T-1006-76
Helen Tsiafakis (Requérante)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 22 mars; Ottawa, le 25 mars 1976.
Immigration—Bref de mandamus—Le fonctionnaire à l'im-
migration a interdit à la requérante de remplir un formulaire
de demande de parrainage et il ne l'a pas autorisée à parrainer
ses parents—Le refus est-il illégal, arbitraire et non fondé?
Ya-t-il eu déni du droit d'appel? Règlement sur l'immigra-
tion, art. 31(1)d) et h)—Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 17.
La requérante a demandé à parrainer ses parents, admis
comme visiteurs, conformément à l'article 31(1)h) du Règle-
ment sur l'immigration, mais on lui a interdit de remplir une
demande de parrainage et rejeté sa demande. Elle prétend que
le refus est illégal, arbitraire et non fondé dans la mesure où il
repose sur l'interprétation du fonctionnaire de l'article 31(1)h)
et qu'elle a été privée de la possibilité d'examen. La requérante
soutient qu'en refusant de lui fournir le formulaire demandé au
lieu de rejeter la demande après sa présentation, le fonction-
naire l'a privée d'un droit d'appel devant la Commission d'appel
de l'immigration. La Commission l'a déboutée de son recours
pour défaut de compétence, et la requérante a demandé un bref
de mandamus afin d'obtenir le formulaire en question.
Arrêt: la demande est accueillie; sans statuer sur la recevabi-
lité d'un appel si le formulaire avait été remis pour permettre la
présentation d'une demande formelle, il semble qu'en ne four-
nissant pas le formulaire, le fonctionnaire a préjugé la
demande. Eu égard à l'argument invoqué par la requérante
selon lequel il existe une question juridique à résoudre quant à
l'interprétation de l'article 31(1)h) et selon lequel le refus ne
constituait pas simplement un acte administratif de caractère
courant, il eut été souhaitable de fournir le formulaire. Étant
donné que l'article 31(2)f) du Règlement prévoit que la
demande doit se faire en la forme prescrite, le fonctionnaire
aurait dû fournir le formulaire, même s'il devait par la suite
rejeter la demande. Le fait que le formulaire n'a pas été remis
semble être la raison du refus de la Commission d'appel de
connaître de l'appel.
Arrêts appliqués: Wolaniuk c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, no M75-1034; Drysdale c.
Dominion Coal Company (1904) 34 R.C.S. 328; Rex c.
Meehan [1902] 3 O.L.R. 567 et Rex c. Wong Tun (1916)
10 W.W.R. 15.
ACTION.
AVOCATS:
H. Blank, c.r., pour la requérante.
R. Léger pour l'intimé.
PROCUREURS:
Harry Blank, c.r., Montréal, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une demande de
bref de mandamus ordonnant à l'intimé de fournir
à la requérante le formulaire à remplir pour le
parrainage de ses parents, Evangelia et Athanasios
Tsakiris, en vue de l'acquisition du statut d'immi-
grants reçus au Canada. Cette demande a été
entendue en même temps, et sur preuve commune,
que la demande de Tsakiris c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration (n° du greffe:
T-1007-76) en vue d'obtenir un bref de prohibition
visant à la suspension de toutes les procédures
d'enquêtes spéciales concernant lesdits requérants
au dossier d'immigration n° 2472-5-66607, jusqu'à
ce que jugement soit rendu sur la demande de bref
de mandamus présentée par ladite Helen Tsiafa-
kis, et, si le bref est accordé, jusqu'à l'achèvement
de toutes les procédures en découlant. Les faits tels
qu'ils ressortent des deux demandes appuyées par
des affidavits montrent que les parents de la requé-
rante, Evangelia et Athanasios Tsakiris, sont arri-
vés au Canada le ler mai 1975, et ont été admis
comme touristes ou visiteurs conformément à l'ar-
ticle 7(1)c) de la Loi sur l'immigration'. Le 10
juillet 1975, la requérante se présentait avec ses
parents devant un fonctionnaire à l'immigration de
Montréal, pour demander à les parrainer en vue de
l'acquisition du statut d'immigrants reçus, confor-
mément à l'article 31(1)h) des Règlements pris en
application de la Loi sur l'immigration. La requé-
rante est citoyenne canadienne. Au cours de l'en-
tretien, le fonctionnaire à l'immigration a interdit
à la requérante de remplir le formulaire IMM
1009, Demande pour l'admission de personnes • à
charge parrainées, et ne l'a pas autorisée à parrai-
ner ses parents. Les avocats des deux parties ont
admis à l'audience que la requérante est une
femme mariée et en outre que ses parents, qu'elle
cherche à parrainer, n'ont pas plus de 60 ans.
S.R.C. 1970, c. I-2.
Voici le texte de l'article 31(1)h) du Règlement
sur l'immigration:
31. (1) Sous réserve du présent article, toute personne qui
réside au Canada qui est un citoyen canadien ou qui a été
légalement admise au Canada aux fins de résidence perma-
nente et qui a dix-huit ans révolus a le droit de parrainer, en
vue de l'admission au Canada pour résidence permanente, l'une
ou l'autre des personnes suivantes (ci-après appelée «personne à
charge parrainée»):
h) lorsque le parrain n'a pas de mari, d'épouse, de fils, de
fille, de père, de mère, de grand-père, de grand-mère, de
frère, de soeur, d'oncle, de tante, de neveu ou de nièce
(i) qu'il puisse parrainer en vue de l'admission au Canada,
(ii) qui soit un citoyen canadien, ou
(iii) qui soit une personne admise aux fins de la résidence
permanente,
un parent, quel que soit son âge ou son degré de parenté avec
le parrain, et les membres de la famille immédiate de ce
parent qui l'accompagnent,
et voici l'article 31(1)d):
le père, la mère, le grand-père ou la grand-mère de cette
personne, âgé de 60 ans ou plus, ou de moins de 60 ans s'il ou
elle est incapable d'occuper un emploi rémunéré ou s'il ou
elle est veuf ou veuve, ainsi que les membres de la famille
immédiate de ce père, de cette mère, de ce grand-père ou de
cette grand-mère qui l'accompagnent;
Il n'est pas difficile de comprendre les raisons pour
lesquelles le fonctionnaire à l'immigration a refusé
d'autoriser ce parrainage, puisque les parents en
question n'ont pas plus de 60 ans et ne sont pas,
semble-t-il, incapables d'occuper un emploi rému-
néré au sens de l'article 31(1)d).
L'avocat de la requérante prétend cependant
que -le refus du fonctionnaire à l'immigration d'ac-
cepter la demande était illégal, arbitraire et non
fondé en droit et en fait, dans la mesure où il
reposait sur son interprétation de l'article 31(1)h),
et que la requérante devrait avoir la possibilité
d'interjeter appel. Même s'il prétend, et à juste
titre je crois, que l'interprétation de l'article
31(1)h) n'est pas en litige devant la Cour, il
convient, pour mieux cerner le problème d'exposer
la plaidoirie assez ingénieuse qu'il se propose de
faire, au moment voulu, pour affirmer que la
conclusion du fonctionnaire à l'immigration était
erronée. Il se propose de démontrer que, si la
requérante, répondant éventuel, a non seulement
un mari mais également ses père et mère, et si son
mari est déjà au Canada et que les père et mère ne
sont pas des personnes qu'elle peut parrainer en
vue de l'admission au sens du sous-alinéa (i) de
l'alinéa h), en raison de leur âge ou de leur apti
tude à exercer un emploi, ni des personnes admises
à résidence permanente au sens du sous-alinéa
(iii), elle a cependant toujours le droit, pour
donner une signification à l'alinéa h), de parrainer
un parent, quel que soit son âge ou son lien de
parenté, et la famille immédiate de ce parent qui
l'accompagne, c'est-à-dire sa mère ou son père
selon qu'elle désire parrainer l'un ou l'autre. De
son côté, l'avocat de l'intimé soutient que selon
l'énoncé de l'article 31(1), le répondant peut «par-
rainer pour l'admission au Canada aux fins de
résidence permanente» et qu'en conséquence, il
semble que ce parrainage doit s'effectuer alors que
la personne à parrainer se trouve encore à l'étran-
ger; il semble de plus que rien n'indique dans le
Règlement que la demande doit être faite par
écrit. Je ne pense pas qu'il soit possible de soutenir
ce dernier argument, vu l'article 31(2)f):
31. (2) Une personne à charge parrainée peut être admise
au Canada en vue de sa résidence permanente si
f) la demande visant son admission est faite par le parrain
selon la forme prescrite par le Ministre.
A mon avis, ce serait forcer un peu l'interpréta-
tion de l'article 31(1)h) que de conclure que même
si les parents de la demanderesse ne peuvent être
parrainés en leur qualité de père ou mère en raison
des dispositions de l'article 31(1)d) et qu'elle n'a
pas elle-même le droit d'exercer le parrainage
parce que son mari est lui-même citoyen canadien
ou a été admis lui-même aux fins de résidence
permanente en vertu des dispositions des sous-ali-
néas (ii) et (iii) de l'alinéa h) 2 , ses parents peuvent
toujours être parrainés à titre de parent et famille
immédiate qui accompagne ce parent conformé-
ment aux dispositions de la clause finale dudit
article 31(1)h); je ne suis cependant pas tenu dans
les présentes procédures de trancher cette question.
Le litige en l'espèce concerne le refus opposé par
le fonctionnaire à l'immigration de fournir à la
requérante un formulaire de demande de parrai-
nage qu'elle devait remplir. Ce refus, qu'il pensait
en apparence justifié soit parce qu'elle n'avait pas
droit de parrainer ses parents soit parce qu'ils ne
pouvaient être parrainés ou pour ces deux raisons,
z Le statut précis du mari n'a pas été révélé.
peut fort bien se révéler correct. L'avocat de la
requérante soutient que, de cette façon, elle a été
privée de toute possibilité d'appel ou d'examen de
ce refus. La requérante a essayé d'interjeter appel
conformément à l'article 17 de la Loi sur la Com
mission d'appel de l'immigration' dont voici le
texte:
APPELS INTERJETÉS PAR LES RÉPONDANTS
17. Une personne qui a demandé l'admission au Canada
d'un parent en conformité des règlements établis selon la Loi
sur l'immigration peut interjeter appel à la Commission du
refus d'approbation de la demande. Si la Commission juge que
la personne dont l'admission a été parrainée et le répondant de
cette personne satisfont à toutes les exigences de la Loi sur
l'immigration et des règlements établis sous son régime concer-
nant l'approbation de la demande ou qu'il existe des motifs de
pitié ou des considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de
la Commission, justifient l'octroi d'un redressement spécial, la
demande doit être approuvée. Toutefois un appel aux termes du
présent article ne peut être interjeté que par les personnes et
qu'à l'égard des catégories de parents dont font mention les
règlements, que le gouverneur en conseil peut définir par
décret.
Il a été souligné qu'aux termes de cet article,
même si la Commission décide que la personne
dont l'admission fait l'objet d'un parrainage et que
le répondant ne remplit pas toutes les conditions de
la Loi sur l'immigration, elle peut néanmoins
approuver la demande pour des motifs de pitié ou
des considérations d'ordre humanitaire. L'avocat
de la requérante prétend en outre qu'il n'est pas
inhabituel d'accorder des dispenses par décret et
que le Ministre a souvent renoncé aux exigences de
l'article 28(1) du Règlement, par exemple, selon
lequel un immigrant cherchant à s'établir au
Canada, y compris une personne qui est entrée au
Canada à titre de non-immigrant, comme les
parents dans cette affaire, doit détenir un visa
d'immigrant valide. En cela il répondait à l'argu-
ment selon lequel un immigrant doit être parrainé
alors qu'il se trouve encore à l'étranger et ne peut
l'être après qu'il (ou qu'elle) est entré(e) au
Canada comme touriste ou visiteur.
De toute façon, dans la présente affaire, la
Commission d'appel de l'immigration, par décision
du 7 janvier 1976, a rejeté ladite demande pour
défaut de compétence. L'avocat de la requérante
prétend que, lorsqu'il a essayé de faire témoigner
la requérante qu'elle avait fait une demande ver-
bale pour le parrainage de ses parents et que le
3 S.R.C. 1970, c. I-3.
formulaire pour la demande écrite ne lui avait pas
été remis, la Commission a refusé d'entendre cette
déposition. Il soutient donc qu'il aurait été inutile
d'interjeter appel de la décision puisque rien ne
figurait au dossier. Lorsqu'il a demandé par écrit à
la Commission des explications sur ses conclusions
relatives au défaut de compétence, on lui a
répondu de se reporter à l'affaire Wolaniuk c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
n° M75-1034, jugée le 14 octobre 1975, dans
laquelle un fils demandait à parrainer ses parents
aux fins de résidence permanente alors qu'ils
avaient été admis au Canada comme non-immi
grants. Le fonctionnaire à l'immigration s'y était
opposé essentiellement pour la même raison que
dans la présente affaire, à savoir que les parents
n'avaient pas 60 ans et que le fils qui les parrainait
avait deux enfants. Voici la décision:
[TRADUCTION] Si, comme il est rapporté, Alejandro Wolaniuk
voulait parrainer ses parents en mars 1975, conformément à
l'article 31 de la première partie du Règlement sur l'immigra-
tion, il n'y a pas eu de refus d'approbation de cette demande,
mais simplement un refus de l'accepter, ce qui n'entre pas dans
le cadre de l'article 17.
Par conséquent, l'appel est rejeté pour défaut de compétence.
Cette décision semble faire une distinction sub-
tile entre le refus d'accepter une demande et le
refus de l'approuver. La requérante prétend qu'en
refusant simplement de l'accepter—c'est-à-dire de
fournir le formulaire de demande—au lieu de refu-
ser d'approuver la demande après sa présentation
en bonne et due forme, le fonctionnaire à l'immi-
gration a privé la requérante de tout recours éven-
tuel devant la Commission d'appel de
l'immigration.
Sans me prononcer sur la recevabilité d'un tel
appel, si le formulaire avait été fourni pour per-
mettre la présentation d'une demande formelle que
le fonctionnaire à l'immigration aurait sans aucun
doute refusé d'approuver, il me semble certain
qu'en ne fournissant pas de formulaire à la deman-
deresse, il a préjugé la demande. Eu égard à
l'argument invoqué par l'avocat de la requérante
selon lequel il y a une question juridique à résou-
dre quant à l'interprétation de l'article 31(1)h) du
Règlement et selon lequel le refus n'était pas sim-
plement un acte administratif de caractère cou-
rant, il eut été souhaitable de fournir le formulaire.
A l'appui de cette prétention, l'avocat de la requé-
rante invoque trois jugements qui ont une certaine
influence sur la question, bien que fondés sur des
lois différentes. Il a été jugé dans l'affaire Drys-
dale c. The Dominion Coal Company 4 , relative au
refus de statuer du commissaire des Mines sur une
demande de bail (à la page 337):
[TRADUCTION] Il est exact que, lorsque la décision est
rendue, le recours s'effectue par voie d'appel. Mais tant qu'il
n'y a pas de décision, il ne peut y avoir d'appel.
Un bref de mandamus a été émis pour obliger le
commissaire à statuer. Dans l'affaire Rex c. Mee-
hans, un bref de mandamus a été émis à l'encontre
d'un magistrat de police ayant compétence territo-
riale pour l'obliger à étudier et à régler une
demande d'information sur une infraction résul-
tant, au cours d'une élection municipale, d'un vote
dans plusieurs circonscriptions. Il est déclaré à la
r page 573:
[TRADUCTION] Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle le
magistrat, après avoir entendu les faits, a exercé un pouvoir
discrétionnaire qu'il avait certainement le droit d'exercer, et
dans laquelle il avait refusé de recevoir l'information: il déclare
lui-même, dans son affidavit versé au dossier, avoir amplement
étudié la question de compétence et décidé dans une affaire
antérieure »Que je n'avais compétence ni pour statuer de façon
sommaire sur l'affaire, ni pour ouvrir une enquête préliminaire
et décider si le défendeur devait être mis en accusation ou non».
Il n'a exercé aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne
. les faits; il en a conclu qu'il n'avait pas compétence pour en
connaître, ce qui est une question de droit.
Il a été déclaré dans l'affaire Rex c. Wong Tunt (à
la page 17):
[TRADUCTION] Une cour supérieure, lorsque est formulée
une demande de bref de mandamus ou de prohibition, doit se
conformer au principe selon lequel ce recours se limite aux cas
où la cour inférieure est compétente, mais a refusé de statuer,
et où la cour inférieure n'a pas compétence et s'est illégalement
déclarée compétente.
Étant donné que l'article 31(2)f) du Règlement
prévoit que le répondant peut formuler la demande
d'admission par un formulaire prescrit par le
Ministre, je pense que le fonctionnaire à l'immi-
gration aurait dû remettre ce formulaire à la
requérante pour qu'elle puisse le remplir, même s'il
devait par la suite refuser d'approuver cette
demande en se fondant sur les faits et sur son
interprétation de la Loi. Le fait que le formulaire
° (1904) 34 R.C.S. 328.
[1902] 3 O.L.R. 567.
6 (19 16) 10 W.W.R. 15.
n'a pas été remis semble être la raison du refus de
la Commission d'appel de l'immigration de connaî-
tre de l'appel.
J'en conclus par conséquent qu'il convient
d'émettre un bref de mandamus ordonnant à l'in-
timé de fournir à la requérante le formulaire à
remplir pour le parrainage de ses parents, Evange-
lia et Athanasios Tsakiris, aux fins de l'obtention
du statut d'immigrants reçus au Canada, avec
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.