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Ernest C. Hammond (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance. Le juge Pratte— Vancouver, le 8 juillet; Ottawa, le 24 septembre 1971.
Impôt sur le revenu—Revenu—Prix en espèces qu'un pro- priétaire de cheval gagne aux courses—S'agit-il d'une entre- prise ou d'un passe-temps—Gains considérés comme inespé- rés provenant d'un passe-temps—Appel accueilli—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, arts. 3, 4, 139(1)e).
L'appelant interjeta appel des nouvelles cotisations éta- blies à son encontre pour les années d'imposition 1964, 1965 et 1966, parce qu'on ajoutait à son revenu les sommes de $9,083.81, $28,543.13 et $28,114.26 qui représentaient les gains nets que l'appelant avait réalisés pendant chacune des années en question en faisant courir un cheval connu sous le nom de «George Royal». L'appelant déclara que ces sommes représentaient des gains inespérés provenant d'un passe-temps personnel.
Arrêt: Le seul fait d'acheter et de faire courir un cheval n'est pas en soi une initiative commerciale parce que norma- lement le but n'est pas de retirer des bénéfices. En consé- quence, on ne peut pas considérer les prix en espèces gagnés par un cheval comme le revenu d'une entreprise «sauf dans des circonstances exceptionnelles indiquant que le propriétaire du cheval avait organisé ses activités de telle sorte qu'il gérait en fait une entreprise à caractère commer cial». Des circonstances exceptionnelles n'ayant pas été prouvées en l'espèce, il est fait droit à l'appel.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
E. C. Chiasson et G. T. W. Bowden pour l'appelant.
T. E. Jackson pour l'intimé.
LE JUGE PRATTE—L'appelant en appelle de la décision du ministre intimé de procéder à de nouvelles cotisations relativement à son impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1964, 1965 et 1966. En établissant ces nouvel- les cotisations, le 27 avril 1970, le ministre du Revenu national a ajouté au revenu déclaré par l'appelant des sommes ($9,294.41 pour 1964, $29,546.51 pour 1965 et $28,942.85 pour 1966) qui représenteraient les profits que, pendant chacune de ces années, lui aurait rapporté un cheval de course nommé George Royal.
Dans son avis d'appel, l'appelant a affirmé que ces nouvelles cotisations étaient erronées pour deux motifs: d'abord, parce que ses gains
aux courses ne seraient pas un revenu et, par conséquent, ne seraient pas imposables, et, ensuite, parce que les sommes que le Ministre a ajoutées à son revenu déclaré seraient supérieu- res aux profits que lui aurait rapportés son L cheval. Il n'est cependant pas nécessaire de prendre en considération la dernière de ces deux objections puisque les parties ont convenu au procès que les courses du cheval George Royal avaient rapporté à l'appelant un bénéfice net s'élevant à $9,083.81 en 1964, $28,543.13 en 1965 et $28,114.26 en 1966. 11 ne reste donc à étudier que la première objection soulevée par l'appelant.
Dans son avis d'appel, l'appelant expose ainsi les raisons pour lesquelles les sommes que l'on a ajoutées à son revenu déclaré ne constitue- raient pas un revenu imposable:
[TRADUCTION] 2. Les sommes susmentionnées ajoutées au revenu net de l'appelant en 1964, 1965 et 1966 provenaient des victoires aux courses du cheval George Royal que l'appelant avait acquis en 1962 alors que c'était un poulain, et dans lequel il possédait une part de copropriété s'élevant à la moitié de sa valeur.
3. L'appelant avait acquis ledit George Royal et le fit. courir de 1963 à 1966, exerçant ainsi son passe-temps favori: posséder et faire courir un ou plusieurs chevaux pour son plaisir et son divertissement personnel.
9. En outre, l'appelant déclare que ses gains tirés des courses de chevaux ne provenaient pas d'une initiative commerciale ou d'une entreprise d'élevage et d'entraîne- ment de chevaux de course, mais représentaient des gains inespérés provenant d'un passe-temps privé entrepris par l'appelant dans le but principal de se divertir.
L'intimé, dans sa réponse à l'avis d'appel, a déclaré qu'en établissant la nouvelle cotisation de l'appelant pour les années 1964, 1965 et 1966, il avait pris pour acquis les faits suivants:
[TRADUCTION] 6....
a) Pendant un certain nombre d'années antérieures et à l'époque en question, l'appelant, seul ou avec d'autres personnes, s'était occupé de courses de chevaux dans le but de faire des bénéfices.
b) En 1964, 1965 et 1966, l'appelant était copropriétaire d'un cheval de course connu sous le nom de George Royal.
c) De mai 1963 octobre 1966, les recettes des courses du cheval George Royal s'élevèrent à $279,482.00.
d) La part des recettes provenant des courses de chevaux qui revint à l'appelant ... est un revenu au sens que ce mot revêt dans la Loi de l'impôt sur le revenu.
Par conséquent, il est admis que, en 1964, 1965 et 1966, l'appelant était copropriétaire d'un cheval de course, connu sous le nom de George Royal, qui remporta de nombreuses vic- toires et que les différentes sommes que l'in- timé a ajoutées au revenu déclaré par l'appelant pour les années en question (telles que modi fiées par l'entente intervenue à l'audience) représentent la part de l'appelant des prix en argent gagnés par George Royal, déduction faite des dépenses légitimement encourues pour faire courir ce cheval. Le problème à résoudre est de savoir si cette part des recettes nettes des cour ses de ce cheval est un revenu suivant le sens que la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 3, 4 et 139(1)e) donne à ce terme.
Les avocats de l'appelant et de l'intimé ont convenu que la question de savoir si un prix gagné aux courses est un revenu imposable appelle des réponses différentes suivant les faits de chaque affaire; plus précisément, ils ont convenu qu'un tel prix n'est un revenu que dans le cas les activités de turfiste du contribuable sont telles qu'on puisse les considérer comme une entreprise.
L'appelant, qui habite Vancouver, a mainte- nant 68 ans. Il s'est toujours intéressé au sport et a même été joueur de football pendant plu- sieurs années. En 1933, il dut abandonner le football pour aider son père et son frère à gérer une compagnie familiale, The Hammond Furni ture Manufacturing Company. Cette compagnie, en plus d'être l'un des plus importants fabri- cants de meubles en bois au Canada, avait éga- lement, par l'intermédiaire de diverses filiales, d'autres domaines d'activités commerciales, tels que les revêtements de sol, le rembourrage et la literie, le contre-plaqué et le bois de charpente. L'appelant consacra, pendant de nombreuses années, toute son énergie à sa nouvelle tâche,
travaillant 16 18 heures par jour. Peu avant 1957, le père et le frère de l'appelant décédè- rent tous deux; ces disparitions, jointes au fait que l'appelant avait apparemment rencontré des difficultés dans ses rapports avec les unions ouvrières, l'incitèrent à cesser ses différents
commerces. C'est ainsi que, au début de 1957, l'appelant avait disposé de la presque totalité des différentes entreprises gérées précédem- ment par la Hammond Furniture Manufacturing Company et ses filiales; il avait seulement con- servé la propriété d'un vaste immeuble commer cial et continué à exploiter son entreprise de rembourrage et de literie (qu'il vendit, plus tard au cours de l'année, à d'anciens employés pour la somme de $250,000 payable par versements mensuels de $1,150). Ceci ne veut pas dire que l'appelant n'ait rien eu à faire pendant les années suivantes. Selon son témoignage, il aurait été toujours très occupé, en particulier de 1963 à 1966, devant surveiller la gestion de son immeuble, travaillant pour un fabricant austra- lien de meubles et consacrant beaucoup de temps aux affaires de la Western Mines Ltd., compagnie dont il était administrateur. Toute- fois, il est certain que l'appelant, qui avait été victime d'une crise cardiaque en 1962, avait alors réduit ses activités professionnelles; dans ces circonstances, on comprend que, de 1964 à 1966, il ait pu passer beaucoup de temps hors de chez lui pour accompagner son cheval qu'il coure. L'appelant affirma, et il n'y a aucune raison de ne pas le croire, que pendant ces années sa situation financière était bonne et [TRADUCTION] «qu'il ne comptait pas sur les chevaux pour gagner de l'argent».
C'est dans ce contexte qu'on doit à présent envisager les activités de turfiste de l'appelant.
Jusqu'en 1955 l'appelant n'avait jamais pos- sédé de chevaux de course, mais il se rendait fréquemment aux champs de course. Cette année-là, pour goûter l'émotion de parier sur son propre cheval, il acheta son premier pur- sang. Depuis lors, il en a toujours possédé un. Il achetait un cheval, le faisait entraîner et courir, et s'il ne s'avérait pas bon ou s'il ne lui plaisait pas pour quelque autre raison, il le vendait ou le donnait avant d'en acheter un autre. L'appelant ne possédait pas de ferme il aurait pu garder ses chevaux et ne connaissait rien à leur entraî- nement; par conséquent, il devait faire entraîner et soigner toutes ses bêtes par des éleveurs et des entraîneurs professionnels.
Vers 1962, l'appelant, qui, entre-temps, avait déjà possédé quatre chevaux de course, acheta un poulain connu sous le nom de George Royal
pour un peu moins de $3,500. Il s'entendit avec un certain Robert Hall, éleveur professionnel qui possédait une ferme près de Vancouver, pour que celui-ci garde et entraîne son nouveau cheval. Et pour inciter Hall à bien s'occuper de George Royal, il décida de lui donner une moitié indivise du cheval, étant entendu que Hall sup- porterait la moitié de ce qu'il en coûterait pour entretenir, entraîner et faire courir l'animal et que, il aurait aussi droit à une moitié des prix que la bête pourrait gagner.
De manière inattendue, George Royal s'avéra être un cheval de grande classe. Il se révéla si bon lorsqu'il participa à des courses en Colom- bie-Britannique que, fin 1963, l'appelant et Hall décidèrent de l'envoyer en Californie avec un entraîneur et un jockey pour le faire courir contre des chevaux de sa catégorie. En 1964, 1965 et 1966, George Royal remporta de nom- breuses victoires, surtout en Californie et en Ontario. A l'automne 1966, l'appelant et Hall décidèrent de ne plus le faire courir parce qu'il souffrait d'arthrite. L'appelant, qui n'était pas intéressé par l'élevage, vendit sa part de l'ani- mal à un ami de Hall. Pendant sa carrière, aussi courte que profitable, George Royal avait rem- porté des prix s'élevant à la somme de $335,000.
Apparemment, l'appelant s'occupait des démarches administratives que les courses de George Royal impliquaient. Par exemple, il assurait le cheval et correspondait avec les organisateurs des différentes courses auxquel- les il devait participer. L'appelant n'a pas con- servé au complet les documents détaillés con- cernant ses dépenses relatives à ses activités de turfiste. Toutefois, il a collectionné et conservé tout ce qui a été publié dans les journaux au sujet de George Royal.
Si les activités de turfiste de l'appelant prirent presque tout son temps, en particulier en 1965 et 1966, c'est parce que, comme je l'ai déjà dit, il décida de suivre son cheval partout il devait courir. Par exemple, l'appelant passa les mois d'hiver 1965 et 1966 en Californie. Ces voyages, qui étaient certainement coûteux, n'é- taient pas nécessaires puisque l'appelant n'en- traînait ni ne faisait courir lui-même le cheval. C'est par plaisir seulement que l'appelant sui- vait son cheval: grâce à George Royal, il avait
l'occasion de fréquenter des gens qu'il n'aurait pas rencontrés autrement.
A l'appui de sa prétention que les gains que l'appelant a réalisés aux courses constituaient un revenu, l'avocat de l'intimé a cité des déci- sions bien connues: Thomas Campbell c. M.R.N. [1953] 1 R.C.S. 3; M.R.N. c. Taylor [1956-60] R.C.E. 3; C.LR. c. Livingston (1926-27) 11 T.C. 538; Edwards c. Bairstow [1955] 3 All E.R. 48. A mon avis, on ne peut;'en l'espèce, appliquer ces précédents. Dans toutes ces affaires, le tribunal devait décider si un gain provenant de l'achat et de la revente d'un bien était un revenu; mais de tels gains ne peuvent être assimilés à des prix en argent gagnés par des chevaux de course. Celui qui achète et revend un bien avec un profit, agit prima facie comme un commerçant; pour cette raison, même si cette transaction est isolée; on peut très bien la considérer comme une «initiative ou affaire d'un caractère commercial». Mais celui qui réussit à réaliser des gains aux courses est dans une situation tout à fait différente. Seuls ceux qui sont riches, cela est bien connu, peu- vent se permettre de posséder et de faire courir des chevaux pour la simple raison que, normale- ment, ils ne retirent pas de bénéfice de cette forme de loisir. Le fait d'acheter et de faire courir un cheval ne constitue pas en soi une initiative commerciale parce que, normalement,'' une pareille activité n'a pas pour but la réalisa- tion de bénéfices. C'est pourquoi on ne peut considérer les prix gagnés par un cheval de course comme le revenu d'une entreprise, sauf dans des circonstances exceptionnelles indi- quant que le propriétaire du cheval a organisé ses activités de telle sorte qu'il gérait en fait une entreprise à caractère commercial. Aucune cir- constance exceptionnelle de cette nature n'ayant été prouvée en l'espèce, je conclus qu'on ne peut pas dire que le fait que l'appelant se soit occupé, pendant les années en question, de faire courir des chevaux ait constitué une entreprise; par conséquent, ses gains aux cour ses, pendant ces années, ne constituent pas un revenu.
L'appel est accueilli avec dépens.
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