Grace Plastics Ltd. (Demanderesse)
c.
Le Bernd Wesch II et son propriétaire Jonny
Wesch, de Hambourg (Allemagne) et son affré-
teur, la Hy Car Line S.A., de Genève (Suisse)
(Défendeurs)
Division de première instance; le juge en chef
Jackett—Montréal, du 17 mai au 21 mai; du 9
au 13 et du 17 au 19 août 1971.
Marine marchande—Règles de La Haye—Connaisse-
ment—Avarie à la cargaison par gros temps—Contrat de
transport entre un affréteur à temps et un expéditeur au nom
d'un commettant inconnu—Chargement en pontée—Charge-
ment sous le pont—Partie du chargement prévu sous le pont
transportée de fait en pontée à la connaissance de l'expédi-
teur—Responsabilités respectives du propriétaire et de l'af-
fréteur—Chargement en pontée arrimé de façon insuffisante
pour affronter des conditions atmosphériques prévisibles—
Avarie causée par innavigabilité ou péril de mer—Limitation
de responsabilité—Règles de La Haye (Loi sur le transport
des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15, Art. I,
III(1)c), IV(2)c) et IV(5)).
Jugement accordant un dédommagement pour les avaries
au chargement—Intérêts sur les dommages—A compter de
quelle date courent-ils?
Pratique—Preuve—Recevabilité des pièces au procès—
Pièces rassemblées dans le cadre de procédures extrajudi-
ciaires, procédure pour les rendre recevables.
La demanderesse avait acheté, auprès d'un fournisseur
allemand, deux gros réacteurs ainsi que de certains équipe-
ments et substances chimiques et avait conclu un accord
avec un expéditeur pour les faire parvenir au Canada.
L'expéditeur a contracté avec une maison d'expédition qui
s'est chargée du transport jusqu'à Montréal. Ce contrat
stipulait quant à l'expéditeur et à la maison d'expédition que
le connaissement de cette dernière serait utilisé et devait
être signé au nom du capitaine du navire choisi pour trans
porter la cargaison. La maison d'expédition a choisi le
navire défendeur dont elle disposait par affrètement à temps
accordé par son propriétaire. Le contrat stipulait que les
réacteurs seraient transportés en pontée et que le reste du
chargement le serait sous le pont mais, outre les deux
réacteurs, quatre colis ont été chargés en pontée et ce, avec
le consentement de l'expéditeur. Sur l'Atlantique nord, le
navire a affronté de mauvaises conditions atmosphériques;
les réacteurs ont rompu leurs attaches, l'un est passé par-
dessus bord et l'autre a été endommagé. En se détachant,
les réacteurs ont ouvert une brèche dans un panneau d'é-
coutille et trois des colis en pontée, de même que la cargai-
son se trouvant sous le pont, ont été endommagés. La
demanderesse, en qualité de cessionnaire du connaissement
émis alors que le navire était en mer, a réclamé des domma-
ges se chiffrant à environ $264,000 pour les réacteurs, à
environ $128,000 pour la cargaison qui se trouvait sous le
pont, à environ $7,600 pour les trois colis chargés en pontée
et divers dommages s'élevant à quelque $13,000, plus inté-
rêt au taux annuel de 5% à compter de la date où la
cargaison aurait dû être livrée, c.-à-d. le 1e , septembre 1968.
Le connaissement comportait une clause dégageant le voitu-
rier de toute responsabilité relative aux pertes ou avaries
subies par la cargaison en pontée par suite de négligence de
sa part ou de la part de ses préposés ou représentants. Se
fondant sur la preuve, la Cour a conclu que les conditions
atmosphériques qu'a affrontées le navire étaient prévisibles,
qu'il n'y a pas eu négligence ou faute dans la navigation du
navire, mais que les réacteurs n'avaient pas été correcte-
ment arrimés compte tenu des dangers raisonnablement
prévisibles de la traversée.
Arrêt: Le propriétaire du navire est responsable des dom-
mages causés à la cargaison qui se trouvait sous le pont et
aux trois colis transportés en pontée mais non des domma-
ges subis par les réacteurs.
1. Bien que l'accord conclu entre l'expéditeur et l'affré-
teur, avant le chargement des marchandises, constitue le
contrat de transport en vigueur, il n'en est pas moins un
«contrat de transport constaté par un connaissement»,
c'est-à-dire un contrat de transport au sens des Règles de La
Haye. Arrêt suivi: Anticosti Shipping Co. c. Viateur St-
Amand [1959] R.C.S. 372.
2. Au moment de sa signature, le contrat de transport
était conclu au nom d'un commettant inconnu, à savoir le
propriétaire du navire qui a été choisi par la suite; il ne
s'agit pas d'un contrat par l'affréteur en qualité de commet-
tant. Donc, c'est le propriétaire et non l'expéditeur qui est
responsable en vertu du contrat de transport. Arrêt suivi:
Paterson Steamships Ltd. c. Aluminum Co. of Canada
[1951] R.C.S. 852.
3. Les réacteurs constituent une «cargaison qui, par le
contrat de transport est déclarée comme mise sur le pont»
(Art. I des Règles de La Haye) et ne sont donc pas soumis
aux Règles de La Haye, mais les trois colis endommagés,
même s'ils ont été transportés en pontée avec le consente-
ment de l'expéditeur, n'entrent pas dans le cadre de cette
citation et, avec la cargaison transportée sous le pont, ils
sont donc régis par les Règles de La Haye. La demande-
resse ayant confié à l'expéditeur le soin de conclure le
contrat de transport est liée par la disposition portant que
les deux réacteurs devaient être transportés en pontée.
Arrêt suivi: Svenska Traktor Aktiebolagent c. Maritime
Agencies (Southampton) Ltd. [1953] 2 All E.R. 570.
4. Les dommages à la cargaison chargée sous le pont et —
aux trois colis en pontée ayant été causés par un arrimage
insuffisant des réacteurs pour résister aux dangers raisonna-
blement prévisibles de la traversée envisagée, le navire
n'était donc pas en bon état de navigabilité au sens de l'Art.
III(1)c) des Règles de La Haye, c'est-à-dire que les mar-
chandises avariées n'étaient pas arrimées dans une partie du
navire appropriée et «en bon état pour leur conservation»;
le propriétaire du navire est par conséquent responsable des
dommages subis par la cargaison transportée sous le pont et
par les trois colis transportés en pontée. Les dommages ne
résultent pas de périls de mer, ce qui empêche le proprié-
taire du navire d'invoquer l'Art. IV(2)c) des Règles de La
Haye comme moyen de défense.
5. Le connaissement libère le propriétaire du navire de la
responsabilité tant contractuelle que délictuelle concernant
les dommages 'causés aux réacteurs par suite de négligence
de sa part ou de la part de ses préposés ou représentants.
Même si l'application de cette clause était exclue alors que
les dommages étaient causés par l'innavigabilité du navire
(question qu'il n'était pas nécessaire de trancher) les dom-
mages aux réacteurs, contrairement à ceux subis par le reste
de la cargaison, n'ont pas été causés par l'innavigabilité du
navire. Distinction faite avec l'arrêt Falconbridge Nickel
Mines Ltd. c. Chimo Shipping Ltd. [1969] 2 R.C.É. 261.
6. En vertu de l'Art. IV(5) des Règles de La Haye, les
dommages causés aux trois colis transportés en pontée se
limitent au montant de la perte réelle ou $500 pour chaque
colis et, dans le calcul de la perte réelle, il faudra ajouter un
pourcentage de l'ensemble des postes dont il est fait
mention.
7. La demanderesse a droit aux intérêts sur les domma-
ges accordés à compter du Pr septembre 1968 jusqu'à la
signature du jugement (et, par la suite, sur la somme accor-
dée par le jugement en vertu de l'art. 40 de la Loi sur la
Cour fédérale).
Autre arrêt: Dans cette cour, la recevabilité et l'estampil-
lage des pièces est une fonction de la Cour. Seuls les
documents acceptés par la Cour à l'instance (y compris les
pièces relatives à la preuve recueillies à l'étranger par une
commission rogatoire ou par un tribunal étranger ou au
cours d'un interrogatoire préalable) font partie de la preuve
sur laquelle la Cour fonde son jugement.
ACTION en dommages-intérêts.
David Angus pour la demanderesse.
Trevor Bishop pour les défendeurs.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—
Bien que, selon l'intitulé de la cause tel qu'il
figure sur le bref, la présente action soit inten-
tée contre un navire, il _ ressort des dires de
l'avocat qu'il s'agit en pratique d'une action in
personam intentée contre les personnes nom-
mées dans l'intitulé de la cause.
C'est une action en dommages-intérêts née du
défaut de livraison en bon état, à Montréal, de
marchandises appartenant à la demanderesse
chargées dans des ports européens, sur un bâti-
ment appartenant à l'un des défendeurs (ci-des-
sous dénommé «le propriétaire» ou «Jonny
Wesch») et affrété à temps par l'autre défen-
deur (ci-dessous dénommé «l'affréteur» ou «Hy
Car»).
Depuis 1965, la demanderesse fabrique à
Cornwall (Ontario) un produit chimique
employé dans la fabrication des plastifiants et
des résines; elle utilise à cette fin une installa
tion industrielle et une substance chimique qua-
lifiée de «catalyseur», l'une et l'autre fabriquées
en Allemagne. En 1968, elle a négocié avec un
fournisseur allemand l'acquisition d'une
seconde «étape» de cette installation indus-
trielle et du catalyseur, afin de développer sa
fabrication. Aux termes de l'accord, l'équipe-
ment industriel et le catalyseur achetés en 1968
devaient être livrés f.à.b. dans certains ports
européens de l'Atlantique nord.
A la suite de cet accord avec le fournisseur
allemand, la demanderesse a conclu avec une
compagnie canadienne du secteur des «expédi-
teurs» (ci-dessous dénommée «l'expéditeur» ou
«Schenker of Canada») un contrat, qui pourrait
sembler quelque peu inusité, aux termes duquel
l'expéditeur a entrepris, pour un paiement for-
faitaire, le transport de l'équipement industriel
et du catalyseur, des ports européens à
Cornwall.
L'expéditeur a alors conclu, par un document
appelé «déclaration d'expédition» avec le
défendeur Hy Car, qui disposait d'un affrète-
ment à temps sur le navire Bernd Wesch II
accordé par son propriétaire, le défendeur
Jonny Wesch, un accord pour transporter l'é-
quipement industriel et les produits chimiques
en question des ports européens à Montréal. Il
n'est pas contesté qu'aux termes de l'accord
intervenu entre l'expéditeur et Hy Car, deux
éléments de l'installation, que l'on nomme
«réacteurs», pesant chacun 70 tonnes, devaient
être transportés «en pontée» et que le reste du
chargement devait être transporté «sous pont».
L'équipement industriel a été chargé sur le
Bernd Wesch II conformément à cet accord, à
ceci près que, en plus des deux réacteurs, deux
colis qui étaient censés voyager sous pont ont
été chargés en pontée. Cependant, avant le
départ du bâtiment, l'expéditeur a accepté que
ces colis restent sur le pont, mais aucun accord
n'est venu modifier le contrat de transport que
constituait la déclaration d'expédition.
Le Bernd Wesch II a quitté Rotterdam pour
Montréal le 17 août 1968.
Quatre ou cinq jours après son départ de
Rotterdam, le 23 août 1968, alors que le bâti-
ment affrontait des conditions atmosphériques
très difficiles, un des réacteurs a rompu ses
attaches et est passé par-dessus bord; l'autre
s'est également détaché mais est resté sur le
pont et a été arrimé de nouveau. En rompant
leurs attaches, les réacteurs ont ouvert une
brèche dans un panneau d'écoutille, ce qui eut
pour résultat de faire pénétrer l'eau là où était
entreposé le catalyseur. D'autres éléments de la
cargaison de la demanderesse, qui se trouvaient
sur le pont, ont été endommagés.
En conséquence, la demanderesse réclame
des dommages-intérêts:
a) d'un montant de $133,218.32, pour la
perte du réacteur qui est passé par-dessus
bord,
b) d'un montant de $130,992.89, pour les
dommages subis par le réacteur qui n'est pas
passé par-dessus bord, sur la base de sa
valeur diminuée de la récupération pour la
ferraille,
c) sur la base d'une perte totale, pour les
dommages subis par l'ensemble du cataly-
seur, soit 662 tonneaux,
d) d'un montant de $185.38, pour les dom-
mages subis par le colis n° 671, qui était
transporté en pontée,
e) d'un montant de $7,260.23 pour les dom-
mages subis par le colis n° 667, qui était
transporté en pontée,
I) d'un montant de $158.04, pour les domma-
ges subis par le colis n° 665, qui était trans
porté en pontée,
g) en dépenses diverses, d'experts, de spécia-
listes de déplacement, etc., engagés pour éva-
luer les dommages et tenter de minimiser la
perte:
M. Engelhardt, expert $1,073.06
M. Wanka, expert 942.21
M. Bellis 779.74
essais et azote 880.00
frais de manutention du matériel 5,809.21
M. Danker 172.90
M. Zapd 150.00
M. Bojawski 69.89
un entrepreneur 163.00
Brière & Gosling 2.00
Expert maritime 3,061.32
h) intérêt annuel de 5% à partir de la date à
laquelle le chargement aurait dû être livré,
c'est-à-dire le ler septembre 1968.
Après le départ de Rotterdam du Bernd
Wesch II, un connaissement a été établi qui
désignait le représentant de l'expéditeur à Ham-
bourg comme «chargeur» et indiquait que les
marchandises étaient consignées «à l'ordre de»
l'expéditeur. Il est clair cependant que le con-
trat de transport prépondérant est l'accord
conclu entre l'expéditeur (par l'intermédiaire de
son représentant à Hambourg) et le défendeur
Hy Car, avant que les marchandises ne soient
chargées. (Voir S.S. Ardennes (propriétaires de
la cargaison) c. S.S. Ardennes (propriétaires)
[1951] 1 K.B. 55 aux pages 59 et 60, jugement
rendu par Lord Goddard, juge en chef, et
adopté par cette cour dans l'affaire Sheerwood
c. Le Lake Eyre [1970] R.C.E. 672.) Cependant,
il apparaîtrait clairement que cet accord est un
contrat de transport «constaté par un connaisse-
ment», soit un «contrat de transport» au sens
des Règles de La Haye adoptées par la Loi sur
le transport des marchandises par eau, S.R.C.
1952, c. 291; S.R.C. 1970, c. C-15. Voir
Anticosti Shipping Co. c. Viateur St-Amand
[1959] R.C.S. 372. 1
La demanderesse dirige son action contre le
défendeur Jonny Wesch en sa qualité de pro-
priétaire du Bernd Wesch II et également contre
le défendeur Hy Car en sa qualité d'affréteur.
Contre les deux défendeurs, elle intente une
action en responsabilité délictuelle et, subsidiai-
rement, sur la base du contrat de transport. Je
propose d'examiner tout d'abord la réclamation
fondée sur le contrat de transport.
Le Bernd Wesch II appartenait à M. Jonny
Wesch qui l'exploitait. Il était loué sous affrète-
ment à temps, et non pas coque nue, à Hy Car.
Selon ses propres termes, le contrat de trans
port, qui prévoyait l'utilisation du «connaisse-
ment de la Hy Car Line», était un accord pour
le transport de marchandises en vertu d'un con-
trat en bonne et due forme (le connaissement à
venir) qui devait être signé au nom du «capi-
taine» du bâtiment choisi pour transporter les
marchandises. Ce contrat était, au moment de
sa signature, un contrat conclu au nom d'un
commettant inconnu, à savoir le propriétaire et
l'exploitant du navire qui a été choisi par la
suite; il ne s'agit pas de contrat par affréteur en
qualité de commettant. Voir Paterson Steam
ships Ltd. c. Aluminum Co. of Canada [1951]
R.C.S. 852. Je suis par conséquent d'avis que la
réclamation fondée sur le contrat de transport,
s'il en est une, est dirigée contre M. Jonny
Wesch et qu'il ne peut y avoir aucune action
semblable dirigée contre Hy Car qui a contracté
au nom d'un commettant inconnu dont l'identité
a depuis été établie par la charte-partie.
Pour ce qui est de la réclamation fondée sur
le contrat de transport, la demanderesse, ces-
sionnaire du connaissement, a, à première vue,
droit aux dommages-intérêts nés du défaut de
livraison en bon état, à Montréal, des marchan-
dises qui ont été reçues par le navire en bon état
en Europe.
Les principes applicables pour décider si le
défendeur Jonny Wesch échappe à cette res-
ponsabilité prima facie varient suivant que les
Règles de La Haye auxquelles la Loi sur le
transport des marchandises par eau a donné
force de loi, s'appliquent ou non. Dans la pré-
sente cause, il apparaîtrait clairement que ces
règles s'appliquent pour ce qui est des marchan-
dises transportées sous pont. Ces règles, toute-
fois, ne s'appliquent pas à «la cargaison qui, par
le contrat de transport, est déclarée comme
mise sur le pont et, en fait, est ainsi transpor-
tée» (voir la définition de «marchandises» à
l'Article I). En l'espèce, le contrat de transport
est la déclaration d'expédition signée par le
défendeur Hy Car et le représentant de l'expé-
diteur à Hambourg, et il n'est pas contesté qu'il
ne prévoyait pas le transport en pontée des trois
colis n°s 665, 667 et 671. Il ne semblerait pas,
par conséquent, que ces trois colis soient frap-
pés par l'exception contenue dans la définition
que donnent du mot «marchandises» les Règles
de La Haye, même si le représentant de l'expé-
diteur à Hambourg a verbalement accepté par la
suite qu'ils soient transportés de cette façon.
Par contre, nul ne conteste que le contrat de
transport prévoyait le transport de deux réac-
teurs de 70 tonnes «en pontée» et qu'ils ont été
transportés de cette façon. Par conséquent,
pour ce qui est de ces deux réacteurs, ma con
clusion est que le contrat de transport n'est pas
régi par les Règles de La Haye.
Je n'ai pas négligé la prétention de la deman-
deresse selon laquelle cette dernière ne serait
pas liée par le fait que l'expéditeur, par l'inter-
médiaire de son représentant à Hambourg, ait
accepté que les deux réacteurs de 70 tonnes
soient transportés en pontée. Je suis cependant
d'avis qu'ayant chargé l'expéditeur de la conclu
sion du contrat de transport, la demanderesse
doit, dans ses rapports avec le transporteur,
accepter le contrat tel que négocié, même si elle
avait spécifié à l'expéditeur que toutes les mar-
chandises devaient être transportées sous pont,
point sur lequel je ne -me prononce pas.
La seule cargaison transportée sous pont à
propos de laquelle une réclamation a été présen-
tée, est constituée de quelque 662 tonneaux du
catalyseur dont j'ai déjà fait état. Le catalyseur
a subi des dommages du fait de l'entrée d'eau
par les panneaux d'écoutille dans lesquels des
brèches ont été ouvertes par les deux réacteurs
de 70 tonnes lorsqu'ils se sont détachés de
l'endroit où ils avaient été arrimés sur les pan-
neaux d'écoutille.
Le défendeur a invoqué à l'instance deux
moyens de défense, fondés sur l'Article IV(2)
des Règles de La Haye, afin de soustraire à sa
responsabilité prima facie relative à la cargaison
transportée sous pont. Ces moyens de défense
sont «la négligence, ou défaut ... dans la navi
gation ... du navire,» et «les périls ... de la
mer». Comme je l'ai indiqué au cours du débat,
je ne vois aucune preuve de négligence ou
défaut dans la navigation du navire. A mon avis,
l'autre moyen de défense dépend de la situation
créée par l'arrimage des réacteurs de 70 tonnes.
Comme je vois le problème dans cette affaire,
en ce qui concerne le catalyseur, ou bien la
perte résultait d'un péril de la mer, ou bien elle
résultait d'un mauvais état de navigabilité du
navire. Je vais maintenant examiner ce
problème.
Ainsi que m'apparaît le point de droit relatif à
la cargaison sous pont, dans le cadre des Règles
de La Haye et appliqué aux faits de l'espèce
pour ce qui est du moyen de défense fondé sur
les périls de la mer,
a) si, avant le départ du navire de Rotterdam,
l'arrimage des réacteurs de 70 tonnes était
insuffisant polir les garantir de tout danger
raisonnablement prévisible que comporte une
traversée de l'Atlantique nord telle que celle
qu'entreprenait le navire, ce dernier n'était
pas, à ce moment-là, en bon état de navigabi-
lité eu égard à la cargaison sous pont, et la
rupture des attaches des réacteurs et l'intru-
sion d'eau dans les cales qui en est résultée,
était une conséquence directe de ce mauvais
état de navigabilité 2 et, dans le cas contraire,
b) si, avant le départ du navire de Rotterdam,
l'arrimage des réacteurs de 70 tonnes était
suffisant pour les garantir de tout danger rai-
sonnablement prévisible que comporte une
telle traversée de l'Atlantique nord et si les
réacteurs ont rompu leurs attaches du fait que
le navire a affronté des conditions atmosphé-
riques qui n'étaient pas raisonnablement pré-
visibles, la pénétration de l'eau dans les cales,
provoquée par la rupture de leurs attaches
était une conséquence d'un péril de la mer
dont le transporteur n'est pas responsable en
vertu de l'alinéa 2c) de l'Article IV des Règles
de La Haye auxquelles la Loi sur le transport
des marchandises par eau a donné force de
loi.
Je conclus de la preuve qu'avant le départ du
navire de Rotterdam l'arrimage des deux réac-
teurs de 70 tonnes n'était pas suffisant pour les
garantir des dangers raisonnablement prévisi-
bles que comporte la traversée entreprise et que
le navire n'a affronté aucune condition atmos-
phérique qui n'était pas raisonnablement prévi-
sible. J'estime par conséquent que le défendeur
Jonny Wesch est responsable en vertu du con-
trat de transport des dommages subis par le
catalyseur.
Quant aux conditions atmosphériques affron-
tées par le navire, je n'ai pu trouver aucune
preuve de leur caractère imprévisible. De fait, la
preuve apportée par le capitaine du navire éta-
blit clairement que, bien qu'il ait essayé de faire
route de manière à éviter de se trouver pris
dans les conditions atmosphériques et de navi
gation qui, à son avis, ont provoqué ses difficul-
tés, l'éventualité qu'il ne lui serait pas possible
d'éviter ces conditions était d'un caractère pré-
visible. J'accepte cette preuve.
Pour ce qui est de l'arrimage des deux réac-
teurs de 70 tonnes en pontée, même si l'on
admet que la méthode employée par le capitaine
du navire pour les arrimer était appropriée, il
est clair que cette méthode dépendait entière-
ment des câbles qui devaient empêcher les réac-
teurs de quitter leur «assise» par suite du roulis
et du tangage du navire et, à mon avis, ces
câbles ne correspondaient pas à ce qu'en faisant
une appréciation judicieuse on aurait considéré
comme suffisant à cette fin. Pour les attacher
aux réacteurs, on avait fait passer ces câbles
par des «oeillets» relativement petits soudés aux
réacteurs dans un autre but, bien que l'on dispo-
sât à cette fin de «crocs» de bonne taille qui
avaient, de fait, servi à charger les réacteurs sur
le navire. La preuve me convainc que le capi-
taine n'a pas suffisamment examiné, si toutefois
il l'a fait, si les «oeillets» étaient assez résistants
pour l'objet auquel il les destinait. Le fait qu'ils
étaient peut-être le moyen le plus évident d'atta-
cher les câbles aux réacteurs et qu'il n'y avait
aucune mise en garde indiquant qu'ils ne
devaient pas être utilisés pour les arrimer, ne
déchargeait pas, à mon avis, le capitaine de la
très lourde responsabilité qui lui incombait d'e-
xaminer très sérieusement s'ils convenaient
pour garder ces formidables objets de la force
des éléments prévisibles dans l'Atlantique nord.
La preuve me convainc que le capitaine n'a pas
suffisamment porté attention sur cet aspect
essentiel des opérations d'arrimage et que le
résultat en a été, lorsque le navire a affronté des
conditions atmosphériques prévisibles, la rup
ture des «oeillets» et l'inévitable déplacement
des réacteurs qui en est résulté.
Je conclus de ce qui précède, comme je l'ai
déjà indiqué, que le défendeur Jonny Wesch est
responsable des dommages subis par le
catalyseur.
Je passe maintenant à la cargaison, autre que
les deux réacteurs de 70 tonnes, transportée
«en pontée». Comme je l'ai déjà noté, ces colis
devaient, aux termes du contrat de transport,
être transportés sous pont. Ils ont été placés sur
le pont contrairement au contrat de transport et,
avant que le navire ne quitte Rotterdam, le
représentant de l'expéditeur a accepté qu'ils y
restent.
Ainsi . - • ''s_, . • .'_ _ - . - partie de la
_ cargaison n'était„ - pas frappée_, à m _monavis,_par
l'exclusion contenue dans la définition de «mar-
2iandises » à l'Article Î dêsRe g lés de LaH-a e,
qui excluent de cette définition toute cargaison
qui «par le contrât deétr`ânsport» est «déclarée»
coi é misë suT1e prit: A mon sens, c'est dans
le document préliminaire signé au nom des par
ties avant que les marchandises ne soient char
gées sur le navire que l'on doit trouver le con-
trat de transport et l'on ne peut prétendre qu'il a
été modifié par des clauses complémentaires
ajoutées au connaissement établi après l'appa-
reillage du navire. L'autorisation de transporter
en pontée, donnée verbalement en l'espèce, ne
peut avoir plus d'effet, du moins en ce qui
concerne la définition de «marchandises» dans
les Règles de La Haye, que la clause permissive
dans l'affaire Svenska Traktor Aktiebolagent c.
Maritime Agencies (Southampton) Ltd., [1953]
2 All E.R. 570, dans laquelle le juge Pilcher
déclarait, à la page 572:
[TRADUCTION] Une simple autorisation générale de trans
porter des marchandises en pontée n'est pas, à mon avis,
une déclaration contenue dans le contrat de transport selon
laquelle les marchandises sont, en fait, transportées sur le
pont. Ce serait faire violence, à mon avis, au sens commu-
nément admis des termes de l'article Ic), que de soutenir le
contraire. J'estime par conséquent que les tracteurs de la
demanderesse étaient transportés par les défendeurs sous
réserve des obligations que l'article III, r. 2, de la Loi leur
imposait.
J'en conclus par conséquent que les Règles de
La Haye s'appliquent à la cargaison, autre que
les deux réacteurs de 70 tonnes, qui a été en fait
transportée en pontée.
L'application des Règles de La Haye à la
cargaison ainsi transportée en pontée, me con
duit au même résultat que celui auquel je suis
parvenu à propos du catalyseur. Les dommages
qu'elle a subis étaient une conséquence physi
que directe du mauvais état de navigabilité du
bâtiment, née du fait que les réacteurs n'étaient
pas arrimés de façon satisfaisante lorsque le
navire a quitté Rotterdam. Pour être plus précis,
l'emplacement de cette cargaison sur le pont du
navire n'était pas «approprié et en bon état»
pour leur conservation, car ces deux réacteurs
de 70 tonnes étaient également en pontée, arri-
més de telle sorte qu'il était prévisible qu'ils
puissent se détacher et endommager tout ce qui
se trouvait sur leur passage. Le défendeur
Jonny Wesch est par conséquent responsable,
en vertu du contrat de transport, des dommages
subis par la cargaison, autre que les deux réac-
teurs de 70 tonnes, transportée en pontée.
Je passe maintenant à la réclamation dirigée
contre M. Jonny Wesch, en vertu du contrat de
transport, pour la perte de l'un des deux réac-
teurs de 70 tonnes et pour les dommages subis
par le second, parce que les réacteurs ont
rompu leurs attaches et quitté leur position ori-
ginale sur le pont.
Du fait que les réacteurs de 70 tonnes n'é-
taient pas «des marchandises», selon la défini-
tion que donne l'Article I des Règles de La
Haye de ce terme, car il s'agissait d'une cargai-
son qui, par le contrat de transport, était décla-
rée «comme mise sur le pont» et, en fait, était
ainsi transportée, les Règles de La Haye ne
s'appliquent pas pour ce qui est de la réclama-
tion fondée sur le défaut de livraison en bon
état et cette réclamation doit par conséquent
être traitée selon les termes du contrat de trans
port interprétés à la lumière des principes appli-
cables hors du champ d'application de ces
règles.
Le fait que les Règles de La Haye ne s'appli-
quent pas autorise le défendeur Jonny Wesch à
présenter une défense fondée sur l'alinéa 9 des
conditions du connaissement de la Hy Car, aux-
quelles renvoyait le contrat de transport et qui
en faisaient partie, mais ce moyen de défense
n'est pas ouvert lorsque les Règles de La Haye
s'appliquent. Voici un extrait de l'alinéa 9 de
ces conditions:
[TRADUCTION] 9. Animaux vivants, équipements indus-
triels et cargaison transportée en pontée. La cargaison
transportée en pontée et déclarée aux présentes comme
étant ainsi transportée, et les animaux vivants ... sont
réceptionnés, manutentionnés, entreposés, transportés, con-
servés et déchargés aux risques de l'expéditeur et (ou) du
chargeur et le transporteur n'est pas tenu responsable de
leur perte ou de tout dommage qu'ils subiraient, quelle
qu'en soit la cause, fût-ce la négligence du transporteur, de
ses préposés ou agents ou le déroutement du navire.
Si l'on prend les mots dans leur sens courant,
cette disposition semblerait constituer un
accord aux termes duquel la «cargaison trans-
portée en pontée . » était «entreposée» et
«transportée» aux risques de l'expéditeur et du
chargeur et que le transporteur n'est pas res-
ponsable de «sa perte, ou de tout dommage
qu'elle subirait, quelle qu'en soit la cause, fût-ce
la négligence du transporteur, de ses préposés
ou agents». Il est impossible, à mon avis, de ne
pas conclure que ces termes embrassent en
l'espèce la réclamation de la demanderesse rela
tive aux réacteurs.
Cependant, on soutient au nom de la
demanderesse
a) que la perte et les dommages ont été
causés par une «faute lourde» et que selon la
loi de la province du Québec, dont on doit
admettre l'applicabilité, une clause excluant
la responsabilité pour «faute lourde» dans un
contrat est contraire à l'ordre public et,
b) que la perte et les dommages ont été
causés par le mauvais état de navigabilité du
bâtiment et que, dans un contrat, une disposi
tion excluant la responsabilité pour la cargai-
son, ne peut être jugée s'étendre aux pertes
ou dommages causés par le mauvais état de
navigabilité, «sauf référence expresse» au
mauvais état de navigabilité dans le contrat.
Étant donné mon appréciation des circonstan-
ces de l'espèce, je ne pense pas qu'il soit néces-
saire de porter un jugement sur le bien-fondé
des différents principes juridiques qui ont été
présentés au nom de la demanderesse à l'appui
de ces deux prétentions.
Pour ce qui est du problème de la «faute
lourde», j'estime que la preuve qui a été appor-
tée dans cette affaire n'établit pas qu'une faute
lourde ait été commise dans l'arrimage des deux
réacteurs de 70 tonnes. Dans l'arrêt Le Roi c.
Canada Steamship Lines [1950] R.C.S. 532,
(réformé par le Conseil privé sur un autre point,
voir [1952] A.C. 192) le juge en chef du Canada
Rinfret adopte la définition de la «faute lourde»
donnée par Pothier: « . le soin que les person-
nes les moins soigneuses et les plus stupides ne
manquent pas d'apporter à leurs affaires.» Je ne
peux conclure de la preuve en l'espèce que les
opérations d'arrimage menées par le capitaine
étaient à ce point inefficaces que même «les
personnes les moins soigneuses et les plus stu-
pides» se seraient rendues coupables de s'en
satisfaire et d'appareiller. Au contraire, j'ac-
cepte la déclaration du capitaine du navire selon
laquelle, tout au long de sa carrière, il avait
transporté de nombreux «chargements lourds»
comparables et avait utilisé les mêmes métho-
des sans avoir jamais à déplorer de perte. Je
n'ignore pas la force de certaines des critiques
dirigées contre les méthodes qui ont été
employées dans ce cas ni le fait que les métho-
des sur lesquelles des experts de la demande-
resse ont insisté ne comportent pas certains
éléments dé risque. Je ne dois pas cependant
ignorer qu'un certain degré de risque est inhé-
rent à toute activité humaine et que nous
sommes perpétuellement confrontés avec des
cas où des méthodes ont été employées pendant
de longues périodes avant que leur insuffisance
ne soit révélée par des expériences tragiques.
Des personnes fort intelligentes qui ne sont pas
précisément irréfléchies continuent à utiliser
des méthodes qui ont bien fonctionné dans le
passé plutôt que d'augmenter leurs coûts en
ajoutant des dispositifs de sécurité coûteux. Je
ne puis pas dire qu'à mon avis ce comportement
soit toujours celui d'un homme avisé. Cepen-
dant, je ne suis pas disposé à déclarer que cette
conduite constitue une faute lourde, même en
fonction d'une définition de cette expression
qui ne serait pas aussi restrictive que celle déjà
citée de Pothier.
J'aborde maintenant la prétention de la
demanderesse selon laquelle elle échappe aux
effets de la clause d'exclusion (alinéa 9 du
connaissement) car, comme on l'affirme, la
perte et les dommages ont en l'espèce été pro-
voqués par le mauvais état de navigabilité et la
clause d'exclusion ne s'applique pas à une telle
perte ou un tel dommage.
Je rejette cette prétention car j'estime, au vu
de la preuve, que la perte de l'un des réacteurs
et les dommages subis par l'autre n'ont pas été
causés par le mauvais état de navigabilité.
Ayant déjà jugé que les dommages subis par
la cargaison sous pont et les autres éléments de
la cargaison «en pontée» avaient été causés par
le mauvais état de navigabilité, juger dans ce
cas que la perte des réacteurs, qui découle des
mêmes faits physiques, n'a pas été causée par le
mauvais état de navigabilité, appelle quelques
explications.
Comme j'entends la jurisprudence, l'expres-
sion «mauvais état de navigabilité» a été utilisée
avant les Règles de La Haye pour qualifier au
moins trois états très différents d'un navire, que
reflètent avec plus ou moins de précision les
alinéas a), b) et c) de l'Article III(1) des Règles
de La Haye qui disposent:
1. Le transporteur sera tenu avant et au début du voyage
d'exercer une diligence raisonnable pour:
a) mettre le navire en état de navigabilité;
b) convenablement armer, équiper et approvisionner le
navire;
c) approprier et mettre en bon état les cales, chambres
froides et frigorifiques et toutes autres parties du navire
où des marchandises sont chargées pour leur réception,
transport et conservation.
En outre, il convient d'insister sur le fait
qu'une réclamation fondée sur le mauvais état
de navigabilité est soumise à deux conditions
impératives, à savoir:
a) il faut qu'il y ait eu un certain état de
choses intéressant le navire qui tombe dans
l'une ou l'autre des catégories brièvement
mentionnées de mauvais état de navigabilité,
et
b) les dommages ou la perte doivent résulter
de cet état de choses.
Si l'on applique ces principes en l'espèce,
l'arrimage défectueux des réacteurs a créé une
potentialité de brèches dans les panneaux d'é-
coutille, de sorte que la cale n'était pas «appro-
priée et en bon état» pour la «conservation» de
la cargaison transportée sous pont; cette possi-
bilité s'est réalisée et la cargaison sous pont a
été endommagée. Le même raisonnement s'ap-
plique à la cargaison, autre que les réacteurs,
transportée en pontée. Il aurait pu également se
faire que l'arrimage défectueux des réacteurs
crée, en puissance, au navire ou à sa stabilité,
des avaries de nature à le faire sombrer ou
chavirer. Toutefois, cette potentialité, à suppo-
ser qu'elle existât, ne s'est pas réalisée et elle
n'a pas par conséquent entraîné de perte ou de
dommage.
Pour en venir maintenant aux réacteurs, je ne
puis trouver aucune condition du bâtiment qui
tombe dans l'une des catégories de mauvais état
de navigabilité qui ont causé la perte de l'un et
endommagé l'autre. Des faits tels qu'ils m'appa-
raissent, je déduis que les emplacements qui
leur étaient réservés pour le transport étaient,
lorsque le navire a quitté Rotterdam, «appro-
priés et en bon état» pour leur «réception,
transport et conservation». La principale poten-
tialité de perte ou de dommage réside dans le
fait qu'ils ont été mal arrimés et ils furent par
conséquent perdus ou endommagés.
Je ne doute pas qu'il existait également un
mauvais état de navigabilité lorsque le navire a
quitté Rotterdam qui a pu entraîner la perte des
réacteurs. Étant mal arrimés, ils auraient pu,
comme je l'ai déjà remarqué, endommager le
navire au point de le faire sombrer ou chavirer,
causant la perte de toute la cargaison. Si cela
était arrivé, l'on aurait un cas de mauvais état
de navigabilité en puissance qui serait devenu
une réalité entraînant la perte de la cargaison.
C'est ce qui a été jugé dans l'arrêt Falconbridge
Nickel Mines Ltd. c. Chimo Shipping Ltd.
[1969] 2 R.C.É. 261, dans lequel le juge Kerr
déclarait, à la page 283:
[TRADUCTION] Mais je crois que le mauvais arrimage du
tracteur et du générateur ont entraîné le mauvais état de
navigabilité de la péniche. Lorsque le tracteur a glissé vers
le bord du pont, il a déséquilibré la péniche. En l'espèce, ce
déséquilibre s'est traduit par un mauvais état de navigabi-
lité, cause directe de la perte du tracteur et du générateur.
Dans la présente affaire, rien ne permet de
penser que la perte de l'un des réacteurs ou les
dommages subis par l'autre ont été entraînés ou
causés par quelque effet que les réacteurs libé-
rés de leurs attaches ont eu sur l'état du navire.
Ma conclusion est, par conséquent, que le
défendeur Jonny Wesch n'est pas responsable
en vertu du contrat de transport de la perte de
l'un des réacteurs et des dommages subis par
l'autre.
On peut statuer rapidement sur les actions en
responsabilité délictuelle.
Pour ce qui est de l'action en responsabilité
délictuelle dirigée contre M. Jonny Wesch, ce
dernier est protégé par la clause 9 du connaisse-
ment. Un chargeur ne peut échapper à ses obli
gations contractuelles, en fonction desquelles
sont calculés les frais de transport, en écartant
le contrat et en intentant une action en respon-
sabilité délictuelle pour ce à quoi il a droit en
vertu du contrat. Dans ce cas au moins, il est
clair que la clause d'exclusion de l'alinéa 9 du
connaissement couvre une telle réclamation.
Pour ce qui est de l'action en responsabilité
délictuelle dirigée contre Hy Car, je la rejette
sur les faits. Elle est fondée sur la prétention
que le préposé de Hy Car, M. Burger, a en
quelque sorte rendu Hy Car civilement respon-
sable pour autrui, du fait de son comportement
dans les opérations d'arrimage des réacteurs de
70 tonnes. A mon avis, il ressort clairement de
la preuve que le préposé en question a laissé la
responsabilité de l'arrimage au capitaine à qui
elle incombait. J'estime que son témoignage et
celui du capitaine se tiennent sur ce point.
Toutes les décisions relatives à la façon dont les
réacteurs ont été arrimés ont été prises par le
capitaine, soit personnellement, soit par l'inter-
médiaire des membres de son équipage.
Je passe maintenant à la question du montant
des dommages-intérêts.
Il convient de mentionner tout d'abord le
principal problème relatif aux dommages. Si les
marchandises avaient été des marchandises sus-
ceptibles d'être immédiatement remplacées sur
le marché canadien, ce serait une chose, mais ça
n'est pas le cas. En l'espèce, la demanderesse
s'était engagée, pour des raisons qui lui ont paru
fondées, dans un procédé de fabrication qui
l'obligeait à tirer toutes les marchandises en
question de sources allemandes particulières.
Etant donné la nature du procédé et pour s'as-
surer le bénéfice de garanties contractuelles qui
se seraient appliquées aux marchandises
endommagées et perdues, si elles ne l'avaient
pas été, ces marchandises, à quelques légères
exceptions près, devaient être remplacées ou
réparées par le fournisseur allemand. Je suis
convaincu qu'en termes de bonne gestion com-
merciale, la demanderesse n'avait d'autre choix
que de suivre le conseil qu'elle a reçu des
experts allemands quant à ce qui devait être
remplacé et ce qui devait être retourné en Alle-
magne pour réparation. En particulier, je suis
convaincu qu'un homme d'affaires normale-
ment avisé, soucieux de réduire autant que pos
sible la perte, aurait été obligé d'accepter le
conseil de devoir remplacer l'ensemble du cata-
lyseur. Il aurait été, à mon avis, irréfléchi et
imprudent de la part de la demanderesse d'es-
sayer de déterminer quelle partie du catalyseur
avait réussi à résister à l'eau dans la cale, sans
modification importante de ses caractéristiques
due à l'humidité, alors que l'expert allemand lui
signalait que c'était dangereux et que ce faisant,
elle perdrait le bénéfice des garanties qui fai-
saient partie des données économiques de ses
programmes.
Il reste cependant un problème mineur au
sujet du catalyseur. La somme de $128,842.60
est calculée en déduisant la récupération du
coût de remplacement, et, dans le calcul de la
récupération, j'ai l'impression que l'on a compté
le fret de la réexpédition en Allemagne de l'en-
semble du catalyseur, y compris une importante
quantité de quartz d'une valeur quasi nulle.
L'avocat aurait dû pouvoir établir précisément
au cours de la plaidoirie ce qu'a révélé la preuve
à cet égard. La demanderesse peut obtenir un
jugement lui accordant la somme de $128,000
pour le catalyseur, ou bien elle peut obtenir un
jugement de renvoi sur ce point, dont les condi
tions seront à débattre.
Pour ce qui est de la cargaison, autre que les
réacteurs, «transportée en pontée», j'accepte
les montants qui ont été établis:
N° 665 $ 158.04
No 667 7,260.23
N° 671 185.23
Cependant, le défendeur s'appuie, pour ces dif-
férents postes, sur l'alinéa 1 de l'Article IV(5)
des Règles de La Haye, qui dispose:
[TRADUCTION] Le transporteur comme le navire ne
seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés
aux marchandises ou les concernant pour une somme
dépassant cinq cent dollars par colis ou unité, ou l'équiva-
lent de cette somme en une autre monnaie, à moins que la
nature et la valeur de ces marchandises n'aient été déclarées
par le chargeur avant leur embarquement et que cette décla-
ration ait été insérée au connaissement.
Quant à statuer sur l'applicabilité de cette dis
position limitative lorsque les dommages résul-
tent de ce qu'on ne s'est pas conformé à l'Arti-
cle III(1), je suis mon confrère le juge Kerr qui
déclarait dans l'affaire Falconbridge Nickel
Mines Ltd. c. Chimo Shipping Ltd. [1969] 2
R.C.É. 261, aux pages 284 et 285:
[TRADUCTION] La situation me semble donc être la sui-
vante, si les Règles s'appliquent au tracteur et au générateur
jusqu'à leur perte: si la perte résulte du mauvais état de
navigabilité de la péniche, né d'un défaut de diligence impu-
table au transporteur à qui il incombait de mettre la péniche
en bon état de navigabilité, le transporteur ne peut se
prévaloir des exceptions à l'immunité prévue par la règle 2
de l'Article IV, mais la limite de responsabilité prévue à la
règle 5, où figurent les termes «en aucun cas», s'applique;
Il en résulte que la demanderesse peut obtenir
un jugement lui accordant, pour chacun de ces
postes, le montant de la perte réelle ou $500 et,
dans le calcul de la perte réelle, il faudra ajouter
aux montants susmentionnés un pourcentage de
l'ensemble des postes auquel je dois maintenant
m'attacher.
Pour ce qui est des réacteurs, bien que je ne
rende pas de jugement sur ce point, je dirais
néanmoins que j'accepte les chiffres de $133,-
218.32 et $130,992.89 dont j'ai déjà fait état.
Ces chiffres sont nécessaires au calcul qu'il
faudra faire, comme il ressort des indications
suivantes. Je n'exprime aucune opinion quant à
l'application de la clause d'évaluation de l'alinéa
18 des conditions contenues dans le connaisse-
ment, en raison de l'absence de jugement sur les
réacteurs et du fait que je m'estime pas en
mesure de conclure sur ce point. Une autre
question se pose quant à savoir si ce point est
ouvert au défendeur vu les plaidoiries.
Pour ce qui est des frais généraux, déjà men-
tionnés, j'accorde les sommes que j'ai précé-
demment indiquées sous réserve qu'elles doi-
vent être réparties ou distribuées entre les
divers chefs de perte ou dommages de la
manière suivante:
a) Les dépenses de M. Wanka, soit $942.21,
et $3,983.70 sur les $5,809.21 de frais de
manutention de l'équipement, doivent être
attribués aux réacteurs;
b) les dépenses de M. Engelhardt, soit $1,-
073.06, doivent être réparties entre la cargai-
son transportée en pontée (autre que les réac-
teurs) et le catalyseur;
c) la réclamation pour les essais et l'azote,
soit $880, les frais d'entrepreneur, soit $163,
et $1,825.51 sur les $5,809.21 de frais de
manutention de l'équipement, doivent être
attribués à la cargaison, autre que les réac-
teurs transportée en pontée;
d) tout le reste de ces postes doit être réparti
au prorata des montants déterminés par ail-
leurs et toutes les sommes attribuées à la
cargaison transportée en pontée doivent être
distribuées entre les divers postes de la même
façon, dans la mesure où il est pertinent de le
faire.
Un jugement sera également rendu quant aux
intérêts applicables aux sommes ainsi détermi-
nées, à partir du l er septembre 1968 jusqu'à la
signature du jugement sur dépôt d'une requête,
comme prévu ci-dessous. Les intérêts sur la
somme accordée par le jugement courront auto-
matiquement à partir de cette date. Voir l'article
40 de la Loi sur la Cour fédérale.
Une requête peut être présentée pour qu'un
jugement soit prononcé, en vertu du sous-alinéa
b) de l'alinéa (2) de la Règle 337 des Règles de
la Cour fédérale. Si les parties ne peuvent se
mettre d'accord sur les montants qui devraient
figurer au jugement, compte tenu des indica
tions précédentes, le jugement devra contenir
une disposition en vue d'un renvoi, dont les
termes seront à discuter. J'entendrai également
les parties sur le problème des dépens au
moment de la demande de jugement.
Avant de clore cette affaire, je dirai quelques
mots sur la confusion qui s'est manifestée au
cours du procès au sujet de la numérotation et
de l'enregistrement des pièces, aspect du procès
que j'avais jusqu'à présent estimé pouvoir lais-
ser au greffier de la Cour et aux avocats.
En plus des pièces ordinaires soumises par
l'une ou l'autre des parties ou par les deux et
acceptées par la Cour au procès, il y a dans
cette affaire des documents
a) qui ont été soumis et acceptés pendant que
les preuves étaient rassemblées à l'étranger,
d'un commun accord, comme si elles avaient
été recueillies en commission rogatoire auto-
risée par la Cour,
b) qui ont été soumis et acceptés pendant
qu'on recueillait des «dépositions» dans un
litige soulevé aux États-Unis, lesquelles ont
été, d'un commun accord, produites comme
pièces dans la présente action et,
c) qui ont été estampillés comme pièces au
cours de l'examen préalable et qui ont été
présentés par l'une ou l'autre des parties
comme un élément de leur thèse au cours de
la présente instance.
On a tenté de faire estampiller toutes ces pièces
comme si elles avaient été soumises et accep-
tées comme pièces à l'instance. Il en résulte, je
crois, que le dossier n'est pas exact. Pour cette
raison, je dois prendre ma part de responsabilité
pour ne m'être pas aperçu que les avocats se
sont attribués le contrôle de la recevabilité
comme preuve des pièces et de l'estampillage
des pièces, ce qui, dans cette cour au moins, est
une fonction de la Cour.
Dans cette cour, les affaires sont jugées sur la
preuve apportée à l'instance. La Cour ne peut
tenir compte des documents qui d'une manière
ou d'une autre arrivent dans les dossiers de la
Cour sans avoir été acceptés par elle à l'ins-
tance. Il est par conséquent de la plus grande
importance que le dossier tenu par le greffier de
la Cour reflète exactement la preuve apportée
ou acceptée à l'instance et cela est réalisé, pour
ce qui est des documents soumis à l'instance,
dès que la Cour a attribué un numéro de pièce à
chacun de ces documents ou ensembles de
documents, après qu'il ait été accepté, par le
greffier qui
a) appose un tampon sur le document pour
indiquer qu'il a été accepté comme pièce à
l'instance sous le numéro de pièce en ques
tion, et
b) enregistre en bonne et due forme dans les
dossiers du procès l'acceptation de cette
pièce sous son numéro de pièce.
Cependant, lorsqu'une pièce est soumise et
acceptée pendant qu'on recueille des preuves en
commission rogatoire, le commissaire est requis
par les «instructions et directives» d'affecter
son propre numéro de pièce à cette pièce, et,
lorsqu'il a achevé de rassembler ces preuves, il
est tenu de les retourner à la Cour, sous son
propre sceau, «avec ... les pièces produites» et
la partie pour qui cette preuve a été recueillie
doit, en temps opportun au cours de l'instruc-
tion, demander à la Cour d'intégrer cette preuve
dans le dossier qu'elle doit présenter à l'ins-
tance, ce qui sera dûment enregistré dans le
dossier du procès. Toute pièce de cette nature
sera alors identifiée comme «pièce_à l'appui
de la preuve recueillie en commission rogatoire
à ...» etc. Lorsqu'une pièce est ainsi soumise
en preuve à un commissaire, le document doit
rester en dépôt entre les mains de ce dernier
jusqu'à ce qu'il renvoie la preuve à la Cour avec
les pièces sous son propre sceau. Dans la pré-
sente espèce, on a essayé d'obtenir du commis-
saire qu'il affecte des numéros de pièces au
nom de la Cour comme si les pièces avaient été
présentées à l'instance et le commissaire n'a pas
conservé les pièces, ce qui a entraîné des résul-
tats malheureux.
Pour ce qui est des pièces afférentes aux
dépositions recueillies aux États-Unis et des
documents estampillés au cours des examens
préalables, ils n'ont pas, bien sûr, fait partie de
la preuve dans la présente affaire avant d'avoir
été soumis et acceptés à l'instance et d'avoir
alors reçu des numéros de pièces de la Cour
suivant la procédure ordinaire.
I Il n'est pas contesté qu'aucune loi étrangère n'ayant été
reconnue, la loi applicable doit être réputée la même que la
loi canadienne. Comparer avec le jugement de la Cour
suprême du Canada dans l'affaire The Glengoil Steamship
Company c. Pilkington, (1897) 28 R.C.S. 146, page 160,
rendu par le juge Taschereau.
2 J'utilise ici l'expression «en mauvais état de navigabi-
lité», au sens de l'Article III(l)c) des Règles de La Haye, ce
qui signifie que la partie du navire où le catalyseur était
entreposé n'était pas «appropriée et en bon état» pour la
conservation du catalyseur.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.