Maple Leaf Mills Limited (Requérante)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance; le juge Pratte—
Montréal, le 22 juin; Ottawa, le 1 er septembre
1971.
Tarif des douanes—Droit anti-dumping—Marchandises
américaines achetées par une filiale américaine—Vente par
la filiale à sa compagnie-mère au Canada à un prix plus
élevé—La cotisation prend pour acquis que la filiale agissait
en qualité de représentante de sa compagnie-mère—Fardeau
de la preuve—Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art.
248.
En 1964 la requérante a acheté des marchandises, d'une
classe ou d'une espèce non fabriquée au Canada, à sa filiale
américaine pour un prix de beaucoup inférieur au prix versé
par la filiale au fabricant en Floride. En vertu de l'art. 6 du
Tarif des douanes, S.R.C. 1952, c. 60, on a imposé un droit
anti-dumping au motif que le prix réel de vente des mar-
chandises à la requérante était inférieur à leur juste valeur
marchande. Pour établir la cotisation, on a estimé que la
filiale de la requérante avait acheté les marchandises en
qualité de représentante de la requérante.
Arrêt: rejet de l'action en recouvrement du droit. Faute
de preuve selon laquelle la filiale agissait pour elle-même au
moment de l'achat, la requérante ne s'est pas déchargée du
fardeau de la preuve qui lui incombait en vertu de l'art. 248
de la Loi sur les douanes.
Arrêt suivi: Rainham Chemical Works Ltd. c. Belvedere
Fish Guano Co. [1921] 2 A.C. 465.
PETITION de droit.
Julian C. Chipman pour la requérante.
Robert Cousineau et Denis Bouffard pour
l'intimée.
LE JUGE PRATTE—La requérante est une
compagnie canadienne dont le principal établis-
sement se trouve à Montréal. En 1964, elle a
importé des États-Unis d'importantes quantités
de phosphate destiné à la fabrication d'aliments
pour le bétail et la volaille. Ces marchandises
sont entrées au Canada en franchise en vertu du
n° 633i du Tarif des douanes; toutefois, le
ministère du_. Revenu national (Douanes et
Accise) a exigé que la requérante paie le droit
spécial ou anti-dumping qui était alors imposé
par l'art. 6 du Tarif des douanes S.R.C. 1952, c.
60. La requérante a donc payé sous protêt une
somme de $18,529.29 que, par sa pétition de
droit, elle essaie maintenant de recouvrer, pré-
tendant que l'art. 6 du Tarif des douanes ne
s'appliquait pas à ces importations.
C'était le par. (1) de l'art. 6 qui prescrivait la
perception d'un droit; il se lisait comme suit:
6. (1) Dans le cas de marchandises exportées au Canada
d'une classe ou d'une espèce fabriquée ou produite au
Canada, si le prix d'exportation ou le prix réel de vente à un
importateur au Canada est inférieur à la juste valeur mar-
chande ou à la valeur imposable des marchandises établie
sous le régime des dispositions de la Loi sur les douanes, il
doit, en sus des droits autrement établis, être prélevé, perçu
et payé sur lesdites marchandises à leur importation au
Canada, un droit spécial ou antidumping égal à la diffé-
rence entre ledit prix de vente des marchandises pour
l'exportation et leur dite valeur imposable; et ce droit spé-
cial ou antidumping doit être prélevé, perçu et payé sur ces
marchandises lors même que ces dernières ne seraient pas
imposables par ailleurs.
On a prétendu au nom de la requérante qu'au-
cun droit spécial n'était dû en vertu de l'art. 6
car:
(1) le phosphate en question n'était pas
«d'une classe ou d'une espèce fabriquée ou
produite au Canada»;
(2) la requérante avait payé pour ces mar-
chandises un prix qui n'était pas «inférieur à la
juste valeur marchande ou à la valeur imposable
des marchandises établie sous le régime des
dispositions de la Loi sur les douanes».
Avant d'examiner la valeur de ces deux pré-
tentions, il est nécessaire de rappeler les dispo
sitions de l'art. 248 de la Loi sur les douanes
S.R.C. 1952, c. 58, dont voici des extraits:
248. (1) Dans toutes procédures intentées ... pour recou-
vrer un droit sous l'autorité de la présente loi ou de toute
autre loi concernant les douanes ... s'il se présente une
contestation . .. concernant ... l'exécution de ... quelque
chose par laquelle cette ... responsabilité des droits serait
encourue ou évitée, le fardeau de la preuve incombe au
propriétaire ou au réclamant des effets ou à celui dont le
devoir était de se conformer à la présente loi ou en la
possession de qui les effets ont été trouvés, et non à Sa
Majesté ou à la personne représentant Sa Majesté.
(2) De la même manière, si des procédures sont intentées
contre Sa Majesté ou contre un préposé pour recouvrer des
marchandises saisies ou de l'argent déposé sous l'autorité de
la présente loi ou de quelque autre semblable loi, si une telle
contestation se présente, le fardeau de la preuve incombe à
celui qui réclame ces marchandises saisies ou cet argent
déposé, et non à Sa Majesté ou au représentant de Sa
Majesté.
Dans cette cause-ci, l'art. 248 met à la charge
de la requérante la preuve des faits qui permet-
traient de conclure que les droits qu'elle a
acquittés n'étaient pas dus. Plus précisément, la
requérante devait prouver, pour obtenir gain de
cause, soit que les marchandises qu'elle a
importées au Canada étaient à ce point différen-
tes de leur équivalent canadien qu'on ne pouvait
pas les considérer comme faisant partie «d'une
classe ou d'une espèce fabriquée ou produite au
Canada», soit que le prix payé par la requérante
pour ces marchandises n'était pas inférieur à
leur valeur imposable. C'est à la lumière de
cette règle que les prétentions de la requérante
doivent maintenant être examinées.
I. Les marchandises importées par la requé-
rante étaient-elles «d'une classe ou d'une espèce
fabriquée ou produite au Canada»?
Sur ce point, aucune preuve recevable n'a été
présentée à la Cour à l'audience. Il est vrai que
l'avocat de la requérante a produit sous la cote
S-2 un rapport rédigé en 1962 par un certain
Edmund Cox, qui, censément, exposait et expli-
quait les différences entre le phosphate importé
par la requérante et son équivalent canadien;
mais l'avocat de l'intimée s'est opposé vigou-
reusement à la production de ce document,
principalement parce que son auteur, absent
lors de l'instruction, ne pouvait être soumis à
un contre-interrogatoire. J'ai alors reporté à
plus tard ma décision sur cette objection, après
avoir averti l'avocat de la requérante que j'y
ferais probablement droit. Ma première impres
sion ne s'est pas modifiée avec le temps. Sui-
vant nos règles de pratique, l'affidavit d'un
expert ne peut faire partie de la preuve à moins
que son auteur ne soit présent lors de l'instruc-
tion de sorte qu'il puisse être soumis à un
contre-interrogatoire. Il n'y a aucune raison
pour qu'une règle différente s'applique à la pro
duction d'un document préparé dans des cir-
constances inconnues par une personne incon-
nue, bien avant que l'action ne soit intentée. Je
décide donc que le document produit sous la
cote S-2 est une preuve irrecevable et qu'il ne
doit pas être considéré comme faisant partie du
dossier.
Aucune autre preuve n'ayant été présentée
sur ce point, il faut s'en reporter aux actes de
procédure et aux faits qui y sont reconnus pour
déterminer si les marchandises importées
étaient «d'une classe ou d'une espèce fabriquée
ou produite au Canada». Il ressort d'une lecture
attentive des procédures que les deux parties
s'accordent sur les faits suivants:
a) La requérante a importé, des États-Unis au
Canada, une certaine quantité de phosphate
destiné à la fabrication d'aliments pour le
bétail et la volaille;
b) A l'époque où ces marchandises ont été
importées, on fabriquait aussi au Canada du
phosphate destiné à la production d'aliments
pour le bétail et la volaille;
c) Les produits américain et canadien étaient
dérivés de la même matière première, la
«roche phosphatée», qui était extraite, lavée,
raffinée et purifiée;
d) Les phosphates américain et canadien
étaient toutefois fabriqués par des procédés
différents;
e) Le produit canadien comme le produit
importé et leurs procédés de fabrication res-
pectifs sont couverts par des brevets
distincts;
f) La composition chimique et les propriétés
des deux produits sont partiellement
différentes.
Ces faits conduisent inévitablement à la con
clusion que les deux produits n'étaient pas iden-
tiques. Cela ne signifie cependant pas que le
phosphate importé n'était pas «d'une classe ou
d'une espèce fabriquée ou produite au Canada»
car des marchandises qui ne sont pas identi-
ques, peuvent être de la même classe ou espèce,
pourvu qu'elles soient similaires. Il est impossi
ble de dire, en se fondant sur les faits admis
dans les actes de procédures, si les différences
entre le produit importé et le produit canadien
étaient telles qu'on ne devrait pas considérer
ces marchandises comme faisant partie de la
même classe ou de la même espèce. Par consé-
quent, la requérante n'a pas établi que les phos
phates importées n'étaient pas «d'une classe ou
d'une espèce fabriquée ou produite au Canada».
Or, étant donné qu'en vertu de l'art. 248 de la
Loi sur les douanes, la charge de la preuve
incombait à la requérante, j'en conclus qu'elle
doit être réputée avoir importé «des marchandi-
ses d'une classe ou d'une espèce fabriquée ou
produite au Canada».
Passons maintenant à la seconde prétention
de la requérante, selon laquelle elle a payé pour
les phosphates un prix qui n'était pas inférieur à
sa valeur imposable.
II. La requérante a-t-elle payé pour le phos
phate qu'elle a importé au Canada un prix qui
était inférieur à sa valeur imposable?
C'est une question pertinente puisque, selon
les termes mêmes de l'art. 6 du Tarif des doua-
nes, le droit spécial ou antidumping n'était
payable que «si le prix d'exportation ou le prix
réel de vente à un importateur au Canada est
inférieur à la juste valeur marchande ou à la
valeur imposable des marchandises».
Lorsque des marchandises exportées vers le
Canada étaient d'une classe ou d'une espèce
fabriquée ou produite au Canada, il était par
conséquent nécessaire, pour savoir si le droit
spécial était dû ou non, de déterminer à la fois
le prix de vente à l'importateur au Canada et la
valeur imposable des marchandises.
Dans le calcul du prix d'exportation_ ou du
prix de vente à l'importateur, il fallait tenir
compte du par. (4) de l'art. 6. Aux termes de ce
par. (4)
«prix d'exportation» ou «prix de vente» signifie le prix de
l'exportateur demandé pour les marchandises, à l'exclusion
de tous les frais s'y rattachant après leur expédition de
l'endroit d'où ces marchandises sont exportées directement
au Canada.
Quant à la valeur imposable des marchandi-
ses, l'art. 6(1) spécifiait qu'elle devait être «éta-
blie sous le régime des dispositions de la Loi sur
les douanes». Et il suffit de noter ici que, sui-
vant les articles pertinents de la Loi sur les
douanes, S.R.C. 1952, c. 58, art. 35 et s., tels
que modifiés en 1958 par c. 26, la valeur impo-
sable des marchandises importées au Canada
est leur «juste valeur marchande au moment où
les effets ont été directement expédiés vers le
Canada et à l'endroit d'où ils l'ont été».
Dans ce cas-ci, l'importation a eu lieu dans
des circonstances telles que les parties ne s'ac-
cordent pas sur le prix de vente à la requérante.
Les marchandises importées ont été fabri-
quées à Coronet (Floride) par Smith -Douglass
Company Inc. Toutefois, la requérante n'a pas
acheté directement à cette compagnie; il semble
qu'elle ait acheté son phosphate à une filiale,
Normont Inc., compagnie américaine. C'est
cette dernière qui aurait acheté le phosphate à
Smith -Douglass Company Inc., f. à b. à Phila-
delphie (à un prix bien inférieur à celui que lui
payait sa compagnie mère). La requérante a
admis dans sa pétition de droit (al. 17) que la
Normont Inc. a payé à la Smith -Douglass Com
pany Inc. des prix inférieurs aux justes prix du
marché pratiqués à Coronet (Floride); de plus,
l'avocat de l'intimée a admis à l'audience que le
prix qu'aurait payé la requérante à sa filiale, la
Normont Inc., n'était pas inférieur au juste prix
du marché pratiqué à Philadelphie, d'où la Nor-
mont aurait expédié la marchandise à la
requérante.
Comme on l'a déjà noté, les parties ne s'ac-
cordent pas sur la détermination du prix d'ex-
portation ou de vente à la requérante. Aux dires
de la requérante, ce prix de vente serait celui
qu'elle a payé à sa filiale, la Normont Inc.;
selon l'intimée, ce prix de vente serait celui
auquel le phosphate a été vendu à Normont Inc.
par Smith -Douglass Company Inc.
A première vue, on serait tenté de dire que le
prix payé par la requérante pour les phosphates
importés était le prix qu'elle avait payé à sa
filiale américaine, puisque la requérante et sa
filiale étaient en réalité deux entités distinctes et
puisqu'il a été prouvé lors du procès que la
requérante avait commandé le phosphate
importé à la Normont Inc. qui, à son tour, se
l'était procuré à la Smith -Douglass Company
Inc. Si toutefois l'intimée a prétendu que le prix
auquel le phosphate avait été vendu par Smith -
Douglass Company Inc. devait être réputé le
prix de vente à la requérante, c'est parce qu'elle
a tenu compte du fait, ainsi qu'il ressort de sa
défense, que la Normont était une [TRADUC-
TION] «corporation entièrement sous la direc
tion et le contrôle de la requérante» et que
[TRADUCTION] «en fait et à toutes fins prati-
ques, les deux corporations étaient fusionnées»
(al. 27); que la Normont Inc. n'agissait qu'en
qualité d'intermédiaire entre la requérante et la
Smith -Douglass Company Inc. (al. 28); que le
prétendu achat du produit par la Normont à la
Smith -Douglass Company Inc. et sa revente à la
requérante n'était pas [TRADUCTION] «une opé-
ration commerciale», le véritable caractère de
cette opération étant celui d'une vente de la
Smith -Douglass Company Inc. à la requérante
(al. 29). En bref, l'intimée a supposé que la
Normont Inc. n'était qu'une compagnie fictive
et qu'elle avait toujours agi comme mandataire
de la requérante. Cette dernière n'ignorait pas
cette prétention puisqu'elle a allégué dans sa
pétition de droit (al. 22) que [TRADUCTION] «les-
dits fonctionnaires (de l'intimée) semblent avoir
ignoré l'existence juridique de la Normont Inc.
et son intervention dans les opérations d'impor-
tation en litige, en se fondant- vraisemblable-
ment sur le fait que la Normont Inc. est une
filiale de la requérante (fait non pertinent
affirme la requérante) ou éventuellement sur
l'existence de quelque lien de représentation
entre la requérante et la Normont Inc. (fonde-
ment infirmé par les faits).»
Il est vrai que la Normont Inc. et la requé-
rante sont deux personnes juridiques distinctes.
Mais la Normont Inc. a pu agir au nom de sa
compagnie mère en qualité de simple représen-
tant et, si tel est le cas, il semble évident que le
prix auquel le phosphate a été vendu par la
Smith -Douglass Company Inc. à la Normont
Inc. devrait être considéré comme le prix
auquel il a été vendu à la requérante. Dans
l'affaire Rainham Chemical Works, Ltd. c. Bel-
vedere Fish Guano Co. [1921] 2 A.C. 465 à la p.
475, Lord Buckmaster déclarait:
[TRADUCTION] Par conséquent, il n'est pas possible d'igno-
rer une compagnie dûment incorporée au motif qu'elle n'est
qu'une compagnie fictive, bien que l'on puisse faire la
preuve qu'elle n'agit pas dans ses opérations en son propre
nom, comme une entité commerciale indépendante, mais
simplement pour le compte et au nom de ceux qui l'ont
créée.
Le ministère, en établissant la cotisation de la
requérante comme il l'a fait, a supposé que la
Normont Inc. avait agi en qualité de représen-
tant de la requérante. Ainsi qu'on l'a déjà noté,
l'art. 248 de la Loi sur les douanes met à la
charge de la requérante la réfutation de cette
prétention. Or, si la preuve n'établit pas claire-
ment que la Normont Inc. agissait au nom de la
requérante, elle ne révèle rien qui puisse même
suggérer que Normont Inc. agissait [TRADUC-
TION] «en son nom propre comme une entité
commerciale indépendante». Je ne puis par con-
séquent éviter de dire que la Normont Inc.
agissait en qualité de représentant de la requé-
rante et que les fonctionnaires de l'intimée ont
estimé à bon droit que le prix auquel les mar-
chandises ont été vendues à la requérante était
le prix auquel elles avaient été vendues à la
Normont Inc.
Avant de conclure, je dois examiner un autre
point que je n'ai pas encore mentionné. L'avo-
cat de la requérante a prétendu que si La Nor-
mont Inc. n'était qu'un simple représentant agis-
sant au nom de la requérante, il faudrait alors
dire que cette dernière a conclu l'achat du phos
phate aux États-Unis et qu'elle l'a par la suite
exporté pour elle-même au Canada; il a soutenu
que, alors, l'art. 6 du Tarif des douanes ne
s'appliquerait pas puisqu'il n'y aurait ni prix
d'exportation ni prix de vente à un importateur
au Canada. Le président Jackett (tel était alors
son titre), dans l'affaire La Reine c. Singer Mfg.
Co. [1968] 1 R.C.É. 129, a étudié une pareille
prétention et l'a jugée dépourvue de fondement.
Pour les motifs qui ont été exposés dans cette
affaire par l'actuel juge en chef de cette cour, je
suis d'avis que les marchandises en question ont
été exportées au Canada par la Smith -Douglass
Company Inc. et que le prix auquel elle a vendu
ces marchandises au représentant de la requé-
rante était «le prix d'exportation ou le prix réel
de vente à un importateur au Canada».
La pétition de droit de la requérante sera
rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.