Durocher Lariveau (Appelant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intime)
Cour d'appel. Le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Pratte—Ottawa, le 8 novembre
1971.
Compétence—Pratique—Appel d'une ordonnance d'expul-
sion prononcée par la Commission d'appel de l'immigra-
tion—Sursis d'une ordonnance de déportation avant l'ap-
pel—Incompétence à l'accorder—Ne constitue pas une
question de «pratique et de procédure»—Prorogation du
délai de présentation de la demande d'autorisation d'appel—
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C.
1970, c. I-3, art. 23—Règle 5 des Règles de la Cour fédérale.
La Commission d'appel de l'immigration a confirmé, le 7
août 1971, une ordonnance d'expulsion contre l'appelant
antérieurement prononcée à Montréal. L'appelant a
demandé une prorogation du délai prévu pour la présenta-
tion de la demande d'autorisation d'appel de l'ordonnance
d'expulsion ainsi qu'un sursis d'exécution de cette ordon-
nance. Le 8 septembre 1971, le juge en chef a accordé, en
vertu de l'art. 23 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, la prorogation de délai mais a déféré à la
Cour d'appel la demande de sursis d'exécution.
Arrêt: rejet de la demande de sursis. La Cour ne possède
pas le pouvoir de prononcer une telle ordonnance. Surseoir
à une ordonnance d'expulsion n'est pas une question de
pratique ou de procédure au sens de la Règle 5 des Règles
de la Cour fédérale.
REQUÊTE.
Harry Blank pour l'appelant.
Geo. Roméo Léger pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—J'ai lu les motifs
du juge Pratte et je suis d'accord avec lui.
Je veux ajouter quelques mots sur deux
points.
D'abord, en raison du fait que la signification
de la Règle 5 est une question d'intérêt général,
je vais expliquer en mes propres mots la raison
pour laquelle je suis d'avis que cette règle ne
s'applique pas à une question telle que celle qui
nous occupe présentement. Cette règle, comme
je la comprends, autorise la Cour à déterminer
«la pratique» et «la procédure» à suivre dans
une «procédure devant la Cour» où les règles
présentent une lacune. Ici il ne s'agit pas d'une
requête concernant «la pratique» ou «la procé-
dure» à suivre dans une procédure devant cette
Cour. En effet, on demande ici que la Cour
accorde immédiatement mais provisoirement un
remède qu'elle ne peut accorder qu'après l'audi-
tion d'un appel»
Deuxièmement, je crois devoir dire, même si
cela n'est pas pertinent, que les procureurs de
l'intimé, qui ont comparu devant moi dans cette
affaire et dans d'autres semblables, m'ont laissé
entendre que, normalement, on n'exécute pas
une ordonnance d'expulsion qui est frappée
d'appel pourvu que l'appelant procède avec
diligence.
LE JUGE THURLOW—Je suis d'accord avec le
juge Pratte.
LE JUGE PRATTE—La Commission d'appel de
l'immigration a confirmé, le 7 août 1971, l'or-
donnance d'expulsion qui avait été prononcée
contre le requérant le 21 octobre précédent. Le
requérant veut en appeler de cette décision
comme le lui permet l'art. 23(1) de la Loi de la
Commission d'appel de l'immigration, S.R.C.
1970, c. I-3, qui, tel que modifié par la Loi sur
la Cour fédérale, S.C. 1970, c. 1, art. 64(3), se
lit comme suit:
23. (1) Sur une question de droit, y compris une question
de juridiction, il peut être porté à la Cour d'appel fédérale
un appel d'une décision de la Commission visant un appel
prévu par la présente loi, si permission d'interjeter appel est
accordée par ladite Cour dans les quinze jours après le
prononcé de la décision dont est appel ou dans tel délai
supplémentaire qu'un juge de cette Cour peut accorder pour
des motifs spéciaux.
Le requérant n'a pas encore demandé l'auto-
risation d'en appeler de la décision qu'il con-
teste. Cependant, il a présenté une requête par
laquelle il demandait, d'abord, que soit prolongé
le délai prévu pour la présentation de la
demande d'autorisation d'appel et, ensuite, qu'il
soit enjoint à l'intimé de surseoir à l'exécution
de l'ordonnance d'expulsion. Le juge en chef, à
qui cette requête a été présentée le 8 septembre
dernier, l'a accueillie en partie. Il a accordé la
prorogation de délai demandée; quant à la
demande de sursis d'exécution, il a ordonné
qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle requête qui
serait présentée à la Cour par correspondance,
en la façon prévue à la Règle 324, et décidée
par trois juges. Se conformant à cette décision,
le requérant a présenté une nouvelle requête,
celle dont la Cour est maintenant saisie, dont les
passages importants se lisent comme suit:
CONSIDÉRANT la Règle 5 des Règles et Ordonnances
générales de la Cour Fédérale du Canada;
CONSIDÉRANT qu'aucune disposition d'une Loi du Par-
lement du Canada et qu'aucune Règle ou Ordonnance géné-
rale de cette Honorable Cour ne prévoit la pratique et la
procédure à suivre en ce qui a trait au sursis d'exécution des
ordonnances d'expulsion de la Commission d'Appel de l'Im-
migration (14, 15, 16 Eliz. II, chap. 90) lors d'appel de la
décision de la Commission d'Appel de l'Immigration confor-
mément à l'article 23 de la Loi sur la Commission d'Appel
de l'Immigration (14, 15, 16, Eliz. II, Chap. 90) tel qu'a-
mendé par la Loi sur la Cour Fédérale (19, Eliz. II, 1970,
chap. 1, annexe b);
CONSIDÉRANT que l'ordonnance d'expulsion rendue
contre votre Requérant et maintenue par la Commission
d'Appel de l'Immigration contre laquelle votre Requérant a
l'intention de faire appel à cette Honorable Cour, a été
rendue dans les Cité et District de Montréal, Province de
Québec;
CONSIDÉRANT l'article 497 du Code de Procédure
Civile de la Province de Québec dont le ler paragraphe se lit
comme suit:
Sauf les cas où l'exécution provisoire est ordonnée, l'ap-
pel régulièrement formé suspend l'exécution du jugement.
CONSIDÉRANT que si l'ordonnance d'expulsion rendue
contre votre Requérant et maintenue par la Commission
d'Appel de l'Immigration était exécutée avant que cette
Honorable Cour n'ait décidé de l'appel interjeté par votre
Requérant, celui-ci souffrirait un préjudice de la nature d'un
déni de justice naturelle le privant à toute fin pratique de
son droit de se pourvoir en appel devant cette Honorable
Cour;
CONSIDÉRANT que les procédures d'appel contre le
jugement de la Commission d'Appel de l'Immigration inten-
tées par votre Requérant devant cette Honorable Cour sont
régulièrement formées;
POUR CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL:
ACCUEILLIR la présente requête;
RECONNAÎTRE le droit de votre Requérant à ce que
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion rendue contre lui et
maintenue par la Commission d'Appel de l'Immigration soit
suspendue par l'appel régulièrement formé par votre Requé-
rant contre ladite décision de la Commission d'Appel de
l'Immigration;
Cette requête, on le voit, est fondée sur la
Règle 5 des Règles de cette Cour qui se lit
comme suit:
RÈGLE 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque
se pose une question non autrement visée par une disposi
tion d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou
ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle),
la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant
des instructions, soit après la survenance de l'événement si
aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et
la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la pro
vince à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet
des procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en
l'espèce.
Suivant le requérant, comme les règles ne
prévoient pas, dans un cas comme celui-ci, qu'il
doive être sursis à la décision dont il veut
appeler, la Cour devrait, conformément à la
Règle 5, combler cette lacune et, en s'inspirant
du premier alinéa de l'art. 497 du Code de
Procédure civile de Québec, ordonner le sursis
d'exécution. Cet alinéa de l'art. 497 se lit
comme suit:
497. Sauf les cas où l'exécution provisoire est ordonnée,
l'appel régulièrement formé suspend l'exécution du
jugement.
Le procureur de l'intimé, comme le lui per-
mettait la Règle 324, a, de son côté, soumis des
représentations écrites où tout en contestant
qu'il soit opportun, en l'espèce, d'accorder le
sursis d'exécution demandé, il admet que la
Cour puisse faire droit à la requête, en vertu de
la Règle 5b) des Règles de la Cour, en exerçant
par analogie les pouvoirs que l'art. 523 du Code
de Procédure civile de Québec reconnaît à la
Cour d'appel de cette province. Suivant cet
article, en effet, la Cour d'appel
... a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa juridic-
tion, et peut rendre toutes ordonnances propres à sauvegar-
der les droits des parties; ...
Remarquons d'abord que, si l'on suppose
qu'il s'agisse ici d'une requête qui soit recevable
en vertu de la Règle 5, le sursis d'exécution
demandé ne pourrait certainement pas être
accordé en appliquant par analogie les deux
textes du Code de Procédure auxquels les par
ties nous ont référés. En effet, l'art. 497 invo-
qué par le requérant prévoit que «l'appel régu-
lièrement formé suspend l'exécution», or, en
l'espèce, non seulement le requérant n'a-t-il pas
encore formé son appel, mais il n'a même pas
encore demandé la permission de le faire. Quant
à l'art. 523 que l'intimé nous a cité, il s'agit d'un
texte qui accorde certains pouvoirs à la Cour
d'appel de Québec; or, il est évident que la Cour
fédérale ne saurait exercer un pouvoir que sa loi
constitutive ne lui accorde pas pour le seul
motif que la législature d'une province a jugé
bon d'accorder ce même pouvoir à un autre
tribunal.
En réalité, il ne s'agit pas ici d'une requête
qui soit recevable en vertu de la Règle 5. Une
requête sollicitant des instructions peut être
présentée en vertu de cette règle dans les seuls
cas où les règles présentent une lacune, c'est-à-
dire dans les cas où les règles ne prévoient pas
la façon de faire valoir un droit ou un moyen de
défense. Or le fait que les règles ne prévoient
pas de sursis d'exécution dans un cas comme
celui-ci n'est pas une lacune; de l'absence de
règle de pratique sur ce sujet on peut tout
simplement conclure que, à moins que d'autres
dispositions législatives ne prévoient le con-
traire, les décisions de la Commission d'appel
de l'immigration sont exécutoires nonobstant
l'appel. C'est peut-être là une solution critiqua-
ble, mais ce n'est pas une lacune qui permette
de présenter une motion en vertu de la Règle 5.
Si la requête qui nous est soumise doit être
rejetée, c'est cependant pour un motif plus fon-
damental encore. En réalité, ce que le requérant
demande à la Cour c'est de modifier l'effet
d'une décision régulièrement prononcée par la
Commission d'appel de l'immigration et, cela,
avant même, non seulement qu'il soit interjeté
appel de cette décision, mais que l'autorisation
d'en appeler n'ait été demandée. Or, il me
semble clair que la Cour ne possède pas le
pouvoir que le requérant lui demande d'exercer.
Avant d'en terminer avec cette affaire, il n'est
peut-être pas inutile de souligner que la Loi sur
l'Immigration, S.R.C. 1970, c. I-2 et la Loi sur
la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C.
1970, c. I-3, contiennent des dispositions qui ne
sont pas sans rapport avec le problème que
nous a soumis le requérant.
La Loi sur l'Immigration, après avoir prévu, à
l'art. 27, qu'une ordonnance d'expulsion (dont
l'effet est défini par l'art. 33) puisse, dans cer-
taines circonstances, être prononcée par un
enquêteur spécial édicte, à l'art. 31(1), que:
31. (1) Sauf le cas où une personne est, suivant le para-
graphe 23(1), renvoyée à l'endroit d'où elle est venue au
Canada en attendant la décision de son appel, un appel
contre une ordonnance d'expulsion sursoit à l'exécution de
l'ordonnance jusqu'à ce que soit rendue la décision en
l'espèce.
C'est la Loi de la Commission d'appel de l'im-
migration qui règlemente les appels contre les
ordonnances d'expulsion. Elle accorde (art. 11)
à celui contre qui une ordonnance d'expulsion a
été prononcée le droit d'en appeler à la Com
mission dont la décision est elle-même, aux
termes de l'art. 23, susceptible d'appel devant
cette Cour. L'article 15 de cette loi, après avoir
précisé que la Commission, lorsqu'elle rejette
un appel d'une ordonnance d'expulsion, doit
ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus
tôt possible, accorde néanmoins à la Commis
sion, dans certains cas énumérés, le pouvoir
d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'or-
donnance. Enfin, l'art. 18 prévoit qu'une per-
sonne «détenue en attendant que l'appel prévu
par la présente soit décidée peut demander à la
Commission d'être mise en liberté».
Si j'ai référé à ces dispositions législatives, ce
n'est pas que je sois d'opinion qu'elles s'appli-
quent en l'espèce. C'est d'abord pour indiquer
que le législateur ne s'est pas désintéressé du
sort de celui qui veut en appeler de l'ordon-
nance d'expulsion dont il a été l'objet; et c'est
ensuite pour souligner que ces textes n'envisa-
gent pas que la Cour d'appel fédérale doive ou
puisse intervenir dans un cas comme celui-ci.
Pour ces motifs, je crois que la requête doit
être rejetée.
Quand il s'agit de la suspension de l'exécution d'un
jugement de la Division de première instance, il en va
autrement, car, alors, il s'agit de pratique et de procédure de
la Cour. Voir les Règles 337 et 1213.
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