Le syndicat de Normandin Lumber Ltd.
(Demanderesse)
c.
Le navire Angelic Power et al. (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Pratte—
Montréal, le 19 juillet; Ottawa, le 17 août 1971.
Marine marchande—Procédure—Clause compromissoire
de la charte-partie—Validité de la clause compromissoire en
droit québécois—Suspension de l'action jusqu'à l'arbitrage.
Par une charte-partie signée à Londres le 4 janvier 1970,
la demanderesse affréta le navire défendeur. La charte-par-
tie prévoyait que tout différend entre les propriétaires et les
affréteurs devait être réglé par des arbitres à Londres. Le
28 janvier 1970, la demanderesse intenta une action devant
cette Cour pour rupture de charte-partie, le capitaine du
navire ayant refusé de signer les connaissements relatifs à la
cargaison chargée à Québec. Le navire fut saisi à Québec,
mais mainlevée fut donnée de cette saisie lorsque les procu-
reurs des défendeurs se furent engagés par écrit à déposer
un acte de comparution et à fournir une caution, ce qu'ils
firent quelques jours plus tard. Dans leur lettre, les procu-
reurs des défendeurs déclarèrent qu'il semblerait que le
différend doive être réglé par arbitrage à Londres et que
l'action doive faire l'objet d'un désistement. Cependant, la
demanderesse continua les poursuites et, le 15 décembre
1970, déposa sa déclaration en l'espèce. Les défendeurs
demandèrent le rejet de l'action.
Arrêt: Les procédures intentées en cette affaire sont
suspendues. La demanderesse n'a pas démontré que donner
effet à la clause compromissoire conduirait à une injustice
et, en conséquence, elle doit être appliquée.
1. L'Art. 951 du Code de procédure civile du Québec,
édicté en 1965, reconnaît la validité de ces clauses. Distinc
tion à faire avec l'arrêt National Gypsum Co. c. Northern
Sales Ltd. [1964] R.C.S. 144.
2. Bien que le droit québécois (la lex fort) reconnaisse la
clause compromissoire, cette dernière ne peut pas exclure la
compétence de la Cour fédérale; en conséquence, l'action
de la demanderesse ne peut être rejetée mais seulement
suspendue jusqu'à l'arbitrage.
3. Dans les circonstances, on ne peut pas estimer que les
défendeurs ont acquiescé à la juridiction de la Cour en
déposant un acte de comparution et qu'ils ont ainsi renoncé
à se prévaloir de la clause compromissoire.
REQUÊTE en rejet de l'action.
T. Bishop pour les défendeurs, requérants.
R. Gaudreau pour la demanderesse, partie
adverse.
LE JUGE PRATTE—I1 s'agit d'une requête par
laquelle les défendeurs demandent le rejet de
l'action intentée par la demanderesse pour le
motif que les parties auraient convenu, aux
termes de la charte-partie intervenue entre elles,
de régler par voie d'arbitrage tous les différends
qui pourraient les opposer.
Par une charte-partie signée à Londres le 4
janvier 1970, la demanderesse a affrété le
navire Angelic Power. Ce contrat contient une
clause compromissoire qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] 17. Si un différend quelconque survient
entre les propriétaires et les affréteurs, l'affaire en litige
sera soumise à trois personnes siégeant à Londres; chaque
partie en nommera une, et les deux personnes ainsi choisies,
la troisième; leur décision ou celle de deux d'entre elles sera
définitive, et, pour les fins de l'exécution forcée d'une
sentence arbitrale, cet accord pourra devenir ordonnance du
tribunal. Les arbitres devront être des commerçants.
Le 28 janvier 1970, la demanderesse intenta
la présente action pour bris de charte-partie et
fit saisir l'Angelic Power qui se trouvait alors à
Québec. Par cette action, la demanderesse
demandait réparation des dommages lui résul-
tant de ce que, contrairement aux clauses de la
charte-partie, le capitaine du navire aurait
refusé de signer ou d'autoriser quelqu'un d'au-
tre à signer les connaissements relatifs à la
cargaison chargée à Québec. Mainlevée de cette
saisie fut cependant donnée dès le lendemain,
après que les procureurs des défendeurs eurent
communiqué avec ceux de la demanderesse et
leur eurent promis de comparaître à l'action et
de leur adresser une lettre aux termes de
laquelle ils s'engageraient à fournir, sur
demande, un cautionnement.
Pour donner suite à cette entente, les procu-
reurs des défendeurs écrivirent aux procureurs
de la demanderesse, le 30 janvier 1970, une
lettre qui, avec la permission de la Cour et sans
objection de la partie adverse, a été produite
lors de l'audition. Cette lettre se lisait comme
suit:
[TRADUCTION] Messieurs,
Nous avons bien reçu votre telex du 29 janvier 1970 et
nous voulons confirmer que nous acceptons de déposer
un acte de comparution à la cour, à condition que vous
nous envoyiez des copies des actes de procédure signifiés
au navire.
Puisqu'il semblerait que tout différend doive être réglé
par arbitrage à Londres, nous vous saurions gré de nous
informer que l'affréteur est prêt à se désister de son
action, chaque partie payant ses propres dépens.
Nous apprenons que M. N. J. Thwaites de la United
Kingdom P & I Association sera à Montréal le lundi 16
février 1970, et nous serions heureux de vous rencontrer
ainsi que M. Hampton -Davies pour étudier le problème
plus à fond. Auriez-vous l'amabilité de nous faire savoir
si vous pouvez vous rendre à Montréal ce jour-là et, dans
l'affirmative, à quelle heure. Nous pensons que le mieux
serait le 16 février dans l'après-midi.
La comparution promise fut produite au
greffe le 18 février suivant. Le jour précédent,
savoir le 17 février, les procureurs des défen-
deurs, agissant [TRADUCTION] «pour et au
nom de la United Kingdom Freight, Demurrage
& Defence Association, Limited et les proprié-
taires de 1'Angelic Power», adressèrent la lettre
suivante aux procureurs de la demanderesse:
[TRADUCTION] En raison de la mainlevée de la saisie
du navire «ANGELIC POWER» dans l'action précé-
dente, au nom de la United Kingdom Freight, Demurrage
& Defence Association, Limited et des propriétaires de
l'«ANGELIC POWER», nous acceptons par la présente
que, sur requête, même si l'«ANGELIC POWER» a été
perdu ou vendu, une caution soit donnée pour lesdites
poursuites de la manière habituelle, par une compagnie de
cautionnement autorisée à devenir caution à ladite cour,
pour une somme n'excédant pas six mille deux cent
cinquante et un dollars quarante-deux cents canadiens
($6,251.42), sous réserve de toute somme accordée par
jugement définitif rendu en votre faveur contre l'«ANGE-
LIC POWER» et ses propriétaires en ce qui concerne le
prétendu refus du capitaine de signer ou d'autoriser la
signature des connaissements relatifs à la cargaison char
gée à Québec et pour les dommages-intérêts en résultant.
Cette lettre est rédigée sous réserve de tous les moyens
de défense à la disposition dudit «ANGELIC POWER» et
(ou) de ses propriétaires; elle ne doit pas être considérée
comme une reconnaissance de responsabilité.
Des pourparlers eurent lieu entre les parties
afin de régler à l'amiable la réclamation de la
demanderesse qui décida, en novembre 1970,
de poursuivre son action. Le 15 décembre
1970, la demanderesse déposa donc sa déclara-
tion au greffe, déclaration dont les procureurs
des défendeurs avaient «recu copie pour valoir
signification» le 27 novembre précédent. Quel-
ques semaines plus tard, soit le 5 janvier 1971,
les procureurs des défendeurs écrivirent à ceux
de la demanderesse pour leur signifier que leurs
clients insistaient pour que le litige soit tranché
par voie d'arbitrage suivant la clause 17 de la
charte-partie et pour sommer la demanderesse
de procéder à la nomination de son arbitre.
Cette lettre se lisait comme suit:
[TRADUCTION] En réponse à notre demande de produc
tion de détails pour nous permettre de déposer une
défense dans cette affaire, nos commettants nous ont
demandé que le vôtre, Le Syndicat de Normandin
Lumber Ltd., accepte de recourir à l'arbitrage à Londres,
conformément à la clause 17, de la charte-partie datée à
Montréal du 4 janvier 1970.
Le 30 janvier 1970, nous avons demandé l'abandon de
l'action et le renvoi de l'affaire en litige en arbitrage à
Londres. Toutefois, nous n'avons jamais reçu votre
réponse, probablement parce que les négociations d'un
règlement entre les représentants de la demanderesse à
Londres et la P & I Association du défendeur étaient en
cours.
Nos commettants, propriétaires de l'«ANGELIC
POWER», présentent à la demanderesse la demande
reconventionnelle suivante, qui découle de la même
charte-partie:
1. Location due (Can.) $ 5,776.74
2. Réparations de l'«ANGELIC POWER»
par suite des avaries causées par les glaces 18,597.23
3. Heures supplémentaires pendant les ré-
parations provisoires 2,444.61
4. Réparations de l'«ANGELIC POWER»
par suite des avaries causées par les arri-
meurs minimum 3,000.00
Comme il serait de l'intérêt de la justice que toutes les
questions soient résolues par arbitrage à Londres, y com-
pris le différend objet de l'action de la demanderesse,
nous demandons par la présente, conformément à la
clause 17 de ladite charte-partie, que la demanderesse
nomme un arbitre dans les dix (10) prochains jours pour
la représenter pour tous les différends soulevés par ladite
charte-partie. Le 5 janvier 1971, les propriétaires ont
nommé un arbitre, M. Cedric Barclay (1 Cromwell Road,
Londres SW 7).
En conséquence, nous suggérons que la demanderesse
nomme son propre arbitre dans les dix (10) prochains
jours, faute de quoi nous déposerons une requête au
tribunal pour obtenir le rejet et (ou) la suspension de la
présente action, et (ou) pour que l'arbitrage ait lieu ex-
parte et (ou) conformément au droit régissant l'arbitrage
au Royaume Uni.
Cette mise en demeure fut répétée dans deux
autres lettres datées respectivement du 20 jan-
vier et du 4 février 1971 et, comme la demande-
resse n'y obtempérait pas, les défendeurs ont
présenté la requête dont je suis actuellement
saisi et qui conclut à ce que l'action de la
demanderesse soit rejetée.
Le procureur de la demanderesse, lors de
l'audition, a soutenu que la requête devrait être
rejetée pour deux motifs: d'abord, parce que le
litige qui oppose les parties n'en serait pas un
qui, suivant la Clause 17 de la charte-partie,
devrait être soumis à l'arbitrage; ensuite, parce
que les défendeurs auraient acquiescé à la juri-
diction de la Cour en comparaissant purement
et simplement à l'action. Subsidiairement, le
procureur de la demanderesse a soutenu que,
même si la requête des défendeurs devait être
accueillie, elle ne pouvait pas l'être suivant ses
conclusions, la Cour ne devant pas ordonner le
rejet de l'action, mais devant seulement ordon-
ner la suspension des procédures.
Le procureur des défendeurs s'est contenté
de soutenir à l'audition que la clause compro-
missoire contenue à la Clause 17 de la charte-
partie devait être tenue pour valide et qu'il
n'existait pas de raison pour ne pas y donner
suite. Il a ajouté qu'il ne tenait pas à obtenir le
rejet de l'action et qu'il serait satisfait que la
Cour ordonne la suspension des procédures de
façon à ce que les parties puissent procéder à
l'arbitrage convenu.
La première question que soulève cette
affaire est celle de la validité et de l'effet de la
clause compromissoire dont se prévalent les
défendeurs.
Dans l'affaire National Gypsum Co. c. North
ern Sales Ltd. [1964] R.C.S. 144, la Cour
suprême du Canada a confirmé une décision de
la Cour de l'Échiquier siégeant en amirauté, qui
avait rejeté une requête comme celle qui m'est
soumise pour le motif qu'une clause compro-
missoire comme celle dont se prévalent les
défendeurs serait nulle et contraire à l'ordre
public. Pour en venir à cette conclusion, la
majorité de la Cour a d'abord considéré qu'une
clause compromissoire est une convention rela
tive à la procédure et que, en conséquence, sa
validité doit être déterminée par la lex fori.
Comme il ne se trouvait, dans les règles en
vigueur, aucune disposition concernant cette
matière, il fallait, suivant la règle de pratique
2(1)b) des Règles de la Cour de l'Échiquier, se
référer au droit du Québec, où la cause d'action
avait pris naissanpe, pour apprécier la validité
de la clause. Et c'est parce que le droit de la
province de Québec condamnait les clauses
compromissoires comme contraires à l'ordre
public que la Cour suprême en est venue à la
conclusion qu'il ne fallait pas, dans l'affaire qui
lui était soumise, donner effet à la clause
compromissoire.
Comme je me considère lié par cette décision,
je devrais, si le droit de la province de Québec
n'avait pas été modifié depuis qu'elle a été
rendue, déclarer que la clause compromissoire
dont se prévalent les défendeurs est nulle et, en
conséquence, rejeter la requête qui m'est sou-
mise. Mais il arrive que le droit québécois n'est
plus, depuis 1965, ce qu'il était auparavant.
Cette année-là, en effet, la législature a édicté
un nouveau Code de procédure civile qui, à
l'Article 951 réglemente expressément la clause
compromissoire:
951. La clause compromissoire doit être constatée par
écrit.
Lorsque le différend prévu est né, les parties doivent
passer compromis. Si l'une d'elles s'y refuse, et ne nomme
pas d'arbitre, il est procédé à cette nomination et à la
désignation des objets en litige par un juge du tribunal
compétent, à moins que la convention elle-même n'en ait
décidé autrement.
Malgré l'adoption du texte nouveau, certaines
décisions de la Cour supérieure du Québec con-
tinuent à considérer qu'une clause compromis-
soire comme celle qui nous intéresse est con-
traire à l'ordre public (Borenstein c. Trans
American Investment and Development Co.
[1970] Qué. C.S. 192; Sun and Sea Estates Ltd.
c. Aero-hydraulics Corp. [1968] Qué. R.P. 210),
mais ces décisions m'apparaissent mal fondées,
car je ne vois pas comment le législateur québé-
cois aurait pu réglementer la forme et l'effet
d'une convention dont il n'admettrait pas la
validité. D'ailleurs, l'opinion qu'expriment ces
quelques décisions n'est pas partagée par tous
les magistrats québécois (Singer Plumbing and
Heating Co. c. Richard [1968] Qué. B.R. 547;
Mobilcolor Productions c. Gula [1968] Qué.
R.P. 22; Morin c. Travelers Indemnity Co.
[1970] Qué. C.S. 84). Elle ne l'est pas davan-
tage par les auteurs qui ont étudié ce problème:
John E. C. Brierley, Aspects of the Promise to
Arbitrate in the Law of Quebec, 1970 Revue du
Barreau, p. 473; Emile Colas, Clause compro-
missoire, un compromis et arbitrage en droit
nouveau, 1968 Revue du Barreau, p. 129.
Je crois donc qu'une clause compromissoire
comme celle qui m'est soumise est aujourd'hui
valide en droit québécois et que, en consé-
quence, je ne saurais en prononcer la nullité.
Mais, ici, un autre problème se soulève. Si,
comme l'a décidé la Cour suprême dans l'affaire
National Gypsum, il faut, dans un procès où la
cause d'action a pris naissance au Québec, s'en
remettre à la loi québécoise pour apprécier la
validité de la clause compromissoire, il semble-
rait logique qu'il faille également s'en remettre
au droit de cette province pour en apprécier
l'effet. Or, suivant le droit québécois, lorsque
des parties à un contrat ont convenu de soumet-
tre à l'arbitrage des différends qui pourront les
opposer, les tribunaux sont incompétents à con-
naître de pareils litiges. En droit québécois
comme en droit français (Dalloz: Répertoire de
droit civil, vb° compromis, n° 126 et suivants), la
clause compromissoire a pour effet de limiter la
juridiction du tribunal. C'est pourquoi, dans le
cas où une partie intente des procédures judi-
ciaires pour faire trancher un différend qu'elle a
convenu de soumettre à l'arbitrage, les tribu-
naux, à moins que l'autre partie n'accepte de
révoquer la clause compromissoire, se déclarent
incompétents et rejettent purement et simple-
ment l'action. Auto Fabric Products Co. c.
Kaplan Construction Co. [1949] Qué. B.R. 241,
Mobilcolor Productions Inc. c. Gula [1968]
Qué. R.P. 22; Morin c. Travelers Indemnity Co.
[1970] Qué. C.S. 84. Donc, si, dans une affaire
comme celle-ci, il fallait se référer au droit
québécois pour déterminer l'effet de la clause
compromissoire, il faudrait dire qu'une pareille
convention a pour effet de soustraire à la juri-
diction de la Cour des litiges qui, suivant la loi,
sont de sa compétence. Or, une pareille conclu
sion m'apparaît inacceptable. Les lois qui défi-
nissent la compétence de cette Cour et de celle
qu'elle a remplacée sont des lois d'ordre public
auxquelles les citoyens ne peuvent se sous-
traire. Et si, en common law, la clause compro-
missoire est depuis longtemps tenue pour
valide, c'est parce que l'on considère que cette
convention n'a pas pour effet d'exclure la com-
pétence des tribunaux. Ainsi, dans l'affaire
Atlantic Shipping & Trading Co. c. Louis Drey-
fus and Co. [1922] 2 A.C. 250, Lord Dunedin
disait à la page 255:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, sous l'empire de l'ancien
droit on a souvent soutenu que la clause compromissoire
était nulle parce qu'elle excluait la compétence des tribu-
naux, mais cette thèse fut finalement abandonnée dans
l'arrêt Scott c. Avery 5 H.L.C. 811. Selon mon interpréta-
tion de cet arrêt, on ne peut plus dire qu'une telle clause
exclue la compétence du tribunal; au contraire, on invoque
cette compétence pour la faire observer et il n'y a rien de
mal à ce que des personnes conviennent que des différends
qui pourraient survenir entre eux soient réglés par arbitrage.
Il s'ensuit que la disposition en question est acceptable dans
la mesure où elle prévoit l'arbitrage.
La législature d'une province peut bien, si elle
le désire, reconnaître aux citoyens le droit de se
soustraire à la juridiction des tribunaux qui relè-
vent de sa propre compétence législative.
Cependant, le législateur provincial n'a pas le
pouvoir de permettre que l'on se soustraie à la
juridiction des tribunaux dont la compétence est
définie par le parlement fédéral. Il est donc
impossible qu'une clause compromissoire dont
le droit du Québec reconnaît la validité ait pour
effet de soustraire un litige à la compétence de
cette Cour ou de celle qui l'a précédée. On ne
peut donner effet à des clauses compromissoi-
res que dans la mesure où elles ne portent pas
atteinte à la, juridiction de cette Cour. De cela il
résulte qu'une clause compromissoire comme
celle dont il s'agit ici ne peut pas avoir pour
effet de modifier la compétence de la Cour et
que, pour ce motif, la Cour, lorsqu'elle est saisie
d'une requête comme celle-ci, ne doit pas reje-
ter l'action pour cause d'absence de juridiction,
mais peut seulement ordonner la suspension des
procédures.
Nous pouvons maintenant étudier les argu
ments opposés par les procureurs de la deman-
deresse à la requête des défendeurs. En premier
lieu, la demanderesse prétend que le litige dont
il s'agit ici n'en est pas un qui, suivant la Clause
17 de la charte-partie, doive être soumis à l'ar-
bitrage. Cette prétention est insoutenable. Il
suffit de lire l'article concerné de la charte-par-
tie et l'action de la demanderesse pour s'en
rendre compte. La demanderesse veut, en effet,
être indemnisée de dommages lui résultant de
ce que le contrat de charte-partie n'aurait pas
été fidèlement exécuté; c'est là, à mon sens, un
différend qui devrait être tranché par des arbi-
tres suivant la Clause 17 de la charte-partie aux
termes de laquelle on a convenu de faire déci-
der par voie d'arbitrage [TRADUCTION] un diffé-
rend quelconque ... entre les propriétaires et
les affréteurs. Rien ne permet de dire, comme
l'a soutenu le procureur de la demanderesse,
que les seuls différends visés par cette clause
seraient ceux relatifs à l'interprétation de la
charte-partie (par opposition aux différends
relatifs à l'inexécution du même contrat).
En second lieu, le procureur de la demande-
resse a prétendu que les défendeurs ne seraient
plus recevables à invoquer le bénéfice de la
clause compromissoire parce qu'ils auraient
acquiescé à la juridiction de la Cour en compa-
raissant purement et simplement à l'action. Ce
moyen, tel que formulé, me semble nettement
mal fondé. Il est bien vrai que les règles de
pratique en vigueur lorsque cette action a été
prise (comme d'ailleurs les règles qui sont en
vigueur aujourd'hui) permettaient à un défen-
deur de comparaître conditionnellement à une
action. Il est également vrai que le fait de pro-
duire une comparution pure et simple plutôt
qu'une comparution conditionnelle peut, en cer-
tains cas, être interprété comme un acquiesce-
ment à la juridiction de la Cour. Mais tout cela
n'a aucun rapport avec le problème qui se sou-
lève ici, car, comme je l'ai dit, la clause compro-
missoire n'a pas pour effet de soustraire les
plaideurs à la juridiction de la Cour. En suppo-
sant, et c'est là une hypothèse qui n'est pas
conforme à la réalité, en supposant que le dépôt
d'une comparution pure et simple empêche tou-
jours un défendeur de soulever ensuite l'ab-
sence de juridiction de la Cour, le fait que les
défendeurs aient ici comparu sans condition ne
les aurait pas empêchés de demander l'exécu-
tion de la clause compromissoire parce que, ce
faisant, ils ne s'attaquent pas à la juridiction de
la Cour.
A la vérité, cette prétention de la demande-
resse aurait dû être formulée de façon diffé-
rente. La clause compromissoire est une con
vention; comme tout contrat, elle peut donc être
révoquée par la commune volonté des parties.
En intentant cette action, la demanderesse a
clairement manifesté son intention de révoquer
la clause compromissoire qu'elle avait sous-
crite; et ce qu'il faut se demander c'est si les
défendeurs, eux, ont consenti, expressément ou
tacitement, à cette révocation. Il est évident que
les défendeurs n'ont pas, ici, convenu expressé-
ment d'ignorer la clause compromissoire. Mais
n'ont-ils pas agi de telle sorte qu'il faille dire
qu'ils ont consenti tacitement à ce que le litige
ne soit pas tranché par voie d'arbitrage? Rappe-
lons ici que le consentement d'une partie à une
convention ne peut jamais se présumer et qu'il
n'y a consentement tacite de la part d'une per-
sonne que lorsque celle-ci a accompli des actes
qui, sans être accomplis dans le but de manifes-
ter son consentement, en supposent néanmoins,
nécessairement, l'existence. Il suffit de se rap-
peler les faits que j'ai relatés plus haut pour
conclure qu'il n'est pas prouvé que les défen-
deurs aient agi d'une façon telle qu'il faille
nécessairement en conclure qu'ils ont voulu
renoncer à se prévaloir de la clause compromis-
soire. Les défendeurs, dans le but d'obtenir
rapidement mainlevée de la saisie qui venait
d'être pratiquée, ont comparu à l'action et se
sont engagés à fournir un cautionnement; ce ne
sont pas là des actes qui, dans les circonstances,
supposent nécessairement leur renonciation au
bénéfice de la clause compromissoire. On ne
peut pas non plus attribuer pareille signification
au fait que les défendeurs aient tardé à se
prévaloir de cette convention; dans les circons-
tances, ce retard est fort explicable puisque les
parties, jusqu'à la fin de novembre 1970, négo-
ciaient en vue d'en venir à un règlement à
l'amiable.
J'en viens donc à la conclusion qu'il faut ici
donner effet à la clause compromissoire que les
parties ont librement souscrite, à moins qu'il
n'apparaisse qu'il serait injuste de le faire. Or, il
faut dire que le procureur de la demanderesse
n'a fait valoir aucun moyen d'où l'on pourrait
conclure que, dans cette espèce, il ne faut pas
donner effet à la clause compromissoire parce
que cela conduirait à une injustice.
La requête des défendeurs sera donc accueil-
lie, avec dépens, et les procédures déjà inten-
tées en cette affaire seront suspendues afin que
les parties procèdent à l'arbitrage comme elles
en ont convenu.
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