La Reine (Demanderesse)
c.
Norman Daniel Sonnenberg et dame Mary Son-
nenberg (Défendeurs)
Division de première instance, le Juge Kerr—
Welland, le 10 mai; Ottawa, le 16 juin 1971.
Expropriation—Droit de douaire—Expropriation d'une
ferme—Droit de douaire éventuel de l'épouse—Évaluation—
Paiement immédiat de la valeur actuelle dudit droit—Loi sur
les expropriations, S.R.C. 1952, c. 106, art. 30.
La ferme de S, située en Ontario, a été expropriée pour la
somme de $18,708. L'épouse de S a prétendu, et S l'a
admis, qu'elle était fondée à recevoir une partie de cette
somme à titre d'indemnité pour son droit de douaire éven-
tuel dans le terrain. Selon les tables contenues dans l'oeuvre
de Cameron intitulée The Law of Dower, publiée à Toronto
en 1882, qui permettent de calculer la valeur d'un droit de
douaire et qui selon la Cour d'appel de l'Ontario dans
l'affaire Re Smith [1952] O.R. 135 peuvent encore servir en
Ontario, la valeur de son droit de douaire à la date de
l'expropriation «pourvu qu'elle survive à son mari» était de
$1,234.60. Au cas de paiement immédiat (en se servant des
mêmes tables), elle a été établie à la somme de $734.59.
Jugé: Eu égard aux sommes relativement modestes qui
sont en jeu et aux frais qu'entraînerait la mise en fiducie de
la somme de $1,234.60 au profit de l'épouse jusqu'au décès
de son mari, on lui versera la somme de $734.59 immédiate-
ment avec intérêt de 5% l'an sur cette somme à compter de
la date où elle a évacué les lieux jusqu'à la date du juge-
ment. La Cour avait le pouvoir de rendre une telle ordon-
nance en vertu de l'art. 30 de la Loi sur les expropriations,
S.R.C. 1952, c. 106.
Action portant sur une EXPROPRIATION.
E. A. Bowie pour la demanderesse.
D. Johnston pour M. Sonnenberg, défendeur.
A. H. Goodman, c.r., pour M me Sonnenberg,
défenderesse.
LE JUGE KERR—Il s'agit d'une information
relative à une certaine propriété du township de
Humberstone, dans le comté de Welland (Onta-
rio), expropriée le 6 décembre 1965, avec l'ap-
probation préalable du gouverneur en conseil
par décret C.P. 1965-2174 en date du 2 décem-
bre 1965, délivré en conformité de l'art. 18 de
la Loi sur l'Administration de la voie maritime
du Saint-Laurent, S.R.C. 1952, c. 242, pour les
besoins de cette loi et plus précisément en ce
qui concerne la dérivation de la partie méridio-
nale du canal Welland, expropriation effectuée
au moyen du dépôt d'un plan et d'une descrip-
tion au bureau d'enregistrement du comté de
Welland, le 6 décembre 1965.
A l'instruction, il n'y a eu aucune contestation
de la validité de l'expropriation du terrain en
question. En tout cas, la preuve démontre que
cette expropriation a été valablement effectuée
et que le terrain a été dévolu à l'Administration
de la voie maritime du Saint-Laurent le 6
décembre 1965.
La source du litige réside dans la prétention
de la défenderesse, dame Mary Sonnenberg,
selon laquelle, au moment de l'expropriation,
elle avait, à titre d'épouse du défendeur,
Norman Sonnenberg, un droit de douaire éven-
tuel dans le terrain et qu'elle était en consé-
quence fondée à recevoir une indemnité; elle
prétend aussi que l'indemnité offerte par la
Couronne était insuffisante et réduisait indû-
ment celle qu'elle était elle-même fondée à
recevoir.
Norman Sonnenberg ne conteste pas le mon-
tant de $18,708.00 offert par la Couronne à
titre d'indemnité totale. Dans sa plaidoirie ini-
tiale, il contestait la prétention de son épouse
selon laquelle elle avait un droit de douaire
éventuel dans le terrain, mais il admettait dans
une défense modifiée qu'elle avait ce droit et
qu'elle était fondée à recevoir une partie de
l'indemnité totale due à la suite de
l'expropriation.
Il existe donc deux questions principales qu'il
faut trancher, c'est-à-dire: (1) le montant total
de l'indemnité exigible; (2) la proportion de
cette indemnité que dame Mary Sonnenberg est
fondée à recevoir. Une question subsidiaire se
pose: a-t-elle droit de toucher immédiatement
un montant déterminé ou, au contraire, la valeur
actuelle (c.-à-d. la valeur à la date de l'expro-
priation) de son droit de douaire éventuel,
pourvu qu'elle survive à son mari, devrait-elle
être gardée en fiducie pour lui être versée au
moment de la mort de son mari, au cas seule-
ment où elle lui survivrait.
La superficie du terrain est d'environ 14.5
acres, dont à peu près 11 acres sont consacrés à
la culture du foin, 1.5 acre au pâturage et 2
acres sont en taillis. Il existait sur le terrain les
bâtiments suivants: une maison d'habitation à
pans de bois ayant 1 3/4 étage et composée de 6
pièces, une grange, un garage, un petit grenier et
un petit poulailler. Norman Sonnenberg était
cheminot et exploitait cette ferme à temps par-
tiel. Les bâtiments étaient utilisables, mais
assez vétustes. La propriété se trouve du côté
nord de Forkes Road, à environ un demi-mille à
l'est du Welland Ship Canal et à mi-chemin
environ entre la ville de Welland et Port Col-
borne. La propriété est desservie en eau cou-
rante, en électricité et en gaz par la municipa-
lité, mais n'a pas d'égouts. Forkes Road est une
route de comté fréquentée, dirigée est-ouest.
Des photos de la propriété ont été versées en
preuve.
La défenderesse, dame Mary Sonnenberg, a
témoigné qu'elle croyait l'indemnité offerte de
$18,708.00 très inférieure à la valeur de la
propriété, qu'elle considère comme leur
demeure. Elle n'a suggéré aucun chiffre précis
qui représentât la valeur qu'elle lui attribuait et
elle n'a apporté aucune preuve de sa valeur à
l'exception de sa propre opinion. Après l'expro-
priation, elle avait quitté la propriété et était
allée vivre à Hamilton, où elle avait travaillé,
pendant une période de temps assez longue; elle
est toutefois ensuite revenue vivre dans la
maison et a refusé de l'évacuer jusqu'à ce que
la Cour de l'Échiquier eût délivré un mandat de
prise de possession qui lui a été signifié au mois
de juillet 1969.
Norman Sonnenberg était, selon l'enregistre-
ment, le propriétaire inscrit du terrain; il avait
convenu avec l'Administration de la voie mari
time du Saint-Laurent d'accepter la somme de
$18,708.00 en règlement total de l'indemnité à
laquelle il avait droit à la suite de l'expropria-
tion de sa propriété. L'Administration de la voie
maritime du Saint-Laurent lui avait versé $13,-
708.00 le 2 mai 1968, à valoir sur la somme qui
lui serait finalement adjugée et qui était due aux
défendeurs ou à toute autre personne à la suite
de l'expropriation; le défendeur mit alors l'Ad-
ministration de la voie maritime en possession
de la propriété. Il signa aussi en faveur de
l'Administration de la voie maritime un acte de
garantie relatif à la propriété, en date du 7 mars
1968.
Le juge Franklyn M. Griffiths, de la Cour du
comté de Welland, a décerné, le 10 mai 1968, à
la demande de Norman Sonnenberg, une ordon-
nance en vertu du Dower Act, S.R.O. 1960, c.
113, qui dispensait sans condition Norman Son-
nenberg de l'obligation d'obtenir le concours de
son épouse pour faire disparaître son droit de
douaire dans le terrain en question.'
M. W. H. Burton, vendeur, courtier et évalua-
teur d'immeubles d'une compétence reconnue
dans la région de Welland, qui avait estimé la
valeur marchande de la propriété pour le
compte de la demanderesse, a témoigné à ce
sujet. Son rapport a été reçu en preuve en vertu
„de la Règle 164B de la Cour de l'Échiquier.
Selon lui, c'était à des fins commerciales ou
industrielles que la propriété pouvait être utili
sée de la façon la meilleure et la plus rentable à
l'époque de son expropriation; la propriété
devrait être dans un tel cas divisée en deux
parties, l'une comprenant la maison d'habita-
tion, le garage et le terrain de 66' par 165' sur
lequel ils étaient construits, l'autre se compo-
sant du reste du terrain, c'est-à-dire 14.236
acres. Dans une pareille division, il était d'avis
que la grange et les autres dépendances ne
seraient d'aucune utilité et n'ajouteraient rien à
la valeur de la propriété. Il attribua une valeur
de $8,000 la partie où se trouvaient la maison
et le garage et une valeur de $500 l'acre au reste
de la propriété, d'une étendue de 14.236 acres,
c'est-à-dire $7,118, ce qui donne une évaluation
totale de $15,118. M. Burton n'a pas démordu
de son opinion en dépit du contre-interrogatoire
vigoureux et approfondi mené par l'avocat de
madame Sonnenberg.
Je trouve que l'évaluation de la propriété faite
par M. Burton, en se fondant sur l'emploi le
plus rentable et le meilleur qu'on pourrait en
faire, est raisonnablement juste. Madame Son-
nenberg n'a offert aucune preuve de la valeur
de l'immeuble, si ce n'est sa propre opinion. De
toute évidence, elle ne se sentait pas la compé-
tence nécessaire pour attribuer à la propriété
une valeur définitive ou même approximative et
elle n'a apporté aucune autre preuve relative à
sa valeur.
Je fixe l'indemnité payable par suite de l'ex-
propriation de l'immeuble à la somme offerte
par l'Administration de la voie maritime et
acceptée par M. Sonnenberg, c'est-à-dire
$18,708.
Dans la présente affaire, tous les avocats ont
fait appel à une doctrine déjà ancienne, The
Law of Dower, oeuvre de Cameron publiée à
Toronto en 1882. On y trouve des tables per-
mettant de calculer la valeur d'un droit de
douaire et la Cour d'appel de l'Ontario a décidé
dans l'affaire Re Smith [1952] O.R. 135, que
l'on peut encore se servir de ces tables en
Ontario pour calculer la valeur d'un droit de
douaire.
Les parties se sont entendues à l'instruction
du procès, en se servant des tables contenues
dans l'oeuvre de Cameron et en prenant pour
acquise l'adjudication d'une indemnité totale de
$18,708, pour fixer à $1,234,60 2 la «valeur
actuelle du droit de douaire» de madame Son-
nenberg, calculée à la date de l'expropriation,
[TRADUCTION] «pourvu qu'elle survive à son
mari».
L'avocat de madame Sonnenberg a prétendu
qu'elle est fondée à recevoir cette somme
immédiatement, avec intérêt, et qu'il ne faut pas
attendre le prédécès de son mari, le cas échéant,
pour lui verser cette somme. L'avocat de M.
Sonnenberg a prétendu que ladite «valeur
actuelle» est restreinte, dans l'appendice H de
la table des valeurs du livre de Cameron, par les
mots [TRADUCTION] «pourvu qu'elle survive à
son mari» et que la valeur actuelle du droit de
douaire de madame Sonnenberg, calculée en
l'absence de cette exigence de survie, doit être
inférieure à celle calculée en tenant compte de
cette exigence, puisque la restriction assujettit
le versement à la survie de l'épouse, qui est un
événement incertain.
Un calcul a été soumis à la Cour, établissant à
$734.59 la valeur du droit de douaire de
madame Sonnenberg, si on le lui versait immé-
diatement (en se servant encore une fois des
tables contenues dans le livre de Cameron et en
faisant un ajustement au montant de la valeur
actuelle pour tenir compte de l'absence de l'exi-
gence de survie).
Aucune des parties n'a contesté l'exactitude
des calculs. On n'a proposé aucun autre calcul
de la valeur du droit de douaire ni aucune autre
méthode pour fixer cette valeur.
L'avocat de M. Sonnenberg a recommandé
l'adoption de l'une ou l'autre des deux façons
de procéder suivantes: (1) que l'on verse immé-
diatement à madame Sonnenberg la somme de
$734.59; (2) que l'on place en fiducie, jusqu'au
moment où la mort de M. ou de M me Sonnen-
berg tranchera la question de survie, la somme
de $1,234.60, qu'on versera à M me Sonnenberg
si elle survit à son époux ou à M. Sonnenberg
s'il survit à son épouse, le revenu annuel étant
versé à M. Sonnenberg tant que les deux con-
joints seront vivants. Cette seconde méthode va
dans le sens d'une ordonnance rendue par l'af-
faire Taylor v. Taylor [1971] 1 O.R. 715.
Selon moi, la valeur actuelle du droit de
douaire de M me Sonnenberg, si cette valeur est
soumise à la condition de la survie de l'épouse,
est de $1,234.60; en l'absence d'une telle condi
tion et dans l'hypothèse d'un paiement immédiat,
la valeur est de $734.59.
J'ai eu l'impression que toutes les parties
préféraient un paiement immédiat de la somme
fixée par la Cour plutôt que de voir placer
l'argent en fiducie jusqu'à sa distribution au
moment de la mort du conjoint qui précéderait.
En tout cas, eu égard aux sommes relativement
modestes qui sont en jeu et aux inconvénients
et aux frais qu'entraîneraient la mise en fiducie
et l'administration de cet argent, j'estime que
les fins de la justice seraient mieux servies en
versant immédiatement à Mme Sonnenberg la
somme de $734.59 qu'en exigeant la mise en
fiducie de la somme de $1,234.60 jusqu'à la
mort d'un des conjoints. Elle sera aussi fondée
à recevoir un intérêt de 5 pour cent l'an sur la
somme de $734.59, à compter du 15 juillet
1969, date où elle a évacué les lieux, jusqu'à
aujourd'hui, date du jugement. Le 2 mai 1968,
M. Sonnenberg a reçu $13,708 et a vidé les
lieux à ce moment; il sera donc fondé à recevoir
immédiatement la somme de $4,265.41 3 avec
intérêt à 5 pour cent l'an de cette date jusqu'à
aujourd'hui, date du jugement. Le jugement
sera en ce sens. Je pense que la Cour a le
pouvoir de rendre une telle ordonnance en vertu
de l'art. 30 de la Loi sur les expropriations,
S.R.C. 1952, c. 106, qui est rédigé comme suit:
30. Ces procédures, en ce qui concerne les parties inté-
ressées, constituent une fin de non-recevoir contre toutes
réclamations à l'indemnité pécuniaire ou à quelque partie de
l'indemnité, y compris tout droit de douaire ou de douaire
non encore ouvert, ainsi qu'à l'égard de tout mortgage,
hypothèque ou charge sur ce terrain ou immeuble; et la cour
rend, pour la distribution, pour le paiement ou pour le
placement de l'indemnité, ainsi que pour la garantie des
droits de tous les intéressés, une ordonnance conforme au
droit et à la justice, ainsi qu'aux dispositions de la présente
loi et de la loi générale.
Quant aux frais, madame Sonnenberg a
déclaré dans son témoignage qu'aucun fonction-
naire de l'Administration de la voie maritime n'a
jamais négocié avec elle ni ne lui a fait d'offre.
L'avocat de la demanderesse a prétendu que le
litige entre les défendeurs en ce qui concerne la
répartition de l'indemnité n'était pas imputable
à la demanderesse. M me Sonnenberg a toutefois
trouvé nécessaire de défendre son droit devant
les tribunaux et il y a eu entre les défendeurs
une réelle contestation et un désaccord entre
eux et la demanderesse en ce qui concerne la
répartition de l'indemnité. Dans ces conditions,
je pense que les défendeurs doivent être tenus
aux frais taxables de leurs procédures.
Par conséquent, le jugement qui sera rendu
déclarera:
(1) que les terrains décrits à l'alinéa 2
de l'information modifiée ont été dévolus à
l'Administration de la voie maritime du Saint-
Laurent le 6 décembre 1965;
(2) que le montant de l'indemnité desdits ter
rains et de tous les dommages résultant de
l'expropriation est de $18,708;
(3) que la défenderesse, dame Mary Sonnen-
berg, sur remise à la demanderesse de bonne et
valable quittance de son droit de douaire éven-
tuel ou de ses autres intérêts dans ledit terrain
qui pouvaient grever ce terrain à la date de
l'expropriation, est fondée à recevoir de la
demanderesse la somme de $734.59, avec inté-
rêt sur cette somme à 5 pour cent l'an à comp-
ter du 15 juillet 1969 jusqu'à aujourd'hui, date
du jugement;
(4) que le défendeur, Norman Daniel Son-
nenberg, sur remise à la demanderesse de bonne
et valable quittance de tous les droits, privilè-
charges ou servitudes de nature quelconque
(autres que les droits de la défenderesse, dame
Mary Sonnenberg, dont il est question à l'alinéa
précédent, l'alinéa 3) qui pouvaient grever ledit
terrain à la date de l'expropriation, est fondé à
recevoir de la demanderesse la somme de $4,-
265.41 avec intérêt sur cette somme au taux de
5 pour cent l'an à compter du 2 mai 1968
jusqu'à aujourd'hui, date du jugement; et
(5) que les défendeurs sont fondés à recevoir
de la demanderesse leurs proportions respecti-
ves des frais taxables de la présente action.
1 A l'instruction, l'avocat de dame Mary Sonnenberg a
prétendu que le terrain avait été exproprié avant la déli-
vrance de cette ordonnance et que celle-ci n'avait par con-
séquent aucune valeur. Je n'ai pas besoin de statuer sur
cette question.
2 Cette somme est susceptible de varier selon le montant
de l'indemnité qui sera en fait adjugée.
C'est-à-dire $18,708 moins le total de $13,708 et de
$734.59.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.