J. L. Guay Ltée (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime')
Division de première instance, J.C.A. Noël—
Montréal, le 9 juin; Ottawa, le 9 juillet 1971.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu d'entreprise—
Réserves ou comptes de prévoyance—Entrepreneur général
de construction—Pourcentage des paiements provisoires
retenu, payable 35 jours après l'acceptation de l'architecte—
Déductible ou non pendant l'année de la retenue—Loi de
l'impôt sur le revenu, art. 12(1)e).
L'appelante, entrepreneur général de construction, versait
à ses sous-traitants des paiements provisoires basés sur
leurs estimés, mais, conformément aux contrats intervenus
entre eux, elle retenait un pourcentage des estimés, payable
35 jours après l'acceptation finale des travaux par l'archi-
tecte. Les contrats prévoyaient que si l'acceptation n'inter-
venait pas, le sous-contrat pouvait être annulé et le travail
exécuté payé au prix courant. A la fin de l'année fiscale
1965, l'appelante retenait une somme s'élevant à $277,-
428.48, et elle chercha à la déduire dans le calcul de son
revenu imposable pour l'année en question. Le Ministre
rejeta la déduction et son rejet fut maintenu par la Commis
sion d'appel de l'impôt.
Arrêt: rejet de l'appel. L'art. 12(1)e) de la Loi de l'impôt
sur le revenu interdit la déduction des sommes retenues, fin
1965, dans le calcul des bénéfices de l'entreprise de l'appe-
lante pour l'année en question, à titre de réserve ou compte
de prévoyance. Lesdites sommes furent retenues pour assu-
rer le paiement de tous dommages que l'appelante pourrait
subir à la suite de la violation du contrat par les sous-entre
preneurs et, en conséquence, il n'était pas certain qu'elles
leur seraient versées en totalité. On ne peut déduire une
dépense d'un revenu que pour la période dans laquelle elle a
été faite.
Arrêts suivis: John Colford Contracting Co. c. M.R.N.
[1960] R.C.E. 433; Southern Railway of Peru Ltd. c.
Owen [1957] A.C. 334; Naval Colliery Ltd. c. I.R.C.
(1928) 12 T.C. 1017.
APPEL d'une décision de la Commission
d'appel de l'impôt.
M. Paquin et M. Gilbert pour l'appelante.
P. Boivin pour l'intimé.
LE JUGE EN, CHEF ADJOINT NOËL—Il s'agit de
l'appel d'une décision de la Commission d'appel
de l'impôt [M. Boisvert], en date du 16 juin
1969, rejetant l'appel de J. L. Guay Ltée, l'ap-
pelante, d'une cotisation d'impôt sur le revenu,
en date du 20 septembre 1968, en vertu de
laquelle une taxe sur le revenu, au montant de
$87,664.31 fut prélevée pour l'année 1965.
L'appelante est un entrepreneur général de
construction qui, pour exécuter certains de ses
contrats de construction, confie à d'autres
entreprises, soit des sous-contracteurs, l'exécu-
tion de certains travaux. Selon les coutumes
établies dans le domaine de la construction,
l'appelante paie ses sous-traitants sur présenta-
tion par eux d'un estimé mensuel constatant
l'avancement des travaux. Selon les termes du
contrat avec ses sous-traitants, l'appelante
retient un pourcentage des estimés mensuels
soumis et acceptés, qu'elle paie après l'accepta-
tion finale des travaux par l'architecte. Par sa
cotisation, l'intimé a refusé de reconnaître
comme payable un montant de $277,428.48,
représentant les soldes dus aux sous-traitants
par l'appelante, par suite des retenues mensuel-
les effectuées au cours de l'année 1965. Ces
soldes, représentant un pourcentage des estimés
mensuels soumis par les sous-traitants et accep
tés par l'appelante sont, selon cette dernière,
payables à une date déterminable. Il s'agit, en
effet, pour l'appelante, d'une obligation de
payer à une certaine date, soit le trente-cin-
quième jour après l'acceptation finale des tra-
vaux par l'architecte, tel que prévu au contrat
intervenu entre elle et ses sous-entrepreneurs.
L'existence de cette obligation n'est soumise dit
l'appelante, à aucune condition suspensive ou
résolutoire, cette obligation étant actuelle et
seule l'exécution en serait retardée jusqu'à l'é-
chéance du terme. En tout temps après la
période de trente-cinq jours, suivant l'accepta-
tion de l'architecte, le sous-traitant a le droit
d'exiger le paiement du solde dû. Ces soldes
dus, soumis à un terme, constituent donc, selon
l'appelante, des montants payables au sens de la
Loi de l'impôt sur le revenu et de la jurispru
dence et doivent, par conséquent, entrer dans le
coût des contrats et être déduits des profits de
l'appelante dans l'année. Il s'agit simplement, en
effet, de déterminer ici si de ses revenus de
1965, l'appelante avait le droit de déduire les
montants retenus en vertu de ses contrats avec
ses sous-entrepreneurs ou sous-traitants en
1965 et qui sont payables, ou qui peuvent deve-
nir payables, après l'expiration de ladite année.
L'intimé, d'autre part, tout en admettant que
l'appelante peut, en vertu des contrats interve-
nus avec ses sous-contracteurs ou sous-trai-
tants, retenir le pourcentage des estimés prévus
et ne payer ces retenues qu'après les 35 jours
qui suivent l'approbation des travaux par l'ar-
chitecte, déclare qu'il peut arriver que cette
acceptation par l'architecte des travaux n'ait
pas lieu. Cette acceptation finale de l'architecte
serait alors une condition suspensive à laquelle
est subordonné le paiement des sommes ainsi
retenues par l'appelante. Selon l'intimé, non
seulement la somme de $277,428.48 ainsi rete-
nue en 1965 n'était ni exigible ni encore due,
mais elle n'était même pas payable au sens de la
Loi de l'impôt sur le revenu et il dut, par consé-
quent, par une cotisation du 20 septembre 1968,
refuser la déduction de la somme ainsi retenue
par l'appelante aux fins du calcul de son revenu
pour l'année 1965.
L'intimé se fonde, pour soutenir sa cotisation,
sur les art. 3, 4, 12(1)a) et 12(1)e) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148. Il
soumet que les retenues ainsi effectuées par
l'appelante n'étaient pas, au cours de son année
d'imposition 1965, des montants payables à ses
sous-traitants. Le paiement de ces sommes,
dit-il, était subordonné à la condition expresse
que les travaux exécutés par les sous-traitants
soient acceptés en forme finale par l'architecte
à la fin des travaux. Comme les travaux don-
nant lieu aux retenues n'ont pas été ainsi accep
tés par l'architecte au cours de l'année d'imposi-
tion de l'appelante, 1965, les retenues ne
pouvaient, par conséquent, faire l'objet d'au-
cune déduction aux fins du calcul du revenu de
l'appelante.
Les parties convinrent que pour les fins de
l'enquête devant cette Cour, 1) les dépositions
prises devant la Commission d'appel de l'impôt
produites à l'enquête devant cette Cour servi-
ront comme preuve, sauf à parfaire; 2) la
preuve documentaire sera constituée des copies
de contrats de l'appelante avec ses clients et les
sous-entrepreneurs et des copies de factures de
l'appelante et des sous-entrepreneurs, le tout
produit sous le titre de «Preuve documentaire»;
3) l'appelante, dans le calcul de ses revenus, a
toujours adopté la méthode de comptabilité
d'exercice, soit ce que l'on appelle en anglais
< span> accrual basis».
Le savant commissaire de la Commission
d'appel de l'impôt [M. Boisvert] se référant à la
décision de cette Cour, par le juge Kearney
dans M.R.N. c. John Colford Contracting Co.
[1960] R.C.É. 433, déclara que bien que les
faits dans cette cause soient à l'opposé de ceux
prouvés dans la présente cause, il se crut quand
même obligé d'appliquer les principes qui s'en
dégagent. Dans Colford, en effet, le juge Kear-
ney avait refusé d'inclure dans le revenu d'une
compagnie de construction les montants retenus
dans l'année en cours et payables sur approba
tion de l'architecte. Ces montants n'étaient pas,
selon le juge Kearney, des «recevables» qui,
pour l'être, doivent toujours être selon le savant
juge, des montants que [TRADUCTION] «le béné-
ficiaire prévu a le droit de recevoir, même s'ils
ne sont pas nécessairement exigibles».
Or, selon M. Boisvert, transposant cette déci-
sion dans celle qui nous préoccupe, si la retenue
ne pouvait constituer une dette exigible et paya
ble devant entrer dans une année d'imposition
parce qu'elle représentait une dette contingente,
de même la retenue qui est payable et exigible
dans l'avenir ne peut constituer une déduction
permise que dans l'année où elle est devenue
certaine et obligatoire. C'est alors seulement
qu'elle réalise la condition pour sa déduction
prescrite par l'art. 12(1)a), à savoir, qu'elle
devient une somme déboursée par le contribua-
ble en vue de gagner un revenu d'une entre-
prise, ou, pour reprendre l'argument du savant
procureur de l'intimé, Me Boivin, si ces mon-
tants ne pouvaient être considérés comme des
revenus selon le juge Kearney, c'est parce qu'ils
n'étaient pas dus tant et aussi longtemps que le
certificat de l'architecte n'était émis et ils ne
pouvaient, pour les mêmes raisons, être consi-
dérés entre les mains de celui qui les devait,
comme payables et exigibles. S'ils ne sont pas
payables, ils ne peuvent, par conséquent, être
déduits du revenu de l'appelante pour l'année
1965.
L'appelante, d'autre part, soutient le con-
traire. Si j'ai bien compris l'argument de son
procureur, il faut, dit-il, considérer ses obliga
tions et droits en tenant compte des contrats
passés avec ses sous-traitants qui tous, sauf
pour le montant de la retenue, comportent les
mêmes clauses. Les seules qui sont pertinentes
sont les suivantes:
3. Termes de paiements: % des estimés mensuels
soumis et acceptés, la balance soit %, 35 jours après
l'acceptation finale des travaux par l'architecte.
5. Si les travaux ne sont pas jugés satisfaisants par l'ar-
chitecte, nous nous réservons le droit de canceller votre
contrat et de le faire continuer par un autre entrepreneur à
vos frais et dépens. Les travaux déjà exécutés seront payés
selon les prix courants du marché sans que vous ayez
recours à aucun dédommagement pour la cancellation du
contrat.
20. Advenant la résiliation ou terminaison ou cancellation
du contrat principal de l'entrepreneur ou la suspension des
travaux faisant l'objet du contrat principal de l'entrepre-
neur, incluant les travaux prévus dans le présent contrat
pour quelque cause que ce soit, même pour cause imputable
à l'entrepreneur, il est convenu que, sur simple avis, votre
contrat sera alors résilié ou terminé ou cancellé ou vos
travaux suspendus selon le cas et que vous n'aurez droit
qu'au paiement équivalent à la valeur proportionnée au
montant de votre contrat, de la main-d'oeuvre et des maté-
riaux incorporés dans les travaux et livrés à l'emplacement
du contrat principal, d'après le calcul de l'architecte, moins
la somme globale des paiements antérieurs.
Ces clauses, sur lesquelles le procureur de
l'appelante se fonde pour étayer son argument,
indiquent clairement, dit-il, que quelle que soit
l'issue des travaux exécutés par le sous-entre
preneur, qu'ils soient approuvés par l'architecte
ou non, il a quand même droit de recevoir
éventuellement la retenue faite sur les estimés
mensuels reçus. La clause 5, en effet, déclare
que si les travaux ne sont pas jugés satisfaisants
par l'architecte, l'entrepreneur aura droit d'an-
nuler le contrat mais le sous-traitant sera quand
même payé intégralement selon les prix cou-
rants du marché pour les travaux exécutés. Il en
déduit que pour les travaux exécutés, et pour
lesquels des montants sont retenus, le sous-trai-
tant aura alors toujours droit de recevoir le
plein montant de la retenue. Si, d'autre part, la
retenue ou une partie d'icelle est utilisée pour
payer des dommages réclamés par le contrac-
teur principal, il s'agirait alors d'une compensa
tion pour pertes et ce n'est pas le tribunal, au
cas de contestation, qui décidera si le montant
est payable mais il décidera plutôt l'inverse, soit
que ce montant qui était dû ne l'est plus parce
qu'il doit être utilisé pour une compensation qui
s'est opérée entre les dommages dus et le mon-
tant payable sur les retenues et, au cas de
surplus, ce surplus serait aussi payé au sous-
entrepreneur. C'est, selon le procureur de l'ap-
pelante, avec l'argent du sous-entrepreneur que
l'entrepreneur principal se paie et non avec son
argent. Il n'y a donc pas dans l'un ou l'autre cas
d'enrichissement de l'entrepreneur principal par
les montants ainsi retenus. En effet, soutient le
procureur de l'appelante, le montant de la rete-
nue sera toujours ou bien payé au sous-entre
preneur 35 jours après que les travaux seront
approuvés par l'architecte, ou utilisé pour com-
penser l'entrepreneur principal pour dommages
subis. Ces montants sont, par conséquent, dit-il,
payables non pas sous condition suspensive,
mais bien à terme. Or, le terme, ajoute-t-il,
diffère de la condition suspensive, en ce qu'il ne
suspend point l'obligation mais en retarde seule-
ment l'exécution (cf. Articles 1089 et seq. C.C.).
Il faut, par conséquent, selon le procureur de
l'appelante, pour établir si les montants retenus
sont payables ou non, toujours tenir compte de
la situation spéciale créée par le contrat qui
régit les obligations et droits de l'entrepreneur
et ce contrat, soutient-il, ne prévoit pas que le
sous-traitant puisse perdre ici le montant des
retenues. Devant être payables éventuellement,
soit à l'accomplissement du terme prévu, 35
jours après l'approbation de- l'architecte, ces
montants ne peuvent, par conséquent, être con-
sidérés comme des paiements contingents (con-
tingency payments) ou des montants transférés
ou crédités à une réserve ou un compte de
prévoyance et, par conséquent, ils ne sont pas
assujettis à l'art. 12(1)e) de la Loi de l'impôt sur
le revenu qui défend la déduction de semblables
montants. Nous sommes donc, conclut le procu-
reur de l'appelante, en face soit de montants
payables à terme, mais payables quand même,
ou bien d'une charge ou dépense qui doit être
déduite du revenu, et dans l'un ou l'autre cas,
ces montants ne doivent pas être inclus dans le
revenu de l'appelante.
Il est vrai, comme le déclare l'appelante, que
le contrat prévoit que si les travaux ne sont pas
jugés satisfaisants par l'architecte, le sous-
entrepreneur, ou sous-traitant, aura quand
même droit d'être payé intégralement selon les
prix courants du marché pour les travaux exé-
cutés, mais ceci, cependant, ne veut pas dire
que l'entrepreneur devra toujours payer intégra-
lement le montant ainsi retenu. Il ne faut pas
oublier en effet que le but de la disposition qui
permet de retenir un certain pourcentage du
prix du contrat est d'assurer le paiement des
dommages que peut subir soit le propriétaire ou
l'entrepreneur général par suite du défaut d'exé-
cution ou de la mauvaise exécution des travaux
par le sous-traitant ou le sous-entrepreneur. Si
ces dommages correspondent aux montants
ainsi retenus ou excèdent ces montants, le pro-
priétaire ou l'entrepreneur général pourra
garder le tout; si, d'autre part, ils sont infé-
rieurs, le sous-entrepreneur aura le droit d'en
recevoir l'excédent.
Il me paraît donc qu'il est loin d'être sûr que
les montants ainsi retenus seront intégralement
payés au sous-entrepreneur. En effet, le paie-
ment de ces montants au sous-traitant doit peut-
être, au cas de dommages, être considéré
comme contingent. Il est vrai que ces domma-
ges, une fois fixés, pourront être compensés par
les montants retenus et que l'entrepreneur géné-
ral n'en bénéficiera pas mais pour l'année 1965
ces dommages n'ont pas encore été liquidés et
la compensation ne pourra s'effectuer que lors-
qu'ils le seront. Jusqu'à ce moment, et même
après, jusqu'à ce que l'architecte aura émis son
certificat et que 35 jours se seront écoulés, il
n'existe pas d'obligation de la part de l'entrepre-
neur général de payer et ce montant n'est pas
exigible par le sous-traitant ou sous-entrepre
neur. La compensation, en effet, ne s'opère de
plein droit qu'entre deux dettes également liqui-
des et exigibles et ayant pour objet une somme
de deniers ou une quantité de choses indétermi-
nées de même nature et qualité (cf. Articles
1187 et 1188 C.C.).
La Loi de l'impôt sur le revenu ne donne pas
toujours une réponse complète à la question de
savoir quel est le montant total des profits et
des gains de l'année cotisée. L'on peut accepter
comme point de départ pour établir les profits
taxables d'un contribuable l'état des profits et
pertes préparé selon les règles de pratique
comptable. Le profit indiqué sur cet état doit
toujours, cependant, être ajusté selon les règles
statutaires utilisées pour déterminer les profits
imposables. Cela tient au fait qu'un certain
nombre de faits dont les comptables tiennent
compte sont exclus par certaines dispositions de
la Loi de l'impôt sur le revenu dans la détermi-
nation du profit des contribuables. L'état des
profits et pertes est en effet véritablement une
déclaration de faits et, par conséquent, une
question de preuve. Il comprend des questions
de faits incontestables et des conclusions de
faits que l'on peut appeler provisoires. Quant
aux premières, elles peuvent difficilement être
contestées à moins que les chiffres utilisés aient
été tirés, par exemple, de livres mal tenus. Lors-
que, cependant, il s'agit d'une conclusion de
faits provisoires, le Ministre n'est pas obligé
d'accepter ce que les comptables lui ont pré-
senté. L'on se trouve dans une telle situation
lorsque, par exemple, dans un cas comme
celui-ci, pour des fins comptables, une réserve
doit être établie pour prévoir la réception d'un
avantage ou le paiement d'une exigibilité qui est
contingente ou conditionnelle. Dans Southern
Rly. of Peru Ltd. c. Owen [1957] A.C. 334,
l'intimée qui opérait un chemin de fer était
obligée, en vertu de la loi péruvienne, de faire
des paiements de compensation déterminés
selon une règle fixe, à un employé à la fin de
son emploi, montants, cependant, dont le paie-
ment était incertain puisque, dans certains cas,
il pouvait les perdre. Le résumé du jugement
explique bien de quelle façon la compagnie pro-
céda pour établir le montant de la réserve:
[TRADUCTION] La compagnie déclare avoir droit d'imputer
sur les recettes de chaque année le coût des montants
prévus pour faire face aux paiements de retraite qu'elle
devrait en fin de compte verser, en faisant le calcul des
sommes nécessaires au versement à tout employé, s'il pre-
nait sa retraite à la fin de l'année sans être déchu de ses
droits, et en mettant de côté l'ensemble de ce qui était
nécessaire, dans la proportion de l'année à l'ensemble.
La Chambre des Lords n'accepta pas, cepen-
dant, que la compagnie déduise comme dépen-
ses du revenu de chaque année le coût des
montants prévus pour faire face aux paiements
de retraite qu'elle pouvait éventuellement être
obligée de payer. La Cour, cependant, n'établit
aucun principe de base pour fonder son refus et
Lord Radcliffe s'exprima ainsi (à la page 355):
[TRADUCTION] Quoi qu'il en soit, il ressort clairement de
ma citation susmentionnée qu'il n'y a rien d'incorrect à
admettre des évaluations ou des estimés si, ce faisant, la
balance des recettes d'une année et du coût de leur obten-
tion ou des dépenses d'une année et des fruits en découlant
est plus exacte. La Cour d'appel et cette Chambre ont, en
fait, demandé de tels estimés dans l'affaire Harrison c. John
Cronk & Sons Ltd. [1937] A.C. 185; cette Chambre fit à
nouveau cette demande dans l'affaire Absalom c. Talbot
[1944] A.C. 204. Voir aussi le jugement de Lord Greene,
M.R., dans l'affaire Johnson c. Try Ltd. [1946] 27 T.C. 167.
A mon avis, la décision rendue dans cette dernière affaire
illustre bien le point selon lequel, si désirable soit-il d'intro-
duire une évaluation ou un estimé pour mieux équilibrer les
comptes d'une année, il ne peut pas être juste de le faire si
les données qui doivent être introduites sont «envelop-
pées ... de contingences et d'incertitudes», et sont trop
imprécises pour être vraiment considérées comme recettes.
Ce qui est vrai des recettes, vaut pour le passif. A mon avis,
c'est ce point qui constitue la véritable difficulté en
l'espèce.
Dans la plupart des causes fiscales, l'on n'ac-
cepte que les montants dont la quantité exacte
est établie. Ce qui veut dire que les montants
provisoires ou estimés sont ordinairement reje-
tés et il n'est pas recommandable de calculer les
profits imposables en utilisant des données qui
sont conditionnelles, contingentes ou incertai-
nes. Il faut, en effet, pour que les montants
provisoires ou les estimés soient acceptés, qu'ils
soient sûrs. Il est, d'autre part, toujours difficile
de trouver une procédure qui permet d'arriver à
un chiffre qui est sûr. Les comptables sont
toujours enclins à prévoir des réserves pour des
exigibilités non liquidées, car s'ils ne le font pas,
l'état financier ne reflètera pas l'état véritable
des affaires du client. La difficulté vient du fait
que le but principal d'une comptabilité n'est pas
de permettre la détermination de la dette fiscale
du contribuable. En fait, le rapport comptable
est destiné à indiquer d'une façon générale au
contribuable l'état de ses affaires pour lui per-
mettre de les poursuivre en toute connaissance
de cause. _Pour atteindre cette fin, il n'est pas
nécessaire que le profit indiqué soit précis mais
il doit représenter raisonnablement ce profit,
tandis que la loi de l'impôt exige qu'il soit précis
et, par conséquent, il est nécessairement arbi-
traire. Dans la cause de Southern Rly. of Peru
Ltd. c. Owen (supra),le comptable auditeur de la
compagnie déclara qu'il n'aurait pas signé l'état
financier de la compagnie à moins que la
réserve pour dettes futures n'ait été inscrite au
bilan. La Chambre des Lords, cependant, ne fut
pas influencée par cette déclaration et décida
quand même que la compagnie ne pouvait
déduire les montants payables que lorsque les
employés termineraient leur emploi. Dans
Southern Rly. of Peru Ltd. c. Owen (supra)
cependant, il s'agissait d'une réserve faite pour
des montants incertains que pouvait encourir la
compagnie dans l'avenir. Mais qu'arrive-t-il
lorsqu'il s'agit de montants certains mais qui ne
sont dus que dans une période comptable subsé-
quente? Dans une cause de Naval Colliery Co. c.
I.R.C., (1928) 12 T.C. 1017 (H.L.), il s'agissait
de tels montants et la Cour décida quand même
qu'il ne pouvait y avoir déduction de ces mon-
tants tant et aussi longtemps que la dépense
n'avait été faite. Lord Buckmaster, dans cette
cause, déclara en effet clairement que ces mon-
tants ne pouvaient être déduits que dans la
période où ils étaient en fait dépensés:
[TRADUCTION] Toutefois, selon les prétentions des appe-
lants, on ne déduit pas la dépense réelle, mais le besoin de
faire cette dépense, qui doit être évalué en leur faveur et
porté à leur compte. Le résultat de cette prétention serait
que l'intéressé pourrait choisir quelle période il préfère pour
porter cette somme à son compte, soit le moment où la
dépense devenait nécessaire, soit celui où elle était faite (p.
1040).
En règle générale, si une dépense déductible
du revenu est faite, elle doit être déduite en
calculant les profits pour la période dans
laquelle elle a été faite et non pas dans une
autre période.
La procédure adoptée par l'appelante de
déduire de son revenu les montants qu'elle
retient et qu'elle pourra un jour être obligée de
payer à son sous-traitant, mais que ce dernier
ne peut, cependant, exiger que dans les 35 jours
qui suivent l'approbation des travaux par l'ar-
chitecte, va, comme nous venons de le voir, à
l'encontre de la règle qu'une dépense ne peut
être déduite du revenu que pour la période où
elle a été faite, ce qui suffirait à disposer de cet
appel. Il y a, cependant, comme nous l'avons vu
plus haut, une raison additionnelle pour rejeter
cet appel et c'est que nous sommes en présence
de montants retenus qui sont non seulement
incertains quant au quantum si des dommages
partiels sont causés par des travaux mal faits
mais qui ne seront même plus dus ni payables si
les dommages excèdent la retenue. Comment,
dans ces circonstances, peut-on soutenir qu'il
s'agit là d'une charge certaine et actuelle et que
cette retenue dont l'appelante a la jouissance la
plus complète jusqu'à ce qu'elle paie les mon-
tants qui reviennent au sous-contracteur ou jus-
qu'à ce que la compensation soit opérée peut
être déduite par l'appelante au fur et à mesure
qu'elle les reçoit du propriétaire.
L'appel est, par conséquent, rejeté et l'inti-
mé aura droit à ses dépens taxés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.