T-3197-74
Margaret Ann Frappier (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 3 décembre; Ottawa, le 5 février
1976.
Impôt sur le revenu—Déductions—La demanderesse est
courtière en valeurs mobilières—La maison de courtage pour
laquelle elle travaillait a fait faillite, laissant 22 de ses clients
avec un solde créditeur—La demanderesse a remboursé per-
sonnellement ses clients—Elle réclame la déduction du paie-
ment total s'élevant à $49,029.03 titre de dépense d'entrepri-
se—Le paiement a-t-il été effectué en vue de gagner ou de
produire un revenu tiré d'une entreprise?—S'agit-il d'un paie-
ment à compte de capital?—Les sommes dépensées en 1968
sont-elles déductibles en 1969?—Le montant payé par le mari
est-il déductible?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952,
c. 148, art. 11(6), 12(1) et 139(1)m).
La demanderesse, courtière en valeurs mobilières, a travaillé
pour une maison de courtage qui a fait faillite en 1968. Elle et
son mari ont alors constitué leur propre maison de courtage. La
demanderesse a remboursé personnellement 22 de ses clients
qui avaient un solde créditeur auprès de la maison de courtage
en faillite. Elle réclame la déduction de $49,029.03 en 1969 à
titre de dépense d'entreprise. La demande est compliquée par le
fait que $29,217.81 ont été remboursés en 1968, et sur la
somme de $49,029.03, $21,811.22 ont en fait été payés par le
mari, dont $19,811.22 l'ont été en 1969. La demanderesse
affirme que son mari lui a prêté cette somme. Elle allègue que
si elle n'avait pas conservé la confiance de ses clients elle aurait
perdu les nouveaux clients qu'ils auraient pu lui envoyer. La
défenderesse affirme (1) que les montants n'ont pas été engagés
en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de sa propre
entreprise mais afin de conserver l'achalandage des clients de
ses employeurs; (2) que les montants constituent une dépense
de capital effectuée en vue d'obtenir un avantage durable; (3)
que la somme engagée en 1968 ne peut être déduite en 1969; et
(4) que le montant payé par son mari n'est pas une dépense
engagée par elle.
Arrêt: la déduction est admise. (1) La demanderesse était
une représentante indépendante; les clients étaient les siens et
non ceux de l'une ni de l'autre des maisons de courtage. La
demanderesse tombe sous le coup des dispositions des alinéas c)
et d), et probablement de l'alinéa b), de l'article 11(6). Même
s'il est permis de douter que les déductions puissent être
admises en vertu de l'article 11(6), elles peuvent l'être confor-
mément à l'article 12(1)a). (2) Les remboursements ont été
effectués en vue de produire un revenu conformément à l'article
12(1)a) et ne constituent pas un paiement à compte de capital
au sens de l'article 12(1)b). (3) Les paiements n'ont pas été
faits clairement en vue de gagner un revenu au cours d'une
année donnée et la demanderesse a préféré les déduire en 1969
car c'est à cette époque seulement qu'elle a acquis la certitude
que les créanciers ne seraient pas remboursés à même la masse
de la faillite, et par conséquent qu'il n'y aurait pas de réduction
du montant qu'elle pouvait réclamer relativement aux dépenses.
On a tenu compte des dépenses dans le calcul des bénéfices tirés
de l'entreprise au cours de l'année pendant laquelle la deman-
deresse a reconnu avoir subi la perte. (4) Le mode de paiement
ne doit pas modifier la nature du remboursement volontaire. Si
son mari a payé au nom et à la demande de Mme Frappier et si
cette dernière s'est engagée à le rembourser (il n'existe aucune
raison valable d'en douter), on ne devrait pas lui refuser le droit
de réclamer elle-même ces débours.
Arrêts appliqués: St. John c. Donald [1926] R.C.S. 371;
Performing Right Society, Ltd. c. Mitchell and Booker
(Palais de Danse), Ltd. [1924] 1 K.B. 762; Canada Starch
Company Limited c. M.R.N. [1969] 1 R.C.É. 96; L.
Berman & Co. c. M.R.N. [1961] C.T.C. 237; Cooke c.
Quick Shoe Repair Service (1949) 30 T.C. 460; Robert
Addie & Sons Collieries, Limited c. C.I.R. [1924] S.C.
231; La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales Company
Limited [1973] C.F. 825; M.R.N. c. Algoma Central
Railway [1968] R.C.S. 447; M.R.N. c. Freud [1969]
R.C.S. 75; Alcan Aluminium Ltée c. La Reine [1974] 1
C.F. 387; Olympia Floor and Wall Tile (Quebec) Ltd. c.
M.R.N. [1970] R.C.É. 274; Riedle Brewery Limited c.
M.R.N. [1939] R.C.S. 253; La Reine c. Lavigueur 73
DTC 5539 et Associated Investors of Canada c. M.R.N.
[1967] 2 R.C.É. 96. Arrêts examinés: Francon Limitée c.
M.R.N. [1973] C.F. 1029 et Consolidated Textiles Lim
ited c. M.R.N. [1947] R.C.É. 77.
APPEL en, matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. C. Couture, c.r., pour la demanderesse.
H. Richard pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marler,
Montgomery & Renault, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La demanderesse est une
courtière en valeurs mobilières dûment autorisée
par la Commission des valeurs mobilières du
Québec. De 1958 1959, elle était représentante
enregistrée auprès de la Champion Mutual Fund
et de 1959 à 1960 elle a rempli les mêmes fonc-
tions auprès de J. E. Desrosiers et Compagnie,
percevant des commissions en guise de rémunéra-
tion. De 1960 1967, elle a travaillé pour une
autre maison de courtage, Lévesque et Beaubien,
étant à la commission pendant les deux ou trois
premières années; par la suite, pendant environ
quatre ans, lorsqu'elle gérait le service des fonds
mutuels de la maison de courtage, elle a été
appointée avant de redevenir agent de vente rému-
nérée à la commission. Même lorsqu'elle gérait le
service des fonds mutuels et touchait des appointe-
ments, elle est restée enregistrée auprès de la
Commission des valeurs mobilières du Québec.
Elle a expliqué que conformément aux règlements
de la Commission, un courtier en valeurs mobiliè-
res ne peut pas vendre à son propre compte mais
doit être employé par une maison de courtage, qui
doit elle aussi être enregistrée. De 1967 1968,
elle a travaillé pour Ord, Wallington and Co. Ltd.,
une firme de courtiers de Toronto qui avait une
succursale à Montréal. Son mari, Jean Louis Frap-
pier était le gérant de cette succursale depuis déjà
plusieurs années lorsqu'elle a quitté la maison
Lévesque et Beaubien pour passer à l'emploi de la
firme susmentionnée. Environ six autres représen-
tants travaillaient pour eux, vendant surtout des
fonds mutuels. Elle et son mari décidèrent de
constituer leur propre maison de courtage sous la
raison sociale de Frappier et Holland Inc., Holland
étant le nom de jeune fille de M me Frappier, mais
la compagnie n'a réussi à obtenir le permis néces-
saire et à entrer en activité qu'en juillet 1968. La
demanderesse, présidente de la compagnie, ne per-
çoit ni appointements ni dividendes, travaillant à la
commission comme elle le faisait chez Ord,
Wallington.
Depuis 17 ans et demi qu'elle travaille en qualité
de courtière en valeurs, spécialisée dans le domaine
des fonds mutuels, Mme Frappier s'est acquis une
réputation enviable dans la région de Montréal. En
1969, elle a été la première femme élue membre de
la Bourse canadienne et en janvier 1974, elle a
obtenu un siège en Bourse de Montréal. Au cours
des années, elle a petit à petit gagné la confiance
de ses clients, en grande partie grâce à la recom-
mandation d'autres clients, satisfaits de ses bons
services. En 1968, elle avait entre 200 et 300
clients et elle en a aujourd'hui entre 500 et 600. Le
revenu tiré de ses commissions en 1968 était de
$27,000, en 1969 de $64,000, en 1970 de $25,000,
en 1971 de $30,400, en 1972 de $65,000, en 1973
de $60,000 et en 1974 de $65,400. Elle a expliqué
la diminution de son revenu en 1968, en 1970 et en
1971 par la baisse du marché des valeurs à partir
de la seconde moitié de 1968 jusqu'en 1970, lors-
que les prix ont remonté graduellement et elle a
produit un diagramme à l'appui de ses dires.
Malgré ces circonstances peu favorables, elle
semble avoir fait d'excellentes affaires en 1969.
En 1968, lorsqu'elle était chez Ord, Wallington
and Co., elle n'avait pas à se rendre à son bureau
chaque jour et n'était pas astreinte à un horaire.
Elle faisait affaires comme par le passé, lorsqu'elle
travaillait pour d'autres courtiers, se contentant de
conclure ses ventes par leur intermédiaire. La com-
pagnie disposait d'un petit bureau situé au second
étage d'un immeuble à Montréal et voyait à payer
le loyer, les appointements de la secrétaire, les
factures de la compagnie de téléphone et les four-
nitures de bureau mais l'époux de la demande-
resse, qui gérait aussi la succursale, devait person-
nellement payer la location des machines donnant
les cotes des titres en Bourse et de la machine Dow
Jones ainsi que les appointements d'une secrétaire
particulière. La demanderesse et les autres repré-
sentants ne disposaient pas de leur propre bureau;
ils ne faisaient que passer de temps à autre pour
apporter les chèques de leurs clients et se charger
des formalités administratives. Le siège social de
Toronto ne donnait pas d'instructions et n'exerçait
aucune surveillance. La demanderesse fixait ren-
dez-vous à ses clients de chez elle et elle les
rencontrait soit à leur bureau soit à leur résidence
et parfois le soir. Elle touchait 60 pour cent de la
commission provenant des ventes de fonds mutuels
et Ord, Wallington recevait 40 pour cent. Pour la
vente d'obligations elle recevait 50 pour cent de la
commission. Elle payait de sa poche les frais de
représentation et de téléphone et ainsi de suite sans
être remboursée par Ord, Wallington; elle ne rece-
vait pas d'allocation de déplacement et ne bénéfi-
ciait d'aucune caisse de retraite. Elle remettait à
Ord, Wallington les chèques de ses clients et la
compagnie lui versait sa commission mensuelle-
ment. Ord, Wallington ne déduisait pas l'impôt sur
le revenu à la source, la seule retenue exercée étant
la contribution au Régime de rentes du Québec.
Elle déduisait ses propres dépenses dans sa décla-
ration d'impôt sur le revenu et ses déductions
étaient régulièrement admises.
Au printemps de 1968, Ord, Wallington a fait
faillite, ce qui entraîna, en avril, l'annulation de
son enregistrement. La demanderesse ne pouvait
pas prévoir la faillite et si elle en avait été capable,
elle aurait cessé de transmettre à la firme de
courtiers les chèques de ses clients afin d'éviter
toute perte à ces derniers. Depuis quelque temps
déjà, son mari n'était pas satisfait des rapports
qu'il entretenait avec les administrateurs de la
compagnie à Toronto; c'est pourquoi il avait
décidé, avec la demanderesse, de constituer leur
propre compagnie et obtenu son enregistrement en
mars 1968. Fin avril, à l'échéance du bail de
location du bureau de Montréal de Ord, Walling-
ton, ils avaient l'intention de rompre leurs relations
avec la maison de courtage torontoise et de com-
mencer à exploiter la leur au début de mai. En
fait, ils ont repris le bail à leur compte et engagé la
plupart des représentants qui travaillaient autre-
fois pour Ord, Wallington, leur permettant ainsi
de continuer à exercer leur profession dans les
mêmes locaux qu'avant.
Au moment de la faillite, 22 des clients de la
demanderesse avaient un solde créditeur en espè-
ces ou en valeurs mobilières chez Ord, Wallington;
afin de conserver leur clientèle et leur confiance, la
demanderesse s'engagea à les rembourser, ce
qu'elle fit en temps et lieu, bien que dans certains
cas les chèques aient été émis par son mari. Le
montant remboursé par la demanderesse s'élève à
$49,029.03; elle en a réclamé la déduction dans sa
déclaration d'impôt de 1969, titre de dépense
d'entreprise, ce qui a donné lieu à la présente
action. Voici comment s'y est prise la demande-
resse: le 10 juin 1968, elle a écrit une lettre
circulaire à chacun de ses 22 clients susmention-
nés, dont suit un exemplaire, adressé à Mme Louise
Holloway et qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 10 juin 1968
Mm° Louise Holloway
181 avenue Kenton
Beacon Hill
Beaconsfield (Québec)
Chère Louise,
Par suite des revers qu'a essuyé Ord, Wallington & Co.
Limited, il lui a été impossible de livrer les 325 actions de la
Mutual Growth Fund qui vous sont dues.
En attendant qu'elle s'acquitte de sa dette envers vous, je me
suis engagée à vous en assurer le remboursement.
(1)—En conséquence, afin de vous éviter toute perte et tout
désagrément, j'inclus un certificat représentant 325 actions de
la Mutual Growth Fund immatriculées à votre nom.
(2)—Je vous prie de conserver votre compte créditeur chez
Ord, Wallington. Pour cette raison, vous avez déjà signé une
lettre à l'intention de Ord, Wallington & Co. Limited exposant
votre réclamation relativement à 325 actions de la Mutual
Growth Fund. Lorsque Ord, Wallington aura acquitté sa dette
à votre égard, en tout ou en partie, vous me verserez intégrale-
ment la somme qu'elle vous aura payée. Grâce à cet arrange
ment, je prends à mon compte toute perte que vous pourriez
subir.
En guise d'acceptation de l'arrangement susmentionné, veuil-
lez signer cette lettre et me l'expédier dans l'enveloppe de
retour affranchie.
Nous sommes désolés des ennuis que vous avez subis.
Veuillez agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.
MF/gb (Mme) Margaret Frappier
26 Laurier Court
Beaconsfield (Québec)
Votre signature témoignera de votre assentiment à l'arrange-
ment susmentionné.
Le 12 juin 1968
Mme Louise Holloway
La demanderesse a témoigné qu'à cette date, on ne
pouvait prévoir s'il serait possible de recouvrer
quoi que ce soit de la faillite Ord, Wallington; c'est
pourquoi elle a remboursé intégralement chacun
de ses clients, à condition bien entendu que ces
derniers s'engagent à faire une réclamation contre
Ord, Wallington et à lui verser tout montant qu'ils
recevraient en vertu de leur réclamation. Des
actions avaient été achetées à l'intention de quel-
ques-uns de ses clients mais n'étaient pas encore
immatriculées à leur nom. Elle leur a donc acheté
le même nombre d'actions, alors que ses autres
clients ont été remboursés par chèque. Lorsqu'il
était question de fonds américains, la demande-
resse a tenu compte du taux du change s'appli-
quant aux remboursements et l'a inclus dans sa
réclamation, pour arriver au total de $49,029.03.
Deux facteurs viennent cependant compliquer sa
demande de déduction du montant susmentionné à
titre de dépenses d'entreprise pour l'année d'impo-
sition 1969. Tout d'abord, $29,217.81 ont été rem-
boursés en 1968, soit par chèque soit par l'achat de
valeurs mobilières; de plus, sur la somme de
$49,029.03, $21,811.22 ont en fait été payés par le
mari de la demanderesse, Jean Louis Frappier,
dont $19,811.22 l'ont été en 1969. La demande-
resse a expliqué que bien que son mari ait signé
certains chèques, il s'agissait en réalité d'un prêt
destiné à lui permettre de régler ses clients le plus
tôt possible. Quoiqu'elle admette n'avoir pas rem-
boursé ce prêt, la prétention de la demanderesse se
trouve corroborée par son bilan en date du 31
décembre 1969, dressé le 22 novembre 1971 et
déposé auprès de Ronald Belisle, ministère du
Revenu national (Impôt), et de Claude Couture.
c.r., avocat de Mme Frappier, lequel bilan men-
tionne un prêt exigible s'élevant à $29,000 porté au
crédit de J. L. Frappier. Puisque la cotisation
d'impôt de la demanderesse n'a pas été modifiée
avant le 16 mars 1972 par suite du rejet de sa
demande de déduction du montant de $49,029.03 à
titre de dépenses d'entreprise engagées au cours de
l'année d'imposition 1969, il semble qu'on ait pris
acte, avant d'établir sa cotisation, des prêts que
son mari lui a consentis. Cependant, l'envoi d'une
copie de la cotisation à son avocat permet de croire
qu'on a discuté de la question avec le répartiteur
ou fait une demande de renseignements addition-
nels avant l'établissement de ladite cotisation.
Des 22 clients qu'elle a remboursés, 19 ont fait
de nouveau affaire avec la demanderesse depuis
1968, et plusieurs lui ont adressé des parents et des
amis. Six des personnes portées sur la liste sont des
employés d'Air Canada et elle compte parmi sa
clientèle plusieurs fonctionnaires de cette compa-
gnie. La demanderesse affirme que si elle n'avait
pas conservé la confiance de ces clients en les
remboursant personnellement de leurs pertes, non
seulement aurait-elle perdu leur achalandage mais
de plus les nouveaux clients qu'ils auraient pu lui
envoyer. Elle a témoigné avoir attendu 1969 pour
réclamer la déduction du montant déboursé parce
qu'avant cette date elle espérait encore en recou-
vrer une partie. Ord, Wallington n'était pas
membre de la Bourse, donc elle ne disposait pas
d'une réserve pour éventualités où puiser pour
rembourser les pertes de ses clients, comme c'est le
cas pour les firmes membres. Depuis, les maisons
de courtage doivent faire partie d'un fonds natio
nal pour éventualités créé à cette fin.
La demanderesse a dû expliquer certains autres
éléments de preuve. La liste des remboursements
se chiffrant à $49,029.03 était intitulée:
[TRADUCTION] Mme Margaret Frappier
«Paiements faits en vue d'établir une entreprise»
Elle a déposé qu'il s'agissait simplement d'une liste
dressée pour elle par son comptable afin d'établir
le total et qu'elle avait accordé peu d'attention au
titre donné. Évidemment, elle affirme qu'il ne
s'agissait pas de dépenses de capital mais d'une
somme déboursée «en vue de gagner ou de produire
un revenu tiré d'une entreprise» au sens de l'article
12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu en
vigueur à l'époque.
L'un des clients qui a reçu la lettre circulaire
susmentionnée, une certaine Jean Bushkes, a
répondu le 10 décembre 1969 mais elle a adressé
sa lettre à J. L. Frappier, Frappier et Holland Inc.;
elle y déclarait:
[TRADUCTION] Suite à votre lettre du 8 décembre, je retourne
par les présentes les deux copies de l'autorisation de transfert,
qui ont été signées et certifiées.
Je tiens à vous remercier, ainsi que Mmo Frappier, pour
l'intérêt que vous m'avez témoigné et l'aide que vous m'avez
apportée; je vous en suis très reconnaissante.
Malheureusement, on n'a pas pu retracer la lettre
en date du 8 décembre à laquelle répond celle dont
on vient de citer un extrait. On ne sait trop à quoi
Mme Bushkes faisait allusion, c'est-à-dire si le
document qu'elle avait signé et retourné était sim-
plement la lettre circulaire dans laquelle elle cédait
à Mme Frappier toute réclamation qu'elle pourrait
avoir contre la faillite Ord, Wallington ou s'il
s'agissait d'une formule de transfert autorisant la
cession de valeurs mobilières immatriculées à son
nom. Bien que la lettre ne mentionne aucun rem-
boursement fait à la signataire, elle a probable-
ment trait au paiement de $4,956 que lui a fait
Frappier à cette date (présumément au nom de la
demanderesse) représentant le montant qui lui
était dû. Comme on n'a produit aucun chèque
annulé, il apparaît que M me Bushkes a été rem-
boursée en titres d'une valeur égale à sa créance,
c'est-à-dire par l'achat à son nom de 689 actions
du Mutual Growth Fund.
L'avocat de la demanderesse a admis qu'elle
présentait sa déclaration d'impôt en se servant de
la méthode de comptabilité de caisse. Les articles
de la Loi de l'impôt sur le revenu' en vigueur à
l'époque et pertinents au règlement du présent
litige se lisent ainsi:
11. (6) Lorsqu'une personne était, dans une année d'imposi-
tion, employée relativement à la vente de biens ou à la négocia-
tion de contrats pour son employeur et
a) aux termes de son contrat d'emploi était tenue d'acquitter
ses propres dépenses,
b) était ordinairement tenue d'exécuter les fonctions de son
emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur,
c) était rémunérée entièrement ou en partie par des commis
sions ou autres montants semblables fixés par rapport au
volume des ventes effectuées ou des contrats négociés, et
d) ne touchait, à l'égard de l'année d'imposition, une alloca
tion pour frais de voyage qui, sous le régime du sous-alinéa
S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
(y) de l'alinéa b) de l'article 5, n'était pas incluse dans le
calcul de son revenu,
il peut être déduit, dans le calcul de son revenu pour l'année,
par dérogation aux alinéas a) et h) du paragraphe (1) de
l'article 12, des montants par elle dépensés au cours de l'année
pour gagner le revenu provenant de son emploi, jusqu'à concur
rence des commissions ou autres montants semblables, fixés
comme il est dit ci-dessus, reçus par elle au cours de l'année.
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure
où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de
produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du
contribuable,
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une
allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuise-
ment, sauf ce qui est expressément permis par la présente
Partie.
La défenderesse invoque les quatre moyens
suivants:
[TRADUCTION] a) les montants dont la deman-
deresse réclame la déduction en 1969 titre de
dépenses n'ont pas été engagés en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de sa propre
entreprise mais afin de conserver l'achalandage
des clients de Ord, Wallington Co. Ltd. et par la
suite de Frappier et Holland Inc., ces deux
firmes étant ses employeurs;
b) de toute façon, ces montants constituent une
dépense de capital en vue d'obtenir un avantage
permanent ou durable et ne peuvent être assimi-
lés à une dépense courante qui pourrait être
déduite pendant n'importe quelle année
d'imposition;
c) de toute façon, le montant de $29,217.81 qui
a été engagé en 1968 ne pourrait être déduit des
commissions gagnées par la demanderesse en
1969;
d) la somme de $21,811.22 versée par Jean
Louis Frappier, le mari de la demanderesse, aux
clients de cette dernière n'est pas une dépense
engagée par elle et déductible de son revenu.
En ce qui concerne la première prétention, la
demanderesse affirme qu'elle n'était pas une
employée de Ord, Wallington and Company ni
subséquemment de Frappier et Holland Inc. au
sens de la définition du mot emploi à l'article
139(1)m) de la Loi qui se lit ainsi:
«emploi„ signifie le poste d'un particulier au service de quelque
autre personne (y compris Sa Majesté ou un État ou souverain
étranger) et l'expression «préposé» ou «employé» signifie une
personne occupant un tel poste;
A toute fin pratique, elle était une représentante
indépendante à qui s'adressaient ses clients pour
l'achat de valeurs mobilières; elle faisait passer
leurs commandes par l'intermédiaire de la firme de
courtiers avec laquelle elle était alors associée,
c'est-à-dire Ord, Wallington and Co. et Frappier
et Holland Inc. à l'époque en cause. Selon son
témoignage, lorsqu'elle rompait ses relations avec
une maison de courtage, ses clients la suivaient
comme c'est la coutume dans cette profession. Il
ne fait aucun doute que si elle n'avait pas dédom-
magé ses clients de leurs pertes, ils l'auraient
blâmée personnellement d'avoir accepté leur
argent en vue de l'achat de valeurs mobilières
quelques jours à peine avant la faillite de Ord,
Wallington & Co. plutôt que de blâmer cette
compagnie elle-même. Par la suite, lorsqu'elle trai-
tait avec les mêmes clients, ou des personnes qu'ils
lui avaient envoyées, elle passait leurs commandes
par l'intermédiaire de Frappier et Holland Inc.
mais le fait qu'elle soit co-propriétaire de cette
compagnie est sans importance. Elle aurait pu tout
aussi bien passer leurs commandes par l'entremise
de n'importe quelle maison de courtage avec
laquelle elle se serait associée après la faillite de
Ord, Wallington and Co. J'estime donc qu'il faut
considérer les clients comme ses clients plutôt que
les clients de Ord, Wallington and Co. ou ceux de
Frappier et Holland Inc. Cela s'applique à Mme
Bushkes bien qu'elle ait adressé sa lettre à Frap-
pier, probablement parce que ce dernier lui avait
envoyé les valeurs mobilières qu'elle a reçues en
remboursement de ses pertes. Plusieurs arrêts ont
traité de la question de savoir si une personne
travaille en qualité de préposé (ou d'employé) ou
plutôt comme entrepreneur indépendant. Dans
Halsbury's Laws of England, 2 e édition, volume
22, page 115 on lit:
[TRADUCTION] Pour distinguer l'entrepreneur indépendant
du préposé, il faut se demander si l'employeur possède non
seulement le pouvoir d'assigner le travail mais encore celui d'en
régler le mode d'éxécution.
Dans l'arrêt City of Saint John c. Donald' à la
page 381, le juge Anglin a cité un extrait de l'arrêt
Performing Right Society, Ltd. c. Mitchell and
2 [1926] R.C.S. 371.
Booker (Palais de Danse), Ltd. 3 aux pages 765-6
dans lequel le juge McCardie déclare:
[TRADUCTION] ... la question de savoir si un homme est un
préposé ou un entrepreneur indépendant est souvent une ques
tion mixte de fait et de droit. Cependant, si les rapports sont
fondés uniquement sur un document, la question en est princi-
palement une de droit. Il faut interpréter le contrat à la lumière
des circonstances pertinentes.
Le juge McCardie a ajouté:
[TRADUCTION] ... le critère déterminant, s'il en existe un, et
assurément celui qui s'impose de façon générale, réside dans la
nature et l'étendue_de la direction_détaillée_ laquelle_est soumis
le_ présumé_ préposé Naturellement, cette circonstance n'en est
qu'une parmi plusieurs, mais elle revêt habituellement une
importance capitale.
Il semble qu'en l'espèce, la demanderesse jouissait,
tant chez Ord, Wallington & Co. que chez Frap-
pier et Holland Inc., d'une liberté très grande
sinon absolue, en ce qui concerne son travail et la
façon de l'exécuter. Assurément la demanderesse
tombe sous le coup des dispositions des alinéas c)
et d) de l'article 11(6) en ce qu'elle était rémuné-
rée par des commissions et ne touchait aucune
allocation pour frais de voyage. Elle tombe proba-
blement aussi sous le coup de l'alinéa b) en ce
qu'elle exécutait la plus grande partie des fonc-
tions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de
son employeur. Elle se rendait à son bureau de
temps à autre seulement pour s'acquitter des for-
malités administratives nécessaires et rédiger des
rapports. Il existe quelques doutes quant à l'appli-
cabilité de l'alinéa a) en l'espèce car l'employeur
acquittait certaines dépenses afférentes à la loca
tion du bureau et aux services téléphoniques et de
secrétariat, dont la demanderesse n'avait pas l'ex-
clusivité. Cette dernière payait personnellement
toutes ses autres dépenses, dont on lui a permis de
réclamer la déduction dans ses déclarations d'im-
pôt annuelles. Après qu'elle eut quitté Ord, Wal-
lington pour Frappier et Holland Inc., le seul poste
de dépense supplémentaire acquitté pour elle par
son employeur avait trait au garage de son auto
mobile. Selon la demanderesse, le fait que la
défenderesse ait accueilli les dépenses réclamées à
titre de déductions chaque année dans ses déclara-
tions d'impôt revient à admettre que les disposi
tions de l'article 11(6) s'appliquent à son cas. Quoi
qu'il en soit, même s'il est permis de douter que les
déductions réclamées puissent être admises en
vertu de l'article 11(6), j'estime qu'elles peuvent
3 [1924] 1 K.B. 762.
l'être conformément à l'article 12(1)a). Au cours
d'une période de 17 ans et demi, la demanderesse
s'est méritée la réputation d'une courtière en
valeurs mobilières digne de confiance et il s'agit là
d'un atout précieux. Une personne exerçant cette
profession, tout comme celle de courtier d'assu-
rance, dépend essentiellement de la fidélité en
affaires de ses anciens clients et de l'acquisition de
nouveaux clients, en grande partie grâce à la
recommandation des anciens. Dans ce domaine
très concurrentiel, lorsque des clients subissent une
perte par suite de transactions effectuées par l'en-
tremise d'un courtier, même si ce dernier n'y est
pour rien et que la perte résulte uniquement de la
faillite de son employeur, il est indiscutable que ce
courtier perdra sa clientèle mécontente qui s'adres-
sera ailleurs à l'avenir. De plus, les victimes ne
manqueront pas de raconter leur mésaventure, ce
qui nuira davantage à la réputation du courtier.
C'est tout à l'honneur de la demanderesse d'avoir
accepté la responsabilité morale des pertes subies
par ses clients; il est indéniable qu'en les dédom-
mageant, elle s'est assurée ainsi non seulement la
fidélité de sa clientèle mais encore son expansion,
comme en témoignent le nombre accru de ses
clients et le revenu sans cesse plus élevé qu'elle tire
de ses commissions. Par conséquent, j'estime que
la déduction en cause était légitime à moins qu'on
ne la considère comme étant un paiement à compte
de capital au sens de l'article 12(1)b) de la Loi,
comme le prétend la défenderesse dans son second
moyen d'opposition.
La jurisprudence abonde sur le sujet. Dans l'ar-
rêt Canada Starch Company Limited c. M.R.N. 4
cette question était soumise au président Jackett,
maintenant juge en chef, qui, après avoir étudié la
jurisprudence pertinente, a dit à la page 105:
[TRADUCTION] ... lorsqu'on établit une distinction entre un
paiement à titre de capital et un paiement sur compte courant,
à mon avis, il faut tenir compte des réalités commerciales de la
question.
Dans l'arrêt L. Berman & Co. c. M.R.N. 5 l'ancien
président de la Cour de l'Échiquier, le juge Thor-
son, a également étudié cette question dans le cas
d'un paiement fait par une compagnie mère aux
fournisseurs d'une filiale de Toronto qui avait
fermé ses portes parce que la première souhaitait
[1969] 1 R.C.É. 96.
5 [1961] C.T.C. 237.
continuer à traiter avec eux. Aux pages 247 et 248,
le savant président déclare:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute, à mon avis, que
l'appelante a effectué les paiements en question comme l'aurait
fait un commerçant dans la poursuite de son commerce et, par
conséquent, ces paiements ont été effectués selon les principes
ou les usages commerciaux ordinaires. Je ne peux trouver dans
l'article 12(1)a) aucun motif de les exclure.
Le seul fait que l'appelante n'ait pas eu l'obligation juridique
d'effectuer ces paiements ne veut pas dire qu'ils n'ont pas été
faits dans le cadre des principes commerciaux ordinaires. Cette
déclaration s'appuie sur l'arrêt Usher's Wiltshire Brewery,
Limited c. Bruce [1915] A.C. 433. Dans cette affaire, les
locataires des débits de boisson appartenant aux demandeurs et
affiliés à leurs brasseries s'étaient engagés à effectuer les
réparations ainsi qu'à payer certaines taxes et charges. Ils ne
l'ont pas fait et les appelants, bien qu'ils n'aient eu aucune
obligation juridique ou morale de le faire, ont payé les répara-
tions ainsi que les charges et les taxes. Ils ne l'ont pas fait par
charité mais par intérêt commercial, afin de ne pas perdre leurs
locataires et, partant, un débouché pour leur bière car c'est à ce
titre qu'ils avaient acheté ces maisons. Il a été décidé que, bien
qu'ils n'aient pas été obligés juridiquement ou moralement
d'effectuer ces paiements, ils avaient le droit, aux fins de la
cotisation à l'impôt, de déduire, dans le calcul de leurs bénéfices
à titre de dépenses nécessaires à leur commerce, toutes les
sommes versées.
Et dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables c.
Atherton [1926] A.C. 205, le vicomte Cave, L.C. a dit à la
page 211:
On a affirmé sans ambiguïté dans les arrêts Usher's Wilt-
shire Brewery c. Bruce [1915] A.C. 433, et Smith c. Incor
porated Council of Law Reporting [1914] 3 K.B. 764,
précités, qu'une somme d'argent déboursée non par nécessité
ni en vue de procurer un avantage direct et immédiat aux
affaires, mais volontairement et par intérêt commercial et
aussi dans le but indirect de faciliter la marche des affaires,
peut néanmoins être déboursée totalement et exclusivement
aux fins du commerce.
A la page 248, il renvoie aux arrêts Cooke c.
Quick Shoe Repair Service 6 et Robert Addie &
Sons Collieries, Limited c. C.I.R. 7 où l'on a tiré
des conclusions semblables.
L'ex-juge en chef adjoint Noël en est aussi
arrivé à la même conclusion dans l'arrêt La Reine
c. F. H. Jones Tobacco Sales Company Limited'
dans lequel il renvoie au jugement de la Cour
suprême dans l'arrêt M.R.N. c. Algoma Central
Railway 9 qui a confirmé la décision du président
6 (1949) 30 T.C. 460.
[1924] S.C. 231, la page 235.
s [1973] C.F. 825.
9 [1968] R.C.S. 447.
Jackett dans la même affaire publiée à [ 1967] 2
R.C.É. 88. Il cite longuement la décision du juge
Pigeon de la Cour suprême dans l'arrêt M.R.N. c.
Freud 10 aux pages 81 à 84 dans laquelle il accep-
tait comme déductibles des sommes avancées à une
compagnie en vue de la construction d'un proto
type d'automobile sport, sommes malheureusement
dépensées en vain puisque cette entreprise a
échoué. A la page 837, le savant ex-juge en chef
adjoint déclare:
... la perte subie par la défenderesse lorsqu'elle fut appelée à se
porter caution doit être considérée comme un déboursé fait
dans le but de gagner un revenu dans l'exercice du commerce
de son entreprise et non pas un déboursé ou une perte à compte
de capital.
Plus loin à la même page il déclare:
La défenderesse a voulu, en effet, par cette caution, mainte-
nir la croissance de ses ventes à la compagnie Tabacs Trans-
Canada Ltée et s'assurer en même temps que cette dernière
pourrait donner suite aux importantes commandes de tabacs
passées.
Dans l'arrêt Alcan Aluminium Ltée c. La Reine",
le juge Heald a déclaré à la page 397:
... Il ressort clairement des précédents qu'une dépense effec-
tuée à titre de «cadeau» ou par souci de probité commerciale
pourra être déduite dans le calcul du revenu. Voir Olympia
Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. M.R.N. [1970] R.C.É. 274
et Pigott Investments c. La Reine [1973] C.T.C. 693. Ladite
dépense a été engagée par souci de probité commerciale ....
Dans l'arrêt Olympia Floor and Wall Tile
(Quebec) Ltd. c. M.R.N. 12 mentionné à l'extrait
précité, le président Jackett a suivi l'arrêt Riedle
Brewery Limited c. M.R.N. 13 qui a permis la
déduction de montants déboursés par des brasse-
ries suivant la pratique d'offrir la tournée aux
habitués d'hôtels et de clubs parce que l'observa-
tion de cette coutume favorisait la stabilité ou
augmentait le volume de leurs ventes, alors que son
abandon aurait eu le résultat opposé. Voir aussi
l'arrêt La Reine c. Lavigueur 14 , où l'on a permis à
un propriétaire de déduire à titre de dépenses
engagées en vue de produire un revenu des sommes
prêtées aux locataires d'un immeuble commercial
afin de leur permettre de rester en affaires et de
0 [1969] R.C.S. 75.
" [1974] 1 C.F. 387.
z [1970] R.C.É. 274.
13 [1939] R.C.S. 253.
14 73 DTC 5539.
continuer à occuper les locaux qu'ils avaient loués.
Selon les faits en l'espèce je conclus que le
remboursement des pertes des clients de la deman-
deresse a été effectué en vue de produire un revenu
conformément aux dispositions de l'article 12(1)a)
de la Loi et qu'il ne constitue pas un paiement à
compte de capital au sens de l'article 12(1)b).
Dans son troisième moyen, la défenderesse allè-
gue que là demanderesse ne peut réclamer au
cours de son année d'imposition 1969 le montant
de $29,217.81 remboursé à ses clients en 1968.
Lorsqu'elle réclame en 1969 des dépenses enga
gées en 1968, la demanderesse se fonde sur l'af-
faire Associated Investors of Canada c. M.R.N.
[1967] 2 R.C.E. 96, dans laquelle l'appelant avait
consenti des avances sur commissions à ses ven-
deurs, lesquelles figuraient à son bilan à titre
d'actifs mais à la fin de chaque année seul le
montant des avances jugées irrécouvrables était
considéré comme une dépense d'exploitation faite
au cours de l'année en question. En 1960 et en
1961, l'appelant a passé par profits et pertes
$25,000 sur un total d'environ $85,000 qui avaient
été avancés à un certain employé au cours des
années précédentes. Dans son jugement, le prési-
dent Jackett, maintenant juge en chef, a statué que
ces avances formaient partie intégrante des opéra-
tions commerciales de l'appelant et que les princi-
pes commerciaux ordinaires exigent qu'on tienne
compte de la diminution de leur valeur dans le
calcul des bénéfices de l'entreprise pendant l'année
au cours de laquelle l'appelant, en qualité
d'homme d'affaires, a reconnu avoir subi la perte;
le président Jackett a statué en outre que l'article
12(1)a) de la Loi ne limite la déduction des
sommes déboursées ou dépensées par une entre-
prise pour une année à celles déboursées ou dépen-
sées au cours de cette année. En rendant sa déci-
sion, le savant président a déclaré aux pages 104-5:
[TRADUCTION] Par conséquent, la situation était la suivante: à
l'époque ou l'avance a été consentie, l'appelant avait échangé
son argent contre un «droit» qui était, aux yeux d'un homme
d'affaires, de valeur égale. Il avait substitué un bien en argent à
un autre de valeur égale. A cette époque donc, l'avance consen-
tie n'avait pas modifié la valeur globale des actifs de l'appelant.
Par conséquent, on ne peut considérer qu'à cette époque
l'avance, du point de vue d'un homme d'affaires, ait modifié les
bénéfices que l'appelant a tirés de son entreprise. Pareillement,
si l'avance était intégralement remboursée, il y avait également
substitution d'un actif à un autre de même valeur et les avoirs
de l'appelant n'étaient pas modifiés. Cependant, la diminution
de valeur du droit incorporel a influé sur les avoirs de l'appelant
et par conséquent, pour la première fois, l'avance de fonds qu'il
avait consentie lui a alors causé une perte. Comme cette perte
résultait d'une transaction faite dans le cadre des affaires
courantes de l'appelant, il faut en tenir compte dans le calcul
des bénéfices provenant de son entreprise, sinon ses gains seront
surestimés. A mon avis, il faut donc en tenir compte dans le
calcul des bénéfices tirés de l'entreprise au cours de l'année
pendant laquelle l'appelant, en tant qu'«homme d'affaires», a
reconnu avoir subi la perte. On ne peut régulièrement en tenir
compte dans le calcul des gains réalisés au cours d'une année
antérieure.
Ce jugement a aussi renvoyé à la décision de la
Cour suprême dans l'affaire Riedle Brewery Lim
ited c. M.R.N. (précitée), dans laquelle le juge
Kerwin a déclaré aux pages 263-4:
[TRADUCTION] Reste la question de savoir si l'argent a été
déboursé en vue de produire un revenu, c'est-à-dire le revenu
pour l'année d'imposition 1933. Je crois qu'il faille étudier la
question dans une optique assez large. Par exemple, dans le cas
d'une compagnie industrielle employant des commis voyageurs,
un examen attentif des comptes de dépenses de ces derniers
pourrait bien révéler que des sommes déboursées vers la fin
d'une année d'imposition n'ont servi ni à obtenir ni à remplir
des commandes pas plus qu'à payer les produits fournis au
cours de la même période. Cela ne devrait pas empêcher la
compagnie de déduire de telles dépenses dans sa déclaration
d'impôt en vertu de la Loi. On peut accorder aux dispositions
statutaires une interprétation plausible et acceptable en affir-
mant qu'en autant que les dépenses remplissent les conditions
déjà examinées, le contribuable les a faites «en vue de», c'est-à-
dire dans le but et avec l'intention de produire le revenu brut
déclaré pendant la période en cause.
La demanderesse affirme qu'avant 1969, elle ne
pouvait être certaine de ne rien pouvoir recouvrer à
même la masse de la faillite de Ord, Wallington &
Co. par suite de la cession-transport à son nom des
créances de ses clients et que c'est donc seulement
à cette époque qu'elle a pu fixer le montant de la
perte subie. D'un autre côté, la défenderesse
déclare qu'en l'espèce les clients étaient rembour-
sés intégralement et qu'il ne s'agissait pas de paie-
ments continus faits d'une année à l'autre comme
c'était le cas pour les avances consenties aux ven-
deurs dans l'affaire Associated Investors, ou pour
les tournées offertes aux clients dans l'affaire
Riedle Brewery et que la demanderesse doit s'être
rendue compte, (d'autant plus que son mari, chez
Ord, Wallington depuis de nombreuses années et
gérant de leur bureau à Montréal, devait connaître
la situation financière de la compagnie) qu'elle ne
pourrait recouvrer que peu ou rien par suite de ses
réclamations contre la masse de la faillite.
La défenderesse s'appuie également sur les
arrêts L. Berman & Co. Ltd. c. M.R.N. (précité),
et Francon Limitée c. M.R.N. 15 Dans le premier
arrêt, le juge Thorson, alors président, a refusé à
l'appelante l'autorisation de déduire de ce qui
aurait autrement été son revenu imposable en 1956
certains paiements qu'elle avait effectués en sep-
tembre et décembre 1955, bien qu'il ait jugé que
ces paiements étaient régulièrement déductibles en
vertu de l'article 12(1)a) de la Loi à titre de
dépenses faites en vue de produire un revenu. Il a
renvoyé au raisonnement suivi dans sa décision
antérieure dans l'affaire Consolidated Textiles
Limited c. M.R.N. 16 Dans cet arrêt il a déclaré
aux pages 81 et 82:
[TRADUCTION] De plus, est intrinsèquement erronée la pré-
tention de l'appelante suivant laquelle, puisque les dépenses
faites ou engagées en 1938 l'ont été en vue de produire le
revenu de 1939, elles en sont déductibles. Pour être déductibles,
des débours ou des dépenses n'ont pas à produire un revenu
déterminé et il n'est pas essentiel qu'un revenu leur soit attri-
buable. Il n'est jamais nécessaire d'établir une relation de cause
à effet entre une dépense et une recette. Un poste de dépense
peut être déductible pendant l'année au cours de laquelle il a
été déboursé, même si aucun bénéfice n'en résulte pendant cette
année; Vallambrosa Rubber Company, Limited c. Inland
Revenue (1910) 47 Sc.L.R. 488, et même s'il ne produit pas le
moindre gain: Commissioners of Inland Revenue c. The Fal-
kirk Iron Co. Ltd. (1933) 17 T.C. 625. Le caractère déductible
d'un poste de dépense se fonde sur toute autre chose. Confor-
mément aux dispositions de la United Kingdom Act correspon-
dant à l'article 6a), le lord président (Clyde) de la Scottish
Court of Sessions dans l'arrêt Robert Addie & Sons' Collieries,
Limited c. Commissioners of Inland Revenue [1924] S.C. 231
à la page 235, a établi comme suit la condition nécessaire à la
déduction d'une dépense:
Pour éclaircir la signification de l'expression «des sommes
déboursées entièrement et exclusivement en vue du com
merce» il faut appliquer les principes commerciaux ordinai-
res. En conséquence, il faut s'en rapporter à la nature réelle
de la dépense en cause et se poser les questions suivantes:
Fait-elle partie des charges d'exploitation de la compagnie?
S'agit-il d'une dépense faite en vue de produire un gain?
puis, aux pages 82 et 83 il a déclaré:
[TRADUCTION] ... il s'ensuit qu'un poste de dépense devient
déductible dès qu'il répond aux critères exposés à cet égard,
c'est-à-dire qu'il est déductible l'année où il devient une charge
d'exploitation et fait partie du processus de la production de
bénéfices. Les dépenses d'exploitation de l'appelante pour l'an-
née 1938 sont devenues ses charges d'exploitation et ont fait
15 [1973] C.F. 1029.
16 [1947] R.C.É. 77.
partie du processus de la production de bénéfices ou, pour
reprendre les termes de l'article 6a)' 7 , ont été déboursées en vue
de gagner le revenu de 1938, et par conséquent, sont déducti-
bles pendant l'année en cause; cela étant, elles n'étaient pas
déductibles en 1939.
A mon avis, l'article 6a) ne permet pas la déduction de
débours ou de dépenses qui n'ont pas été faites ou engagées
durant l'année d'imposition sur laquelle porte la cotisation. Je
crois que cet énoncé est tout à fait conforme à l'intention
générale de la Loi, car elle traite chaque année d'imposition en
prenant les rentrées et les dépenses de ladite année et en
déduisant les dernières des premières en vue d'obtenir le profit
net, le gain ou les gratifications directement ou indirectement
reçus pour chaque année comme revenu imposable de ladite
année.
Dans l'affaire Francon, sur laquelle s'est aussi
fondée la défenderesse, l'appelante avait transféré
certaines valeurs mobilières à quelques-uns de ses
clients et en retour elle avait reçu des sommes
d'argent dues aux termes d'un contrat, qui
devaient être retenues et payées l'année où il était
attesté qu'elles devenaient exigibles et où elles
auraient normalement été versées. Quand le
Ministre a ajouté les sommes ainsi reçues l'année
précédente au revenu imposable de l'appelante,
cette dernière s'y est opposée, arguant que lesdites
sommes n'étaient pas un revenu mais avaient été
versées conformément à une convention aux
termes de laquelle on avait substitué des valeurs
mobilières portant intérêt au montant qui devait
être retenu et n'était censé devenir exigible qu'à
une date ultérieure. La Cour d'appel fédérale a
statué que l'appelante devait inclure dans son
revenu le montant immédiat de la retenue qu'elle
avait reçu, mais qu'elle avait aussi droit de déduire
à titre de dépense le montant qu'elle avait dû payer
au cours de l'année pour obtenir le versement
immédiat de la retenue. Il s'ensuivait aussi que
l'appelante serait tenue de porter au compte des
profits et pertes des années suivantes tout montant
reçu en vertu de cette transaction à compte de
revenu, à savoir la retenue payable aux termes
d'un contrat de construction pendant l'année de la
certification. La défenderesse affirme que la même
pratique s'imposait en l'espèce, c'est-à-dire que la
demanderesse était tenue de déduire les montants
versés à ses clients en 1968 de ses commissions
"Cet article correspond à l'article 12(1)a) dont nous traitons
en l'espèce. On a constaté que le second article fait preuve d'un
esprit plus large et plus libéral dans les déductions qu'il permet
(Voir l'affaire Berman, précitée, aux pages 245 247). Toute-
fois, les conclusions tirées à l'arrêt Consolidated Textiles n'en
auraient pas été modifiées pour autant.
pour la même année et, dans l'éventualité où elle
aurait recouvré certains montants à même la
masse de la faillite par suite de la cession-transport
à son nom des créances de ses clients, les sommes
ainsi perçues seraient ajoutées à son revenu pour
l'année suivant leur encaissement. Il semble qu'il
aurait en effet été préférable d'agir ainsi. Il faut
noter toutefois que la demanderesse peut avoir eu
d'excellentes raisons d'opérer les déductions en
1969 plutôt qu'en 1968 puisqu'en 1968 son revenu
provenant de chez Ord, Wallington & Co. Ltd.
s'élevait seulement à $3,673.15 et son revenu pro-
venant de chez Frappier et Holland Inc. était de
$23,381 alors qu'en 1969 son revenu venant de
chez Frappier et Holland Inc. se chiffrait à
$65,544.86.
Ce qui rend la décision sur ce point quelque peu
difficile en l'espèce est la nature des paiements,
c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été faits clairement en
vue de gagner un revenu au cours d'une année
donnée bien que j'aie statué, non sans une certaine
hésitation, qu'ils ne constituaient pas une dépense
de capital. Assurément, lorsque la demanderesse a
fait certains paiements à ses clients au cours des
derniers mois de 1968 dans le but de les rembour-
ser de leurs pertes, elle ne s'attendait pas de leur
part à un torrent immédiat de nouvelles comman-
des au cours de l'année mais elle comptait bien
qu'ils lui resteraient fidèles et lui enverraient leurs
amis. C'est plutôt par hasard qu'à dessein que
certains clients ont été remboursés de leurs pertes
en 1968 et d'autres seulement en 1969, au fur et à
mesure qu'il se trouvait des fonds disponibles, et
les paiements effectués en 1968 était plus suscepti-
bles de produire un revenu supplémentaire pour la
demanderesse en 1969 et pendant les années sui-
vantes qu'au cours des quelques derniers mois de
1968, après que les paiements ont été effectués. De
plus, bien qu'elle aurait pu faire ces paiements
durant les années d'imposition 1968 et 1969 de la
façon proposée dans l'affaire Francon Limitée,
(précitée), la demanderesse a préféré les déduire
en totalité au cours de l'année d'imposition 1969,
car c'est à cette époque seulement qu'elle a acquis
la certitude que les créanciers ne seraient pas
remboursés à même la masse de la faillite, et par
conséquent qu'il n'y aurait pas réduction du mon-
tant qu'elle pouvait réclamer relativement aux
dépenses. La Cour n'a à se prononcer que sur
l'année d'imposition 1969 et, dans les circons-
tances, il serait peut-être approprié de s'en tenir à
la décision rendue dans l'affaire Associated Inves
tors, (précitée), et de conclure qu'il faut tenir
compte des dépenses «dans le calcul des bénéfices
tirés de l'entreprise au cours de l'année pendant
laquelle l'appelant, en tant qu'homme d'affaires, a
reconnu avoir subi la perte». (Voir aussi l'arrêt
Riedle, (précité).)
Par conséquent, je conclus que les débours faits
en 1968 en vue de produire un revenu peuvent être
réclamés en 1969, l'année où l'on a pu fixer leur
montant définitif et s'assurer qu'aucun rembourse-
ment ne viendrait réduire leur total.
Il reste à traiter du dernier moyen de la défende-
resse, à savoir que la demanderesse ne peut récla-
mer à titre de déduction les paiements effectués
par son mari, soit $21,811.22, dont $2,000 ont été
versés en 1968 et $19,811.22 en 1969. Cela dépend
en grande partie de la crédibilité de son témoi-
gnage. Elle et son mari étaient les actionnaires
majoritaires de Frappier & Holland Inc. et appa-
remment ils formaient équipe. Cependant, tous
deux ont déposé que les clients en question étaient
ceux de la demanderesse, avec qui elle traitait déjà
lorsqu'elle était chez Ord, Wallington & Co. et
même avant dans plusieurs cas, et que maintenant
elle plaçait simplement leurs commandes par l'in-
termédiaire de la nouvelle compagnie, Frappier et
Holland Inc. Le mode de paiement ne doit pas
modifier la nature du remboursement volontaire
effectué par la demanderesse à ses clients. Le mari
de la demanderesse, lorsqu'il a prêté à son épouse
les fonds nécessaires présumément pour effectuer
une partie des remboursements en question, et en
particulier ceux qui ont été faits en 1969, aurait
facilement pu lui avancer personnellement le mon-
tant requis au moyen d'un chèque libellé à son
nom, puis elle aurait pu émettre ses propres chè-
ques à l'ordre de ses clients, ou acheter elle-même
les valeurs mobilières de remplacement. Le fait
que les clients aient été remboursés par chèques
portant la signature de Frappier ou au moyen de
valeurs mobilières achetées par ce dernier ne doit
pas modifier la situation si l'on a agi ainsi au nom
et à la demande de Mme Frappier. Par conséquent,
à moins qu'on ne mette en doute sa version relative
au prêt (tout au moins corroborée en partie par les
renseignements consignés à l'état comptable
adressé au ministère du Revenu national avant
l'établissement de la cotisation qui rejette les
dépenses réclamées en 1969), on ne devrait pas
refuser à la demanderesse le droit de réclamer
elle-même ces débours, bien qu'en réalité ils aient
été faits par son mari, à condition qu'elle se soit
engagée à le rembourser comme elle le prétend. En
l'absence de toute preuve au contraire, il n'existe
aucune raison valable de douter de son témoignage
relativement au prêt, même s'il sert ses intérêts et
si le prêt n'a pas encore été remboursé.
Pour les raisons susmentionnées, les divers
moyens de la défenderesse sont rejetés et l'action
de la demanderesse est accueillie avec dépens; une
nouvelle cotisation sera établie relativement à son
impôt de l'année 1969 de façon à lui permettre de
réclamer le montant de $49,029.03 à titre de
déduction dans le calcul de son revenu imposable
pour l'année susmentionnée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.