Vapor Canada Limited (Demanderesse)
c.
John A. MacDonald, Railquip Enterprises Limit
ed et Vapor Corporation (Défendeurs)
N° 2
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Noël—Ottawa, les 19 août et 25 novem-
bre 1971.
Droits civils—Pratique—Témoin, a-t-il le droit de se faire
assister d'un avocat7—Déclaration canadienne des droits—
Droit d'intervention de l'avocat au procès, étendue.
La demanderesse a intenté une action contre trois défen-
deurs pour contrefaçon d'un brevet èt révélation de secrets
commerciaux. L'un des défendeurs a produit un affidavit de
W sur l'invention brevetée. W était dessinateur dans une
compagnie fabriquant l'article breveté mais n'était pas lui-
même défendeur. W s'est présenté, accompagné d'un
avocat, au cabinet des procureurs des défendeurs à Mon-
tréal, pour être contre-interrogé sur son affidavit. La
demanderesse a demandé à la Cour une ordonnance interdi-
sant à W de se faire représenter par un avocat.
Arrêt: La requête est rejetée mais il a été jugé que si
l'avocat d'un témoin peut assister au contre-interrogatoire
de son client sur un affidavit et l'aider de ses conseils, il ne
peut intervenir au procès qu'en cas d'atteinte aux droits ou
aux intérêts fondamentaux de son client que garantit la Dé-
claration canadienne des droits, par exemple à son droit de
protection, qu'énoncent les art. 4(1) et 5 de la Loi sur la
preuve au Canada contre la fourniture de preuves contre
soi-même.
REQUFTE.
Redmond Quain pour la demanderesse.
J. Nelson Landry pour les défendeurs.
R. H. Barrigar pour l'auteur de l'affidavit.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NORL—La
demanderesse sollicite dans la présente requête
l'émission d'une ordonnance interdisant à
Robert Watkin, employé de la Canadian Pacific
Limited, de se faire représenter par un avocat
lorsque les défendeurs l'interrogeront sur son
affidavit qu'ils ont produit. Cette requête pro-
vient du fait que Watkin s'est présenté le 16
novembre 1970, en compagnie d'un avocat, M°
Barrigar, au cabinet des procureurs des défen-
deurs, afin d'y subir le contre-interrogatoire de
l'avocat de la demanderesse'.
Ce dernier n'a pas laissé le temps à Me Barri -
gar d'intervenir au procès et s'est vigoureuse-
ment opposé au simple fait qu'il assiste à l'ins-
tance; n'eut été le fait que Me Barrigar a estimé
à ce moment-là avoir le droit non seulement
d'assister au contre-interrogatoire de M.
Watkin, niais également d'y intervenir. par voie
d'objections ou de questions, j'aurais été porté
à rejeter la requête de la demanderesse au motif
que, comme il se peut très bien que Me Barrigar
n'intervienne pas au procès, il n'y aurait absolu-
ment aucune nécessité d'étudier la requête s'il
n'intervenait pas. Me Barrigar a adopté ce point
de vue devant moi, ajoutant cependant que
comme les intérêts du témoin Watkin diffé-
raient de ceux des défendeurs, il avait le droit
d'être représenté et protégé par un avocat qui
pourrait participer au procès. Il a également
soutenu qu'il s'agissait là d'un droit reconnu à
tout témoin par l'article 2d) de la Déclaration
canadienne des droits, que voici:
. . . en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter
ni s'appliquer comme
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un
office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une
personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un
avocat, la protection contre son propre témoignage ou
l'exercice de toute garantie d'ordre constitutionnel;
Il s'agit, en l'espèce, de la contrefaçon d'un
brevet portant sur des radiateurs et de la préten-
due révélation de secrets commerciaux. Il se
peut, par conséquent, que le témoin se trouve
impliqué dans un acte frauduleux que sanc-
tionne le Code criminel. Le témoin, dessinateur
au service de la Canadian Pacific Limited, tra-
vaille à la fabrication d'un élément de l'inven-
tion brevetée. Cette compagnie a consulté le
cabinet de Me R. H. Barrigar qui a ensuite
rencontré le témoin Watkin. Ce dernier, dans
l'affidavit qu'il a produit le 18 novembre 1971
sur l'invention brevetée, déclare que tout ce
qu'il a affirmé sous serment concerne l'exercice
de ses tâches et responsabilités en tant qu'em-
ployé de la Canadian Pacific Limited. Il déclare
également être convaincu que ses intérêts, en
tant qu'auteur de l'affidavit, diffèrent de ceux
de la demanderesse Vapor Canada Limited et
de ceux des défendeurs John A. MacDonald,
Railquip Enterprises Ltd. et Vapor Corporation.
Il déclare aussi n'avoir jamais été antérieure-
ment appelé à témoigner au cours d'un procès
et n'avoir aucune idée du genre des questions
que l'on peut poser ou ne pas poser. Il a terminé
en disant qu'il n'était pas convaincu que l'avo-
cat de l'un quelconque des défendeurs puisse
convenablement représenter ses intérêts et a
affirmé en particulier que s'il n'était pas repré-
senté par Me Barrigar ou l'un des avocats de son
choix lors du contre-interrogatoire portant sur
son affidavit, ceci pourrait nuire à ses droits et
à ses intérêts.
A l'audience, l'avocat de la demanderesse a
exprimé l'avis que seules les parties à une
action intentée devant la Cour pouvaient se
faire représenter par un avocat, mais non les
témoins. Il s'est cependant incliné lorsque la
Cour a fait valoir la règle d'après laquelle les
procès doivent se dérouler publiquement à
moins que, pour une raison particulière, la Cour
ne décide d'entendre la cause à huis clos. En
l'espèce, les débats sont publics, aucune ordon-
nance de la Cour n'étant venue autoriser l'audi-
tion de la cause à huis clos. Cela ne signifie pas
cependant que le fait d'assister au contre-inter-
rogatoire, en tant qu'officier de la Cour aux
termes de l'article 11(3) de la Loi sur la Cour
fédérale ou simplement comme spectateur,
donne à l'avocat carte blanche pour contre-
interroger le témoin ou s'opposer à toute ques
tion qui lui serait posée. Il s'agit là, évidem-
ment, d'une fonction ne relevant que de l'avocat
des parties; aucun autre avocat n'a le droit
d'intervenir à moins, évidemment, que l'on ne
refuse de reconnaître ou de sauvegarder les
droits fondamentaux du témoin, auquel cas la
Déclaration canadienne des droits pourrait s'ap-
pliquer. Ceci, cependant, ne devrait se produire
que dans des cas exceptionnels, seulement en
cas de violation de ces droits fondamentaux et,
à mon avis, ne donne pas automatiquement au
témoin le droit de s'entourer des services d'un
avocat. Si l'on permettait à une telle pratique de
se développer, le principe de la procédure con-
tradictoire, base de tous les procès devant nos
tribunaux, se détériorerait rapidement et l'effet
bénéfique du contre-interrogatoire révélateur
des faits serait amoindri et même dans certains
cas, complètement perdue. Je ne pense pas que
le Parlement, en adoptant la Déclaration cana-
dienne des droits, entendait supprimer ou écar-
ter ce moyen efficace de dégager les faits. A
mon avis, la Déclaration canadienne des droits
vise à protéger les droits fondamentaux; c'est
ce qu'il faut garder à l'esprit en lisant ses arti
cles, notamment l'article 2d). Lorsqu'un témoin
se place par son témoignage dans une situation
où il peut fournir des preuves contre lui-même
et se voir refuser les garanties constitutionnelles
des articles 4(1) et 5 de la Loi sur la preuve au
Canada, qui prévoit qu'aucune réponse de sa
part ne peut faire preuve contre lui-même s'il
requiert une telle protection et l'application des
autres garanties constitutionnelles, telles que,
par exemple, la présomption d'innocence et le
bénéfice du doute, qui ne s'appliquent pas en
l'espèce présente, il peut alors avoir besoin de
l'aide ou de l'assistance d'un avocat (le texte
français utilise le terme secours). Lorsque, d'au-
tre part, il est simplement appelé à témoigner
sur des matières n'impliquant aucune incrimina
tion ou ne mettant en cause aucune autre garan-
tie constitutionnelle, il doit répondre aux ques
tions qui lui sont posées et aucun avocat ne doit
intervenir en sa faveur.
Il s'ensuit, à mon avis, que l'avocat du témoin
peut assister au contre-interrogatoire de son
client sur son affidavit et l'aider de ses conseils.
Il ne peut cependant intervenir au procès, à
moins qu'il ne soit porté atteinte aux droits ou
aux intérêts personnels fondamentaux que son
client tient de la Déclaration canadienne des
droits, ce qui en l'espèce signifie à mon avis le
droit de ne pas fournir de preuves contre lui-
même, (la protection contre son propre témoi-
gnage) par le témoignage qu'il peut être appelé à
donner ou son droit aux garanties constitution-
nelles qui lui sont reconnues (toute garantie
d'ordre constitutionnel). Ceci, cependant, ne
doit pas s'interpréter comme autorisant l'avocat
du témoin à empêcher ou à entraver indûment
l'important processus du contre-interrogatoire
du témoin. Si l'avocat venait à se conduire ainsi,
la Cour, sur requête, se verrait dans l'obligation
de refuser à cet avocat le droit de se présenter,
tout en laissant cependant au témoin la liberté
de s'entourer des services d'un autre avocat.
L'avocat du Canadian National, qui s'est éga-
lement présenté sur la requête, a déclaré qu'il
était dans la même situation que l'avocat du
témoin du fait qu'un certain nombre d'employés
de cette compagnie seraient appelés à témoi-
gner. En pareil cas, les droits de l'avocat d'as-
sister à l'instance seront semblables à ceux de
l'avocat du présent témoin et seront pareille-
ment limités.
La requête ci-dessus est rejetée. Dépens à
suivre la cause.
'[A Montréal—Ed.]
2 La façon dont les témoins peuvent déposer en justice est
exposée aux articles 306 et suivants, et plus particulière-
ment à l'article 314 du Code de procédure civile du Québec
qui précise:
314. Lorsque la partie a terminé l'interrogatoire du
témoin qu'elle a produit, toute autre partie ayant des
intérêts opposés peut le contre-interroger sur tous les
faits du litige et établir de toutes manières les causes de
reproche contre lui.
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