Montréal Trust Company, exécutrice testamen-
taire de feu John Stewart Donald Tory
(Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance. Le juge Walsh—
Toronto, le 27 mai; Ottawa, le 25 juin 1971.
Impôt sur le revenu—Honoraires dus à l'avocat défunt
cédés par l'exécutrice à la légataire—Montant payé à la
succession par la légataire supérieur à son legs—N'est pas
une cession ou distribution des honoraires à un bénéficiaire
en qualité de bénéficiaire—La succession est assujettie à
l'impôt sur les honoraires supérieurs au legs—Loi de l'impôt
sur le revenu, art. 64(2), 64(3).
Divers clients devaient $483,350 d'honoraires à un avocat
de Toronto au moment de son décès en août 1965. Son
testament comportait un legs de $90,000 et d'une part du
résidu à sa fille. En février 1966, conformément à une
entente entre l'exécutrice testamentaire de l'avocat et sa
fille, les clients payaient les $483,350 d'honoraires à cette
dernière qui remettait $380,000 à la succession. La fille ne
résidait pas au Canada et n'était donc pas assujettie à
l'impôt canadien. Le Ministre, se fondant sur l'art. 64(2) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, assujettissait ces $380,000
de la succession de l'avocat à l'impôt sur le revenu comme
étant des «droits ou des choses dont le montant obtenu lors
de la réalisation eût été inclus dans le calcul de son revenu»
pour cette année. La succession a interjeté appel.
Arrêt: La cotisation a été correctement établie. L'art.
64(3) qui déclare que l'art. 64(2) ne s'applique pas aux
droits ou choses «cédées ou distribuées aux bénéficiaires»,
ne s'applique qu'aux cessions ou distributions aux bénéfi-
ciaires à titre de bénéficiaires et non, comme en l'espèce, à
un acquéreur à titre onéreux qui se trouve être un bénéfi-
ciaire. La fille du défunt était un acquéreur à titre onéreux
des comptes des clients supérieurs à son legs de $90,000.
Arrêts suivis: Succession Fasken c. M.R.N. [1948]
R.C.E. 580; Bennett c. Ogston (1930) 15 T.C. 374 et
Highway Sawmills Ltd. c. M.R.N. [1964] R.C.S. 304.
IMPÔT sur le revenu.
F. W. Callaghan, c.r. et R. J. Gathercole pour
l'appelante.
G. W. Ainslie, c.r. et M. J. Bonner pour
l'intimé.
LE JUGE WALSH—Le présent appel a été
interjeté à l'encontre d'un avis de nouvelle coti-
sation relatif à l'année d'imposition 1965 du
contribuable, qui ajoutait à son revenu de ladite
année la somme de $380,000. Le contribuable
est décédé le 27 août 1965 en Ontario où il
avait jusque là pratiqué le droit à Toronto; au
moment de son décès, divers clients lui devaient
des sommes totalisant $483,350. Ses derniers
testament et codicille faisaient de sa fille, dame
Mary Virginia Denton, l'une de ses bénéficiai-
res; le ou vers le 11 février 1966, le droit de
toucher ces montants lui était cédé aux termes
d'un accord suivant lequel elle libérait la suc
cession du contribuable de son obligation de lui
remettre le solde de $90,000 d'un legs à elle dû
aux termes des derniers testament et codicille
de celui-ci et convenait de verser à la succes
sion la somme de $380,000 en monnaie cana-
dienne, dans l'année suivant la date de la
cession.
L'appelante n'a pas ajouté au revenu du con-
tribuable le montant ainsi cédé à M me Denton au
motif que le droit de le toucher avait été cédé à
un bénéficiaire de la succession du contribuable
dans le délai prescrit par l'art. 64(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Le Ministre a ainsi établi la nouvelle cotisa-
tion aux motifs que les montants totalisant
$483,350 dus au contribuable par ses clients au
moment de son décès étaient des droits ou des
choses dont le montant obtenu lors de la réalisa-
tion eût été inclus dans le calcul de son revenu
et que, de ces montants, $103,350 ont été cédés
ou versés à Mme Mary Virginia Denton, une des
bénéficiaires de sa succession, avant l'expira-
tion du délai accordé pour arrêter un choix en
vertu des dispositions de l'art. 64(2) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, laissant un solde de $380,-
000 représentant des droits ou des choses non
cédés ni aliénés.
Dans l'exposé des faits admis, les parties
reconnaissent entre autres que l'appelante est
exécutrice du dernier testament du contribuable
et du codicille à celui-ci qui ont été dûment
homologués (copie certifiée de l'homologation a
été versée au dossier); que le ou vers le 10
novembre 1965, l'appelante a versé à M me Mary
Virginia Denton, l'une des trois enfants du con-
tribuable défunt, la somme de $10,000 en paie-
ment partiel du legs de $100,000 elle fait à
l'alinéa 3h) du testament; que la valeur des
comptes à recevoir par le contribuable à la date
de son décès, comme le mentionnait sa déclara-
tion d'impôt sur les successions, était de $483,-
350; le 4 février 1966, l'appelante a envoyé à
ladite M me Mary Virginia Denton une lettre
offrant de lui céder les comptes et se terminant
ainsi:
[TRADUCTION] Cette cession vous serait consentie en con-
trepartie de la décharge que vous accorderiez à la succes
sion de l'obligation de vous remettre le solde de $90,000 du
legs qui vous est dû aux termes du testament de feu votre
père et en contrepartie de votre engagement de payer à la
succession la somme de $380,000 (en monnaie canadienne)
dans l'année suivant la date réelle de la cession desdits
montants.
Veuillez avoir l'obligeance de confirmer l'accord ci-des-
.sus en signant et nous retournant la copie ci-jointe de la
présente lettre.
M me Denton l'a effectivement fait le 5 février
1966. Le 7 février 1966, elle a envoyé aux
débiteurs des lettres leur donnant avis de la
cession et demandant de lui adresser les chè-
ques de paiement au Lucayan Beach Hotel à
Freeport (Bahamas). Le 11 février 1966, l'appe-
lante a envoyé à chacun des débiteurs une lettre
les avisant de la cession, en y joignant des
copies de l'homologation et des permis de dis-
poser émis par les services des droits successo-
raux fédéral et ontarien, et les autorisant à
effectuer les paiements à M me Denton à Free-
port comme elle l'avait demandé.
Il est également reconnu que M me Denton a
quitté le Canada avec ses enfants le 11 février
1966 pour rejoindre son époux qui avait
accepté un emploi aux États-Unis et que depuis
lors elle ne réside plus au Canada et que l'appe-
lante, dans un effort pour réaliser les biens de la
succession de la façon la plus avantageuse, a
négocié avec Mme Denton ledit accord avec l'in-
tention de se prévaloir des dispositions de l'art.
64(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et
d'empêcher que ne soit incluse, en vertu de
l'art. 64(2), dans le calcul du revenu du contri-
buable pour l'année d'imposition pendant
laquelle il est décédé, la valeur desdits comptes
à recevoir au moment de son décès. M me Denton
a demandé une consultation juridique sur les
conséquences dudit accord sur son assujettisse-
ment à l'impôt sur le revenu aux États-Unis et
c'est à la suite de cette consultation qu'en quit-
tant le Canada, elle s'est rendue à Freeport aux
Bahamas, où, entre les 18 et 21 février 1966,
elle a reçu le paiement intégral desdits comptes
à recevoir. Le 16 février 1967, faisant suite à
l'accord conclu, M me Denton a versé à l'appe-
lante la somme de $380,000. Ce paiement a été
inclus au compte capital de la succession sous
l'inscription suivante:
[TRADUCTION] Paiement pour acquisition de $483,350
d'honoraires juridiques exigibles par le défunt au moment
du décès—$470,000 moins $90,000—solde du legs en espè-
ces dû aux termes de l'alinéa 3h) du testament—
$380,000.00.
Le l er juin 1966, l'intimé a procédé à la cotisa-
tion d'impôt pour l'année d'imposition 1965 du
contribuable en se fondant sur le principe que le
montant à inclure, conformément aux disposi
tions de l'art. 64(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, dans le calcul du revenu du contribuable
pour l'année 1965 à l'égard des comptes à rece-
voir, devait être de $483,350. L'appelante s'est
dûment opposée à la cotisation et a signifié à
l'intimé un avis d'opposition daté du 23 août
1966, après quoi, l'intimé a procédé le 7 août
1968, conformément à l'art. 58(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, à une nouvelle cotisation
relativement à ladite année d'imposition du con-
tribuable en se fondant sur le principe que le
montant à inclure, conformément aux disposi
tions de l'art. 64(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, dans le calcul du revenu du contribuable
pour l'année 1965 l'égard des comptes à rece-
voir devait être de $380,000. L'appelante a
alors institué le présent appel.
Les parties n'ont cité aucun témoin. Aucune
explication n'a été donnée relativement à l'écart
de $13,350 entre le montant des comptes
perçus par M me Denton, soit $483,350, et la
somme de $470,000 qu'elle a versée pour en
devenir cessionnaire, en partie en consentant au
remplacement du solde de $90,000 qui lui était
dû aux termes du legs de $100,000 auquel elle
avait droit et en partie par le versement en
espèces effectué par elle de $380,000 qui cons-
titue d'ailleurs le montant de la nouvelle cotisa-
tion adressée au contribuable; les procureurs
des parties ont toutefois reconnu que cela n'é-
tait pas en litige en l'espèce.
Trois alternatives s'offraient à l'appelante
pour classer l'assujettissement du contribuable
défunt à l'impôt pour l'année 1965 l'égard de
ses comptes à recevoir et éviter qu'ils ne soient
inclus dans son revenu imposable pour l'année
pendant laquelle il est décédé.
a) Elle pouvait, dans l'année de son décès ou
dans les quatre-vingt-dix jours après l'envoi
par la poste d'un avis de cotisation à l'égard
de son impôt pour l'année du décès, en pre-
nant la dernière de ces deux dates, se préva-
loir des dispositions de l'art. 64(2)a) de la Loi
de l'impôt sur le revenu et inclure un cin-
quième de la valeur desdits comptes dans le
calcul de son revenu pour chacune de ses
cinq dernières années d'imposition y compris
l'année du décès, et payer l'impôt additionnel
en résultant pour toute année autre que l'an-
née de son décès dans les trente jours qui
suivaient la date de la mise à la poste de l'avis_
de cotisation pour l'année de son décès; ou
b) Elle pouvait produire une déclaration dis-
tincte de la valeur de ces comptes et payer
l'impôt y afférent pour l'année d'imposition
pendant laquelle il est décédé, comme s'il
avait été une autre personne admissible aux
déductions auxquelles il avait droit, aux
termes de l'art. 26, pour ladite année (c'est-à-
dire ses déductions pour personnes à charge);
c) La troisième alternative, celle qui fut effec-
tivement adoptée, fait l'objet du présent appel
et provient du libellé de l'art. 64(3) de la loi,
que voici:
64. (3) Lorsque, avant l'expiration du délai accordé pour
le choix prévu au paragraphe (2), un droit ou une chose à
laquelle ledit paragraphe s'appliquerait autrement, a été
cédée ou distribuée aux bénéficiaires ou à d'autres person-
nes ayant un intérêt bénéficiaire dans la fiducie ou
succession,
a) le paragraphe (2) ne s'applique pas à ce droit ou à cette
chose, et
b) un montant reçu par l'un des bénéficiaires ou autres
semblables personnes lors de la réalisation ou de la dispo
sition de ce droit ou de cette chose doit être inclus dans le
calcul de son revenu pour l'année d'imposition dans
laquelle il l'a reçu.
En cédant les comptes à recevoir à une bénéfi-
ciaire qui n'était pas elle-même assujettie à l'im-
pôt au Canada sur la réalisation par ses soins de
ces comptes, l'appelante pouvait en recevoir un
montant représentant presque la totalité de leur
valeur sans que la succession ne paie d'impôt à
l'acquit du défunt pour l'année 1965 l'égard
des montants reçus en paiement de cette ces
sion. Le fait que M me Denton n'ait pas eu à
payer d'impôt sur le revenu à l'égard du mon-
tant des comptes dont elle s'était portée acqué-
reur lorsqu'elle en a reçu le paiement, étant
donné qu'à ce moment elle n'était pas une béné-
ficiaire résidant au Canada et, partant, non
assujettie à l'impôt canadien lorsqu'elle les a
réalisés, n'a évidemment aucun rapport avec le
présent litige qui a trait simplement à l'applica-
bilité de l'art. 64(3) la détermination de l'assu-
jettissement du défunt à l'impôt sur le revenu.
Tout le litige tourne autour de l'interprétation
qu'il faut donner à l'expression «cédée ou distri-
buée aux bénéficiaires ou à d'autres personnes
ayant un intérêt bénéficiaire dans la fiducie ou
succession». Plusieurs arrêts antérieurs ont dis-
cuté du mot «cédé» en lui-même. En pronon-
çant le jugement dans l'affaire Succession
Fasken c. M.R.N. [1948] R.C.É. 580, le prési-
dent Thorson s'est reporté à deux définitions de
dictionnaire du mot «cession». Le New English
Dictionary donne le sens suivant:
[TRADUCTION] 2. Droit. Transporter ou transférer (titre,
droit ou propriété) par acte ou procédé juridique.
Le Webster's New International Dictionary,
2ième éd., déclare:
[TRADUCTION] 2. Transférer la possession ou le contrôle,
faire la cession de; transmettre; transporter, par exemple un
droit, d'une personne à une autre; par exemple, un titre
immobilier est cédé par contrat.
Il déclare à la page 592:
[TRADUCTION] Dans l'arrêt Gathercole c. Smith ((1880-81)
17 Ch.D. 1, à la page 7) le Lord juge James parle du mot
«cession» comme étant «un des termes les plus larges que
l'on puisse utiliser» et le Lord juge Lush déclare à la page 9:
L'expression «qui peut être cédé», j'en conviens avec
le Lord juge James, est une expression d'une très large
portée et comprend tous les moyens par lesquels la pro-
priété peut être transmise d'une personne à une autre.
Le mot «cession» n'est pas un terme de l'art et n'a pas un
sens technique. Il n'est pas nécessaire qu'un transport , de
biens par un mari en faveur de son épouse soit fait sous une
forme particulière ni qu'il le soit directement. Il suffit que le
mari agisse de façon à se départir des biens et les remettre à
son épouse, c'est-à-dire transporter les biens de l'un à
l'autre. Les moyens d'arriver à cette fin, qu'ils soient directs
ou non, peuvent être à juste titre appelés une cession.
Il traitait de l'art. 32(2) de la Loi de l'impôt de
guerre sur le revenu et de celui qui le précédait,
l'art. 7 de la loi de 1926, qui étaient dans une
certaine mesure les mêmes que l'art. 21(1) de la
loi actuelle qui a trait aux transports de biens
entre conjoints. Il déclare ensuite aux pages 595
et 596:
[TRADUCTION] Ainsi, s'il n'était pas nécessaire, pour
qu'elle soit soumise à l'article 7 de la loi de 1926, que la
cession y mentionnée soit effectuée dans le but d'échapper
à l'impôt, cette condition ne pourrait se retrouver à l'article
32(2) de la révision de 1927. De plus, abstraction faite de
toutes dispositions réglementaires ayant trait aux Statuts
révisés, il n'est pas admissible, lorsque les termes de la loi
fiscale sont clairs, d'en dégager soit des conditions d'assu-
jettissement, soit des exemptions autres que celles expres-
sément mentionnées. On doit donner plein effet à ses
termes sans addition ni soustraction. A mon avis, les termes
de l'article 32(2) de la révision de 1927 et de la partie
correspondante de celui qui le précédait, l'article 7 de la loi
de 1926, ne comportent aucune ambiguïté et l'assujettisse-
ment en résultant ne se borne pas aux cas où le transport de
biens a été fait dans le but d'échapper à l'impôt; de même,
le fait que le transport ait été fait de bonne foi ou pour une
contrepartie appréciable en argent ne le soustrait pas à la
portée de ces articles.
Le juge Thurlow s'est reporté à ce jugement et
l'a suivi dans l'affaire German c. M.R.N. [1957]
C.T.C. 291 en déclarant à la page 295:
[TRADUCTION] A mon avis, l'expression «a ... transporté»
de l'article 21(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu a le même
sens. Je conçois cette expression comme ayant trait à un
acte par lequel le mari s'est départi d'un bien et l'a remis à
son épouse; c'est-à-dire qu'il l'a transporté de l'un à l'autre.
Si l'appelant en l'espèce avait cédé une portion de son
patrimoine à son épouse, avec ou sans contrepartie, il y
aurait sans aucun doute eu transport de cette portion en
faveur de son épouse. S'il avait cédé ses biens à un acqué-
reur avec l'indication d'en payer le prix à son épouse, il se
serait encore agi d'un transport. Dans une telle transaction,
le bien lui ayant appartenu, le prix qu'il en a reçu lui aurait
aussi appartenu, n'eut été transport à son épouse réalisé par
l'indication donnée à l'acquéreur d'en effectuer le paiement
à son épouse.
Le mot «cession» a également été discuté dans
un arrêt de la Commission d'appel de l'impôt,
Campbell c. M.R.N. (1963) 32 Tax A.B.C. 203,
où le vice-président, après s'être référé à l'étude
approfondie de la signification de ce mot faite
par le président Thorson dans l'arrêt Succession
Fasken (précité), déclarait à la page 204: [TRA-
DUCTION] «Ce terme englobe toute transmission
de propriété». Dans l'arrêt Dunkelman c.
M.R.N. [1960] R.C.É. 73, le juge Thurlow, fai-
sant l'étude de la nature imposable du revenu
provenant du bien cédé ou du bien remplaçant
le bien cédé par l'appelant à une personne âgée
de moins de dix-neuf ans dans le cadre de l'art.
22(1) de la loi, s'est également reporté à l'arrêt
Succession Fasken (précité) et a poursuivi en
disant à la page 78:
[TRADUCTION] Et dans l'arrêt St. Aubyn c. Le procureur
général ([1952] A.C. 15), Lord Radcliffe a présenté l'affaire
presque de la même manière lorsqu'il a déclaré à la p. 53:
Si on prend le mot «transport» dans son sens premier,
une personne effectue un transport de biens à une autre si
elle accomplit l'acte ou signe le document qui l'en départit
et du même coup l'attribue à cette autre personne.
L'expression «a ... transporté» de l'art. 22(1) a, à mon
avis, le même sens. Il suffit que le contribuable ait agi
envers le bien lui appartenant de façon à s'en départir et à
l'attribuer à une personne âgée de moins de dix-neuf ans.
Les moyens utilisés dans un cas particulier pour transporter
le bien n'ont pas d'importance car il semble évident que
l'intention du paragraphe est d'assujettir le cédant à l'impôt
sur le revenu provenant de biens transportés ou de biens qui
leur sont substitués, quels que soient les moyens adoptés
pour réaliser la cession.
Il conclut qu'un prêt n'est pas une transaction
entrant dans le sens de l'expression «a ..
transporté des biens». Concernant la question
de l'imposition du revenu d'une personne entre
les mains d'une autre, il déclare à la page 77:
[TRADUCTION] ... Il va sans dire que si la règle énoncée à
l'art. 22(1) s'applique, l'appelant sera assujetti à l'impôt sur
le revenu en cause, quelque dures et injustes qu'en puissent
sembler les conséquences. Mais, comme le corps des dispo
sitions fiscales générales de la loi ne vise jamais à frapper
une personne d'un impôt sur le revenu d'une autre, le
paragraphe doit, à mon avis, être considéré comme une
exception à la règle générale et, bien qu'on doive lui donner
plein effet dans cette mesure, il faut l'interpréter de façon
stricte et non pas l'étendre à quelque chose qui ne fait pas
partie du sens courant des termes qui y sont utilisés, sans
égard encore à la façon dont un cas particulier peut sembler
entrer dans le cadre de l'esprit ou de l'intention qu'on lui
prête.
Tous les arrêts précédents ont trait à un autre
article de la loi où l'expression «a ... trans
porté» était utilisée seule et non en la rappro-
chant de l'expression «ou distribué»; cepen-
dant, l'affaire Succession Hawk c. M.R.N.
(1957) 17 Tax A.B.C. 71, mettait en cause l'art.
64(3) lui-même. Dans cette affaire, le défunt et
ses trois fils exploitaient leurs propres fermes
en vertu d'un accord suivant lequel le grain et le
bétail étaient vendus sous une raison sociale et
les bénéfices en provenant partagés entre eux
dans certaines proportions. Après le décès du
père, sa veuve et ses fils ont conclu un accord
verbal suivant lequel tous les intérêts du défunt
dans le grain ou le bétail devenaient la propriété
des fils, en contrepartie de quoi ils devaient
effectuer certains paiements à la veuve. Il fut
jugé que le bétail et le grain faisant partie de la
succession du défunt avaient été «cédés ou
distribués» à ses fils à titre de bénéficiaires au
sens de l'art. 64(3) et que leur valeur n'était
donc pas imposable entre les mains des exécu-
teurs en vertu de l'art. 64(2). Dans son juge-
ment, Me W. S. Fisher, c.r., après s'être reporté
à la signification du mot «cession» qu'a précisée
l'arrêt Gathercole c. Smith (précité) et à la cita
tion du jugement du président Thorson dans
l'arrêt Succession Fasken (précité), a conclu
que, puisque les trois fils étaient bénéficiaires
de la succession de leur père, de même que leur
mère, la cession, même si elle était faite en
nature, entrait dans le cadre des dispositions de
l'art. 64(3) de la loi. Dans l'arrêt Succession
Willis c. M.R.N. (1968) Tax A.B.C. 177, traitant
également de l'art. 64(3), la Commission d'appel
de l'impôt est arrivée à une conclusion diffé-
rente. Elle était cependant fondée sur le fait que
la compagnie qui s'était portée acquéreur des
biens du défunt en échange d'actions entière-
ment libérées à la suite d'une ordonnance d'un
tribunal postérieure à son décès, donnant effet à
un accord conclu de son vivant mais auquel il
n'avait jamais donné suite, n'était pas une per-
sonne ayant un intérêt bénéficiaire dans la suc
cession pour la seule raison qu'elle avait payé
l'impôt successoral et qu'elle était plutôt un
simple créancier de la succession. La décision
de W. O. Davis mentionne de la façon suivante,
à la page 185, l'argument, semblable à celui
présenté en l'espèce, présenté par l'avocat du
Ministre:
[TRADUCTION] L'avocat de l'intimé a fait valoir que, dès
lors que le mot «cédé» est employé à l'article 64(3) en
corrélation avec le mot «distribué», cela était évidemment
destiné à ajouter quelque chose du genre d'un legs par
opposition à une vente, comme c'est le cas en l'espèce, car
le mot «distribué» ne comporte aucun élément de paiement
pour une valeur reçue mais laisse entendre une distribution
de quelque chose à quelqu'un qui y a déjà droit, par exem-
ple un bénéficiaire testamentaire.
Il se reporte aussi, à la page 184, une défini-
tion d'«intérêt bénéficiaire» extraite du Black's
Law Dictionary comme étant un [TRADUCTION]
«profit, bénéfice ou avantage résultant d'un
contrat», signalant toutefois que la définition
poursuit en disant:
[TRADUCTION] Lorsqu'il est envisagé comme désignation
de la nature d'un patrimoine, il s'agit d'un intérêt comme
celui qu'un institué, légataire ou donataire reçoit exclusive-
ment pour son usage personnel et non comme détenteur
d'un titre pour l'usage et le bénéfice d'un autre. People c.
Northern Trust Co., 330 Ill. 238, 161 N.E. 525, 528.
En conclusion, il déclare à la page 187:
[TRADUCTION] Après un examen attentif de tous les faits
et circonstances des présentes et des autorités invoquées
par les avocats, j'ai conclu que lesdits droits et choses n'ont
pas été cédés ni distribués au sens des termes de l'article
64(3), mais ont été vendus par l'exécuteur testamentaire à la
Princeton Stock Ranch Ltd. contre bonne et valable contre-
partie, savoir 98 actions du capital social de la compagnie.
L'intimé soutient en l'espèce que la transac
tion, tant par sa forme que par sa substance, se
partage réellement en deux transactions
distinctes:
a) un transport volontaire de créances d'une
valeur d'au moins $90,000 pour parfaire le
solde du legs dû à M me Denton aux termes du
testament de feu son père; et
b) une vente de créances d'une valeur d'au
moins $380,000 contre entière et valable con-
trepartie effectuée par l'exécuteur pendant
son administration de la succession, consentie
à M me Denton qui en a acquis le titre non en
qualité de légataire ou bénéficiaire nommée
au testament de son père, mais à titre d'ac-
quéreur à titre onéreux.
Le procureur de l'intimé a soutenu que l'emploi
à l'art. 64(3) du mot «distribué» en corrélation
avec le mot «cédé» a pour effet de restreindre
le sens du mot «cédé»; à l'appui de cette asser
tion, il a cité Maxwell on Statutes, 12e éd. à la
page 289:
[TRADUCTION] Où deux ou plusieurs mots pouvant présen-
ter une analogie sont groupés, noscuntur a sociis, ils sont
utilisés dans leur sens parent. Ils prennent, pour ainsi dire,
leur couleur commune, le sens du plus général étant res-
treint à un sens analogue à celui du moins général.
Il a prétendu que l'emploi des deux mots était
nécessaire parce que, bien que le mot «cession»
s'applique à la distribution d'un bien précis à un
bénéficiaire qui y a un juste intérêt, «distribué»
a trait à une distribution de biens de la succes
sion du défunt à ceux qui y ont droit mais qui,
pendant qu'ils sont sous administration, n'ont
pas un juste intérêt dans un bien précis. A ce
sujet, il s'est reporté à l'arrêt Commissioner of
Stamp Duties (Queensland) c. Livingston [1965]
A.C. 694 où il a été décidé que dans le cas
d'une succession sans administrateur, l'ensem-
ble des biens qui était entre les mains de l'exé-
cuteur lui appartenait et que tant que durait son
administration, on ne pouvait dire en quoi con-
sisterait le résidu à la reddition de compte ni
quelle en serait la valeur. On a en outre jugé
que ce à quoi avait droit la veuve concernant
ses droits en vertu du testament de son défunt
mari, était une chose in action pour être invo-
quée pour toutes fins relatives à la saine admi
nistration de la succession de son époux. La
Cour suprême est arrivée à une conclusion sem-
blable dans l'affaire M.R.N. c. Fitzgerald (Suc-
cession Steed) [1949] R.C.S. 453, où le juge
Kerwin fait état, à la page 460, d'un intérêt à
titre de propriétaire, soit juridique, soit équita-
ble au point d'être reconnu par nos tribunaux,
ce que M. Steed n'avait pas. Il déclare à ce
sujet:
[TRADUCTION] ... Ce qui a été transmis à son décès est
exclusivement le droit de faire administrer la succession
Bonnie Steed; ce droit constituait une chose in action tout à
fait exécutoire ...
En l'espèce, Mme Denton avait un juste intérêt
dans le legs lui revenant aux termes du testa
ment de son père, mais elle n'avait qu'un intérêt
éventuel à sa part du résidu de la succession
lors de sa distribution au décès ou convol en
nouvelles noces de certains bénéficiaires du
revenu. Il a donc prétendu que M me Denton
n'était pas «une bénéficiaire ou autre personne
ayant un intérêt bénéficiaire» dans la succes
sion ou fiducie, si ce n'est jusqu'à concurrence
du solde qui lui était dû en vertu du legs et que,
pour l'excédent, son droit consistait exclusive-
ment à faire administrer la succession jusqu'à
ce qu'elle reçoive finalement sa juste part du
résidu lors de sa distribution. En ce qui con-
cerne la somme de $380,000, elle était donc
simplement un acquéreur à titre onéreux des
comptes à recevoir auprès des administrateurs
et, dans cette mesure, les comptes ne pouvaient
être considérés comme lui ayant été cédés à
titre de bénéficiaire ou de personne ayant un
intérêt bénéficiaire.
Il a soutenu que cette interprétation était con-
forme à l'intention qu'avait le Parlement en
promulgant l'art. 64(3). L'article 85F accorde un
privilège spécial aux contribuables tirant leurs
revenus de l'agriculture ou d'une profession en
leur permettant de calculer lesdits revenus d'a-
près une méthode de caisse plutôt qu'une
méthode de bénéfices. Par conséquent, en l'ab-
sence d'une disposition statutaire précise, les
montants reçus postérieurement à la disconti
nuation de l'entreprise ne seraient pas assujettis
à l'impôt puisqu'il n'y aurait plus de source de
revenu. A l'appui de son assertion, il a cité
l'arrêt britannique Bennett c. Ogston (1930) 15
Tax Cas. 374, p. 378 auquel a souscrit le Lord
chancelier Simonds dans l'arrêt Gospel c. Pur
chase [1951] 2 All E.R. 1071, p. 1074D, où le
juge Rowlatt déclarait:
[TRADUCTION] Lorsqu'un commerçant ou un membre
d'une profession ou d'un corps de métier décèdent ou
mettent fin à leur entreprise . .. et qu'il reste à recouvrer
des sommes dues pour des marchandises fournies alors que
l'entreprise existait ou pour des services rendus par le
professionnel de son vivant ou pendant l'existence de son
entreprise, il n'est pas question d'assujettir ces recettes à
l'impôt sur le revenu; ce sont des recettes de l'entreprise
alors qu'elle existait, ce sont des arriérés de cette entreprise
représentant des sommes gagnées pendant son existence et
elles sont considérées comme comprises dans les cotisations
établies pendant son existence, que ces cotisations aient été
dressées d'après une méthode de caisse ou de recettes.
De la même façon, dans l'affaire Frankel Corp.
c. M.R.N. [1959] R.C.S. 713, où l'on avait jugé
qu'un bénéfice réalisé sur la vente d'une entre-
prise commerciale, y compris le stock, n'était
pas imposable, on a conclu que la vente du
stock n'était pas une vente effectuée au cours
des activités commerciales de l'appelante, mais
faisait partie de la vente de son entreprise et
que les produits de la vente ne constituaient
donc pas un revenu provenant d'une entreprise
au sens de l'art. 4 de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Une décision semblable a été prononcée
dans l'affaire Crompton (Inspector of Taxes) c.
Reynolds et Gibson [1952] 1 All E.R. 888, où
une firme s'était portée acquéreur d'une entre-
prise, y compris une créance acquise au rabais,
qui fut par la suite recouvrée en entier, faisant
ainsi réaliser un bénéfice de £50,000à la nou-
velle firme. Il fut décidé que bien que la dette
ait été une dette d'exploitation entre les mains
de l'ancienne firme, son acquisition et son
recouvrement ultérieur par la nouvelle ne cons-
tituaient pas une transaction faisant partie du
champ d'activité de cette dernière; cette tran
saction aboutissait à une plus-value semblable
au bénéfice réalisé sur la vente d'un actif immo-
bilisé et, partant, non imposable. Partant de ce
raisonnement, il a donc soutenu que l'art. 64
était nécessaire pour assujettir à l'impôt le
revenu provenant de créances qui, au moment
du décès, n'avaient jamais été calculées dans les
bénéfices du défunt. L'intention du législateur
est que les créances doivent être imposées, que
ce soit entre les mains du défunt ou entre celles
du bénéficiaire. Si elles ont été cédées ou distri-
buées à un bénéficiaire en tant que tel elles
seront alors ajoutées au revenu du bénéficiaire
au moment de leur réalisation, à condition
qu'elle ait lieu. Si, en interprétant l'art. 64(3), on
ne devait pas tenir compte de la mesure où
l'acquéreur à titre onéreux est également béné-
ficiaire, cela donnerait des résultats bizarres.
Ainsi, un professionnel pourrait laisser une
somme substantielle en comptes à recevoir,
comme c'est le cas en l'espèce, et un legs parti-
culier de $1,000 seulement, par exemple, à un
serviteur fidèle ou à un ami qui deviendrait
alors bénéficiaire jusqu'à concurrence de ce
montant mais bénéficiaire tout de même. En
vendant les comptes à recevoir à ce bénéficiaire
(vente qui pourrait être facilement financée par
un prêt à court terme si les comptes sont aussi
facilement recouvrables qu'en l'espèce), même
si la vente était consentie au rabais en tenant
compte de l'impôt que l'acquéreur aurait à
payer sur le recouvrement de ces comptes, la
succession pourrait néanmoins économiser
alors des sommes substantielles si le bénéfi-
ciaire faisait partie d'une tranche d'imposition
beaucoup plus basse que celle du défunt. En
l'espèce, le procureur de l'appelante a été très
franc et a reconnu qu'après paiement d'un
impôt de succession de 50% sur ces comptes et
d'un impôt sur le revenu d'environ 70% sur le
solde, la somme totale payée en impôt aurait été
de 85% de la valeur des comptes et que l'accord
conclu avec M me Denton visait à éviter cette
situation. L'évasion fiscale qui peut être réali-
sée dans le cadre des dispositions de la loi
maîtresse est parfaitement admise et honnête
comme l'ont d'ailleurs souvent déclaré les tribu-
naux britanniques et canadiens. Cependant,
lorsqu'il y a doute sur l'interprétation des mots
employés dans un article de la Loi de l'impôt
sur le revenu, il est préférable d'adopter une
interprétation qui donne un résultat conforme à
l'esprit apparent de la loi et non un résultat qui
va à son encontre. Dans l'arrêt Highway Saw
mills Ltd. c. M.R.N. [1966] R.C.S. 384, le juge
Cartwright déclarait à la page 393:
[TRADUCTION] La réponse à la question de savoir quel est
l'impôt dû dépend, bien sûr, des termes de la loi qui le crée.
Lorsque le sens de ces termes est difficile à déterminer, il
peut être d'un grand secours de se demander laquelle des
deux interprétations soumises donne un résultat conforme à
l'esprit apparent de la loi.
L'arrêt M.R.N. c. Pillsbury Holdings Ltd.
[1965] 1 R.C.É. 676, sur l'interprétation de l'art.
8(1)c) de la loi, a décidé que cet article était
destiné à transformer en revenu les paiements,
répartitions, bénéfices et avantages provenant
d'une corporation et attribués à un actionnaire
autrement que par dividendes, lesquels paie-
ments seraient normalement attribués à l'action-
naire par le moyen plus orthodoxe des dividen-
des si la corporation et l'actionnaire traitaient à
distance, mais qu'il ne pouvait être question
d'attribuer un bénéfice ou un avantage au sens
de l'art. 8(1)c) à un actionnaire lorsque la corpo
ration conclut avec lui une transaction de bonne
foi. En prononçant sa décision, le juge Catta-
nach déclarait à la page 687:
[TRADUCTION] ... Pour tomber sous le coup de cet alinéa,
il doit s'agir d'un accord ou d'un plan par lequel une
corporation attribue un bénéfice ou avantage à un action-
naire à titre d'actionnaire.
Je crois qu'en l'espèce il faudrait apporter la
même distinction. L'article 64(3) s'applique aux
cessions ou distributions de droits ou de choses
à un bénéficiaire ou à une autre personne ayant
un intérêt bénéficiaire dans la succession ou la
fiducie, uniquement lorsque cette cession ou
distribution lui a été faite à titre de bénéficiaire
et non à titre d'acquéreur à titre onéreux. Si
donc Mme Denton avait été légataire d'un mon-
tant égal ou supérieur à $483,350 et avait
accepté les comptes en paiement de ce legs,
aucun impôt n'aurait pu être exigé de la succes
sion du défunt au moment de leur perception et,
puisque Mme Denton n'était pas elle-même assu-
jettie à l'impôt au Canada, les comptes auraient
été perçus sans que personne n'ait à payer
d'impôt à leur égard, ce qui aurait d'ailleurs été
une application tout à fait correcte et légitime
de l'art. 64(3) de la loi. Je ne puis cependant
interpréter cet article comme s'appliquant à
tous les droits ou choses pouvant être cédés ou
distribués par vente à titre onéreux à une per-
sonne qui est par ailleurs un bénéficiaire ou a
un intérêt bénéficiaire dans une succession ou
fiducie, quelle que soit la modicité de l'intérêt
bénéficiaire qu'elle y détient. Je conclus donc
qu'à l'égard des droits ou choses ainsi cédés,
excédant le montant pour lequel l'acquéreur est
bénéficiaire ou pour lequel il détient un intérêt
bénéficiaire dans la succession, il est un simple
acquéreur à titre onéreux et que la succession
ou fiducie sont assujetties à l'impôt sur les
montants ainsi cédés en vertu des dispositions
de l'art. 64(2). L'appel est donc rejeté avec
dépens.
La version française de la loi emploie indifféremment
les termes cession et transport (voir art. 64(3) et 21(1))
N.D.T.
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