Georges Blaha (Appelant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
(amicus curiae)
Cour d'appel de la citoyenneté, le juge Pratte—
Québec, le 22 novembre; Ottawa, le 9 décembre
1971.
Citoyenneté—«Résidence», signification—Le requérant
était étudiant dans une Université américaine—Loi sur la
citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19, art. 10(1)b) et
c).
L'appelant est un réfugié tchèque. Entré illégalement au
Canada le 7 juillet 1963, il est devenu immigrant «reçu» le
29 octobre 1965. Il a vécu au Canada en suivant des cours à
l'Université Laval jusqu'au 13 octobre 1966, date à laquelle
il partit étudier à l'Ohio State University. Jusqu'à l'obten-
tion de son diplôme, en mars 1971, il n'est rentré au Canada
que pendant les mois d'été, mais il y réside depuis lors de
manière permanente. Le 20 août 1970, il demandait la
citoyenneté canadienne.
Arrêt: confirmation de la décision du tribunal de la
citoyenneté rejetant sa demande. Il n'a pas satisfait aux
exigences de résidence de l'art. 10(1)b) et c) de la Loi sur la
citoyenneté canadienne. Le mot «résidence», utilisé en l'es-
pèce, exige la présence physique (d'une façon au moins
habituelle) sur le territoire canadien.
APPEL d'une décision du tribunal de la
citoyenneté.
Robert Lesage pour l'appelant.
Claude Ruelland, amicus curiae.
LE JUGE PRATTE—L'appelant a demandé
qu'on lui octroie la citoyenneté canadienne. Sa
demande ne pouvait être accueillie, suivant le
paragraphe (1) de l'art. 10 de la Loi sur la
citoyenneté canadienne (S.R.C. 1952, c. 33, tel
qu'amendé, maintenant S.R.C. 1970, c. C-19),
que s'il établissait à la satisfaction du tribunal
avoir résidé au Canada pendant le temps exigé
par la loi. Le 25 mai 1971, le tribunal rendait,
sur ce point, une décision défavorable à l'appe-
lant. C'est cette décision que l'appelant attaque
aujourd'hui.
L'appelant est un réfugié tchèque qui est
entré illégalement au Canada le 7 juillet 1963.
Sa situation était régularisée le 29 octobre 1965,
date de sa «réception» comme immigrant. Quel-
ques jours plus tard, le 5 novembre 1965, il
produisait au greffe du tribunal à Québec une
déclaration de son intention de devenir citoyen
canadien et, enfin, le 20 août 1970, il demandait
la citoyenneté canadienne.
L'appelant est demeuré au Canada du 7 juillet
1963 jusqu'au 13 octobre 1966. Dès le mois de
septembre 1963, il était inscrit comme étudiant
régulier à la faculté de foresterie et de géodésie
de l'Université Laval et il a obtenu, au mois de
juin 1965, son Baccalauréat en sciences géodé-
siques. Aussitôt après, il s'inscrivit à l'école des
gradués de la même université qui devait lui
décerner, le 8 juin 1968, le grade de maître ès
sciences (photogrammétrie). En 1966, suivant
les conseils de ses professeurs, l'appelant, qui
s'était mérité une bourse d'études du Conseil
national des recherches, décida d'aller immédia-
tement poursuivre des études supérieures aux
États-Unis, étant entendu qu'il terminerait pen
dant ses vacances d'été ses études de maîtrise.
C'est ainsi que, le 13 octobre 1966, il quitta
Québec pour aller étudier à l'Ohio State Univer
sity qui lui conféra, au mois de mars 1971, le
doctorat qu'il convoitait. L'appelant est rentré
définitivement au Canada le 23 mars 1971. Pen
dant son séjour d'études aux États-Unis, il est
revenu chaque année au Canada. En 1967, il a
travaillé à l'Université Laval, à Québec, du
début de juin à la fin de septembre; pendant
chacune des années qui suivirent il revint passer
au moins deux mois au Canada, habitant la
plupart du temps chez son frère, à Montréal.
Il est indiscutable que l'appelant n'a jamais
voulu quitter définitivement le Canada; s'il est
allé aux États-Unis, c'est dans le seul but d'y
poursuivre, pendant un temps, des études avan-
cées dans un domaine qui, à ce moment, était à
peu près inexploré ici. Il a toujours considéré
qu'il conservait son domicile dans la province
de Québec. Ainsi, il a toujours eu un compte de
banque à Québec; il a toujours détenu un
permis de conduire émis par les autorités de la
province de Québec et, pendant qu'il était aux
États-Unis, chaque fois qu'il devait fournir son
adresse permanente il indiquait ou bien celle de
l'Université Laval ou bien celle de son frère, à
Montréal, chez qui, d'ailleurs, il avait laissé des
effets personnels. Ajoutons qu'on ne peut
mettre en doute sa sincérité lorsqu'il affirme
qu'il n'aurait pas quitté le Canada pour les
Etats-Unis s'il avait su que ce séjour à l'étran-
ger aurait pour conséquence de retarder le
moment où il pourrait obtenir la citoyenneté
canadienne.
L'alinéa (1)b) et le sous-alinéa (1)c)(i) de l'ar-
ticle 10 de la Loi sur la citoyenneté canadienne
se lisent comme suit:
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un
certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un
citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la
satisfaction du tribunal
b) qu'elle a résidé au Canada pendant au moins douze des
dix-huit mois qui précèdent immédiatement la date de sa
demande;
c) que le demandeur ou la demanderesse
(i) a été licitement admis au Canada pour y résider en
permanence et a, depuis cette admission, résidé au
Canada pendant au moins cinq des huit années qui
précèdent immédiatement la date de sa demande; toute-
fois, aux fins du présent sous-alinéa, chaque année
entière passée au Canada par l'auteur de la demande
avant son admission licite au Canada pour y résider en
permanence est censée être une demi-année de rési-
dence au Canada comprise dans la période de huit ans
visée au présent sous-alinéa.
Le seul problème que soulève cet appel est
celui de savoir, eu égard aux faits que j'ai
relatés, si le tribunal a eu raison de décider que
la demande de l'appelant ne pouvait être
accueillie parce qu'il n'avait pas, comme l'exige
les dispositions législatives précitées, résidé au
Canada pendant douze des dix-huit mois et pen
dant au moins cinq des huit années précédant
immédiatement la date de sa demande.
L'avocat de l'appelant, dont les vues sur ce
point étaient partagées par l'avocat nommé pour
agir comme amicus curiae en cette affaire, a
d'abord soutenu que le tribunal avait erré en
décidant que l'appelant n'avait pas conservé sa
résidence au Canada pendant la durée de son
séjour d'études aux États-Unis. Il a ensuite
soumis que le tribunal aurait fait erreur en pre-
nant pour acquis que l'appelant devait, pour
obtenir la citoyenneté, satisfaire aux exigences
de la loi telle qu'elle se lisait en 1970 et telle
qu'elle se lit encore aujourd'hui; suivant lui il
suffisait que l'appelant établisse qu'il satisfaisait
aux exigences de l'art. 10 tel qu'il se lisait avant
le 7 juillet 1967. Enfin, l'avocat de l'appelant a
plaidé que le tribunal se serait trompé en ne
prenant pas en considération le fait que l'appe-
lant, suivant l'al. (8)b) de l'article 10 de la loi
actuelle n'avait pas à satisfaire aux exigences
du sous-alinéa (1)c)(i) du même article.
J'entends discuter de chacun de ces moyens
dans l'ordre où je viens de les énoncer.
Le tribunal a décidé que l'appelant n'avait pas
résidé au Canada pendant le temps où, de 1966
à 1970, il s'était trouvé aux États-Unis. Il est
clair que cette décision ne doit être infirmée que
si l'appelant, comme l'ont soutenu son avocat et
l'amicus curiae, a conservé sa résidence au
Canada pendant le temps où il se trouvait aux
États-Unis.
La Loi sur la citoyenneté canadienne ne défi-
nit pas les termes «résider» ou «résidence». On
peut cependant noter qu'elle définit l'expression
«lieu de domicile» de la façon suivante:
2. «lieu de domicile» signifie l'endroit où une per-
sonne a son logis, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle
retourne comme à sa demeure permanente, et ne signifie
pas un endroit où elle séjourne pour une fin spéciale ou
temporaire seulement;
Les mots «résider» et «résidence» n'étant pas
définis par la loi il faut, pour en préciser le sens,
se référer à leur signification ordinaire sous
cette seule réserve qu'il semble évident qu'on
ne peut leur donner un sens qui soit identique à
celui que le législateur a donné à l'expression
«lieu de domicile».
Or ces deux mots, «résider» et «résidence»,
n'ont pas, en droit de signification précise; leur
sens varie suivant le contexte où ils sont
employés. Ayant à déterminer le sens de ces
termes dans la Loi sur la citoyenneté cana-
dienne, je ne peux donc me référer aux déci-
sions où les tribunaux ont eu à préciser la
signification de ces mêmes mots dans d'autres
lois, comme une loi fiscale (Thomson c. M.R.N.
[1946] R.C.S. 209), une loi électorale (Re An
Election in St. John's South, Newfoundland
(1960) 22 D.L.R. (2d) 288)), ou une loi de
procédure (Éthier v. Nault [1952] B.R. 216).
A mon avis, une personne ne réside au
Canada, au sens de la Loi sur la citoyenneté
canadienne que si elle se trouve physiquement
présente (d'une façon au moins habituelle) sur
le territoire canadien. Cette interprétation me
semble conforme à l'esprit de la loi qui me
paraît exiger de l'étranger qui veut acquérir la
citoyenneté canadienne, non seulement qu'il
possède certaines qualités civiques et morales
et désire se fixer au Canada de façon perma-
nente, mais aussi qu'il ait effectivement vécu au
Canada pendant assez longtemps. Ainsi, le
législateur veut-il s'assurer que la citoyenneté
canadienne ne soit accordée qu'à ceux-là qui
ont démontré leur aptitude à s'intégrer dans
notre société.
Cette interprétation, d'ailleurs, est confirmée
par la comparaison que l'on peut faire des ver
sions anglaise et française du sous-alinéa (1)c)(i)
de l'article 10. L'expression «each full year of
residence in Canada» qui apparaît dans le texte
anglais de ce sous-alinéa a été traduite, dans le
texte français par les mots «chaque année
entière passée au Canada».
Si, comme je le pense, il faut donner ce sens
restreint au mot «résider», il est évident que le
tribunal a eu raison de décider que l'appelant
n'a résidé au Canada ni pendant cinq des huit
années, ni pendant douze des dix-huit mois,
ayant précédé immédiatement la date de sa
demande.
Mais, il faut maintenant se demander si,
comme le tribunal l'a pris pour acquis, l'appe-
lant devait, pour avoir droit à la citoyenneté,
satisfaire aux exigences de l'alinéa (1)b) et du
sous-alinéa (1)c)(i) de l'article 10 tel que ces
textes se lisent depuis 1967. Le procureur de
l'appelant a en effet soutenu que son client, qui
est arrivé au Canada en 1963, qui a été «reçu»
comme immigrant le 29 octobre 1965 et qui a
déposé le 5 novembre 1965 une déclaration de
son intention de devenir citoyen canadien, avait
le droit d'obtenir la citoyenneté canadienne dès
lors qu'il satisfaisait aux exigences de la loi telle
qu'elle était alors. Or, à cette époque, et cela
jusqu'au 7 juillet 1967, le texte français de
l'alinéa (1)b) et du sous-alinéa (1)c)(i) de l'arti-
cle 10 se lisaient comme suit:
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un
certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un
citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la
satisfaction du tribunal,
b) qu'elle a résidé au Canada durant une période d'au
moins une année précédant la date de sa demande;
c) que le demandeur ou la demanderesse
(i) a acquis un domicile canadien;
L'appelant, suivant l'argumentation de son
avocat, avait, avant que l'art. 10 de la Loi sur la
citoyenneté canadienne ne soit modifiée le 7
juillet 1967, le droit de devenir citoyen cana-
dien dès le moment où il satisfaisait aux exigen-
ces de la loi alors en vigueur. Invoquant le
principe suivant lequel il ne faut pas interpréter
une loi de façon à lui donner un effet rétroactif,
l'avocat de l'appelant a affirmé que les modifi
cations apportées le 7 juillet 1967 au texte de
l'art. 10 ne pouvaient affecter les droits de son
client qui continuerait, ainsi, à pouvoir obtenir
la citoyenneté canadienne aux conditions pré-
vues par la loi avant le 7 juillet 1967. Or, la loi
d'alors, a-t-il prétendu, n'exigeait pas que la
résidence de douze mois précède immédiate-
ment la demande de citoyenneté; et elle n'exi-
geait pas, non plus une résidence de cinq ans.
De tout cela, il résulterait que la décision du
tribunal devrait être infirmée parce que l'appe-
lant, au moment où il a demandé la citoyenneté
canadienne aurait satisfait aux exigences de la
loi qui lui était applicable, c'est-à-dire la Loi sur
la citoyenneté canadienne telle qu'elle existait
avant 1967.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire, pour
disposer de cet appel, de discuter longuement
l'argumentation que je viens d'exposer. En
effet, même si, comme l'a soutenu son avocat,
l'appelant avait le droit d'invoquer la Loi sur la
citoyenneté canadienne telle qu'elle existait
avant 1967, il n'en résulterait pas que la déci-
sion du tribunal doive être infirmée car, au
moment où il a demandé la citoyenneté cana-
dienne, l'appelant ne satisfaisait pas aux exigen-
ces de cette loi. Il est bien vrai que, de 1953 à
1967, la version française de l'alinéa (1)b) de
l'article 10 exigeait seulement, comme l'a souli-
gné le procureur de l'appelant, que la personne
qui demandait la citoyenneté établisse:
b) qu'elle a résidé au Canada pendant une période d'au
moins une année précédant la date de sa demande.
Mais le sens de cette disposition était alors
précisé par son texte anglais qui se lisait comme
suit:
(b) he has resided in Canada for a period of at least one
year immediately preceding the date of his application.
Il faut donc dire que, avant 1967, un étranger
ne pouvait acquérir la citoyenneté canadienne
qu'à la condition d'avoir résidé au Canada pen-
dant les douze mois précédant immédiatement
la date de sa demande. Comme l'appelant ne
remplit pas cette condition, il est inutile de
déterminer s'il peut invoquer la loi antérieure à
1967.
Pour le même motif, il n'est pas nécessaire
d'exprimer une opinion sur la valeur du dernier
moyen invoqué au soutien du pourvoi. Le pro-
cureur de l'appelant a reproché au tribunal de
n'avoir pas pris en considération le fait que
l'appelant pouvait invoquer le bénéfice de l'ali-
néa (8)b) de l'article 10. Cet alinéa prévoit
seulement que le sous-alinéa (1)c)(i)—qui exige
cinq ans de résidence—ne s'applique pas à
certaines catégories de personnes. Or, il ne
servirait à rien de décider si l'appelant fait
partie de ces catégories privilégiées puisque, de
toute façon, sa demande de citoyenneté ne peut
être accueillie pour le motif qu'il n'a pas résidé
au Canada pendant douze des dix-huit mois
ayant précédé la date de sa demande.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.