la défenderesse, étant donné qu'il vient d'être jugé dans
l'affaire La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbyté-
rienne au Canada [1976] 1 C.F. 632 que la défenderesse doit
en vertu de l'article 33(3) payer un intérêt à partir de la date de
l'offre jusqu'à la date de jugement. La défenderesse a proposé
de modifier son exposé de défense pour réclamer le loyer, et la
demanderesse a répondu que sa demande en dommages-intérêts
avait été réglée, sauf pour certains postes, et qu'il était trop
tard pour présenter cette demande reconventionnelle.
Arrêt: la Cour peut autoriser la production de l'exposé de
défense modifiée en vertu de la Règle 420. Le droit de la
défenderesse de présenter une modification pour demander un
loyer n'est pas prescrit en vertu de la Loi sur l'expropriation ni
en vertu du Code civil du Québec. L'article 24(5) de la Loi sur
l'expropriation permet de diminuer les sommes accordées lors-
que l'ancien propriétaire est autorisé à rester dans les lieux
après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre matérielle-
ment possession ou d'en faire usage (ou lorsque le Ministre a
aidé l'ancien propriétaire à chercher et à obtenir des lieux de
remplacement).
Il est fort possible que la défenderesse ait eu l'impression en
négociant cet accord qu'elle n'aurait pas à payer d'intérêt
jusqu'à ce que la demanderesse ait quitté les lieux; cependant,
si tel est le cas, il s'agissait d'une erreur de droit qui ne justifie
pas une réclamation tardive pour la valeur locative, laquelle
n'aurait jamais été présentée si la défenderesse ne s'était aper-
çue que par suite de l'arrêt L'Église presbytérienne (précité)
elle aurait à payer un intérêt à la demanderesse pour la période
où celle-ci a continué d'occuper les lieux après que la défende-
resse eut acquis le droit d'en prendre possession. Sous la
nouvelle Loi, il semble que la Couronne, pour protéger son
intérêt, doit conclure des baux avec les anciens propriétaires qui
continuent d'occuper les lieux après la date à laquelle la
Couronne acquiert le droit d'en prendre possession. La
demande reconventionnelle de la défenderesse ne peut pas être
présentée en vertu de l'article 24(5) et (3)b)(ii) de manière à
diminuer les sommes déjà convenues entre les parties.
Arrêt appliqué: La Reine c. Le Bureau de fiducie de
l'Église presbytérienne au Canada [1976] 1 C.F. 632.
REQUÊTE.
AVOCATS:
S. Handelman pour la demanderesse.
R. Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Handelman & Handelman, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les présentes procédures sont
nées d'une action visant à établir la somme que la
défenderesse doit verser à la demanderesse pour
l'expropriation, survenue le 21 décembre 1972, de
sa propriété industrielle située dans la partie de
Montréal connue sous le nom de quartier chinois
et faisant partie de la propriété acquise en vue de
l'aménagement de la Place Guy Favreau. Par suite
de divers accords intervenus entre les parties avant
et pendant l'audience, le seul point qu'il reste à
régler est de savoir si la défenderesse peut mainte-
nant demander à la demanderesse de payer un
loyer pour avoir occupé les lieux gratuitement
après l'acceptation sous toute réserve d'une indem-
nité de $335,700 offerte par la défenderesse, étant
donné qu'il vient d'être jugé' que la défenderesse
doit, en vertu de l'article 33(3), payer un intérêt à
partir de la date de l'offre jusqu'à la date de
jugement. La demanderesse a continué d'occuper
les lieux jusqu'aux environs du ler mai 1974, date à
laquelle elle occupa des locaux neufs qu'elle avait
été contrainte de construire ailleurs afin de pour-
suivre ses affaires. Au lieu d'un intérêt, la défende-
resse veut maintenant obtenir un loyer pour la
période de 13 mois du l er avril 1973 2 au premier
mai 1974.
1 La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne
au Canada [1976] 1 C.F. 632.
2 En vertu des dispositions de l'article 17 de la Loi sur
l'expropriation, S.R.C. 1970 (P' Supp.) c. 16, la défenderesse
aurait pu prendre possession de l'immeuble le ler avril 1973,
conformément au préavis donné le 21 décembre 1972.
Avant les auditions, les parties s'étaient enten-
dues sur les chiffres suivants:
[TRADUCTION] La valeur de remplacement des
biens immeubles expropriés (Paragraphes 8a),b)
et c) de la demande modifiée) $320,000.00
Dommages occasionnés par le déménagement et
la réinstallation du matériel spécialisé dans les
nouveaux locaux—(Paragraphes 9a)(i),(ii),(iii),
(iv) et (y)) $ 57,244.04
Dommages supplémentaires occasionnés par l'ex-
propriation (Paragraphes 9b)(i),(ii),(iii),(iv),(v),
(vi),(XI) et (XII)) $ 80,152.00
Aucun accord n'était alors intervenu pour les
postes réclamés aux paragraphes 9b)(vii),
(viii),(IX) et (X) que voici.
[TRADUCTION] (vii) démolition de bâtiment sur
les lieux, préalable à une extension qu'on n'a pas
pu réaliser $ 2,800
(viii) plans d'extension $ 7,500
(IX) monte-charge $ 500
(X) Dommages pour retard dû aux promesses
qu'auraient données des représentants de la
défenderesse selon lesquelles la demanderesse
pourrait se réinstaller dans le quartier chinois, à
la suite de quoi les dépenses de reconstruction
imputées à la demanderesse ont augmenté de $111,000
Le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire
La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église
presbytérienne au Canada (précitée) a été rendu
peu avant l'audition de cette affaire, et la défende-
resse en conclut qu'elle devra payer un intérêt à la
demanderesse même si cette dernière a occupé les
lieux jusqu'au l er mai 1974 environ durant la
construction de son nouvel immeuble. Avant ce
jugement, la défenderesse pensait qu'une partie
expropriée qui reste en possession des lieux sans
verser de loyer ne pouvait demander aucun intérêt
conformément à la jurisprudence établie sous l'an-
cienne Loi sur l'expropriation. Par conséquent, la
défenderesse a demandé à l'ouverture de l'au-
dience l'autorisation de modifier son exposé de
défense de façon à réclamer le loyer depuis le 4
octobre 1972, date d'expropriation, jusqu'au 30
avril 1974, soit une période approximative de 19
mois. La demanderesse s'est opposée à cette modi
fication qui, en réalité, équivaut à une demande
reconventionnelle, aux motifs que sa demande de
dommages-intérêts faisant suite au déménage-
ment, sauf pour ce qui concerne certains postes
encore en litige, avait déjà été réglée par accord et
qu'il était maintenant trop tard pour présenter
cette demande reconventionnelle. Voici le texte
invoqué de l'article 24(5) de la Loi:
(5) Aux fins des sous-alinéas (3)b)(ii) et (4)b)(ii), on doit
tenir compte du moment auquel et des circonstances dans
lesquelles un titulaire a été autorisé à conserver l'occupation de
l'immeuble après que la Couronne a acquis le droit d'en
prendre matériellement possession ou d'en faire usage ainsi que
de toute assistance fournie par le Ministre pour permettre à ce
titulaire de chercher et d'obtenir des lieux de remplacement.
Le sous-alinéa (3)b)(ii) auquel il est fait référence
serait applicable en l'espèce. En voici le texte:
(3) Lorsque le titulaire d'un droit exproprié occupait l'im-
meuble à la date d'enregistrement de l'avis de confirmation et,
qu'à la suite de l'expropriation, il lui a fallu renoncer à l'occu-
pation de l'immeuble, la valeur du droit exproprié est le plus
élevé des deux montants suivants:
b) l'ensemble
(ii) des frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes
au trouble de jouissance éprouvé par le titulaire, y compris
son déménagement dans d'autres lieux, mais s'il n'est pas
possible de les évaluer ou de les déterminer en pratique, on
peut les remplacer par un pourcentage n'excédant pas
quinze pour cent de la valeur marchande déterminée
comme l'indique le sous-alinéa (i),
plus la valeur, pour le titulaire, de tout facteur représentant
pour lui un avantage économique particulier attribuable ou
connexe à son occupation de l'immeuble, dans la mesure où
le présent alinéa ne prévoit pas par ailleurs l'inclusion de ce
facteur dans la détermination de la valeur du droit exproprié;
La demanderesse prétend que l'article 24(5) ne
peut pas s'appliquer puisque les postes de dépense
inclus à l'article 24(3)b)(ii) ont déjà été réglés. De
son côté, la défenderesse prétend que le paragra-
phe (5) pourrait s'appliquer de toute façon, même
sans modifier l'exposé de défense, puisque l'article
24(3)b)(ii) se rapporte aux «troubles de jouissance
éprouvée par le titulaire», étant donné que l'autori-
sation accordée à la demanderesse de bénéficier de
l'occupation paisible jusqu'à achèvement de la
construction de ses nouveaux locaux a certaine-
ment diminué l'importance du facteur «trouble de
jouissance» invoqué par la demanderesse. La
défenderesse prétend en outre que la Cour n'est
pas tenue d'accepter les termes d'un règlement, et
ne le devrait pas dans cette affaire puisque la
défenderesse a proposé de bonne foi un règlement
de l'indemnité réclamée par la demanderesse,
étant sous l'impression que celle-ci ne se verrait
pas accorder d'intérêt sur le montant supplémen-
taire de la réclamation pendant la durée de son
occupation continue des lieux. En réponse à cet
argument, la demanderesse soutient que la Cour
ne devrait pas se servir de l'article 24(5) de la Loi
pour diminuer indirectement l'intérêt demandé
alors qu'il vient d'être jugé qu'un tel intérêt peut
être réclamé en vertu de l'article 33(3).
Il apparaît utile maintenant de citer cet article:
33. (3) Lorsqu'une offre a été acceptée, un intérêt est paya
ble par la Couronne depuis la date de l'offre jusqu'à la date du
prononcé du jugement,
a) au taux de base, sur le montant par lequel l'indemnité
dépasse le montant de l'offre, et, par surcroît,
b) au taux de cinq pour cent l'an sur l'indemnité, si le
montant de l'offre est inférieur à quatre-vingt-dix pour cent
de l'indemnité; 3
Le sens de «taux de base» apparaît à l'article
33(1).
La demanderesse prétend en outre que la
demande reconventionnelle est de toute façon pres-
crite; elle invoque l'article 29(1)a) de la Loi dont
voici le texte:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
a) une personne qui peut prétendre à une indemnité pour un
droit exproprié peut,
(i) à tout moment après l'enregistrement de l'avis de
confirmation, si elle n'a accepté aucune offre faite en vertu
de l'article 14, et
(ii) dans un délai d'un an à compter de l'acceptation de
l'offre, dans tout autre cas,
engager des procédures devant le tribunal par voie d'exposé
de la demande pour le recouvrement du montant de l'indem-
nité à laquelle elle a alors droit;
et elle soutient que, puisqu'elle était obligée d'en-
gager ses procédures dans le délai d'un an à comp-
ter de la date de l'acceptation de l'offre, date
applicable en l'espèce, le même délai devrait s'ap-
pliquer à la demande reconventionnelle. La défen-
deresse invoque cependant l'article 29(1)b) dont
voici le texte:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
b) le procureur général du Canada peut, à tout moment
après l'enregistrement de l'avis de confirmation, que des
procédures en vertu de l'alinéa a) aient été engagées ou non,
produire auprès du tribunal un avis sur la question indiquant
La clause finale n'est pas citée ici car elle ne s'applique pas
étant donné que l'offre a été acceptée avant la date de mise en
possession qui par définition était le le avril 1973, date à
laquelle la Couronne était habilitée à prendre possession en
vertu de sa notification du 21 décembre 1972.
(i) les détails de l'expropriation concernant tout terrain
visé par l'avis de confirmation,
(ii) les noms, dans la mesure où on peut les connaître, de
chaque personne ayant droit à une indemnité pour un droit
exproprié et les noms des personnes qui doivent être parties
aux procédures,
(iii) le montant de toute offre faite en vertu de l'article 14,
à des personnes qui doivent être parties aux procédures, et
(iv) les autres faits qui semblent être pertinents. 4
et elle souligne qu'elle peut invoquer à tout
moment, dans la mesure où elle est concernée, les
autres faits qui semblent pertinents. La défende-
resse invoque en outre les articles 2214 et 2215 du
Code civil du Québec dont voici le texte:
Art. 2214. Le droit de Sa Majesté au fonds des rentes,
prestations et revenus à elle dus et payables, et aux sommes
capitales provenant du prix de l'aliénation ou de l'usage des
biens du domaine, sont aussi imprescriptibles.
Art. 2215. Les arrérages des rentes, prestations, intérêts et
revenus, et les créances et droits appartenant à Sa Majesté non
déclarés imprescriptibles par les articles qui précèdent, se pres-
crivent par trente ans.
La question de recevabilité de la modification a
été prise en délibéré et les parties ont entrepris de
présenter leurs preuves. Avant même d'en avoir
terminé, un autre accord est intervenu aux termes
duquel on accepte les réclamations que fait valoir
la demanderesse aux paragraphes 9b)(vii) et (viii)
de sa demande modifiée, c'est-à-dire $2,800 pour
la démolition de bâtiment préalable à la construc
tion de l'extension qu'on n'a pas pu réaliser et
$7,500 pour les plans d'extension; la demanderesse
a retiré sa réclamation d'un montant de $500 pour
le monte-charge et de $111,000 pour les domma-
ges résultant du retard pendant qu'elle cherchait
un nouvel emplacement. En outre, l'accord fixait
les honoraires d'avocats et les dépens à $15,000, y
compris les dépens des présentes procédures, et à
$9,170 les honoraires d'experts. Il a été également
convenu que l'intérêt serait payable conformément
à l'article 33 de la Loi.
Avant d'aborder le fond de l'exposé de défense
modifiée, il faut décider si l'on doit accepter la
modification. Il ne fait pas de doute qu'en vertu
des pouvoirs discrétionnaires que lui reconnaît la
Règle 420, la Cour a le droit d'autoriser la produc
tion de l'exposé de défense modifiée.
4 C'est moi qui souligne.
J'ai conclu que le droit pour la défenderesse
d'apporter une modification visant à réclamer un
loyer à la demanderesse n'est pas éteint par la
prescription ni en vertu des dispositions de la Loi
sur l'expropriation ni de celles du Code civil de la
province de Québec. Je conclus en outre que l'arti-
cle 24(5) de la Loi sur l'expropriation (précité)
n'autorise pas simplement, comme le soutient la
demanderesse, une augmentation de la somme qui
doit être accordée lorsqu'une partie expropriée doit
renoncer à l'occupation des lieux, mais qu'il
permet au contraire de diminuer les sommes accor-
dées lorsqu'un ancien propriétaire a été autorisé à
conserver l'occupation de l'immeuble après que la
Couronne a acquis le droit d'en prendre matérielle-
ment possession ou d'en faire usage, ou lorsque le
Ministre a aidé l'ancien propriétaire à chercher et
à obtenir des lieux de remplacement, ce qui n'est
pas le cas dans la présente affaire. C'est pourquoi
je pense qu'il faudrait verser au dossier la demande
modifiée et, par conséquent, autoriser la défende-
resse à apporter sa modification. Cela ne revient
pas à dire cependant que l'exposé de défense modi-
fiée devrait être accueilli au fond.
Comme il a été souligné, l'article 24(5) permet
de tenir compte, en l'espèce, de l'occupation conti
nue des lieux par la demanderesse après que la
Couronne a acquis le droit d'en prendre possession
mais seulement aux fins du sous-alinéa (3)b)(ii)
qui prévoit le calcul des frais, dépenses et pertes
attribuables ou connexes au trouble de jouissance
éprouvé par le titulaire, y compris son déménage-
ment dans d'autres lieux. Les réclamations en
vertu de ces chapitres avaient déjà fait l'objet d'un
accord entre les parties avant le début de l'au-
dience et l'on remarquera que la demanderesse a
quelque peu réduit dans l'accord négocié les
sommes qu'elle réclamait au début pour ces postes
dans sa demande modifiée. Il est fort possible que
la défenderesse ait eu l'impression en négociant cet
accord qu'il ne lui serait pas demandé de payer
d'intérêt sur le montant accordé si ce n'est pour la
période postérieure au Zef mai 1974, jour où la
demanderesse a quitté les lieux; cependant, si tel
est le cas, il s'agissait, d'une erreur de droit qui,
bien que concevable en raison de la jurisprudence
antérieure, ne justifie pas à mon avis une réclama-
tion reconnue tardive pour la valeur locative des
lieux durant la période d'occupation de ceux-ci par
la demanderesse. Cette réclamation n'aurait
jamais été faite si, par suite du jugement de la
Cour d'appel rendu dans l'affaire La Reine c. Le
Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au
Canada (précitée), la défenderesse ne s'était aper-
çue qu'elle aurait à payer un intérêt à la demande-
resse pour la période où celle-ci a continué à
occuper les lieux après que la défenderesse eut
acquis le droit d'en prendre possession. En vertu de
la nouvelle Loi sur l'expropriation et de cette
décision, il n'est plus possible de suivre l'ancienne
pratique qui était au mieux un moyen approxima-
tif et inexact pour parvenir à ce qui se rapprochait
d'un résultat juste. Un propriétaire exproprié qui
était autorisé à rester sur les lieux, parce que cela
lui convenait ou parce que la Couronne n'exigeait
pas immédiatement la propriété, ne devait pas
habituellement payer un loyer pour cette raison,
mais l'intérêt sur la somme qui lui était finalement
attribuée ou sur la partie de cette somme qui
excède celle versée antérieurement ne courait alors
qu'à partir de la date à laquelle il avait quitté les
lieux. Il est évident que l'intérêt, qui dépend d'une
part de la somme accordée et d'autre part de la
valeur locative des lieux, pouvait être d'un montant
beaucoup plus élevé ou beaucoup moins élevé que
la valeur locative. Si l'intérêt était supérieur, rien
n'empêchait évidemment le propriétaire de partir
pour que l'intérêt puisse commencer à courir. Si
l'intérêt était inférieur, la Couronne tolérait sou-
vent la situation jusqu'à ce qu'elle ait besoin de
prendre possession matérielle de la propriété. Sous
la nouvelle Loi, il semble que la Couronne, pour
protéger son intérêt, doit conclure des baux avec
les anciens propriétaires qui continuent d'occuper
les lieux après la date à laquelle la Couronne
acquiert le droit d'en prendre possession en vertu
des dispositions de la Loi.
C'est ce qu'a reconnu la défenderesse, bien
qu'elle n'ait pas agi de cette façon dans la présente
affaire. Voici ce que déclare une lettre du 12
janvier 1973 envoyée par J. R. Desnoyers, Direc-
teur adjoint suppléant de la Division des services
immobiliers, à l'avocat de la demanderesse:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'avis de possession qui a été
envoyé, le Ministère n'assumera la gestion de la propriété qu'à
partir du 1°" avril 1973 comme le mentionne l'avis. Cela signifie
par conséquent que nous pourrons percevoir à partir de cette
date le loyer des lieux expropriés.
Autant que nous sachions, la libre possession des biens ne sera
pas exigée avant le 1°" octobre 1973.
Cependant, aucune suite n'a été donnée à cette
lettre et aucun bail n'a été signé, mais la demande-
resse ne peut pas prétendre ne pas avoir été préve-
nue qu'un loyer pouvait être réclamé. Voici ce que
déclare l'article 1634 du Code civil du Québec:
Art. 1634. La personne qui occupe un immeuble avec la
tolérance du propriétaire est présumée locataire, sauf preuve
contraire.
Dans ce cas, le bail est à durée indéterminée. Il commence en
même temps que l'occupation et comporte un loyer correspon-
dant à la valeur locative.
La demanderesse était certainement un occupant
toléré au sens de cet article. Elle était obligée de
payer un loyer correspondant à la valeur locative.
La défenderesse prétend que si cette réclamation
ne peut être faite par voie de demande reconven-
tionnelle dans les présentes procédures résultant de
son exposé de défense modifiée, des poursuites
différentes pourraient néanmoins être intentées en
vertu du droit civil et que la Cour en vertu de
l'article 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale aurait
une compétence concurrente pour connaître de ces
poursuites. La défenderesse fait valoir qu'il fau-
drait joindre ce point litigieux à la présente affaire
pour éviter une multiplicité de procédures. Même
si cet argument présente un certain intérêt, je ne
puis en conclure que la demande reconventionnelle
de la défenderesse pour la valeur locative puisse
être présentée à ce stade dans le cadre de l'article
24(5) et (3)b)(ii) de la Loi sur l'expropriation de
manière à diminuer les sommes déjà convenues par
les parties comme dommages-intérêts suffisants en
vertu de ces articles. En tirant cette conclusion, je
n'exprime pas d'opinion sur la question de savoir si
la défenderesse a le droit de réclamer ledit loyer
par voie de procédures appropriées engagées
devant la Cour fédérale ou devant la Cour supé-
rieure de la province de Québec.
Étant parvenu à cette conclusion, il n'est pas
nécessaire d'aborder la question de la somme
réclamée par la Couronne pour ledit loyer. Mais
étant donné qu'on a présenté des preuves à cet
égard et que ce jugement peut ne pas être confirmé
en appel, il apparaît souhaitable d'examiner briè-
vement les preuves en ce qui concerne la somme en
cause.
Bien que dans son exposé de défense modifiée, la
défenderesse réclame un loyer à partir du 4 octo-
bre 1972, date à laquelle la défenderesse est deve-
nue propriétaire des biens expropriés, il est prouvé
que celle-ci n'a acquis le droit d'en prendre posses
sion que le ler avril 1973. J'estime que le loyer ne
devrait être calculé qu'à partir de cette dernière
date. L'avocat de la défenderesse ne l'a pas con
testé sérieusement au cours des débats. Suivant
certains éléments de preuve, la demanderesse a
commencé à emménager dans ses nouveaux locaux
au cours du mois d'avril 1974, et elle a vraisembla-
blement quitté entièrement les anciens avant le ler
mai de cette même année, mais je crois qu'il
faudrait calculer de toute façon le loyer sur une
base mensuelle et que s'il était accordé, il partirait
par conséquent du l er mai 1974, soit une période
totale de 13 mois.
L'expert de la défenderesse, James D. Ray-
mond, prenant comme point de départ le chiffre
convenu de $320,000 qui représente la valeur des
terrains et bâtiments de la demanderesse, a calculé
que pour que cette somme rapporte 8%, le loyer
net devrait s'élever à $25,600 par an. Il a égale-
ment examiné les lieux et en a conclu que la valeur
locative nette serait d'environ $1.30 le pied carré et
que, puisqu'il y avait 18,569 pieds carrés de super-
ficie de plancher, le loyer s'élèverait à environ
$24,000 par an. En utilisant les deux méthodes de
calcul, il est parvenu à un chiffre mensuel d'envi-
ron $2,000. Mais au cours du contre-interroga-
toire, il a reconnu que les baux nets sont habituel-
lement à long terme alors que dans la présente
affaire la demanderesse ignorait la période durant
laquelle elle pourrait occuper les locaux et en fait,
dans la lettre l'avisant qu'un loyer pourrait être
exigé, il était indiqué que la Couronne pourrait
demander la libre possession le ler octobre 1973.
Pour ce motif, il diminuerait la valeur locative
d'environ 25% pour parvenir à un chiffre mensuel
de $1,500.
Raymond Sanschagrin, l'expert cité par la
demanderesse, a déclaré que Lacote Realties Limit
ed avait loué à Bédard et Gérard une propriété
voisine pour 66 mois, à savoir du l e ` novembre
1970 avril 1976 et avait demandé un loyer de
$23,400 pour une superficie de 39,819 pieds carrés,
soit environ 59¢ le pied carré. Sur cette base, le
loyer de la propriété de la demanderesse devrait
s'élever à environ $913 par mois. Il a également
donné certaines indications relatives aux impôts
que la demanderesse devait payer sur la propriété
qu'elle venait d'acquérir pendant qu'elle y construi-
sait son édifice avant de pouvoir emménager, les-
quels impôts faisaient plus que neutraliser le loyer
réclamé pour la propriété en cause. Cependant, il
n'est pas possible de recevoir ce témoignage car il
introduit un nouvel élément relatif au coût de
réinstallation qui ne s'applique qu'aux établisse-
ments scolaires, hospitaliers ou municipaux ou aux
institutions religieuses ou charitables visés à l'arti-
cle 24(4) de la Loi et non pas à la présente
demanderesse. De plus, la déposition de Sanscha-
grin a considérablement perdu de sa force lorsqu'il
a reconnu au cours du contre-interrogatoire que
Lacote Realties et Bédard et Gérard étaient asso-
ciés, que par conséquent des liens de dépendance
intervenaient et que l'édifice de Lacote Realties est
très vieux alors que dans l'ensemble l'édifice de la
demanderesse est beaucoup plus récent puisqu'il ne
date que d'environ huit ans. Il a reconnu également
qu'en prenant ses chiffres pour point de départ, la
propriété de Lacote Realties Limited ne rapporte-
rait un revenu que d'environ 3 1 / 2 %. Raymond, lors-
qu'il fut appelé à nouveau, déclara qu'il connaissait
bien ladite propriété puisqu'il représentait la Cou-
ronne pour le règlement de la réclamation de
Lacote Realties et celle des locataires Bédard et
Gérard au cours de l'expropriation, la réclamation
de Lacote Realties étant réglée sur la base d'un
revenu de 7 1 / 2 %, et que le règlement avec Bédard et
Gérard augmentait le loyer prévu au bail de 50¢ le
pied carré afin de parvenir à un accord sur la
valeur locative économique. Pour arriver à ce chif-
fre de $1.30 le pied carré pour la propriété en
cause, il déclara avoir examiné diverses propriétés
comparables. Sa déposition relative à la valeur
locative semble par conséquent reposer sur une
base beaucoup plus saine que celle de l'autre
témoin et s'il fallait recevoir la demande reconven-
tionnelle de la défenderesse pour le loyer, j'accor-
derais un montant mensuel de $1,500 pour 13
mois, soit un total de $19,500.
En résumé, la demanderesse a droit aux sommes
suivantes dont sont convenues les parties:
Valeur de remplacement des biens immeubles
expropriés. $320,000.00
Dommages occasionnés par le déménagement et
la réinstallation du matériel spécialisé. $ 57,244.04
Dommages supplémentaires occasionnés par l'ex-
propriation. $ 80,152.00
Démolition de bâtiment sur les lieux, préalable à
une extension qu'on n'a pu réaliser. $ 2,800.00
Plans d'extension. $ 7,500.00
TOTAL $467,696.04
Le 8 janvier 1973, la demanderesse a accepté
sous toute réserve la somme de $335,700, ce qui
laisse un solde dû s'élevant à $131,996.04. Voici
comment l'article 33(1) de la Loi définit le taux de
base:
«taux de base» désigne un taux, déterminé de la manière
prescrite par un décret rendu, à l'occasion, par le gouverneur
en conseil aux fins du présent article; il n'est pas inférieur au
rendement moyen des bons du Trésor du gouvernement du
Canada, déterminé de la manière prescrite par ce décret.
Rien n'indique quel était ce taux à l'époque consi-
dérée. Au cours des débats, l'avocat de la défende-
resse a proposé un taux de 8% et celui-ci n'a pas
été sérieusement contesté. Si les parties ne s'accor-
dent pas sur ce taux, elles peuvent obtenir sans
aucun doute l'information nécessaire pour appli-
quer le taux de base au montant de $131,996.04
depuis le 21 décembre 1972, date de l'offre, jus-
qu'à la date du jugement. De plus, puisque le
montant de l'offre était inférieur à 90% de l'in-
demnité comme il ressort des chiffres précédents, il
sera payé un intérêt supplémentaire au taux de 5%
sur la somme de $467,696.04 depuis le 21 décem-
bre 1972 jusqu'à la date de jugement. En outre, il
devra être payé comme convenu $15,000 pour les
honoraires d'avocats y compris les frais de justice
ainsi que $9,170 pour les honoraires d'experts.
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