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American Cyanamid Company (Demanderesse)
c.
Novopharm Limited (Défenderesse)
Division de première instance. Le juge en chef adjoint Noel—Toronto, le 29 novembre et Ottawa, le 8 décembre 1971.
Brevets—Violation—Le détenteur d'une licence non exclu sive n'a pas qualité pour poursuivre en violation—Loi sur les brevets, art. 2h) et 57.
Un détenteur d'une licence non exclusive d'exploitation d'un brevet n'a pas qualité pour instituer une action en violation du brevet.
Distinction faite avec l'arrêt Spun Rock Wools Ltd. c. Fiberglass Canada Ltd. [1943] R.C.S. 547, confirmé par (C.P.) 6 C.P.R. 57; arrêt mentionné: King c. David Allen & Sons Ltd. [1916] 2 A.C. 54.
REQUÊTE.
R. T. Hughes pour la demanderesse.
I. Goldsmith pour la défenderesse.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOËL—La défen- deresse demande une ordonnance radiant la déclaration aux présentes en vertu de la Règle 419 des Règles de cette Cour au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action et, ou à titre subsidiaire, qu'elle constitue par ail- leurs un emploi abusif des procédures de la Cour étant donné que la demanderesse, à titre de détenteur de licence non exclusive d'exploi- tation du brevet canadien 726,675 apparte- nant à la Bristol-Myers Company, n'a pas qua- lité pour exercer cette action sans constituer ledit breveté partie à l'action comme l'exige l'article 57(2) de la Loi sur les brevets; et qu'une action en violation du brevet, intentée contre la défenderesse aux présentes par la Bristol-Myers Company, est pendante devant cette Cour sous le de dossier T-2153-71. A l'audience, le procureur de la défense et celui de la Bristol- Myers Company ont tous deux soulevé un nouvel argument suivant lequel un détenteur de licence non exclusive n'a aucun droit de pour- suite en vertu de l'article 57(2) de la Loi sur les brevets. Le procureur de la Bristol-Myers Com pany a été joint aux présentes par suite d'une ordonnance émise par mon collègue le juge Gibson aux termes de laquelle on a signifié la présente requête à la Bristol-Myers Company et on lui a «donné l'occasion de présenter une
argumentation relative en tout état de cause à la définition du mot «breveté» apparaissant à l'ar- ticle 2 de la Loi sur les brevets et à la Règle 1716 des Règles de cette Cour» qui a trait à la compétence de la Cour d'adjoindre des parties à une procédure.
Pour bien comprendre ces questions relatives au droit d'un détenteur de licence d'intenter une action en violation, il est nécessaire de brosser un tableau d'ensemble du problème.
En 1933, la Cour suprême du Canada décidait dans l'arrêt Electric Chain Co. of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. [1933] R.C.S. 581, aux pages 586 et 587 (suivant la décision de l'arrêt Heap c. Hartley (1889) 42 Ch. D. 461) qu'un détenteur de licence n'avait pas droit à être partie même si la Loi en vigueur définissait un breveté comme «le titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage d'un brevet d'inven- tion». Cette définition est restée la même à l'article 2h) de la Loi sur les brevets. En 1943, la Cour suprême a décidé dans l'arrêt Spun Rock Wools Ltd. c. Fiberglass Canada Ltd. [1943] R.C.S. 547, à la p. 559, confirmé par le Conseil privé (1947) 6 C.P.R. 57, à la p. 66, que la définition du mot «breveté» demeurait la même mais qu'étant donné la modification apportée à l'article 55(1) (maintenant l'article 57(1)), un détenteur de licence exclusive se réclame du breveté.
L'article 57 est ainsi rédigé:
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.
(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recou- vrement des dommages-intérêts en l'espèce.
Cette requête a soulevé un certain nombre de questions. J'examinerai d'abord le droit de la demanderesse d'intenter une action en violation du brevet et d'en poursuivre les auteurs. Le procureur de la demanderesse estime que (1) celle-ci est habilitée à poursuivre seule au motif qu'en vertu de la définition de l'article 2h) de la Loi sur les brevets elle est «le titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage d'un brevet» et (2) si tel n'est pas le cas, le titulaire du brevet, en l'espèce la Bristol-Myers Company,
peut être constitué partie comme le prévoit l'ar- ticle 57(2).
Même en se reportant à l'article 2 de la Loi sur les brevets, il ne fait pas de doute qu'un détenteur de licence n'est pas un titulaire de brevet. C'est ce qu'a déclaré l'arrêt Electrical Chain Co. of Canada Ltd. c. Art Metal Works Inc. (précité) en se fondant sur la définition correspondante du breveté en vigueur à ce moment-là, définition qui, comme nous l'avons vu, n'a pas changé; je dois donc conclure qu'au- jourd'hui, un détenteur de licence ne peut être un titulaire de brevet.
Le procureur de la demanderesse déclare cependant que si le breveté doit être constitué partie à l'action pour protéger ses intérêts, cela peut se faire soit en permettant au breveté de comparaître volontairement à titre de deman- deur s'il le désire ou s'il refuse, en le constituant partie défenderesse, par voie d'ordonnance de la Cour rendue en vertu de la Règle 1716 des Règles de cette Cour.
Je conviens qu'omettre de mettre en cause une partie ne doit pas provoquer le rejet de l'action (Mackay c. Le Roi [1928] R.C.É. 149) et si c'était le seul obstacle à la présente action, je n'hésiterais pas à autoriser la deman- deresse à demander que la Bristol-Myers Com pany soit constituée partie défenderesse à l'action.
Cependant, je doute sérieusement qu'un détenteur de licence non exclusive puisse inten- ter une action en violation même si le breveté est constitué partie à l'action, car je ne crois pas qu'il puisse se réclamer du breveté ni qu'il puisse réclamer des dommages-intérêts pour violation du brevet.
Je fais cette affirmation malgré la décision susmentionnée à l'effet que le détenteur d'une licence exclusive peut poursuivre, parce qu'à mon avis, cette situation est différente de celle d'un détenteur d'une licence non exclusive. A mon sens, ce dernier ne détenant pas de droit exclusif, il n'a pas de droit précis excluant toute autre personne et ne peut se réclamer du breveté.
Le détenteur d'une licence non exclusive n'a qu'un privilège non exclusif. (En l'espèce,
contre paiement de redevances, il a le droit de fabriquer les produits brevetés mais n'a aucun droit précis à faire valoir contre les auteurs de violation.) Ainsi, son seul recours est de s'a- dresser à celui qui lui a accordé la licence et ce recours est prévu par la licence elle-même. Il peut soit cesser de payer les redevances soit, si le breveté s'est mis dans l'impossibilité de rem- plir son obligation prévue dans la convention, il peut, en certains cas, avoir une action en dom- mages-intérêts pour rupture de contrat. Le droit de poursuite qu'a un détenteur de licence est purement statutaire et, en ce qui concerne la Loi sur les brevets, ce droit est énoncé à l'article 57(1) de cette dernière. Cet article, à mon sens, fait l'objet d'une interprétation stricte et ne doit pas avoir une portée plus grande que celle que lui confèrent ses termes. A mon avis, pour conférer un droit d'action, il ne suffit pas de dire que l'auteur d'une violation est redevable envers toute personne se réclamant du breveté. La personne qui intente la poursuite doit égale- ment avoir un droit précis de ce faire et doit pouvoir exercer ce droit contre les personnes qui portent atteinte à son droit. Bien qu'il soit possible, dans une certaine mesure, d'autoriser un détenteur d'une licence exclusive à poursui- vre en qualité de personne se réclamant du breveté, je ne vois pas comment un détenteur de licence non exclusive puisse le faire. En effet, ce dernier n'a pas de droit précis. Son seul recours est donc contre son concédant comme le stipule la licence elle-même, le cas échéant; s'il n'a pas ce recours, il peut alors protéger ses droits en intentant toute autre action que lui accorde la Loi mais ces actions pourront être intentées contre son concédant seulement et non contre les tiers. Le détenteur d'une licence non exclusive n'a aucun recours contre les tiers même s'il prétend se réclamer du breveté parce qu'il n'a aucun recours person nel contre ceux qui portent atteinte à ses droits. Dans l'arrêt King c. David Allen & Sons, Bill- posting, Ltd. [1916] 2 A.C. 54 la p. 59, il examinait une licence non exclusive, le Lord chancelier Buckmaster déclarait:
[TRADUCTION] Vos seigneuries, j'ai examiné avec soin et attention ce document pour y trouver la possibilité de déduire de son interprétation autre chose que la création d'une obligation personnelle entre l'appelant et les intimées relative à l'utilisation de ce mur, et je n'ai pu y parvenir. (J'ai moi-même ajouté les italiques).
De même, je pense qu'en l'espèce, il n'existe qu'une obligation personnelle entre le détenteur de la licence et la demanderesse. En outre, un examen de la licence elle-même montre que les parties ont prévu le cas le brevet serait violé par des tiers à l'article V qui déclare que, dans un tel cas, le détenteur de la licence avertira le breveté, lui fournira les renseignements relatifs à la violation et lui demandera de prendre les dispositions appropriées pour mettre fin à cette violation. La licence stipule également que si, dans un délai de 120 jours suivant la réception de cet avis et de cette demande, le breveté omet d'aviser le détenteur de la licence qu'il prendra les dispositions pour mettre fin à cette violation ou l'avise qu'il n'a pas l'intention de le faire, le détenteur de la licence sera libéré de son obliga tion de payer les redevances.
Voilà, à mon sens, le seul recours qu'a la demanderesse aux termes de sa licence non exclusive et elle n'en possède aucun autre car, encore une fois, elle ne peut se réclamer du breveté contre les auteurs de la violation, étant au contraire limité à l'action qu'elle peut enga- ger en vertu de la licence elle-même. Il se trouve également que cette solution résout bien la difficulté pratique que comporte l'introduc- tion par des détenteurs, des sous-détenteurs ou des sous-sous-détenteurs de licence non exclu sive, d'une action contre des auteurs de viola tion avec les difficultés qu'impliquent la distinc tion, la répartition ou l'identification des dommages ou des pertes de bénéfices auxquels a droit chaque détenteur, sous-détenteur ou sous-sous-détenteur de licence non exclusive.
J'ajouterais que si la présente décision devait être infirmée en appel, la demanderesse pourrait alors demander moins que le breveté ne veuille bien se constituer partie demanderesse aux présentes) que la Bristol-Myers Company soit constituée partie défenderesse en cette action en vertu de la Règle 1716 des Règles de cette Cour; on devrait alors permettre de procé- der à l'instruction des deux actions (la présente et l'action No T-2153-71); à ce moment, cepen- dant, on devrait prendre des dispositions pour que les deux soient entendues par le même juge pour assurer une distinction et une répartition exacte des dommages ou des pertes de bénéfi-
ces et pour éviter une répétition ou un chevau- chement inutiles. La possibilité de constituer la présente demanderesse partie demanderesse dans l'autre action devrait également être considérée.
La demanderesse n'ayant pas qualité en l'es- pèce, cette action est rejetée avec dépens.
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