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A-617-75
Burnbrae Farms Limited (Requérante) c.
L'Office canadien de commercialisation des oeufs (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Urie et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 6 et 7 janvier 1976.
Examen judiciaire—Décision de l'OCCO révoquant le permis d'exploitant d'un poste de classement de la requéran- te—L'Office a-t-il omis d'observer les principes de la justice naturelle en refusant d'accorder l'ajournement?—Les membres du comité ont-ils un parti pris?—Les administrateurs avaient- ils déjà exprimé l'intention d'annuler le permis?—Le comité a-t-il commis une erreur en prenant pour acquise la validité de la décision antérieure?—Loi sur les offices de commerciali sation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, c. 65, art. 2, 17, 18 et 23(1)—Règlement sur l'octroi de permis visant les œufs du Canada, art. 3, 8, 9 et 10.
La requérante, détentrice d'un permis d'exploitant d'un poste de classement délivré par l'intimé, OCCO, a omis de percevoir des redevances d'autres producteurs et d'en verser elle-même à titre de productrice. Ce refus a été opposé en guise de protesta tion contre l'administration du plan de commercialisation. Le 2 octobre 1975 un avis d'annulation projetée du permis a été envoyé, suivi le 17 octobre d'un avis d'audience et le 24 octobre a été tenue l'audience au cours de laquelle a été annulé le permis. La requérante allègue que la décision s'est écartée des principes de la justice naturelle aux motifs qu'elle a rejeté la demande d'un ajournement, que certains membres du comité avaient un parti pris et qu'un tel parti pris était possible et même probable. La requérante allègue en outre que le comité comprenait des administrateurs de l'OCCO qui avaient déjà officiellement exprimé l'intention d'annuler le permis et que le comité a erré en droit en prenant pour acquise la validité de la décision antérieure.
Arrêt: la demande est rejetée. Le moyen de la requérante, fondé sur les articles 9 et 10 du Règlement, suppose qu'on donne à ceux-ci une interprétation selon laquelle la suspension ou l'annulation requerraient deux décisions à caractère quasi judiciaire. L'article 10 est simplement une disposition de procé- dure destinée à assurer au détenteur du permis l'occasion de se défendre avant la suspension ou l'annulation de son permis et est purement de nature administrative. Quant au refus d'accor- der un ajournement, un tribunal établi par la loi a une discré- tion très étendue pour décider de l'opportunité et du moment d'ajourner une audience dûment convoquée. Un pouvoir de surveillance conféré par l'article 28 ne peut être exercé que si ce refus a privé l'intéressé d'une occasion raisonnable de se défen- dre. Le fait que la requérante voulait plus de temps pour se préparer n'a aucun intérêt; le délai qui lui a été accordé, du jour le premier avis a été donné jusqu'à celui de l'audience était suffisant. Quant au parti pris, dans le cas d'un plan statutaire, ne peut être considéré comme une cause d'inhabilité un parti pris appréhendé du seul fait que certains membres, en raison de la région du pays d'où ils viennent, ont évolué dans un contexte
tel que leurs intérêts pécuniaires s'opposent à ceux d'un certain détenteur. Aucun élément de preuve ne permet de conclure au parti pris; tout au plus y a-t-il l'intention exprimée de s'acquit- ter de la fonction confiée par la Loi. La participation à la mesure prise en vertu de l'article 10 n'impliquait pas que les administrateurs avaient décidé quelle mesure il y avait lieu de prendre conformément à l'article 9 et ne les rendait aucune- ment inhabiles. Et le fait que les membres du comité aient pris conseil d'un avocat agissant pour l'OCCO ne signifie pas qu'ils aient entendu des témoignages d'une partie en l'absence de l'autre. Rien en l'espèce ne permet de croire qu'il y ait eu déni de justice par suite des avis demandés et la procédure suivie était régulière.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
H. Turkstra pour la requérante.
F. Lemieux et K. L. Boland pour l'intimé.
PROCUREURS:
Turkstra et Dore, Hamilton, pour la requérante.
Herridge, Tolmie, Gray, Coyne & Blair, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 visant à faire annuler une décision de l'Office canadien de commercialisation des veufs, en date du 24 octobre 1975, qui révoque le permis (no 1240) d'exploitant d'un poste de classement délivré à la requérante.
Les points essentiels à la compréhension des questions que soulève la demande peuvent se résu- mer de la façon suivante:
1. La Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme (S.C. 1970-71-72, c. 65), qui est entrée en vigueur au début de 1972, portait notamment, à l'article 17, que le gouver- neur en conseil peut par proclamation établir un «office» ayant des pouvoirs relativement à cer- tains produits de ferme. Un office établi en application de ladite loi est une personne morale constituée en corporation. Aux termes de l'arti- cle 18, une proclamation portant création d'un office doit notamment énoncer les modalités d'un «plan de commercialisation» que l'office a le pouvoir d'exécuter, fixer le nombre des mem- bres de l'office «dont pas moins de la majorité seront des producteurs du secteur primaire», et
prévoir leur mode de nomination. Aux termes de l'article 23(1), un office établi en application de ladite loi peut notamment «prendre les ordon- nances et règlements qu'il considère nécessaires» à propos du plan de commercialisation, par ordonnance, exiger des personnes qui s'occupent de la commercialisation du produit «qu'elles déduisent de tout montant payable ... à toute autre personne s'occupant de la production ou de la commercialisation de ce produit ... tout montant payable à l'office par cette autre per- sonne à titre de droits de permis, redevances ou frais» prévus dans le plan de commercialisation et qu'elles remettent tous les montants ainsi déduits à l'office, et faire toutes autres choses nécessaires ou accessoires à l'exercice de ses pouvoirs ou de ses fonctions. Aux termes de l'article 2e), le «plan de commercialisation» ins- titué par la proclamation doit être «relatif au développement, à la réglementation et au con- trôle de la commercialisation de tout produit réglementé vendu dans le commerce interprovin- cial ou le commerce d'exportation», et «prévoir» l'ensemble ou l'une quelconque de certaines dis positions, notamment «un système d'octroi de permis aux personnes s'occupant de la ... pro duction ou de la commercialisation du pro- duit ... vendu dans le commerce interprovincial ou le commerce d'exportation» (comprenant une disposition relative à certains droits payables à l'office et «pour l'annulation ou la suspension de tout permis de ce genre lorsque l'une de ses modalités n'est pas respectée») et «l'imposition par l'office ... de redevances ou frais et leur recouvrement des personnes s'occupant de ... la production ou la commercialisation du produit ...».
2. La Proclamation visant l'Office canadien de commercialisation des veufs a été faite par le gouverneur en conseil le 19 décembre 1972, conformément à la Loi sur les offices de com mercialisation des produits de ferme. Cette pro clamation établit l'intimé, l'Office canadien de commercialisation des veufs (ci-après désigné l'«OCCO»), se composant de dix membres, pour exercer ses pouvoirs relativement aux oeufs de poules domestiques produits au Canada; la pro clamation comporte une annexe exposant notamment le mode de désignation des membres de l'OCCO et les modalités du plan de commer-
cialisation que doit exécuter l'OCCO. Mise à part la période préliminaire, cette annexe pré- voit que l'«Office de commercialisation de chaque province», désigné plus loin, «peut pério- diquement nommer un citoyen canadien résidant de la province cet Office de commercialisa tion est établi en tant que membre de l'Office» (article 2(2)). En outre, aux termes de l'annexe,
a) un «plan de commercialisation» détaillé est exposé,
b) l'OCCO doit établir un système d'octroi de permis aux personnes qui s'occupent de la commercialisation des veufs dans le marché interprovincial ou d'exportation (et, accessoi- rement, doit stipuler les modalités et condi tions afférentes à chaque permis «y compris une condition portant que le titulaire du permis doit en tout temps ... se conformer aux ordonnances et règlements de l'Office»), et
c) l'OCCO est autorisé à imposer, par ordon- nance ou par règlement, des redevances ou frais aux personnes qui s'occupent de la pro duction ou de la commercialisation des oeufs.
3. Au mois de mai 1973, l'OCCO a établi le Règlement sur l'octroi de permis visant les œufs du Canada. Aux termes de l'article 3 de ce Règlement, il est interdit de s'occuper de la commercialisation des veufs dans le commerce interprovincial ou d'exportation, à titre de pro- ducteur, d'exploitant d'un poste de classement, de producteur-vendeur ou de transformateur, sauf au détenteur du permis visé au règlement qui paie à l'Office les droits annuels prescrits; aux termes de l'article 8, la délivrance de chaque permis est notamment assujettie à la condition suivante: «le détenteur d'un permis doit en tout temps ... se conformer aux ordonnances et règlements de ... l'Office»; et aux termes de l'article 9, «L'Office peut suspendre, annuler ou refuser de délivrer un permis . .. lorsque le demandeur ou le détenteur d'un permis n'a pas observé, rempli ou respecté l'une des conditions du permis.» Il faut lire cette dernière disposition de concert avec une disposition relative à la procédure (article 10), qui prévoit que «Lorsque l'Office a l'intention de suspendre ou d'annuler un permis, il doit donner avis au détenteur, par lettre recommandée ... , de son intention de
suspendre ou d'annuler le permis ... , et ledit avis doit fixer au détenteur un délai d'au moins 14 jours à compter de la date d'expédition par la poste de l'avis, pour offrir des raisons valables de ne pas suspendre ou annuler son permis ...».
4. La proclamation de 1972 a été modifiée le 15 septembre 1975 afin, notamment, de porter à 12 le nombre des membres de l'OCCO; les deux nouveaux membres ont été nommés par le gou- verneur en conseil.
5. L'OCCO exigeait que les exploitants des postes de classement perçoivent les redevances payables par les producteurs et les versent à l'OCCO par l'intermédiaire d'offices dûment constitués.
6. Le l er mai 1975, il a été délivré à la requé- rante un permis d'exploitant d'un poste de clas- sement (il est à présumer qu'il s'agissait' du renouvellement de permis antérieurs).
7. En vertu des dispositions de la Loi, la requé- rante aurait percevoir des redevances des producteurs et les verser à l'OCCO et elle aurait dû, à titre de producteur, verser des redevances à l'OCCO, mais elle a volontairement négligé de s'acquitter de l'une et l'autre de ces obligations.
8. Un document portant la date du 2 octobre 1975 intitulé [TRADUCTION] «Avis d'annulation projetée du permis 1240 d'exploitant d'un poste de classement» et signé par le directeur de l'OCCO, a été envoyé à la requérante. En voici le texte:
[TRADUCTION] Le lu mai 1975, l'Office canadien de commercialisation des œufs vous a délivré, conformément au Règlement sur l'octroi de permis visant les œufs du Canada, un permis d'exploitant d'un poste de classement vous autorisant à vous occuper de la commercialisation des oeufs dans le commerce interprovincial ou d'exportation à titre d'exploitant d'un poste de classement et vous autori- sant à vous occuper de la vente et/ou de l'achat d'oeufs dans le commerce interprovincial ou d'exportation.
Votre permis a notamment été délivré à la condition qu'en tout temps, pendant la durée du permis, vous vous conformiez aux ordonnances et règlements de l'Office.
Vous connaissez les dispositions de l'Ordonnance sur les redevances à payer pour l'achat des œufs au Canada et de l'Ordonnance sur les redevances provisoires à payer pour les œufs du Canada qui imposent des redevances aux producteurs. Ces redevances sont en ce moment de 3.5 cents la douzaine. Aux termes de ces ordonnances, lorsque les oeufs sont vendus à un poste de classement, la rede- vance doit être perçue par l'exploitant du poste de classe- ment auquel les œufs sont livrés en déduisant le montant de la redevance de la somme payable au producteur. De
plus, aux termes des ordonnances sur les redevances sus- mentionnées, vous devez remettre à l'Ontario Egg Pro ducers Marketing Board ces montants perçus des producteurs.
Vous refusez, allègue-t-on, de percevoir des producteurs les redevances imposées conformément aux ordonnances sur les redevances susmentionnées et de remettre ces rede- vances à l'Ontario Fowl and Egg Producers Marketing Board suivant leurs instructions. Conformément à l'article 9 du Règlement sur l'octroi de permis visant les oeufs du Canada, l'Office peut annuler un permis lorsque le déten- teur n'a pas observé l'une des conditions du permis.
SACHEZ DONC que conformément à l'article 10 du Règlement sur l'octroi de permis visant les oeufs du Canada, l'Office canadien de commercialisation des oeufs vous avise par les présentes de son intention d'annuler le permis d'exploitant d'un poste de classement qu'il vous a délivré.
Conformément aux dispositions de l'article 10 du Règle- ment sur l'octroi de permis visant les oeufs du Canada, vous avez jusqu'au 16 octobre 1975 pour offrir des raisons valables de ne pas annuler votre permis d'exploitant d'un poste de classement. C'est l'occasion pour vous de présen- ter à l'Office tous les faits et arguments pertinents. Votre permis annulé, il vous sera interdit de vous occuper de la commercialisation des oeufs dans le commerce interprovin- cial ou d'exportation à titre d'exploitant d'un poste de classement et de vous occuper de la vente et de l'achat des oeufs dans le commerce interprovincial.
9. Un document portant la date du 17 octobre 1975 et intitulé [TRADUCTION] «Avis d'au- dience» a été expédié à la requérante. En voici le libellé:
[TRADUCTION] SACHEZ que l'Office canadien de com mercialisation des oeufs, au cours d'une audience qui sera
tenue le vendredi 24 octobre 1975, 13h, dans la salle Gatineau du Centre des conférences, à Ottawa, examinera la question de savoir s'il y a lieu d'annuler votre permis d'exploitant d'un poste de classement qui vous autorise à vous occuper de la commercialisation des oeufs dans le commerce interprovincial ou d'exportation au motif que vous avez violé une condition de ce permis en omettant de vous conformer aux dispositions de l'Ordonnance sur les redevances à payer pour l'achat des oeufs au Canada et ses modifications et aux dispositions de l'Ordonnance sur les redevances provisoires à payer pour les oeufs du Canada et ses modifications en ne percevant pas lesdites redevan- ces des producteurs suivants: Ed Becker, Kaiser Lake Farms, Embury Bros. Farm Ltd., Hemlock Park Co-Op Farm Ltd., Richard Paddle (Sillcrest), Aeggco Ltd., J. Burman, Joe David, R. McEwen, Burnbrae McCallum, Joe Hudson.
SACHEZ EN OUTRE que vous pouvez produire les éléments de preuve pertinents susceptibles d'être portés à votre connaissance ou à celle de votre avocat et qu'il vous est loisible, soit personnellement soit par l'intermédiaire de votre avocat, de présenter des arguments nouveaux ou supplémentaires si vous n'avez pas profité de l'occasion qui vous était fournie par la lettre du 2 octobre 1975 pour le faire.
SACHEZ ÉGALEMENT que l'Office peut procéder à l'exa- men de la question en votre absence et qu'en pareil cas vous perdez le droit d'être informé de l'évolution de la procédure.
10. L'OCCO a tenu une audience le 24 octobre 1975, il s'est fait représenter par un avocat qui a produit des preuves contre la requérante; cette dernière était aussi représentée par un avocat, qui a soumis des preuves, y compris le témoignage même de la requérante.
11. L'OCCO a rendu l'ordonnance suivante, qui porte la date du 24 octobre 1975:
[TRADUCTION] La Burnbrae Farms Limited ayant omis de percevoir et de remettre les redevances visées par l'Ordonnance sur les redevances à payer pour l'achat des oeufs au Canada et l'Ordonnance sur les redevances provi- soires à payer pour les oeufs du Canada, est ordonnée l'annulation immédiate de son permis d'exploitant d'un poste de classement, permis qui lui a été délivré conformé- ment au Règlement sur l'octroi de permis visant les oeufs du Canada et qui autorise cette compagnie à s'occuper de la vente et/ou de l'achat des oeufs dans le commerce interprovincial ou d'exportation à titre d'exploitant d'un poste de classement.
C'est cette dernière ordonnance qui est visée par la demande présentée en vertu de l'article 28.
Les points suivants ne sont pas contestés:
1. La validité des proclamations faites par le gouverneur en conseil, du règlement sur l'octroi de permis et de l'ordonnance sur les redevances à payer rendue par l'OCCO n'ayant pas été contestée, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le sujet; aux fins de cette demande, il est admis de part et d'autre que leur validité doit être présumée.
2. La requérante admet
(a) que le permis visé par l'ordonnance atta- quée a été délivré à condition que le détenteur se conforme aux ordonnances et règlements de l'OCCO; et
(b) que l'OCCO avait rendu une ordonnance portant que la requérante devait remettre cer- taines redevances et que cette dernière, avant que l'ordonnance attaquée ne soit rendue, ne s'était pas conformée à des ordonnances analogues.
En fait, il est assez évident que la requérante avait délibérément refusé de verser les redevances à l'OCCO en guise de protestation contre l'adminis- tration du plan de commercialisation des oeufs que
l'OCCO avait été chargé de mettre en vigueur et que la requérante, au cours de l'audience portant sur l'annulation de son permis, a clairement indi- qué qu'elle entendait continuer à agir de cette façon jusqu'à ce que certains changements, qu'elle n'a pas très bien précisés, aient été apportés à l'administration du plan. Il est en outre évident que la requérante et ceux qui partagent ses vues avaient résolu de contrecarrer systématiquement le plan de commercialisation appliqué par l'OCCO, notamment de la façon suivante:
a) en ne payant pas les redevances,
b) en s'opposant au retrait de leur permis, et
c) en recourant à diverses procédures judiciai- res, y compris cette demande présentée en vertu de l'article 28.
Je mentionne cette ligne de conduite non dans le but de suggérer la façon de trancher le présent litige ou quelque autre procédure judiciaire, mais afin de souligner une chose qui est d'ailleurs évi- dente, à savoir, que si la requérante a délibérément résolu de passer outre aux obligations que lui impose la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, les cours et les autres tribunaux concernés, toute justifiée que puisse sembler à la requérante l'attitude qu'elle adopte, doivent s'acquitter de leur devoir, qui est de rendre les décisions qui, aux termes de la loi, doivent être rendues dans les circonstances.
A mon avis, c'est dans cette perspective qu'il faut étudier les moyens invoqués par la requérante contre l'ordonnance de l'OCCO portant la date du 24 octobre 1975.
A une exception près, les moyens invoqués par la requérante contre l'ordonnance susmentionnée sont résumés de la façon suivante dans le mémoire qu'elle a déposé devant la présente cour:
[TRADUCTION] La requérante allègue que la décision portant la date du 24 octobre 1975 (peu importe quand elle a, en fait, été prise) doit être annulée pour les raisons suivantes:
a) L'OCCO s'est écarté des principes de la justice naturelle en ce qu'il a:
(i) Rejeté la demande raisonnable et nécessaire d'un ajournement, empêchant ainsi la requérante d'obtenir une audition impartiale de sa cause;
(ii) Fait tenir une audience par des personnes qui, dans certains cas, avaient un parti pris contre la requérante parce qu'elles avaient, personnellement ou à titre de repré-
sentants, un intérêt personnel à ce que la Burnbrae Farms disparaisse du marché montréalais;
(iii) Tenu l'audience bien qu'un tel parti pris contre la Burnbrae Farms fût possible et même probable, du fait que celle-ci était un producteur d'oeufs de l'est de l'Ontario et qu'elle cherchait activement à faire apporter des réfor- mes au plan national. L'existence de ce parti pris ressort clairement de la façon dont a été administré le plan national de commercialisation des œufs, du choix de la date de l'audience d'octobre et de la façon dont elle a été menée, et de la conduite du personnel de l'Office durant la période qui a précédé l'audience; tout cela montre claire- ment la conduite de l'OCCO qui visait à anéantir l'opposi- tion de l'est de l'Ontario à son administration dans le but de protéger les intérêts des autres provinces;
(iv) Au nombre des administrateurs qui ont siégé à l'au- dience du 24 octobre se trouvaient les administrateurs de l'OCCO, qui avaient déjà officiellement exprimé l'inten- tion d'annuler le permis de la requérante et qui avaient siégé à cette fin à une occasion auparavant avec John Hyde, un administrateur qui a un parti pris reconnu contre la requérante;
b) L'audience du 24 octobre avait pour but de permettre à la requérante de faire valoir les raisons pour lesquelles son permis ne devait pas être annulé et sa validité était subordon- née à l'existence d'une décision valide antérieure d'annuler le permis. Rien ne prouve que les administrateurs de l'OCCO soient autorisés à prendre la décision que l'Office veut obte- nir; cette annulation et la manifestation de cette intention est une décision qui a été prise sans avis préalable en l'absence duquel elle n'a aucun effet juridique. Les administrateurs qui ont siégé le 24 octobre ont erré en droit en prenant pour acquise la validité de la décision antérieure'.
Pour des raisons de commodité, je préfère traiter d'abord du dernier de ces moyens, fondé sur une interprétation que la requérante donne aux articles 9 et 10 du Règlement sur l'octroi de permis visant les œufs du Canada, dont voici le texte:
9. L'Office peut suspendre, annuler ou refuser de délivrer un permis lorsque le demandeur ou le détenteur d'un permis ne possède pas l'expérience, la responsabilité financière ni l'équipe- ment nécessaires pour se livrer de façon convenable à l'activité qui fait l'objet de sa demande ou lorsque le demandeur ou le détenteur d'un permis n'a pas observé, rempli ou respecté l'une des conditions du permis.
10. Lorsque l'Office a l'intention de suspendre ou d'annuler un permis, il doit donner avis au détenteur, par lettre recom- mandée qui lui est adressée à l'adresse inscrite dans les livres de l'Office, de son intention de suspendre ou d'annuler le permis, selon le cas, et ledit avis doit fixer au détenteur un délai d'au moins 14 jours à compter de la date d'expédition par la poste de
Au cours des plaidoiries, l'avocat de la requérante a retiré le paragraphe 6a)(v) de l'article 2 du mémoire de sa cliente.
l'avis, pour offrir des raisons valables de ne pas suspendre ou annuler son permis, selon le cas.
Le moyen de la requérante fondé sur ces articles suppose qu'on donne à ceux-ci une interprétation selon laquelle il faudrait que l'OCCO ait pris deux décisions à caractère quasi judiciaire pour qu'on puisse suspendre ou annuler un permis, à savoir:
a) une décision prise en vertu de l'article 10, serait exprimé l'intention de suspendre ou d'an- nuler le permis, et
b) une décision de suspendre ou d'annuler le permis prise en vertu de l'article 9.
Le libellé de l'article 10 laisse peut-être à désirer, mais une lecture honnête des deux articles nous force à conclure que l'article 10 est simplement une disposition de procédure destinée à assurer au détenteur du permis l'occasion de réfuter les allé- gations faites à son sujet avant la suspension ou l'annulation de son permis conformément à l'arti- cle 9. Il en résulte, selon moi, que ce qui est envisagé est
a) une mesure purement administrative (article 10) permettant au détenteur du permis de répondre aux allégations faites à son sujet, dont le caractère est procédural et il n'est pas nécessaire que l'occasion ait au préalable été fournie aux parties de se faire entendre, et qui peut très bien être déléguée à un organisme administratif ou aux fonctionnaires compétents (et, en l'absence de toute contestation par l'Of- fice lui-même, doit être présumée avoir été ainsi déléguée lorsqu'un organisme administratif ou un fonctionnaire de l'Office paraît avoir pris la mesure envisagée); et
b) la suspension ou la révocation elle-même conformément à l'article 9, qui doit être pronon- cée par l'Office lui-même selon un processus quasi judiciaire.
J'en viens maintenant aux moyens fondés sur la prétendue inobservation par l'OCCO des principes de la justice naturelle avant de rendre l'ordon- nance attaquée. Ces moyens se classent sous deux chefs principaux, à savoir:
a) refus d'accorder à la requérante l'ajourne- ment de l'audience relative à la question de la révocation du permis, et
b) parti pris ou parti pris appréhendé.
A mon avis, en l'espèce, on ne peut se plaindre du refus d'accorder un ajournement. De façon générale, il me semble, un tribunal établi par la loi, sous réserve de toute disposition spéciale prévue par la loi, est maître de sa procédure et a notam- ment une discrétion très étendue pour décider de l'opportunité et du moment d'ajourner une audience dûment convoquée et, le cas échéant, de la durée de cet ajournement. De façon générale, un pouvoir de surveillance tel que celui conféré par l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être exercé pour annuler la décision d'un tel tribu nal de refuser un ajournement que si ce refus prive l'intéressé d'une occasion raisonnable de répondre aux allégations formulées contre lui. En l'espèce, il a été donné à la requérante, peu après le 2 octobre, un avis lui accordant deux semaines pour offrir des raisons valables de ne pas suspendre ou annuler son permis; avis lui a ensuite été donné qu'une audience serait tenue le 24 octobre. A première vue, c'était un délai bien suffisant pour lui permettre de préparer une réponse aux allégations assez simples formulées contre elle. La requérante rétorque qu'elle avait décidé de consacrer une grande partie de ce délai à la procédure judiciaire qu'elle engageait, me semble-t-il, dans le cadre de son programme d'opposition à la façon dont le plan de commercialisation était mis en oeuvre, et qu'après réception de l'avis d'audience, la prépara- tion des arguments qu'elle souhaitait faire valoir devant l'Office afin de le convaincre qu'il appli- quait le plan de commercialisation de façon injuste pour la requérante et les autres personnes dans sa situation, lui a pris du temps. Non seulement ces démarches de la requérante sont-elles, à mon avis, tout à fait étrangères à l'objet de la présente audience, mais, me semble-t-il, le délai qui lui a été accordé, du jour le premier avis a été donné jusqu'à celui de l'audience, était suffisant pour la préparation des arguments 2 . Je ne trouve pas que le refus d'accorder l'ajournement me fonde à annuler l'ordonnance attaquée.
2 Le seul élément qui puisse militer en faveur de la pertinence de ces arguments est qu'ils auraient peut-être semblé indiquer que le permis n'aurait pas être annulé ou qu'il n'aurait être que suspendu. A mon avis, des arguments fondés sur une application partiale du plan étaient dénués de toute pertinence tant que la requérante, tout au moins, s'obstinait à ne pas payer les redevances.
J'en viens aux allégations de parti pris ou de parti pris appréhendé. Ces allégations, si elles sont formulées de diverses façons mais, sont basées sur des faits qui, considérés objectivement, peuvent être résumés, me semble-t-il, de la façon suivante:
a) les membres de l'OCCO qui ont siégé à l'audience ayant mené à la décision attaquée représentaient des producteurs de provinces autres que l'Ontario, est située l'entreprise de la requérante, dont les intérêts pécuniaires s'op- posent par conséquent à ceux de la requérante et à ceux des autres personnes dans la même situa tion que la requérante, et
b) l'intention clairement exprimée par des per- sonnes agissant au nom de l'OCCO de faire jouer les stipulations du plan de commercialisa tion contre ceux qui les avaient délibérément violées en guise de protestation contre la façon dont le plan était appliqué dans les décisions prises à la majorité par les membres de l'OCCO.
En ce qui concerne le caractère représentatif des membres de l'OCCO, il semble ressortir de la lecture de la Loi, de la proclamation et du règle- ment sur l'octroi de permis (la validité de tous ces textes est acceptée aux fins de cette demande présentée en vertu de l'article 28) que
a) des douze membres de l'OCCO, au moins neuf doivent être nommés par des offices de commercialisation créés pour des provinces autres que l'Ontario et «au moins» sept doivent être des producteurs du secteur primaire,
b) c'est l'Office ainsi créé qui a la responsabilité d'appliquer le plan de commercialisation, dont les redevances sont un aspect essentiel, le paie- ment desquelles est une condition de tout permis, et que
c) c'est l'Office ainsi créé qui a la responsabilité de faire appliquer cette condition, notamment en suspendant ou annulant les permis.
De plus, en l'absence de stipulation particulière relative au quorum, au moins la moitié des mem- bres de l'OCCO doivent participer à toute décision relevant de l'Office seul. (Voir article 21 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23.) Dans le cas d'un plan statutaire tel que celui-ci, il ne me semble pas que puisse être considéré comme une cause d'inhabilité un parti pris appréhendé du seul
fait que certains membres, en raison de la région du pays d'où ils viennent, ont évolué dans un contexte tel que leurs intérêts pécuniaires s'oppo- sent à ceux d'un détenteur menacé de se voir retirer son permis.
Aucun élément de preuve ne m'a été présenté établissant qu'un membre de l'Office ayant parti- cipé à la décision attaquée avait effectivement un parti pris et était de ce fait inhabile. A mon avis, l'intention exprimée par les membres de l'OCCO ou de son personnel de s'acquitter des fonctions que leur confiait la Loi, soit de faire appliquer le plan de commercialisation en obligeant tous les membres à obtempérer à ses ordonnances, ne peut assurément être considérée comme la preuve de l'existence d'un parti pris, étant donné l'obligation de l'OCCO de faire appliquer le plan créé par la Loi, la proclamation et le Règlement, lesquels, comme je l'ai déjà dit, sont tous reconnus comme étant valides aux fins de la présente procédure.
Il convient de s'arrêter au moyen résumé de la façon suivante dans le mémoire de la requérante:
[TRADUCTION] Au nombre des administrateurs qui ont siégé à l'audience du 24 octobre se trouvaient les administrateurs de l'OCCO, qui avaient déjà officiellement exprimé l'intention d'annuler le permis de la requérante et qui avaient siégé à cette fin à une occasion auparavant avec John Hyde, un administra- teur qui a un parti pris reconnu contre la requérante;
En ce qui concerne les membres de l'OCCO qui, en leur qualité d'administrateurs, ont participé à la mesure prise en vertu de l'article 10 du Règlement sur l'octroi de permis visant les oeufs du Canada, je suis d'avis, pour les raisons déjà énoncées, que c'était une action purement administrative, qu'ils n'avaient pas décidé quelle mesure il y avait lieu de prendre conformément à l'article 9, et qu'ils étaient parfaitement habiles à participer à la décision relevant de l'Office en vertu de l'article 9. Quant à la présence de Hyde et à son influence sur la mesure prise en vertu de l'article 10, même s'il avait un «parti pris reconnu contre la requérante», la mesure prise en vertu de l'article 10 ne saurait, à mon avis, avoir pour effet de mettre lesdits membres de l'OCCO dans le même sac et, de toute façon, je ne trouve rien au dossier qui permette de conclure que Hyde avait un «parti pris reconnu contre la requérante». Je tiens compte des parties du témoignage de Hudson celui-ci se dit d'avis que Hyde avait un parti pris contre lui mais, selon
qui je perçois l'ensemble de la question, cette opinion n'est pas fondée.
En dernier lieu, j'en viens à un moyen avancé tardivement, qui ne figure pas au mémoire de la requérante et qui est fondé sur le procès-verbal des délibérations de l'OCCO, porté à l'attention de la requérante après la production de son mémoire. En peu de mots, la requérante allègue que les mem- bres qui ont participé à l'audience ont demandé à un membre du barreau agissant pour l'OCCO à l'audience s'il serait légal d'inclure dans l'ordon- nance d'annulation une disposition d'adoucisse- ment. Par analogie avec d'autres catégories d'af- faires, la requérante prétend qu'on se trouve ainsi à avoir entendu des témoignages ou écouté des plaidoiries d'une partie en l'absence de l'autre. Il faut, bien entendu, trancher ce genre de questions selon le système juridique prévu pour un tel cas. Il ne s'agit pas ici du cas un tribunal doit trancher une affaire entre deux parties opposantes. Selon moi, la présente affaire tombe dans la catégorie de celle un organisme établi par la loi a le devoir d'exercer un pouvoir de son propre chef mais seulement après avoir donné à la personne intéres- sée l'occasion d'être entendue et, de par sa nature même cet organisme—qu'il s'agisse d'un ministère ou d'un autre organisme créé par la loi—ne peut agir et prendre des décisions qu'avec l'aide d'un personnel spécialisé. Après avoir accordé à l'inté- ressé la possibilité d'être entendu, cet organisme, pour arriver à sa décision, doit pouvoir recourir à l'aide d'un personnel compétent. Rien en l'espèce ne permet de croire qu'il y ait eu déni de justice par suite des avis demandés et la procédure suivie est celle-là même envisagée dans une longue suite d'affaires mettant en cause des ministères et des organismes publics et qui remontent au moins jusqu'à l'arrêt Arlidge 3 .
A mon avis, il y a lieu de rejeter cette demande présentée en vertu de l'article 28.
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LE JUGE URIE a souscrit à l'avis.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à l'avis.
3 [1915] A.C. 120.
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