Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

In re La Commission d'appel du droit d'auteur et l'Association canadienne des radiodiffuseurs
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge en chef adjoint Noël et le juge suppléant Perrier— Ottawa, les 23 juin et 8 juillet 1971.
Cour d'appel—Droit d'auteur—Compétence pour exami ner une décision d'un tribunal fédéral—Est-elle rétroactive? —Commission d'appel du droit d'auteur—Homologation d'état de redevances—Quand devient-elle une décision de la Commission—Nécessité de publier dans la Gazette du Cana- da—Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1952, c. 55, art. 50— Loi sur la Cour fédérale, art. 28 et 61.
Un état de redevances homologué par la Commission d'appel du droit d'auteur le 17 mai 1971 conformément à l'art. 50 de la Loi sur le droit d'auteur a été dûment publié dans la Gazette du Canada le ler juin 1971.
Arrêt: (le juge en chef adjoint Noël étant dissident) La Cour d'appel n'a pas compétence, en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, pour examiner la décision de la Commission.
Le juge en chef Jackett et le juge suppléant Perrier: En vertu de l'art. 61(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la compétence d'examen conférée à la Cour ne peut s'exercer qu'en matière de décisions rendues après l'entrée en vigueur de la Loi, savoir le Pr juin 1971. La décision de la Commis sion a été rendue avant la publication de l'état homologué dans la Gazette du Canada.
Le juge en chef adjoint Noël, dissident: La décision de la Commission ne devenait valide qu'au moment de sa publica tion dans la Gazette du Canada. En outre, en vertu de l'art. 61(2) de la Loi sur la Cour fédérale, la compétence d'exa- men de la Cour peut, en règle générale, s'exercer en matière de décisions rendues avant le ler juin 1971 et l'art. 61(1) ne lui retire pas cette compétence lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on ne pouvait faire appel de la décision avant l'entrée en vigueur de la Loi.
Jurisprudence suivie: National Indian Brotherhood v. Juneau [No 2] précité, p. 73.
DEMANDE.
John D. Richard pour l'Association cana- dienne des radiodiffuseurs, requérante.
Yves Fortin et Paul Amos pour le Sound Recording Licences (SRL) Ltd.
G. W. Ainslie, c.r., et J. E. Smith pour la Société Radio-Canada.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—I1 s'agit d'une demande présentée par le requérant dans le but d'obtenir un délai supplémentaire lui permettant de déposer un avis de demande d'examen et d'annulation d'une décision de la Commission d'appel du droit d'auteur.
La demande se fonde sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, dont la partie suivante nous intéresse plus particulièrement:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi-judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
(2) Une demande de ce genre peut être faite par le procureur général du Canada ou toute partie directement affectée par la décision ou l'ordonnance, par dépôt à la Cour d'un avis de la demande dans les dix jours qui suivent la première communication de cette décision ou ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à cette partie par l'office, la commission ou autre tribunal, ou dans le délai supplémentaire que la Cour d'appel ou un de ces juges peut, soit avant soit après l'expiration du délai de ces dix jours, fixer ou accorder.
Je siégeais seul au moment la requête me fut présentée. Comme il m'a semblé qu'on met- tait sérieusement en doute la compétence de cette Cour d'accueillir la demande d'examen pour laquelle était demandé un délai supplémen- taire, j'ai retardé l'audition de la requête préfé- rant qu'elle soit entendue par au moins trois juges de cette Cour.
L'affaire a maintenant été plaidée dans les détails devant le juge en chef adjoint, le juge suppléant Perrier et moi-même.
Tout d'abord, il faut dire que si cette Cour a compétence pour accueillir la demande d'exa- men de la décision de la Commission d'appel du droit d'auteur, j'estime que nous devrions accorder un délai supplémentaire de dix jours, commençant à courir à la date de l'ordonnance statuant sur cette demande. Par contre, si cette Cour juge que cette compétence lui échappe, j'estime qu'il faudra rejeter cette demande.'
La décision de la Commission d'appel du droit d'auteur qui nous occupe est publiée à la page 16 de l'Édition spéciale 8, Vol. 105 de la Gazette du Canada, Partie 1 dont voici le texte:
La Commission d'appel du droit d'auteur approuve par les présentes les états ci-annexés des honoraires, redevan- ces ou tantièmes que la Sound Recording Licences (SRL) Ltd. pourra percevoir à l'égard des licences qu'elle aura accordées ou délivrées pour l'exécution au Canada de ses oeuvres musicales ou dramatico-musicales pendant l'année civile 1971.
Le président, A. L. THURLOW Membre, JEAN MIQUELON Membre, PAUL OLLIVIER Ottawa, le 13 mai 1971
L'article 61 de la Loi sur la Cour fédérale dispose ainsi de la compétence que confère la Loi:
61. (1) Lorsque la présente loi crée un droit d'appel devant la Cour d'appel ou le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'article 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance, ce droit s'applique à l'exclusion de tout autre droit d'appel, à un jugement, une décision ou une ordonnance rendus ou établis après l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins que, dans le cas d'un droit d'appel, il n'y ait eu à ce moment un droit d'appel devant la Cour de l'Échiquier du Canada.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), toute compétence conférée par la présente loi doit être exercée relativement aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la présente loi.
J'ai résoudre un problème de compétence similaire quelques jours avant que l'on plaide la présente requête, lorsqu'on m'a demandé des directives au sujet d'une demande présentée en vertu de l'art. 28 et déposée à propos d'une «décision» rendue avant le ler juin 1971, 2 c'est-à-dire avant que la Loi sur la Cour fédérale entre en vigueur. J'avais alors refusé de répon- dre à cette demande tant qu'on n'aurait pas déterminé si la Cour avait compétence en la matière, j'avais toutefois donné, à titre pure- ment indicatif, l'opinion suivante concernant cette question de compétence:
Indépendamment de toute autre question relative à l'ap- plication de l'art. 28(1) aux circonstances de l'espèce, la requête est à première vue une requête en annulation d'une »décision ou ordonnance» rendue le 28 mai 1971, tandis que l'art. 61(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit entre autres que »lorsque la présente loi crée ... le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'art. 28, d'exami- ner et rejeter une décision ou ordonnance, ce droit ... s'ap- plique à ... une décision ou ordonnance rendue ou établie après l'entrée en vigueur de la présente loi ... », et que la Loi sur la Cour fédérale est entrée en vigueur par proclama tion le ler juin 1971. A mon avis, il en résulte que l'art. 28(1) n'accorde aucun droit de demander l'examen et l'annulation d'une »décision ou ordonnance» rendue le 28 mai 1971 et, partant, que cette Cour n'a pas compétence en l'espèce.
Si l'opinion, que j'ai donnée à l'époque à titre indicatif est correcte, il s'ensuit que la Cour n'a pas compétence en vertu de l'art. 28(1) pour accueillir une demande d'examen ou d'annula- tion d'une décision de la Commission d'appel du droit d'auteur rendue ou établie le 13 mai 1971.
Le requérant fait valoir que sa thèse, selon laquelle la Cour a compétence pour accueillir la demande d'examiner et d'annuler, en vertu de l'art. 28(1), la décision que les membres de la Commission d'appel du droit d'auteur ont signée le 13 mai 1971, a un double fondement. En premier lieu, soutient-il, le document en question n'a acquis le caractère «d'une décision ou ordonnance» de la Commission d'appel du droit d'auteur qu'au moment de sa publication dans le numéro du ler juin 1971 de la Gazette du Canada. En second lieu, poursuit-il, même s'il s'agissait «d'une décision ou ordonnance» «rendue ou établie» avant le ler juin 1971, la compétence qu'accorde à la Cour l'art. 61(2) ne lui est nullement retirée par l'art. 61(1).
L'argument selon lequel la Commission d'ap- pel du droit d'auteur n'a pas «rendu ou établi» sa décision avant le l e> juin 1971 s'appuie sur l'art. 50 de Loi sur le droit d'auteur, et plus particulièrement sur les paragraphes suivants de cet article:
(6) Aussitôt que la chose est praticable après que le Ministre a déféré à la Commission d'appel du droit d'auteur les états des honoraires, redevances ou tantièmes à perce- voir, ainsi que les objections, s'il en est, qu'il a reçues contre ces états, la Commission procède à l'examen des états et des objections, s'il en est, et peut elle-même, sans qu'aucune objection n'ait été présentée, s'arrêter aux points qui, à son avis, donnent lieu à objections. A l'égard de chaque objection, la Commission doit aviser l'association,
société ou compagnie intéressée de la nature de l'objection
soulevée, et lui procurer l'occasion d'y répondre.
* * *
(8) Lorsqu'elle a terminé son examen, la Commission d'appel du droit d'auteur apporte aux états les altérations qui lui semblent judicieuses, puis elle transmet au Ministre les états ainsi altérés, révisés ou maintenus, lesquels sont certifiés comme étant des états homologués. Aussitôt que la chose est praticable après la réception de ces états ainsi homologués, le Ministre les fait publier dans la Gazette du Canada et en fournit une copie à l'association, société ou compagnie intéressée.
(9) Les états des honoraires, redevances ou tantièmes ainsi certifiés comme homologués par la Commission d'ap- pel du droit d'auteur sont les honoraires, redevances ou tantièmes que l'association, société ou compagnie intéressée peut respectivement réclamer ou percevoir légalement en paiement des licences qu'elle a émises ou accordées pour l'exécution de toutes ses oeuvres au Canada, ou de l'une quelconque d'entre elles, durant l'année civile suivante et à l'égard desquelles les états ont été déposés comme il est susdit.
(10) Aucune pareille association, société ou compagnie n'a le droit de poursuivre ou de demander l'application d'un recours civil ou sommaire contre la violation d'un droit d'exécution subsistant dans une oeuvre dramatico-musicale ou musicale, réclamé par cette association, société ou com- pagnie contre quiconque a payé ou offert de lui payer les honoraires, redevances ou tantièmes homologués comme il est susdit.
Le requérant souligne que le par. (8) exige que la Commission d'appel du droit d'auteur, lors- qu'elle a terminé l'examen d'un cas, «apporte ... les altérations» aux états, certifie les états et les «transmette» au Ministre qui est tenu, par le même paragraphe, de «faire publier» dans la Gazette du Canada les états ainsi «homologués» et d'en «fournir» copie à l'association, société ou compagnie intéressée. Les- états, soutient-il,
n'acquièrent le caractère «d'états . homolo- gués par la Commission d'appel du droit d'au- teur», au sens des par. (9) et (10) de l'art. 50, qu'au moment on a satisfait à chacune de ces exigences.
La Société Radio-Canada, qu'un avocat a représentée pour appuyer la présente demande, soutient la thèse du requérant. Le représentant de la Société résume ainsi la position de cette dernière sur ce point:
[TRADUCTION] Nous alléguons qu'eu égard aux dispositions législatives de l'article 50 de la Loi sur le droit d'auteur, et en tenant compte d'une façon plus particulière du paragra-
phe (8), il est impossible de soutenir que la Commission d'appel du droit d'auteur ait pu, en droit, rendre ou établir son ordonnance ou sa décision avant le 1e , juin.
Indépendamment de la justesse de l'argument selon lequel les par. (9) et (10) n'ont pas d'effet tant que le Ministre ne s'est pas conformé aux dispositions du par. (8), c'est-à-dire faire publier et distribuer copie des états homologués, ques tion sur laquelle je ne vois pas la nécessité de me prononcer ici, il me semble que la Commis sion d'appel du droit d'auteur a exercé ses fonc- tions et a rendu ou établi sa décision ou ordon- nance lorsqu'elle a modifié les états, si besoin en était, et les a transmis au Ministre comme «états homologués». Dans le cas qui nous occupe, il est clair que ceci a été fait avant le ler juin 1971. En conséquence, j'estime que la Commission a rendu ou établi sa décision ou ordonnance avant le l er juin 1971.
J'en viens maintenant à l'argument subsidiaire qu'invoque le requérant pour soutenir que la présente Cour a compétence pour accueillir la demande qu'il a formulée en vertu de l'art. 28(1). Sa thèse est la suivante: même si la Commission d'appel du droit d'auteur a rendu ou établi son ordonnance ou décision avant le ler juin 1971, la compétence qu'accorde à la Cour l'art. 61(2) ne lui est nullement retirée par l'art. 61(1).
Je crois utile de rappeler ici les dispositions de l'art. 61:
61. (1) Lorsque la présente loi crée un droit d'appel devant la Cour d'appel ou le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'article 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance, ce droit s'applique, à l'exclusion de tout autre droit d'appel, à un jugement, une décision ou une ordonnance rendus ou établis après l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins que, dans le cas d'un droit d'appel il n'y ait eu à ce moment un droit d'appel devant la Cour de l'Échiquier du Canada.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), toute compétence conférée par la présente loi doit être exercée relativement aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la présente loi.
Il me sera beaucoup plus facile d'examiner et d'expliquer les arguments que les parties avan- cent à l'appui de cette partie de leur thèse si j'analyse d'abord cet article en faisant abstrac tion de ces arguments.
Je dirais tout d'abord qu'il me semble claire- ment établi qu'un droit d'appel est un droit
positif. Le principe étant que toute loi portant atteinte à un droit positif n'a aucun effet rétroactif, sauf disposition législative expresse au contraire.' Le même principe devrait s'appli- quer, me semble-t-il, à une loi qui confère un droit d'examen comme celui de l'art. 28. A la lumière de ce principe fondamental, l'art. 61(1), tel qu'il m'apparaît, constitue une mesure pour rendre rétroactifs, jusqu'à un certain point, les droits d'appel aussi bien que les droits d'exa- men de l'art. 28 que crée la Loi sur la Cour fédérale.
Après une lecture rapide de l'art. 61(1), et sans oublier que la loi est entrée en vigueur le ler juin 1971, il me semble que lorsque la Loi sur la Cour fédérale crée
a) un «droit» d'appel devant la Cour d'appel, ou
b) un «droit» de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'art. 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance,
ce «droit» s'applique à un jugement, une déci- sion ou une ordonnance rendus ou établis le ler juin 1971, ou après cette date, même s'ils sont rendus ou établis au cours de poursuites inten- tées avant cette date; c'est dans cette mesure que l'article donne effet rétroactif au droit ainsi créé. Deux clauses accessoires s'ajoutent à cette disposition simple et claire. Premièrement, en vertu des derniers mots de l'art. 61(1), le principe qu'énonce ce paragraphe ne s'applique pas à un droit d'appel qui existait déjà sous forme de droit d'appel devant la Cour de l'Échi- quier du Canada. (Pour des raisons évidentes ce droit d'appel devrait s'appliquer à des juge- ments, ordonnances ou décisions rendus avant le ler juin 1971 et devrait dès lors relever de l'art. 61(2)). Deuxièmement, un «droit» d'appel devant la Cour d'appel d'un jugement, d'une ordonnance ou d'une décision rendus le ler juin 1971, ou après cette date, s'applique «à l'exclu- sion de tout autre droit d'appel», ce qui signifie, à mon avis, que lorsque la loi crée un «droit d'appel» devant la Cour d'appel d'un jugement particulier, d'une décision ou d'une ordonnance,
ce droit s'applique, à l'exclusion de tout autre droit qui autrement existerait d'interjeter appel de ce jugement, cette décision ou cette ordon- nance, devant tout autre tribunal. (La plus évidente, sinon la seule raison de cette règle subsidiaire est d'éliminer les appels devant la Cour suprême du Canada de ces jugement, déci- sion ou ordonnance dans le cas de poursuites intentées avant le lei juin 1971).
En d'autres termes, de la lecture rapide de l'art. 61(1), je retiens ceci:
a) cet article crée un droit d'appel devant la Cour d'appel (dans le cas il n'existait aupa- ravant aucun droit d'appel devant la Cour de l'Échiquier), et le droit de demander un examen en vertu de l'art. 28; ce double droit est rétroactif dans la mesure il s'applique aux jugements, décisions ou ordonnances rendus ou établis le l er juin 1971, ou après cette date, et
b) il abolit tout appel devant tout autre tribu nal chaque fois que la Loi sur la Cour fédé- rale a créé un droit d'appel devant la Cour d'appel.
Si l'on considère maintenant l'art. 61(2), l'on y découvre un principe sur la rétroactivité des dispositions de la Loi sur la Cour fédérale qui ont trait à la compétence de cette Cour; «sous réserve du paragraphe (1)» signifie, à mon avis, que le principe de l'art. 61(2) ne s'applique qu'aux cas dont n'a pas disposé l'art. 61(1).
Je reviens maintenant aux arguments que les parties ont avancés pour soutenir que la compé- tence qu'accorde à la Cour l'art. 61(2) ne lui est nullement retirée par l'art. 61(1).
Si j'ai bien compris l'avocat du requérant, ce dernier entend que les mots «à l'exclusion de tout autre droit d'appel» régissent l'art. 61(1) de telle sorte que, si un tribunal rend une décision ou une ordonnance dont il était auparavant impossible d'interjeter appel—et c'est le cas des décisions de la Commission d'appel du droit d'auteur—l'art. 61(1) ne s'applique pas à ces décisions mais l'art. 61(2) permet à l'art. 28(1) de s'appliquer «aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la loi.»
La Société Radio-Canada pousse cet argu ment jusqu'à sa conclusion logique. Sa thèse est, à mon sens, la suivante: l'art. 61(1) a pour effet d'exclure «tout autre droit d'appel»; à aucun moment, il ne donne effet rétroactif aux dispositions de la loi qui créent un droit d'appel devant la Cour d'appel ou à la disposition (art. 28(1)) qui crée le droit de demander un examen. De la manière dont je comprends cette thèse, l'art. 61(2) est la règle générale, c'est elle qui fait que tous les droits d'appel devant la Cour d'appel créés par la loi, et les droits d'examen créés par l'art. 28(1), s'appliquent aux questions «soulevées soit avant soit après» l'entrée en vigueur de la loi.
Pour rendre justice à cette thèse, je cite, du mémoire remarquable que l'avocat de la Société Radio-Canada a soumis à cette Cour, les extraits pertinents.
[TRADUCTION] 5. A titre subsidiaire, si la Commission d'appel du droit d'auteur a rendu sa décision ou son ordon- nance avant le Zef juin 1971, la Cour d'appel n'en a pas moins compétence pour rejeter cette ordonnance, confor- mément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et en vertu du 2e paragraphe de l'article 61 de cette même loi, qui donne effet rétroactif à la compétence que confère à la Cour d'appel l'article 28 de la loi. L'article 61(2) prévoit ce qui suit:
61. (2) Sous réserve du paragraphe (1), toute compé- tence conférée par la présente loi doit être exercée relati- vement aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la présente loi.
6. Le premier paragraphe de l'article 61 n'a pas pour effet, dans l'affaire qui nous occupe, de retirer à la Cour d'appel la compétence que lui donne le second paragraphe de ce même article. Nous attirons l'attention sur les passa ges suivants du premier paragraphe:
61. (1) Lorsque la présente loi crée ... le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'article 28, de rejeter ... une décision, ce droit s'applique, à l'exclusion de tout autre droit d'appel à ... une décision ou ordon- nance rendus ou établis après (le 1e" juin 1971).
7. Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédé- rale, il était impossible d'interjeter appel d'une décision de la Commission d'appel du droit d'auteur. En l'absence de tout droit d'appel préexistant, le principe qui veut que le droit d'examen s'applique à l'exclusion de tout autre droit d'appel, devient inopérant.
* * *
8. En matière d'interprétation des lois, la règle est que les droits d'appel, qui sont des droits positifs, ne soient pas touchés par l'abrogation des lois qui les ont créés et qu'ils continuent d'exister malgré l'abrogation de ces lois, sauf
disposition contraire expresse de la loi. Le but du premier paragraphe de l'article 61 est de prévoir d'une façon précise que dans le cas de décisions ou d'ordonnances rendues après le ler juin 1971, les parties au litige ne pourraient plus exercer le droit d'appel que leur conféraient les articles des lois que l'article 64 de la Loi sur la Cour fédérale a abrogés. Cependant, dans le cas des décisions ou ordonnances ren- dues avant le ler juin, les droits acquis en matière d'appel conférés aux parties par les articles de ces lois, que l'article 64(3) a abrogés, ne sont nullement affectés.
(Remarquons que l'avocat de la Société Radio-Canada, dans l'extrait de l'art. 61(1) qu'il cite au sixième paragraphe de son mémoire, a omis la virgule qui suit l'expression «à l'exclu- sion de tout autre droit d'appel», ce qui lui fait perdre le caractère de simple parenthèse que son insertion entre deux virgules lui donne dans le texte du législateur. Je suis certain qu'il ne s'agit que d'une pure erreur typographique, mais qui n'en a pas moins pour effet d'apporter à la thèse de l'auteur un soutien qui en réalité n'existe pas.)
Si la thèse de l'avocat de la Société Radio- Canada est juste, une de ses conséquences est le chevauchement des droits d'appel des déci- sions ou ordonnances que certains tribunaux ont rendues ou établies avant le l er juin 1971, c'est-à-dire de l'ancien droit d'appel devant la Cour suprême du Canada et du nouveau droit devant la Cour d'appel. C'est le résultat que l'on obtient, me semble-t-il, si l'on tient pour vrai que l'art. 61(2) confère un effet rétroactif absolu aux poursuites fondées sur l'art. 28(1), et que l'art. 61(1) supprime simplement les anciens appels des décisions ou des ordonnances ren- dues ou établies le ler juin 1971, ou après cette date. Il s'ensuit que l'art. 61(2) accorde un effet rétroactif absolu aux droits d'appel devant la Cour d'appel et que l'art. 61(1) [TRADUCTION] «n'a pas pour effet ... de retirer à la Cour d'appel la compétence que lui accorde le par. (2).» Les droits d'appel concurrents ont déjà existé, mais il est peu vraisemblable qu'on ait eu l'intention de créer de tels droits à cette période de notre histoire judiciaire.
D'autre part, le sens de l'art. 61 tel que je l'ai dégagé après un examen préliminaire (comme je l'ai souligné plus haut) crée une situation qui, et c'est le moins que l'on puisse dire, est quelque peu difficile à justifier rationnellement. L'article 18 confère à la Division de première instance
une compétence exclusive pour émettre un bref de certiorari contre tout tribunal fédéral, et, en vertu de l'art. 61(2), ceci vaut aussi bien pour les questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la présente loi, mais, pratiquement, l'art. 28(3) lui enlève cette com- pétence en matière de certiorari lorsque la Cour d'appel peut, en vertu de l'art. 28(1), examiner et rejeter une décision ou une ordonnance. Il résulte de cette situation, à première vue, que la Division de première instance sera compétente en matière de certiorari, s'il s'agit d'une déci- sion ou d'une ordonnance rendue ou établie avant le ler juin 1971, et qu'elle perdra cette compétence lorsque la décision ou l'ordonnance aura été rendue ou établie après cette date, mais il sera alors possible de faire une demande d'examen en vertu de l'art. 28(1). Si cette Cour est appelée à avoir compétence en ces matières, et si la politique législative prévoit que cette compétence doit s'exercer sur demande en vertu de l'art. 28(1) lorsque la décision a été rendue ou établie le ler juin 1971 ou après cette date, on ne peut que se demander avec étonne- ment pourquoi la même procédure ne pourrait pas s'appliquer lorsque la décision ou l'ordon- nance a été rendue ou établie avant cette date. (On pourrait peut-être répondre en disant que l'art. 28 ne crée pas seulement une nouvelle procédure mais établit aussi de nouvelles règles de fond et qu'on aurait été amené à penser qu'on ne pouvait accorder qu'un effet rétroactif limité à ces nouvelles règles de fond.)
Si séduisante que m'apparaisse cette thèse, il m'est impossible de donner au texte de l'art. 61 l'interprétation de l'avocat de la Société Radio- Canada, qui en conclut que la Cour fédérale du Canada pourrait tirer de l'art. 28(1) compétence en matière d'examen des décisions de tous les tribunaux fédéraux.
Cette position soulève deux difficultés qui me semblent tout à fait insurmontables.
La première difficulté vient de ce que la thèse repose sur l'hypothèse selon laquelle l'art. 61 agit en deux temps, à savoir en premier lieu, le par. (2) fait en sorte que la «compétence» que crée la Loi s'exerce pour des questions soule- vées «soit avant soit après» l'entrée en vigueur de la Loi, le paragraphe premier a alors une portée sans importance; et c'est ainsi que l'on
peut dire que [TRADUCTION] «le premier para- graphe ... n'a pas pour effet ... de retirer à la Cour d'appel la compétence que lui accorde le second paragraphe.» A mon avis, cette interpré- tation fait violence à l'article pris dans son ensemble. D'une part, les deux paragraphes entrent en vigueur en même temps, il ne saurait être question que le premier révoque une com- pétence par poser le principe particulier qui s'applique à certains «droits» d'appel et d'exa- men, principe que l'on trouve à l'art. 61(1), puis il pose le principe général qui précise les limites de la compétence créée par la Loi; c'est à l'art. 61(2) qu'on trouve ce principe général qui s'ap- plique «sous réserve du par. (1)», c'est-à-dire qu'il s'applique dans tous les cas le principe particulier du premier paragraphe ne s'applique pas.
La seconde difficulté que soulève l'interpré- tation donnée par la Société Radio-Canada de l'art. 61 vient de ce qu'elle déforme le sens grammatical ordinaire du premier paragraphe. Le premier paragraphe dit ceci: un «droit» d'ap- pel devant la Cour d'appel ou un «droit» de faire une demande en vertu de l'art. 28 «s'appli- que ... à une décision ... rendue . .. après l'en- trée en vigueur de cette loi.» Il ajoute incidem- ment que ce droit s'applique aussi «à l'exclusion de tout autre droit d'appel». Dire que l'unique effet de ce paragraphe est d'abolir les droits d'appel devant les autres cours lorsqu'il existe un droit d'appel ou un droit d'examen en vertu de l'art. 28, c'est ne pas tenir compte de la partie la plus importante de l'art. 61(1). 4
A mon avis, après avoir examiné avec la plus grande attention les arguments à l'appui de cette demande,
a) l'art. 61(1) a pour but, premièrement, de donner effet rétroactif aux dispositions qui créent des droits d'appel devant la Cour d'ap- pel et aux droits d'examen de l'art. 28, pour qu'ils puissent s'appliquer aux jugements, aux ordonnances ou aux décisions rendus ou éta- blis le ler juin 1971, ou après cette date, et, deuxièmement, d'abolir les droits d'appel devant la Cour suprême du Canada ou devant toute autre cour dans les cas existaient de tels droits, et
b) l'art. 61(2) a pour but de donner effet rétroactif général aux autres mesures juridic- tionnelles de la Loi.
Ceci étant, il n'existe aucune disposition qui permette d'appliquer rétroactivement l'art. 28(1) aux décisions ou ordonnances rendues ou établies avant le l ei juin 1971. La Cour d'appel n'a, dès lors, aucune compétence pour entendre la demande qui fait l'objet de la présente requête.
Puisque la Cour d'appel n'a pas compétence pour accueillir la demande d'examen en vertu de l'art. 28(1), j'estime qu'elle doit refuser la prolongation du délai qui eût permis de présen- ter une telle demande.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOËL (dissi- dent)—J'ai eu l'avantage de lire les notes du juge en chef. Je m'abstiendrai donc d'entrer dans le détail des faits à l'origine de la présente demande présentée en l'espèce dans le but d'ob- tenir un délai supplémentaire permettant au requérant de déposer un avis de demande d'exa- men et d'annulation d'une décision de la Com mission d'appel du droit d'auteur.
Le but de cette demande est de donner à l'Association canadienne des radiodiffuseurs le pouvoir d'attaquer, grâce à la procédure d'exa- men de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, une décision de la Commission qui approuve les honoraires, redevances ou tantièmes que pourra percevoir la Sound Recording Licences (SRL) Limitée. Il s'agit de trancher le litige suivant, à savoir: la Sound Recording Licences (SRL) Limitée est-elle une association, société ou compagnie exerçant des opérations qui consis tent à acquérir des droits d'exécution d'oeuvres enregistrées. Cette question, à son tour, présup- pose qu'une société ou une personne qui a acquis par voie de cession tous les droits d'au- teur que les fabriquants de disques détenaient sur ceux-ci, a aussi acquis des droits d'exécu- tion sur ces oeuvres.
Si la Cour conclut qu'il est de sa compétence d'entendre cette demande, le délai sera accordé, sinon la demande sera rejetée.
Aux termes de ses notes, le juge en chef conclut que la décision de la Commission est antérieure au 1e 7 juin 1971, et puisque cette décision n'a pas été rendue le ler juin 1971 ou après cette date, l'art. 61(1) de la Loi sur la Cour fédérale enlève à la Cour toute compé- tence en la présente affaire.
En toute déférence, je dois avouer qu'il m'est impossible d'arriver à la même conclusion. Je pense en effet, que la Commission n'a pu «rendre ou établir» ou «given or made» pour reprendre l'expression de l'art. 61(1) de la loi, sa décision, tant que le Ministre, conformément au par. (9) de l'art. 50 de la Loi sur le droit d'auteur, (c. 55) n'a pas fait publier dans la Gazette du Canada les états d'honoraires homo- logués par la Commission. Il me semble que la décision de la Commission n'existe pas tant qu'on n'a pas rempli toutes ces conditions. Le par. (8) de l'art. 50 de la Loi sur le droit d'au- teur exige que la Commission transmettre au Ministre, qui doit alors les faire publier dans la Gazette du Canada, les états d'honoraires qu'elle a homologués. Les art. 48 et suivants de la Loi sur le droit d'auteur décrivent la constitu tion des sociétés qui détiennent des droits d'e- xécution et la procédure à suivre pour établir les tarifs des honoraires, redevances ou tantiè- mes qui, une fois certifiés par la Commission d'appel et publiés dans la Gazette du Canada, déterminent les sommes que doit verser toute personne exécutant des oeuvres dramatico-musi cales ou musicales pour lesquelles existe un droit d'auteur. Ces honoraires, redevances ou tantièmes sont les seuls que l'association, la société ou la compagnie intéressée peut respec- tivement réclamer ou percevoir légalement en paiement des licences qu'elle a émises ou accor- dées pour l'exécution de toutes ses oeuvres au Canada ou de l'une quelconque d'entre elles durant l'année civile suivante (cf. art. 50(9)). Lorsque cette procédure est suivie et que lesdi- tes sommes sont versées, aucune personne fai- sant usage de ce droit d'exécution ne peut être poursuivie pour violation de ce droit d'exécu- tion. (cf. art. 50(10)):
50. (10) Aucune pareille association, société ou compa- gnie n'a le droit de poursuivre ou de demander l'application d'un recours civil ou sommaire contre la violation d'un droit d'exécution subsistant dans une oeuvre dramatico-musicale ou musicale, réclamé par cette association, société ou com-
pagne contre quiconque a payé ou offert de lui payer les honoraires, redevances ou tantièmes homologués comme il est susdit.
Il s'ensuit, à mon avis, que la disposition exigeant que la Commission publie sa décision n'est pas purement procédurale mais forme, en fait, partie intégrante du processus de prise de décision. De fait, cette décision ne prend effet qu'après sa publication; elle n'affecte pas seule- ment deux parties mais tous ceux qui veulent se prévaloir du droit d'exécuter des œuvres drama- tico-musicales ou musicales pour lesquelles existe un droit d'auteur. La décision acquière par sa publication la nature d'une licence accor- dée à tous ceux qui désirent, après avoir versé les honoraires homologués par la Commission et publiés dans la Gazette du Canada, user de ces droits. Ce qui explique très bien que l'avo- cat du requérant, M. Richard, ait fait état à l'audience d'une commande, à laquelle on n'a pas encore donnée suite, de 800 numéros de la Gazette du Canada se trouve publiée la décision de la Commission, numéros qui seront distribués aux usagers.
Comme la décision n'a été publiée que le ler juin 1971, je pense dès lors, que le requérant peut parfaitement se prévaloir de la procédure d'examen prévue à l'art. 28 de la loi.
Le requérant pourrait aussi se prévaloir de l'art. 28 dans la mesure, et c'est mon avis, l'art. 61(1) n'a pas pour effet de le priver de ce droit. Il me semble, en effet que c'est l'art. 61(2) de la loi qui énonce le principe général qui régit le recours prévu à l'art. 28. Voici l'art. 61(2):
61. (2) Sous réserve du paragraphe (1), toute compétence conférée par la présente loi doit être exercée relativement aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la présente loi.
Si ce paragraphe énonce le principe général, et étant donné que le requérant disposerait, dans les limites de cet énoncé, du droit de se prévaloir de la procédure de l'art. 28, ce droit lui est dès lors acquis à moins qu'un autre article ou un autre paragraphe de la Loi ne le lui retire. Cet autre paragraphe qui, selon l'avocat de la Sound Recording Licences (SRL) Limitée, aurait cet effet, est le par. (1) de l'art. 61 dont voici le texte:
61. (1) Lorsque la présente loi crée un droit d'appel devant la Cour d'appel ou le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'article 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance, ce droit s'applique, à l'exclusion de tout autre droit d'appel, à un jugement, une décision ou une ordonnance rendus ou établis après l'entrée en vigueur de la présente loi, à moins que, dans le cas d'un droit d'appel, il n'y ait eu à ce moment un droit d'appel devant la Cour de l'Échiquier du Canada.
Pour déterminer si le par. (1) de l'art. 61 retire au requérant le droit que lui accorde le par. (2) du même article, il faut examiner ce premier paragraphe très attentivement pour en délimiter la portée, en tenant compte qu'il for- mule une exception à un principe que l'art. 61(2) énonce en termes très généraux.
Le par. (1) de l'art. 61 commence par ces mots, «Lorsque la présente loi crée un droit d'appel devant la Cour d'appel». Le paragraphe fait ici allusion aux appels que la loi crée à l'art. 27, qui constitue une procédure d'appel tout à fait nouvelle, et à ces appels mentionnés à l'an- nexe B de la loi, qui sont d'anciens appels maintenant transférés à la Cour d'appel. Pour- suivons la lecture de ce premier paragraphe, «ou le droit de demander à la Cour d'appel, en vertu de l'art. 28, d'examiner et rejeter une décision ou ordonnance», ce qui, évidemment, constitue un recours tout à fait nouveau qui n'existait pas dans aucune loi avant la promul gation de la Loi sur la Cour fédérale. Le para- graphe précise ensuite que «ce droit», et ceci, de toute évidence, implique les droits d'appel prévus à l'art. 27 de la loi et ceux contenus à l'annexe B, aussi bien que le droit d'examen de l'art. 23, «s'applique, à l'exclusion de tout autre droit d'appel». Ces mots pris dans leur con- texte, signifient littéralement que dans tous les cas un droit d'appel existait avant l'entrée en vigueur de cette loi, on peut recourir à la procé- dure d'examen de l'art. 28, dans la mesure il s'agit d'un jugement, d'une décision ou d'une ordonnance dont on ne peut autrement interje- ter appel selon la procédure prévue à l'art. 29 de la loi, pourvu que ce jugement, cette décision ou cette ordonnance ait été rendue ou établie après l'entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale. Ceci ne porte toutefois pas atteinte au droit de demander l'examen d'un jugement, d'une décision ou d'une ordonnance en suivant la procédure de l'art. 28, conformément au prin-
cipe général qu'énonce le par. (2) de l'art. 61; il en résulte que les cas, comme le nôtre, dont on ne pouvait interjeter appel avant la nouvelle loi, peuvent être examinés selon la nouvelle procé- dure, même si le jugement ou la décision ont été rendus avant l'entrée en vigueur de la présente loi.
La politique générale de la Loi sur la Cour fédérale semble la suivante: octroi de nouveaux droits d'appel, permission accordée à la nou- velle Cour d'accepter les droits d'appel autre- fois accordés à un autre tribunal, maintien des anciens droits d'appel devant la Cour de l'Échi- quier et, enfin création d'une nouvelle procé- dure d'examen à l'art 28.
Le but de la loi semble d'assurer que les poursuites en cours mais non encore réglées avant la promulgation de la loi puissent être examinées soit au moyen des appels que la loi crée soit au moyen des appels qui existaient alors devant la Cour de l'Échiquier, et que la nouvelle loi a conservés et, dans certains cas, ces poursuites peuvent se voir appliquer la pro- cédure d'examen prévue à l'art. 28. Pour attein- dre ce but, il a fallu adopter une disposition donnant à ces recours un caractère rétroactif, disposition que l'on trouve, comme il fallait s'y attendre, au par. (1) de l'art. 61. La rétroactivité dont il est question au par. (1) de l'art. 61 ne vise que les poursuites intentées avant l'entrée en vigueur de la loi et les affaires jugées au moment la loi était déjà en vigueur, alors que la rétroactivité dont il est question au par. (2) de l'art. 61 s'applique aux poursuites intentées et les affaires jugées soit avant soit après l'entrée en vigueur de la loi. En établissant, au par. (1) de l'art. 61, que dans tous les cas un droit d'appel existait avant la promulgation de la pré- sente loi, seuls ceux dont le jugement ou la décision a été rendu après la promulgation de la loi peuvent bénéficier de la procédure d'examen de l'art. 28, il s'ensuit à mon sens et étant donné que nous avons affaire à une exception au prin- cipe général, que cette restriction n'a aucun effet lorsqu'il s'agit d'un cas pour lequel il n'e- xistait aucun droit d'appel et qui dès lors ne saurait être régi que par les mesures du par. (2) de l'art. 61.
Dans le raisonnement qui m'a conduit à cette conclusion, j'ai, me semble-t-il, seulement
donné aux termes de la loi un sens littéral courant. Ce faisant, et par la même occasion, j'ai pu accorder à certaines parties, un recours qui leur permettra d'attaquer un jugement ou une décision, sans cela cause du par. (2) de l'art. 61) elles auraient pu n'avoir aucun moyen de droit. Je ne pense pas, eu égard à la politique générale de la Loi sur la Cour fédérale, qui tend à accorder des recours et des moyens de droit plutôt que d'en abolir, que l'on puisse soutenir que le législateur a permis le maintien des anciens recours pour les décisions rendues avant la loi, n'en a accordés aucun dans les cas il n'en existait pas et qu'il ait voulu au par. (1) de l'art. 61 disposer du premier cas mais non pas du second.
Je pense qu'il faudrait un texte beaucoup plus clair que celui du par. (1) de l'art. 61, pour priver ceux qui, avant la présente loi, n'avaient aucun droit d'appel, du bénéfice que leur accorde rétroactivement le par. (2) de l'art. 61, d'utiliser le droit d'examen de l'art. 28.
Le but de la nouvelle loi, faut-il le répéter, est de créer de nouveaux droits d'appel et une nouvelle procédure d'examen en vertu de l'art. 28. S'il est possible de lire la loi de façon à permettre que l'on utilise devant cette Cour la procédure d'examen dans les cas aucun droit d'appel n'existait avant la présente loi, il faut alors permettre d'utiliser cette procédure. Si, pour permettre le recours à une telle procédure, lorsqu'il s'agit d'une décision rendue avant la promulgation de cette loi, et pour laquelle aucun recours en appel n'était prévu, il devient néces- saire, à cause du texte même de la loi, d'admet- tre que dans tous les cas la décision a été rendue avant la promulgation de la loi, il pourra exister des droits. d'appel concurrents; il me semble alors préférable d'accepter l'existence d'une telle situation plutôt que de retirer cer- tains moyens de redressement à une catégorie de décision, i.e. à ces décisions qui, comme la nôtre, ont été rendues avant la présente loi, pour lesquelles il n'existait aucun droit d'appel et qui à la suite de cette loi, ne peuvent plus exercer de recours devant les tribunaux provin- ciaux cause du par. (1) de l'art. 61).
J'estime dès lors que la Cour d'appel a com- pétence pour recevoir la demande d'examen, en vertu de l'art. 28, et que la requête présentée
dans le but d'obtenir la prolongation du délai devrait être accueillie.
*
LE JUGE SUPPLÉANT PERRIER—Le requérant demande la permission d'appeler et la revision d'une décision rendue par la Commission d'ap- pel du droit d'auteur (S.R.C. 1952, c. 55, art. 50).
Cette décision a été rendue le 13 mai 1971 et a reçu l'approbation du ministre de la Consom- mation et des Corporations le 18 mai 1971; toutefois, elle n'a été publiée dans la Gazette officielle du Canada que le l er juin 1971.
La loi concernant la Cour fédérale du Canada est entrée en vigueur le l er juin 1971; avant cette date aucun droit d'appel n'existait à l'en- contre d'une décision de la Commission d'appel du droit d'auteur.
Le requérant s'appuie sur les droits d'appel mentionnés aux art. 28 et 61 de la Loi sur la Cour fédérale.
J'ai écouté et considéré les intéressantes plai- doiries prononcées par les divers procureurs au dossier.
J'ai eu l'avantage de lire les notes de l'honora- ble juge en chef et il expose clairement la difficulté et la complexité du problème que cette Cour est appelée à résoudre.
Les susdits art. 28 et 61 accordent-ils par rétroactivité un droit d'appel à une décision rendue avant le ler juin 1971?
Il serait inutile de reprendre et de répéter l'argumentation de l'honorable juge en chef relativement à l'application et à l'interprétation des susdits art. 28 et 61.
Pour les mêmes motifs qu'il exprime dans ses notes, je souscris entièrement à sa décision.
J'ai également pris connaissance des notes de l'honorable juge en chef adjoint Noël mais, en toute déférence, je ne partage pas son opinion.
J'étais personnellement favorable à une solution de rechange qui eût consisté à accorder la prolongation du délai, sans débattre la question de compétence qui n'eût été abordée qu'à l'occasion d'une demande visant à mettre fin
aux procédures, en vertu de la Règle 1100. Les parties se sont toutefois entendues pour demander à la Cour de débat- tre la question de compétence lors de la présente demande.
National Indian Brotherhood c. Juneau [N. 2] précité, p. 73.
Voir, à titre d'exemple, Doran c. Jewell (1914) 49 R.C.S. 88, Upper Canada College c. Smith (1920) 61 R.C.S. 413 par le juge Duff (avant qu'il ne devienne juge en chef) aux pages 423 425, Singer c. Le Roi [1932] R.C.S. 70, Boyer c. Le Roi [1949] R.C.S. 89, et Marcotte c. Le Roi [1950] R.C.S. 352.
4 Il ne faut pas oublier qu'en vertu de l'art. 29, on ne peut demander, en faisant appel à l'art. 28, l'examen d'une ordonnance ou d'une décision, «dans la mesure» il peut être interjeté appel, de cette ordonnance ou de cette déci- sion, devant la présente Cour, la Cour suprême du Canada, le gouverneur en conseil ou le conseil du Trésor. Dans ce cas, je ne vois pas, si la thèse de l'avocat de la Société Radio-Canada est juste, l'utilité de mentionner à l'art. 61(1) les droits d'examen de l'art. 28.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.